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  • Des regrets: Charmatz's Best of Cunningham

    Je cherchais cet aprés-midi du neuf, mais Flip Book de Boris Charmatz s'avère être un avatar de 50 ans de danse, déja vu cette saison au Théâtre de la Ville. Il s'agit là encore de la réinterprétation dansée des photos d'un livre consacré à Merce Cunningham, tourné page aprés page. Jouée cette fois-ci en plein air et sur gazon, les corps des interprêtes bien petits confrontés aux tours de la Défense. Je suis gagné comme en salle par le même désintéret, juste distrait par les télescopages musicaux, quelques extravagances et pointes d'impertinences. Il y a au départ une idée inattendue (Chamartz n'en manque pas), mais je ne parviens pas à l'oublier pour gouter au résultat. Dois je regarder cette proposition comme un hommage, une entreprise de sauvegarde? L'an dernier avec Charmatz je comprenais mieux Hijikata, aujourd'hui je n'apprends rien de Cunningham. Dans le genre rétrospectif, je préférais les insolentes évocations de Pina Bausch vues à Artdanthé, tournées vers le présent. S'agit-il d'un simple exercice de style?  Dans l'art de remplir les vides entre les arrêts sur images, le travail d'Hermann Diephuis me semblait plus convaincant. Ici la contrainte semble figer les images, le mouvement entre elles ne reste qu'un passage. Les clichés figés dans le passé, comme l'album photo d'une famille qui ne serait pas la mienne. Je prends conscience alors de ce qui me gêne, la sensation d'assister par erreur à un spectacle de danseurs pour danseurs, exclusivement.

    C'était, de Boris Charmatz, Flip Book , vu sur l'Esplanade de la Défense avec le festival Seine de Danse et 50 ans de Danse, vu au Théatre de la ville

    lire aussi,  le tardorne et images de danse

  • Deux deconstructions

    Je suis ici sur l'invitation du blog du Forum du Blanc Mesnil, Ce lieu, j'aime y venir en avance pour y rester désoeuvré. Ici c'est ailleurs, d'ailleurs le lieu est excentré de la ville elle-même. Vu de trés loin se dresse comme un signal un ancien château d'eau, si haut qu'on ne peut le manquer, mais troué de fenêtres. Le théatre et la médiathèque dialoguent avec un bistrot et 2/3 commerces, l'ensemble encadre une grande esplanade, monumentale mais où l'on trouve sa place. Des jeunes y font ce que font habituellement les jeunes entre eux, en cette fin d'aprés midi nonchalante et encore caniculaire. Dans la médiathèque, une animatrice dévoile à mi-voix une expo. J'aime bien attendre ici, étranger, comme on attend un train dans une gare à ciel ouvert, pourquoi pas ici ne serait pas le centre du monde. Puis le théatre se peuple, nous rejoint un groupe scolaire, encore plus tard un car de parisiens curieux de cette soirée canadienne des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine Saint Denis.

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    Dedans, Jean Sébastien Lourdais nous attend, inanimé. Puis nous surprend. Il se met en mouvement, mais pas de la manière que l'on attendrait d'un danseur, il va ailleurs (vers?). De ses membres dessine des angles bizarres, rebondit comme une gomme, fait oublier les enchaînements naturels, dysfonctionné. Nous recite de son corps un poème elastique. Il progresse sur la scène comme on ferait défiler un film à l'envers, et jamais à la "bonne vitesse". L'audace de sa démarche m'évoque Sofia Fitas, avec des techniques et résultats trés différents. Confronté à cela le public parait trés concentré, même les scolaires se font oublier. Pourquoi parfois se fait ainsi le silence, si parfait? Le hasard fait que je suis moi même trés fatigué, donc sans doute perméable à ce qui m'est présenté. Les lumières flottent. la musique se répète en nappes et boucles, laisse d'autres pensées s'insinuer. Une ombre blanche apparaît en écho sur le rideau. Les gestes s'accumulent à contre courant. Le danseur est inverse, comme étranger à lui-même. Regard déporté, sa danse décivilisée, l'on dirait réinventée d'un point zero, les inventions d'un mime originel. Il agit sur l'espace autour de lui. Quand cet espace se distend, je pense à Moebius. Les humeurs changent, s'invitent des impressions de hip-hop, de cette longue et étonnante deconstruction, l'humour n'est pas absent.

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    Lors de la seconde proposition, d'Ame Henderson, les surprises sont de tout autre nature. Nous sommes tous poliment mais fermement dirigés sur le plateau, à l'embarras de beaucoup. Je m'y ose en premier, d'autres restent un temps au bord, font embouteillage. Tout spectateur projeté sur une scène tendrait-il à s'éloigner de son centre? Pas grand chose à y voir en premier lieu: des objets sur une table, de supposés appareils, des tasses et verres. Puis parmi nous se révêlent des danseurs habillés en vrais gens. Comment les reconnaître ? A leurs gestes lents, à leurs yeux fermés? Rêvent-ils? Quand vient donc l'instant où ceux ci dansent vraiment? Le phénomène est contagieux, d'autres supposés innocents spectateurs se transforment plus tard en danseurs. Tous convergent au centre de la scène, autour de la table, et nous faisons cercle autour d'eux, comme quoi tôt ou tard tout finit par rentrer dans l'ordre. Nous sommes d'ailleurs bientôt invité à retourner nous assoir dans la salle. La suite nous est livrée en kit: une danse pauvre mais humble, qui me semble autogérée. Si on en a l'energie, on peut penser ce qu'il font comme la naissance et l'évolution d'un système. Les danseurs s'observent les uns les autres, autour de la table leur mutisme détonne. ils nous interpellent pour nous mettre en garde contre de mystérieux dangers. Le groupe semble en mutation, vers le "bouger ensemble", encore trés approximatif. Avec, au moins, un grand sens du collectif: ils se mettent à huit pour tenir un appareil et nous photographier. Le concept est flou, ne reste qu'à le définir nous même. Ou sinon s'ennuyer ferme, jusqu'a la fin je reste sur ma faim.

    C'était Vers de Jean-Sebastien Lourdais et Relay de Public recordings d'Ame Henderson, au Forum du Blanc Mesnil, dans le cadre des Rencontres Internationales de Seine Saint Denis.

    Guy

    Et, changement de thême: le 12 juin je reviens voir Magma, ici même.

    photos de Frédéric Péloquin (Vers) et Omer Yukseker (Relay) avec l'aimable autorisation du forum du blanc mesnil

  • Ecouter...

    De l'écrivain Catherine Rihoit, je connaissais l'écriture jubilatoire, insolente, echevelée, du Bal des débutantes. Egalement, lors de belles rencontres, ses éclats de rires, aussi derrière comme un fond de colère. J'ouvre "j'ai Lu" plus par intérêt pour la femme et l'auteur que pour le sujet lui-même. Je suis pris, et surpris. J'entends ce que je lis. Des mots de 1858, d'au coeur des Pyrénées, des mots d'hiver, des mots durcis par la misères. Simples et âpres, ces mots pèsent. Plusieurs voix s'élèvent, les témoignages se rapprochent, se répondent. Où ce livre m'emmêne-t-il? Je ne sais pas encore. J'irais écouter: 

     

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    « Elle dit qu'elle voit »Quoi ? Aquero, quelque chose, une lumière blanche. Lourdes, une enfant, un mystère. Et si le miracle c'était croire ?

    Mise en voix : Jeanne Carré d'après « J'ai vu » de Catherine Rihoit avecJean Claude Aumont, Yannick Barnole, Jeanne Carré, Emmanuelle Grivelet-Sonier, Richard Jones-Davies, Caroline Kumba-Nzila, Didier Laroche, Mélanie Lecarpentier, Jacques Madar, Françoise Mothié, Catherine Rihoit...

     Les jeudi 27 - vendredi 28 - samedi 29 mai 2010 à 20h30A La Comédie Nation, 77 rue de Montreuil, 75011 Paris, Métro Nation Pour réserver : 09 52 44 06 57 ou reservation@comedienation.com A vous de lire - pl.15 & 12 €

  • Quand Florence regarde Viviana...

    Début de soirée: c'est un plaisir de partager un moment avec Florence et sa famille. Florence est une amie d'avant retrouvée depuis peu. Nous faisons ensuite le chemin jusqu'à L'étoile du nord, pour le festival Jet Lag, sans même à avoir, en partant de chez elle, à changer de trottoir. Florence, curieuse et cultivée, est peu familière avec la danse contemporaine. Bien que donc voisine, elle vient ce soir à L'Etoile pour la première fois. Et endosse avec un sourire entendu le costume de la candide. Cela m'enthousiasme de lui proposer cette découverte. Dans le même mouvement, je comprends à quel point son regard peut être pour moi déstabilisant. Déja, à essayer de lui expliquer ce que Viviana Moin est susceptible de faire sur scène, je m'embrouille, je me perds dans l'anecdote. J'ai l'impression de vendre ou de sur-jouer. Partager ce qu'on aime, c'est déja s'exposer. Avec plus de vulnérabilité que derrière un clavier.

    En première partie: Claudia Gradinger. Pour dix minutes d'extraits de sa nouvelle pièce. A l'énoncé du titre et à la vue des objets sur le plateau, difficile d'ignorer qu'il s'agit tout le temps de la Suisse, au moins en toile de de fond. Pour le reste, ce que dit prudemment Florence à l'entracte cristallise mes impressions encore destructurées, mon ressenti qui flotte. Florence reconnait les qualités physiques de la danseuse, et tout ce qui relève du pur mouvement. Mais s'ennuie de la profusion d'accessoires, de mots et de symboles, sans être parvenu à y trouver de la lisibilité. Florence s'amuse bientôt d'entendre une personne du metier formuler grosso modo la même analyse. Pour ma part, j'espère que la piece vue intégralement aurait laissé un souvenir plus construit.

     

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    Ensuite... L'entrée en scène de Viviana Moinbalaye toute rationalité. Et toute convention spectaculaire. Viviana est habillée d'un collant rose, d'un chapeau importé d'un folklore suspect, et d'un dispositif improbable qui évoque un soutien-gorge. Elle n'a peur de rien. Ca passe ou ça casse. Sur un ton entendu, elle fait allusion à de mystérieux évenements. Cocasses et effrayants. Fait d'une simple allusion exister des personnages bizarres . Puis  s'abandonne à une danse frénétique, s'offre en sacrifice dans un rituel trafiqué... Je n'ose jeter un regard de biais à mon amie et voisine de fauteuil. A tort: plus tard Florence me racontera avoir été emportée, aprés quelques secondes d'incrédulité, dans le monde singulier de Viviana, avec ses connivences hallucinées et imaginaires à tiroirs. Peut-être est-ce la voix de Viviana qui déjoue les résistances, pour nous faire accepter des implicites absurdes, des évidences retournées. L'énergie sans retenue aussi nous emporte dans le mouvement, de cette rencontre avec une licorne bleue pour des accouplements frénétiques et compliqués. Ce dont je ne discute pas encore avec Florence, car je n'en prendrai vraiment conscience en ces termes que deux ou trois jours plus tard, c'est toute la cohérence du travail de Viviana, de pièce en pièce, dans la suggestion de nouvelles mythologies, artificielles, partagées, "mondialisées". Pourquoi cela me semble-t-il si important d'entreprendre cette construction maintenant? Plus enthousiasmant en tout cas, que sur les scènes la pandémie de danses dépressives.

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    Mais pour le moment la licorne fait sécession en deux complices, et cela m'évoque irrésistiblement (de Fred) le petit Cirque. Une fois les acteurs décostumés, se montre désormais l'histoire du spectacle en train de se faire. Jusqu'à la remise en question de la possibilité même du spectacle, suspendu entre un tout convaincu, et juste des élements accumulés auxquels certains personnages ne croiraient plus. Ce parti-pris est périlleux. Me laisse sur le fil. Cela peut être vu comme de l'à peu prês improvisé, de la désinvolture. Deux, trois spectateurs ainsi nous abandonnent. Florence reste, heureusement. Suit une séquence de marionnettes, dans un délicat équilibre entre fiction (les poupées) et commentaires (les acteurs). Il y a dans le texte des fulgurances, et des outrages dans les gestes. Par instants je m'amuse, d'autres instants je m'ennuie. C'est Florence qui me rattrape, car je l'entends qui rie. La suite réconcilie, et rassemble les personnages au bord de la démission, pour une chanson hilarante avec guitare et castagnettes. Pour conclure dans une recherche de ce que peuvent être les limites acceptables de la performance, la recherche du danger: Viviana saigne-t-elle? 

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    C'est la sortie. Seul je digererais tranquillement, mais à cet instant j'en suis reduit au doute: Florence me rassure. Ou se montre d'une politesse extrème. Entreprend une analyse complête et amusée de la chose, descriptive, accepte le souvenir des sensations plutôt que la stricte recherche du sens, insiste sur ce qui l'a surpris. Réussit à me convaincre que je peux ne pas être le seul à m'emerveiller de propositions incongrues telles celle ci. Je sais et je dis que la création est jeune de quelque semaines seulement, et, inutilement, lui cherche presque des excuses, plutôt que de revenir sur son intelligence et sa vitalité. Je dis-ou est-ce Florence? Je ne sais plus...- que plus travaillée cette pièce eut peut-être perdu de sa force. Quelque jours plus tard je pense l'inverse, que le meilleur est à venir, il faudra qu'on en rediscute... 

    C'était MON COUCOU, TELL ET MA SUISSE [EXTRAIT - CREATION ] de CLAUDIA GRADINGER et ESPIRAL - CREATION -  de VIVIANA MOIN  avec Arnaud Saury et Laure Mathis (réalisation de la licorne de G. Kortsarz.) à L'étoile du nord.

    Guy

    photos (D.R.) avec l'aimable autorisation de Viviana Moin

    a LIRE AUSSI: LE TADORNE

  • Je pense comme une fille enlève sa robe de Perrine Valli: un débat virtuel

    A l'occasion de la représentation par Perrine Valli de Je pense comme une fille enlève sa robe, le mercredi 19 mai 2010 au Centre Culturel Suisse, retour sur les échanges entre Jérôme Delatour, Pascal Bely et moi-même apres la création de la pièce à Mains d'Oeuvres (mis en ligne sur nos blogs début 3 fevrier 2009):

     

    Guy : J’hésite…J’ai été plutôt déconcerté. Sans trouver la bonne approche pour regarder cette proposition. Le sujet annoncé-la prostitution- est fort et particulier. Un sujet à risque !

     

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    Mais ce qu’on voit au début semble étranger à ce thème: une danse lente dans la lignée de ce qu’on a déjà vu de Perrine Valli (des poses bras tendus comme sur la photo qui illustre le site de Mains d’œuvres). On s’y fait …avant de découvrir des tableaux qui nous ramènent au thème central: les deux interprètes lourdement maquillées, la danseuse confrontée au déferlement de ces petits hommes virtuels...Je m’y suis un peu égaré, malgré les itinéraires dessinés en sparadraps pointillés… )

      

    Jérôme : Il est vrai qu'on est loin de la prostitution réelle. C'est plus une idée de la prostitution, un fantasme de prostitution chez une jeune femme d'aujourd'hui. Rien de sordide ici. En fait, la pièce de Perrine Valli parle de bien d'autres choses. Elle est toute d'ambivalences et de miroirs: la gémellité de la pure et de la pute ; les pointillés formant chemin et frontière ; les petits bonshommes pouvant symboliser des clients - c'est l'interprétation de Rosita Boisseau dans sa critique du Monde - mais aussi des enfants, un désir d'enfants. La bande son, qui laisse percer des cris juvéniles, va dans ce sens, et la scène est aussi belle que légère, enfantine elle aussi, presque allègre. Cette scène peut aussi renvoyer à la représentation de Nout, la déesse egyptienne au corps étoilé (la voûte céleste, en somme) qui avale le soleil le soir et l'enfante au matin !

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    Guy : Cela m’a plutôt évoqué des images de space invaders. A chacun ses références…

     

    Jérome : Je te rejoins sur la cohabitation étrange d'une danse abstraite, où l'on reconnaît que Perrine Valli est encore très fortement influencée par la gestuelle sémaphorique de Cindy van Acker (dans Obvie, par exemple), et d'une narration.

     

    Guy: Mais dans l’ensemble, c’est tellement différent de ce que Perrine Valli a présenté précédemment-il faut signaler qu’il s’agit d’une toute jeune chorégraphe et interprète- qu’il s’agit presque d’une première pièce…

     

    Jérôme : Pour ma part, j'apprécie que Perrine s'engage sur cette voie moins aride. De plus, sa pièce est parfaitement rythmée, et ponctuée par de simplissimes, mais très efficaces mises au noir, qui délimitent une succession de saynètes.

     

    Pascal. : Nous pourrions échanger encore longtemps sur le propos de cette œuvre. Elle n’en manque pas mais entre- t- elle en résonance ? Les idées fusent, tel un brainstorming entre artistes inspirés par la question. La multiplication des espaces, des symboles ne créée pas la cohérence. Tout s’additionne sans se relier. L’escalade dans le propos métaphorique sature et ne permet plus aux corps de relier les symboles. La danse de Perrine Valli met au même niveau images, utilisation de l’adhésif et mouvement comme si le corps prostitué était langage au même titre qu’une statue ou un tableau. C’est une danse totalement « contaminée » par une esthétique de l’art contemporain alors que la danse est en soi un propos. En osant filer la métaphore, le spectateur enfile les tableaux, sans plaisir, en attendant que cela finisse.

     

    Jérôme : Je ne comprends pas pourquoi ce que tu appelles art contemporain devrait s'arrêter aux portes de la danse. Du reste il n'en a jamais été ainsi : le spectacle vivant a toujours fait appel à l'art de son temps pour habiller ses artistes et la scène. Le dispositif scénographique de Perrine Valli est d'ailleurs d'une sobriété exemplaire. J'aime cette simplicité. Enfin, au risque de paraître te reprendre point par point, les tableaux ne s'additionnent pas mais se succèdent bel et bien. L'adhésif sert de fil conducteur et marque une progression, un dévoilement. De même que l'on découvre peu à peu que les jumelles du début, unies par leurs postiches, sont deux femmes tout à fait différentes.

    Il y a aussi cet homme absent, qui rappelle de manière frappante celui de Solides Lisboa (Eléonore Didier - les deux pièces se rejoignent d'ailleurs sur de très nombreux points, jusqu'à troubler ; nous y reviendrons peut-être), peut aussi bien incarner le client ou le compagnon idéal.

     

    Guy : Je ne vois dans le rapprochement avec Solides Lisboa que des coïncidences. On peut trouver trois points communs: la table, la nudité, la lenteur... Pour commencer on voit beaucoup de tables (Cf In-Contro !) en ce moment de même qu’on voyait beaucoup de perruques l'an dernier.. Disons que c'est fortuit ! Ensuite : la nudité, son emploi était difficilement évitable compte tenu du sujet. Cette nudité est traitée avec maîtrise et pudeur, allusive, quand les deux femmes avancent du même pas, l'une l'ombre nue et cachée de l'autre.

     

    Quant à la lenteur elle me pose problème. La lenteur…Autant la lenteur me parait consubstantielle au projet d'Eléonore Didier, autant ici plutôt je la subis. Sans forcement pouvoir l’expliciter. Ce que tu appelles des mises au noir, je les ressens comme des blancs entre des passages signifiants, des interstices qui se sont pas forcement raccords.

    Trop longs ces moments consacrés à arracher les rubans, bouger la table, des moments hors de la danse. La même lenteur mais utilitaire et démonstrative qui m’a gêné chez Marcela Levi.

    Je rejoins Pascal là-dessus: il y a beaucoup de matière, et parfois forte et évocatrice. Mais trop accumulée, l'articulation ne semble pas encore maîtrisée. La cohérence ne s'impose vraiment qu’assez tard dans le déroulement de la pièce.3226880734_71fd11bb49_b[1].jpg


    Jérôme : Avec Solides, Liboa, il s'agit bien de coïncidence, et elle me frappe lorsqu'elle va jusqu'à ce point. Tu oublies la place de l'homme : dans les deux pièces, chorégraphiées par des femmes, il est réduit à un figurant sans visage. La table d'Eléonore et de Perrine n'est pas celle d'In Contro: chez l'une comme chez l'autre, on porte cette table et on se couche sur elle. Le bruit d'ambiance, capté dans la rue, revient également dans les deux pièces. Ici la nudité n'avait, à mon avis, rien d'obligatoire. Elle ne renvoie pas tant à la prostitution (qui n'est guère compatible avec la pudeur que tu soulignes) qu'à une façon de s'exprimer en tant que femme d'aujourd'hui. A mon sens, les nombreux points communs de ces deux pièces a priori tout à fait indépendantes livrent un témoignage concordant sur la sensibilité féminine contemporaine ; et elles sont très intéressantes à ce titre. Que signifie, chez ces jeunes femmes, cet homme absent ? Une attente, une revendication, une déception ? Je suis un homme, elles m'interpellent. Quant à la lenteur, elle m'a moins frappé que son caractère cérémoniel, presque religieux : une série d'actes convenus à l'avance est exécutée avec précision et en silence. La danse elle-même n'est pas lente. On peut inverser la hiérarchie que tu établis : pour moi, c'est la danse qui fonctionne comme interstice, ou plutôt intermède, de ce que tu nommes interstice, et que je considère au contraire comme la trame dramatique de la pièce. Nous sommes dans des procédés classiques du théâtre.

      

    Pascal : Je n’ai jamais attendu de la danse qu’elle fasse une démonstration. Or, Perrine Valli raconte, démontre, va ici puis là, occupe la scène, le mur, la coulisse. C’est fatigant cette manière si démonstrative de concevoir l’art chorégraphique ! Le tout s’étire sans que l’on puisse à aucun moment se raccrocher à une émotion, à une image poétique, à un geste, un mouvement.

     

    Guy: Il y a quand même des images auxquelles on peut se raccrocher !

     

    Pascal: Tout est maîtrisé jusqu’à délimiter la scène de façon quasi obsessionnelle avec un adhésif pour ne produire que des cases. Il y a dans cette œuvre un contrôle de l’imaginaire assez effrayant qui positionne le spectateur à devoir apprendre une esthétique sur un sujet sensible et tabou. Une façon assez élégante de signifier au spectateur que la danse peut faire aussi « ennuyeux » qu’un classique au théâtre ! Au fond : je pense que ce spectacle n’est pas destiné à un public de danse (il suffisait de l’observer pendant le spectacle !). Mais qu’est-ce qu’un public de danse ? Je ne sais pas. En fait, j’aurais bien vu cette œuvre à la biennale de Lyon d’Art Contemporain ou à la documenta de Kassel.

     

    Jérome : J'avoue que tu me vois perplexe. Objectivement, Perrine danse 50 % du temps... pour les 50 % restants, on peut appeler cela de la performance… est-ce si rare ou étranger à la danse contemporaine actuelle ? En un mot, je n'ai pas vu de spécificité particulière à la pièce de Perrine dans ce domaine. Aurais-tu dit du Paso doble de Nadj qu'il était envahi par l'art contemporain ?

     

    Guy : conclusions ?

     

    Pascal : Et si cette œuvre s’inscrivait-elle dans une articulation avec d’autres arts (vidéo, photo, danse, musique)? C’est peut-être cette articulation qui me pose problème. Et à regarder les photos prises par Jérome, j’ai comme l’intuition qu’il est un des acteurs de cette pièce, en tant que photographe et bloggeur! Perrine a réussi à lui faire épouser son propos…

     

    Jérome: Nous aurions pu poursuivre sur cette question de l'art contemporain, et il avait  d'autres choses que je n'ai pas pu dire sur les thèmes abordés par la pièce. Ce qui est vrai, c'est que la photographie rapproche sans doute des danseurs. On suit leurs mouvements physiquement avec l'appareil photo. En regardant dans le viseur, la vision est plus resserrée, plus intime. On est aussi plus sensible, sans doute, à la beauté formelle. Maintenant, cela dépend quand même aussi de la pièce.


     

    C'était un débat virtuel au sujet de Je Pense Comme Une Fille enlève sa robe de Perrine Valli, avec Perrine Valli et Jennifer Bon, présenté à Mains d’œuvres dans le cadre du festival Faits d’hiver.

     

    Echanges par courriels entre Pascal Bely (Le Tadorne) Jerome Delatour (Images de danse), et Guy Degeorges (Un Soir Ou Un Autre), postsynchronisés par Guy.

     

    Photos de Jérôme Delatour.

    Lire la présentation de Mains d'Oeuvres et Rosita Boisseau dans Le Monde

     

     

  • Bain de jouvence

    Cette salle si grande à Chaillot souvent pèse de trop d'attente, ce plateau que trop de danseurs envahissent comme des armées, et des souvenirs hérissés de déceptions incrédules. Mais ce soir je suis comme ce petit garçon qui à la sortie de la pièce de Carolyn Carlson confie à sa mère: " J'ai bien aimé mais j'ai rien compris". Je suppose qu'il a ignoré ce qui était ce soir le plus oubliable et le plus explicite: les récitatifs explicatifs-des développements durants- pour plutôt s'abandonner aux sensations, s'y plonger comme dans l'oubli. "Eau": c'est le titre et le thème, cet élement est présent plus dans le souffle et l'esprit que par allusions précises. Même si l'eau se dresse en arrière-fond, captée dans les images d'Alain Fleischer, miroir de nos rêves. Et devant juste un petit bassin, presque à deviner: une Vénus y naît. Les poncifs et recifs évités, les danseurs d'abord heurtent des gestes saccadés, loins d'un symbolisme trop évident.

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    Poursuites, énergie, transformations, méditations, les lignes courent inattendues. On lit que la création fût partagée avec les danseurs- beaucoup de pièces s'échouent ainsi- mais ici leurs mouvements se prolongent ensemble. Les répétitions des sons m'appaisent, les couleurs me réconcilient aussi. Je pense aux musiques d'Alain Kremsky. Je crois reconnaitre Jodorowsky. L'imaginaire s'écoule, s'écume. Des chevelures ondoient et pleuvent. La pièce me semble- mais pourquoi?-irrésistiblement féminine, fait s'entremêler douceur et aprété, reconciliés en poésie. Le tout me fait renoncer à l'impatience. Apprivoisé.

    Il y a une belle convergence de générosité et d'inspiration entre Carolyn Carlson, le musicien Jody Talbot-flux et reflux, vagues renaissantes, de cordes, piano et vibraphones- et le plasticien Alain Fleischer qui plonge les mouvements en images qui respirent. Alain Fleisher est également photographe, écrivain. Ce qu'Isabelle(1) écrivait à propos de son roman pourrait tout autant être inspiré par ce que je vois ce soir: Fleischer navigue dans cette immobilité, en quête d'une étoile remontée du fond des eaux, et, « dans ce silence, l'histoire ne cesse de se dérouler à grand fracas. ». Ainsi, celle-ci, arrêtée, est explorée par cet accroc au tissu du temps par lequel s'écoule ce qui les lie alors l'un à l'autre dans le jeu muet des âmes : l'attente, l'interrogation, la soumission, l'abandon. Architecte de l'eau, archéologue de l'intervalle, de l'entre- deux, des flux souterrains de l'âme au monde, du passage d'un monde à l'autre, Fleischer voyage au cœur de l'ambivalence et de l'immersion dans les profondeurs de l'autre. Il distille, précipite, laisse sourdre, goutte à  goutte, submerge, inonde, ralentit, évapore, mélange. On baigne dans le liquide amniotique de sa pensée, dans l'humide douceur des plaies, dans la moiteur du sexe. (1)

    C'était Eau de Carolyn Carlson, musique de Jody Talbot, images et dispositif d'Alain Fleischer, au Théatre National de Chaillot.

    Guy

    (1) Isabelle Vieville Degeorges dans La Revue Littéraire N°32  (éditions Léo Scheer), à propos de l'Ascenceur d'Alain Fleischer (édition Le Cherche Midi)

    photo de Fréderic Lovino avec l'aimable autorisation du Théatre National de Chaillot