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  • Petites notes décousues

    Petites formes cousues, mercredi, trois performances qui s'emboitent miraculeusement. D'abord Maxence Rey : j'avais vu une étape des Bois de l'Ombre à Mains d'œuvres. Tout a changé. Son registre s'est étendu. De la sérénité. Maxence balance vers la sensualité. La chaise a disparu au profit d'un cube. Sa robe, d'un noir de soirée. Des centaines de bougies tremblent. Leur lumière dansante grêle Maxence de taches de lune. L'image d'une cérémonie secrète. Toujours les jambes qui se plient, se déplient. Je prête aux gestes des sens mystérieux. Elle feint d'elle-même s'y perdre, et se considérer, ébahie, agitée. Belle bande son. On s'y croirait (mais où ? je ne sais). Effets de robe et de jambes. Ruades imprévues. Montée de l'inquiétude.

    Mathilde Lapostolle a dansé (danse encore ?) avec Carlotta Ikeda. En a retenu le sens de la comédie. Du grotesque. Ne cherche pas à le cacher. Elle est blanchie. Danse en cercle. Tend vers une maladresse juvénile. Titube. A deux pas de la chute. Yeux perdus.  Une lourde robe, lacets et cerceaux. Repose jambes soulevées, sur le dos. Du post buto. Enfantin et excentrique. Je suis plutôt ému. « c'était exprès pour toi », plaisante à la sortie, Eléonore Didier - qui programme le festival; (Depuis un bout de temps Eléonore élude mes questions sur les influences buto dans ses propres pièces !)

    Ensuite : Muriel Bourdeau, venue au pied levé. D'abord cette longue séquence vidéo. La danseuse en boucle dans l'escalier (Tiens, Jérôme en a déjà parlé). Et la danseuse en vrai. Allongée, plus ou moins vêtue. La suite, dans une semi obscurité est nerveuse. Une performance brouillonne et excédée. Une chaise, un amas de collants. On devine qu'elle les déchire: un bruit effrayant. C'est laconique et déjà d'une violence qui me tétanise. Fausses peaux, malmenées, etirées. Elle s'en habille, s'en lie. Prisonnière (mais de quoi au juste ?). Puis s'en libère, avec autant de rage. Face à nous presque invisible,  impudique par suggestion. Lumière. Habillée d'un jean. Massacre au rouge à lèvre. Surchargé. De la fureur sans bruit. La féminité assassinée. Une claque. Est cela, l'autoportrait ? Il y a longtemps que je n'avais pas vu quelque chose d'aussi fort, et « authentique ». Brut, inachevé ? J'y repense le lendemain en écoutant Irene Di Dio dire « c'est la dernière fois que je mets du rouge à lèvres », elle aussi torse nu. Mais j'en garde un souvenir beaucoup moins convaincu, d'un bout à bout pas abouti.

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    Ce jeudi je vois d'abord deux performances d'Anne Catherine Nicoladzé. Plus difficile d'en parler. Plus subtil. Elle rentre subrepticement en représentation. A choisit la salle de concert plutôt que le studio de danse. On dirait un échauffement qui devient une pièce. L'espace s'habite peu à peu. Le rythme s'installe. Obstiné. Autour d'une table. D'un coup c'est convainquant, soudain dense. Le son aussi. Ses glissements, frottements, amplifiés. J'aime cette monté en puissance. Quant à la seconde pièce ou intervient A.C.N, sur une proposition de Come Belain...Comment dire ? Cela ne ressemble à rien de déjà vu jusqu'ici. Un humour ravageur avec une chair incongrue. Je préfère laisser la surprise aux prochains spectateurs..qui seront attentifs au titre.

    Ensuite l'échelle revient. J'attends cette pièce avec impatience. LaiSSeRVenir d'Eleonore Didier est interprété aujourd'hui par Ikue Nakagawa (vue il a peu dans la pièce de Rambert à Gennevilliers, dont il faudra tôt ou tard que je parle, et ce ne sera pas facile). E.D. à tout prix veut transmettre ses soli. Mathilde Lapostolle a déjà interprété celui-ci. Mais Mathilde ressemble (plus ou moins) à Eléonore, alors que les physiques d'Eléonore et de Ikue sont à l'opposé. il est fascinant de voir cette dernière habiter ce solo, dans les vêtements d'une autre. La pièce en devient plus nerveuse, moins placide. De la brusquerie, à fleur de peau, là où il y avait de l'abandon. C'est fascinant. Le temps s'écoule différemment...pas trés bien pour certains: à la sortie une spectatrice explose d'indignation et dénonce ce qu'elle appelle de la prétention. Je peux comprendre ce qu'elle ressent. Mais pour moi il s'agit de sensations partagées, de nuances, plus que jamais. Je reviendrai lundi soir peut-être, trop tard pour Tracks, et Slim.

    C'était Les bois de l'ombre de Maxence Rey, Tumblewed de Mathilde Lapostolle, Autoportrait (version courte)* de Muriel Bourdeau,  Ce projet-là d'Anne Catherine Nicoladzé et Corpophonie de Come Delain et Anne Catherine Nicoldazé, LAISSERVENIR d'Eléonore Didier, Mona Lisa Song d'irene Di Dio.

    A Point Ephèmere dans le cadre du festival Petites Formes Cousues, jusqu'à lundi.

    Guy

    * On ;-) me rapelle lundi qu'Autoportrait a été créé au Dansoir à l'occasion du festival Indisciplines!

    photo (Anne Catherine Nicoladze) de Jérome Delatour

    Voir, par Jérome Delatour, les photos de Mathilde Lapostolle, et Anne Catherine Nicoladzé

  • En attendant Sankai Juku

    Sankai Juku: le buto est-il un mysticisme?

    Texte mis pour la première fois en ligne le 17/05/2008

    Ce soir, on croirait retrouver la scène du Théâtre de la Ville dans l’état où Angelin Preljocaj l’avait laissée: avec sept stèles en demi cercle. Mais avec les danseurs de Sankai Junku, cette configuration à la Stonehedge prend tout son sens: c’est à une cérémonie qu’on a le sentiment d’assister.

    Le miracle est de nous faire accepter sans réserves cette invitation au passage de l‘autre coté. L’évidence et la dignité du mouvement apaisent en nous tous les soupçons qu’ésotérisme et exotisme pourraient susciter. C'est un tout, à prendre ou à laisser, on en accepte même la musique. Plutôt mise en doute dans le programme, la filiation buto de cet art s'impose  pourtant, évidente. Non seulement à reconnaître les techniques employées, les postures- l’équilibre sur le coccyx- et les mouvements de soli et de groupe- quatre à terre qui ensemble ondulent comme une pieuvre à seize tentacules… Non seulement à retrouver cette même esthétique de la lenteur, ce goût du mime et du grotesque. Mais, surtout, à faire l’expérience de cette in-analysable densité du geste. Cette proximité avec le buto est elle source de malentendu? Le terme n’a pas trop bonne presse- qui ne se semble pardonner à quelques rares chorégraphes de cette famille que si elle les juge assez talentueux pour se distinguer des modèles… alors qu’on devrait en juger de même pour n’importe quel chorégraphe de talent par rapport à n’importe quel genre. Sachant qu’au sein des familles issues de l’héritage buto, il existe d'ailleurs autant de mouvements que danseurs. Mais il est vrai que la réputation du buto s’alourdit de symboles bien pesant voire de malentendus, images d’Hiroshima en tête. Les évidences trop évidentes étant peut-être aussi fausses que les photos d’Hiroshima que Le Monde publie.

    Dans une tradition buto aussi: la neutralité androgyne de ces corps glabres et blanchis, vêtus de tuniques oranges. Cette indétermination permet aux danseurs d’incarner, de postures en postures, toute la gamme du vivant, du végétal à l’animal, de l’animal à l’humain, du masculin au féminin. Cette neutralité rend hors sujet le jugement qui partage le beau et le laid. On en revient à la vérité humaine, digne et douloureuse. Surtout on regarde au-delà. Ce soir le buto n’est pas un cynisme, c’est un mysticisme. D’évidence. Les regards tendent vers le haut. La bande son évoque matières, sable et eaux. Dans un paysage symbolisé, les mains dansent pour attraper les ombres, invoquent des dieux, ou tout autre mystère. Spiritualité n’est pas nécessairement religion. Les mouvements se répètent, sans heurts, ni violence. Mais le calme est trompeur. L’intensité est intériorisée, en une fausse sérénité. L’émotion est subtile, tout ce que la condition humaine transporte de douleur est pudiquement mise à distance. Ritualisé.

    Attardons nous sur le sous-titre de Toki : un instant dans les temps entrelacés. En six tableaux, par la médiation théâtrale, le passage du quotidien ordinaire vers des dimensions spirituelles. Qui coexistent, insoupçonnées. Un coin du voile soulevé. Sur... Tableaux après tableau, la lenteur tend vers l’instant absolu. Un temps mystique ou divin.

     "Le mouvement des corps n’est pas le temps » Saint Augustin.

    C’était Toki  ♥♥♥♥  d'Ushio Amagatsu par Sankai Juku au Theatre de la ville avec Ushio Amagatsu, Semimaru, Toru Iwashita, Sho Takeuchi, Akihito Ichihara, Taiyo Tochiaki, Ichiro Hasegawa, Dai Marsuoka.

    Comme en 2008, on retrouvera Toru Iwashita, en improvisation avec Claude Parle à l’accordeon,  à l'Espace Japon,  Samedi 8 Mai à 20h 12 rue de Nancy, M° Bonsergent; Château d'eau,  01 47 00 77 47 ,  Paf: 10 €

    Guy

    P.s : à lire, bien culturel 

  • En suspensions

    S'ils touchent terre, les circassiens de Mathurin Bolze-dans la Grande halle de la Villette- tombent-ils en enfer? Ils ont d'abord manqué d'être aplatis par la descente inexorable du plafond- souvenirs de vieux feuilletons-, avant d'embarquer ensemble sur cette petite planête qui s'élève et pas moyen d'en descendre en route. Il s'agit plutot un radeau de fortune, une terre en miniature, aux mouvements aussi incompréhensibles que ceux de la vraie terre, sur laquelle il faut vivre quand même. Si les lois de la gravité y deviennent toutes relatives, les lois du coeur y perdurent, avec les mêmes élans mais magnifiés: amour, humour et disputes. Solidarité aussi. Le tout en gestes et reconstitué sur quelques mêtres carrés précaires et sans cesse remodelés, animés par la poésie virtuose et imprévisible des cinq acrobates. Tout s'y exprime avec une précision légère. On est d'abord fasciné par le vide vertigineux de 50 centimetres de haut dans lequel ils manquent de tomber (un vide aussi illusoire et spectaculaire qu'au bord de la falaise du Roi Lear). Le radeau ensuite s'envolera bien plus haut pour de plus fortes sensations. Pour affronter la haute mer et enivrer les gestes. Les fausses chutes sont d'une irresistible tristesse, les gags merveilleux et mélancoliques. Les plages lentes font place à des accélérations frénétiques. Tout enfin se déglingue dans ce Titanic pret à basculer en free jazz. Quand tout tangue, où va-t-on, comment vit on?

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    Dans le ventre d'une autre baleine culturelle, le 104 endormi, Maria Donato d'Urso , elle non plus ne touche pas terre. Ne touche pas l'eau plutôt en suspend en dessous d'elle, son corps cruellement échoué sur un étrange navire de trois mats et de voiles. La toile vaporeuse à la fois nous la dérobe et l'expose. De ses gestes ecartelés elle fait se renverser les trois axes aux angles aigus qui la traversent, en de nouvelles combinaisons instables et impossibles. Les bruits sont lourds et la toile respire, projetés sur cette toile les mots sont blancs et ces mots rêvent. La lenteur rêgne, la langueur inquiète, sans repos. Lus en linéaire les mots convainquent moins que lorsque que projetés: alors un poème dermatologique. C'est pourtant une belle et laconique performance, enivrante et surprenante, dans la continuité et le difficile renouvellement de ses précedentes mises en situation.

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    Danseurs, acrobates, tous sont ici des athletes de la beauté.

    C'était Du Goudron et des Plumes, m.e.s. par Mathurin Bolze à la Grande Halle de la Villette, jusqu'au 25 avril, et pleine peau- strata etude de Maria Donata d'Urso avec un texte de sophie Loizeau au 104, pour la cloture de Concordan(s)e.

    Guy

    1ere photo: (Christophe Raynaud De Lage) avec l'aimable autorisation de la Villette

    2eme photo (LAURA ARLOTTI) avec l'aimable autorisation de Maria Donata d'Urso

  • Cliquez sur moi!

    Ici sur Internet on évoque tout ce que l'on voit sur scène. Sur la scène du Proscénium cette jeune troupe joue tout Internet. Heureusement drôlement. Et l'on s'y reconnaît, nos psychées fragmentées, hyper-sollicités, destructurés entre chats, blogs, facebook, google, twitter, youtube, égarés par les résultats de nos propres requêtes.

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    On s'y reconnaît tout à fait, de nos pensées sur la toile exposées à notre image projetée avec celle des acteurs sur la toile au fond de la scène. Il y a de tout dans ce texte garanti 100 % copié-collé d'écrans. Dans le désordre: nos nouveaux liens dans les deux sens du terme, nos nouvelles libertés et nos nouveaux conformismes, nos petits egos et nos réactions aux evenements planétaires, les échanges kafakiens avec les sites d'e-commerce et de vraies citations de Kafka. On supplie "cliquez-moi" et l'on se noie, de nouveaux murs se dressent et les mots font échos, se dupliquent et se déforment. Tout va trop vite evidemment, en mode grinçant, les acteurs sortent de l'écan pour nous entrainer dans l'interactivité, en une improbable communauté. Le résultat est aussi décousu que le sujet, mais ce réseau d'acteurs et spectateurs parcouru d'une belle énergie, c'est le plus important.

    C'était Brèves d'écran, écrit et m.e.s par Olivier Fournout, au Proscenium  jusqu'au 16 mai.

    Guy

    photo de Takeshi Miyamoto avec l'aimable autorisation de la compagnie ordinaire

    lire aussi Coup de théatre

    P.S. du 19/04: c'est le moment et l'endroit revé pour relayer cette info du TCI.

    Stage de pratique artistique: Part privée / Part publique avec Renaud Cojo, samedi 8 et dimanche 9 mai 10H-18H

     Renaud Cojo, metteur en scène du spectacle Et puis j'ai demandé à Christian de jouer l'intro de Ziggy Stardust,  propose dans ce stage un travail d'expérimentation de l'image de soi via la vidéo (travail d'écriture, réalisation vidéo). Il s’agit d’explorer l'utilisation des réseaux sociaux (twitter, facebook, myspace ...) et le jeu entre part privé / part publique qui anime ces pratiques. Il s’adresse autant à des amateurs qu’à des comédiens, danseurs, artistes… et concerne des utilisateurs de réseaux sociaux, blogueurs.... comme des novices en la matière.

      Ouvert à tous, participation aux frais : 50 €
    Renseignements :
    marion.franquet@theatredelacite.com, 01 43 13 50 63

    Renaud Cojo, présente Et puis j'ai demandé à Christian de jouer l'intro de Ziggy Stardust du 31 mai au 12 juin au Théâtre de la Cité internationale et du 15 au 26 juin au Théâtre Paris-Villette.

  • Poules, cochons, lapins, biches, chattes, minous

    Ce soir à Artdanthé, le ton est franchement animalier. Il y a cette performance de volailles plutôt volatile d'Ayelen Parolin. Annoncée pourtant sérieusement, en tant que représentation sociologique du fonctionnement d'un groupe d'amis, copains comme cochons. A un point qu'on se sent vite de trop, à regarder ces quatre personnages sur canapé, trop connivents et vus de profil. Leur entre-soi est abscons, je donne vite ma langue au chat. Je suis remis énergiquement dans le jeu par Viviana Moin qui m'atterrit dessus -mais gentiment- au premier rang, au terme d'un déchainement destructeur et saisissant. Cette action est la conséquence d'un pari perdu. Et dans ce petit groupe il s'agit donc de cela (au detour de quelques confidences sexuelles désenchantées): bizutage, petits jeux de pouvoir-l'homme est un loup pour l'homme!-, humiliations consenties, vagues excitations, defis potache. Des gages qui tournent mal (ou bien question de point de vue?): car bientôt tous tout nus, plume dans le cul.

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    Dés lors on a passé un point de non retour, les personnages désormais dépourvus de toute humanité. Dit autrement: ces pouffes sont réduites à des poules à poils. qui se cambrent et caquettent menton dans le cou et croupion en arrière. Privées de parôle.La démonstration est courageuse, longue et appuyée...D'un coté on se dit que cette performance radicale mérite le respect à défaut d'adhésion. On rit nerveusement. Mais ça fiche un peu la chair de poule. Je m'interroge sur la dimension possiblement kafkaienne de cette métamorphose. Caricature, satire, justice immanente...en tout cas ça donne le cafard. Pourtant je ne crois pas qu'on nous prenne pour des pigeons, au début il avait un projet. Et c'est dommage, mieux construite la piece aurait pu être chouette. Que lui manque-t-elle? D'être, au choix, plus drôle ou plus cruelle?

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    Heureusement, deux heures auparavant, Kataline Patkai et Yves Noël Genod  ne nous avaient pas posé de lapin. Les cochons étaient de retour à Artdanthé, un anniversaire offert comme un beau cadeau d'au revoir pour cette fin de festival. Je goute ce moment qui revient, d'une délectable inconsistance, le temps évaporé en volutes. Plein de riens qui apaisent. Kataline, Yvonnick Muller  béat et leur ménagerie semblent glisser sans toucher terre en cet eden et entrainent autour eux une irresistible douceur, par nappes et revêries. La neige fond doucement tout au fond flou des paysages d'hiver et Y.N.G. plâne quelque part derrière nous au micro dans la salle, en retrait. On croirait par moment qu'il n'ose parler, muet comme une carpe, chuchote à tout prendre. Je repense à cette évidence que je formulais la veille en compagnie de deux écrivains de romans: le texte de théatre se nourrit de silences. La nouveauté de ce texte ci est éventée, mais les redites s'offrent simples et modestes. Les notes de piano de Pierre Courcelle  se perdent en cercle, le lapin, le chat et autres bestioles de la ferme se promènent quant à eux sans affolement sur la scène calme. La curiosité ne tue pas le chat. Kataline est nue, Kataline est belle. D'une dangereuse candeur. Sa voix douce, nouvellement assurée. La beauté, comme la nature, est cruelle: Kataline plume un pigeon, desosse un civet. Sucitant l'indignation de certaines, mais les chiens aboient et la caravane passe: elle le plume avec tendresse. Puis elle revient, contre son sein un petit homme qui était absent l'année d'avant, on ne peut resister au suprenant partage de cette intimité, ce bonheur osé ici.

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    C'était SMS & Loved'Ayelen Parolin et C'est pas pour les cochons, avec les mêmes que l'année d'avant. Au théatre de vanves, pour cloturer une saison d'Artdanthé.

    Guy

    photo de Jérome Delatour - images de danse.

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  • Des regrets: l'opéra de 4 sous

    Le drame se fige au ralenti en une construction géométrique, l'espace en lumières ostensibles, à-plats et ellipses, la chair des acteurs blanchie et figée, le jeu de même. Les personnages se meuvent grimaçants et poudrés, en caricatures grinçantes. Ce cabaret intemporel et de néons est épuré jusqu'à en devenir funêbre, en un mélange déconcertant de vulgarités étudiées et de raffinement formel. Je jouis des rengaines universelles de Weill et m'ennuie du texte de Brecht ainsi fossilisé. L'orchestre, d'une implacable précision, manque de mordant. Je suis fasciné par ces ensembles impeccables, ces lignes pures, ce défilé de fête foraine symbolisé en quelques roues lumineuses, par ces chorégraphies au millimêtre. Je me prends à rêver d'accidents, d'indeterminé, d'éclats et d'à peu pres. Deux heures aprés, je m'échappe à l'entracte, dehors la vie m'attend.

    C'était l'Opéra de 4 sous de Bertolt Brecht et Kurt Weill, par le Berliner Ensemble, mise en scène de robert Wilson, au théatre de la Ville.

    Guy

    lire aussi: les trois coups et webthea

  • Du jazz pour maintenant

    Les rythmes se bousculent et en triple file se dépassent, en fusion se rejoignent. Les harmonies entourent et s'étendent, généreusement. Les lignes serpentent sur un tapis boisé de contrebasse, d'accents de cymbales, de notes égrenées noires et blanches, impatientes. Les rôles s'échangent. L'œil danse sur la chorégraphies des mains et des instruments, ces vibrations qui se propagent aux épaules du contrebassiste, ce batteur qui bat de la tête, ce poignet droit du pianiste qui vers le bas s'échappe après l'attaque... Le trio s'est baptisé Sphère, j'entends plutôt un triangle aux angles impossibles qui se distendent jusqu'avant la rupture, se retournent en tout sens, jubilants. La musique est colorée, expressive et tendre, emporte dans l'émotion, et loin, sans faire violence.  

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    Je cherche les réminiscences de trios d'avant: ceux de Bill Evans, Keith Jarett... puis j'oublie, je jette. Pas besoin de références: ils sont eux, ils sont jeunes-bien que plus ou moins barbus pour donner le change- et en compositions toutes originales et aussi fraiches qu'une ballade matinale, un matin de printemps. Du jazz pour le troisième millénaire, qui, une fois la tradition assimilée, s'oublie et recommence, à neuf.

    C'était Sphère, avec Jean Kapsa (piano), Antoine Reininger (contrebasse), Maxime Fleau (batterie), vu et entendu au Sunside.

    Photos par Alice Rain avec l'aimable autorisation de Jean Kapsa

    Guy

  • Sous le voile

    Plein écran en fond de scène, en réponse à une requète google portant sur le niquab plane un nuage oppressant de mots et d'images, de non-dits et d'arrières pensées. En pleine confusion, le corps répond. En s'engageant résolument dans l'expérience de ce voyage dansé sous voile intégral. Héla Fattoumi se livre sans équivoque ici à un acte politique, dont on comprend vite le sens et les convictions. Peut-il s'agir dans le même temps un véritable acte artistique? Je le crois.

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    Pourtant un moment j'en doute, alors que nous sont lentement infligées, denoncées, ces sourates, reglements d'une étouffante précision, précis d'interdit et de contingentement du corps féminin. Mais j'en suis persuadé, quand ce corps lutte et s'exprime: une forme à deviner dans le tissu, qui joue avec ambiguité (des coudes, ou des fesses, ou des hanches ?) une danse du ventre invisible sur un air de disco arabisante. Une icone chrétienne. Un long moment de face à face impuissant avec un regard prisonnier, d'où rien ne s'échappe, que des larmes perlées. Ce visage confisqué. Un affaissement comme animal, effrayant, en tas destructuré. Une bouche qui se devine, s'asphyxiant lentement d'une respiration opressée. Une origine du monde fulgurante. Une main qui s'échappe, mutine, qui vers nous trouve son chemin. Toujours la révolte et l'impuissance. Clandestinement, la statue de la liberté. Une séance de pliage résigné de tissus sans sens. Surtout en toute beauté un corps féminin qui s'exacerbe en transparence, trouve malgré tout sa voie impudique et et souveraine rendue au soi. Un aveuglement soudain. Jusqu'au déchaînement, comme au sens premier du terme, jusqu'à l'épuisement alors, mais aussi la libération. Pour fionir avec ce chant d'hommage aux femmes qui se révoltent dans un monde d'hommes. Ces images fortes m'engagent, même si de tous ces tissus je perds parfois le fil.

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    Je vois et je ressens les beaux gestes engagées d'une femme libre. Je ne sais si elle pourra convaincre au delà d'évidences déja partagées par les uns, mais je sais que ses simples gestes sont courageux.

    C'était Manta, d'Héla Fattoumi et Eric Lamoureux, au Théatre de la Cité Internationale jusqu'au 16 avril.

    avec, samedi 10 avril, une table ronde avec Héla Fattoumi à 17H, et à 16H et 20H VIP défilé de Majida Khattari.

    Guy

    photos de L.Philippe avec l'aimable autorisation du TCI

    A lire: le tadorne , Le monde, critiphotodanse, lunettes rouges

  • Je baise les yeux (je n'ai pas trouvé de meilleur titre pour ce texte que celui de la pièce)

    Alors que s'installe l'assistance, les trois conférencières déja assises discutent à mi-voix, dénudées derrière la table, l'air de rien et seins à l'air... Cette entrée en matière nous place dans la perspective d'une pièce de danse contemporaine débribée, la feuille de salle suggère une performance aux développements plutôt intellectualisés, les premières minutes nous installent dans la fiction d'un talk show télévisé avec des professionnelles du strip-tease... Il s'agit un peu de tout cela à la fois, et aussi d'un drôle de canulard qui nous prend à contre-pied, comme l'annonce la barbe postiche de mlle Gaëlle Bourges et ce titre à retourner en tout sens: je baise les yeux.

    Au premier degré, on écoute les effeuilleuses invitées. Elles témoignent sur un mode documentaire auprés de l'animateur des réalités du théatre érotique. A savoir les conventions du strip tease en tant qu'acte spectaculaire, les conditions économiques de l'exercice de ce métier, les relations de travail et motivations personnelles des artistes, la sociologie et la psychologie du public, ainsi de suite... La bonne nouvelle, c'est que traités à juste distance, avec quelques ruptures déconcertantes, ces échanges sont décalés et hilarants, et les rôles savoureusement bien distribués. Gaspard Delanoë plus que parfait en interviewer pédant et féru de références culturelles hors de propos pour réhausser les évidences. Les trois performeuses se distribuent les rôles du jeu, de la généreuse candide à la contradictrice systématique. Le débat s'épice pince sans rire, et l'on se rend compte que les platitudes qui sont dites n'en sont pas moins des vérités. L'ironie n'est elle ici qu'un habile moyen pour y nous sensibiliser?

    L'exercice risquerait pourtant de lasser sans les travaux pratiques...Nous surprend alors un nouveau renversement: puisque que la conférence est nue, les strip-tease resteront habillés, les attentes du public déjouées. Chacune se révèle dans son style. Gaëlle Bourges dans une recréation effrénée de Saturday Night Fever en talons aiguilles, Marianne Chargois en contorsionniste à la fois poétique et provocatrice, Alice Roland en créature de cuir et de chaos.... Derrière les codes aguicheurs et les poses explicitement sexuées se profilent des imaginaires érotiques singuliers, et de fulgurantes affirmations chorégraphiques. La lecture à plusieurs niveaux de leurs paroles et de leurs gestes s'enrichit dans l'ambiguité lorsque l'on considère que les trois interpretes pratiquent professionellement le strip tease... Mais à l'issue de cette performance drôle et fine, focalisée sur l'ailleurs d'un théatre ouvertement libidineux, est paradoxalement occulté une interrogation inhérente à la situation qui vient d'être vécue: la place de l'érotisme dans le cadre d'une performance contemporaine.

    C'était Je baise les yeux, m.e.s. par Gaëlle Bourges, avec Alice Roland, Gaspard Delanoë, Marianne Chargois, Gaëlle Bourges, à la Ménagerie de Verre.

    Gaëlle Bourges est en résidence à Point Ephémère, et crée en mai La Belle Indifférence aux rencontres du 9-3

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