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  • Plein la Gueule

    Une contribution de mon ami Marc Hivernat:

    Il m'arrive rarement de prendre le temps et le soin de parler des spectacles que j'ai la chance (et moins encore la malchance…) de voir ! Mais la création de LA GUERRE, TITRE PROVISOIRE, à laquelle j’ai assisté dernièrement, force autant le respect et la réflexion que l'admiration car le théâtre - cet art de nous « re-présenter » le réel - prend ici tout son sens et puise toute sa force pour nous en mettre plein la gueule, les yeux, les oreilles et la tête !

    théâtre


    La situation de départ (des plus simples, ce qui est souvent un gage de réussite et d'intelligence) est celle d’un huis-clos entre deux protagonistes : d’une part, Serge, correspondant  de guerre en mission, affectivement et technologiquement coupé du monde, reclus dans la chambre dévastée d’un vague hôtel planté au milieu des décombres d'une ville (imaginaire mais pourtant bien réelle) et d’autre part la Caméra, sa vieille compagne de route mais aussi ce media qui l’observe, cet outil qui l’enregistre pour finalement devenir le témoin morne et le confident  médiatique de ses propres turpitudes et réflexions.

    L’excellence est ici au rendez-vous… à tous points de vue !

    D’abord, parce qu’il y a le texte de Miguel Angel SEVILLA, auteur contemporain  dont la réflexion intelligente, l’écriture malicieuse et le style ciselé produisent tous ensemble un verbe si organique qu’on ne fait pas que l’entendre. On le voit, on le boit et on le respire aussi tant il emplit littéralement  l’espace du théâtre. Ses mots nous percutent comme autant de balles perdues, souvent les plus redoutables.

    Ensuite, parce que cette création est le fruit d’une collaboration fusionnelle entre son auteur, son interprète et son metteur en scène. Le dispositif scénique conçu et dirigé par Gabriel DEBRAY (avec le très beau travail technique d’Anton LANGHOFF au son et de Jacques BOÜAULT à la lumière) est aussi efficace que sensible et tout entier dévolu à dégoupiller les situations du drame comme des grenades, tirer des rafales de vérités toutes crues sur le public et atteindre chacun en plein cœur avec des mitrailles de doutes et de confessions intimes. La guerre, les medias, la politique, l’endroit et l’envers, l’amour et l’amitié, le sens et l’illusion de la vie… tout y passe ! C’est fort et percutant, rude et touchant, et le tout sans tricherie, même si l’on sait que c’est « pour de rire » (ce dernier n’est d’ailleurs pas exclus même s’il est amer) comme diraient les enfants qui « jouent à la guerre ». Sauf que, justement, on est au théâtre : le seul endroit où le mensonge et l’illusion sont des vérités !

    Enfin, il faut saluer la performance (car c’est bien là le mot !) de Vincent VIOTTI qui, dans le rôle de Serge,  non seulement révèle toute l’humanité, fragile et contradictoire, d’un type tout en  intimité, planqué sous la carapace d’un baroudeur de guerre à qui on ne la raconte pas, mais sait aussi, et d’une façon incroyable, servir sa partenaire, la Caméra, au point de la rendre quasi humaine…

    Bref, l’ensemble est juste et  vrai, affolant et intelligent, malin et séduisant, écœurant et brillant mais je n’en dis pas plus… vous verrez bien ! Car vous irez voir ce spectacle. Il faut aller voir ce spectacle : outre la satisfaction d’une soirée réussie, c’est un devoir civique mondial, un impératif d’hygiène mentale, une question d’éthique personnelle. Vivre la guerre au spectacle, c’est tout le mal que je vous souhaite !

    Marc

    La Guerre titre provisoire de Miguel Angel Sevilla, m.e.s. par Gabriel Debray au Local les vendredi/samedi/dimanches du 29/11 au 22/12.

    Photo par Michèle Laurent avec l'aimable autorisation du théâtre

  • Toujours ensemble

    Ensemble? Pas de siège pour le public dans cette salle, nous partageons l’espace de plain-pied avec les artistes, cherchons notre place avec eux. Les danseurs posent au sol une mer de plastique, l’agitent de vagues. Tempête. Je sens les coups de vent. Il n’y a plus rien qui tienne. Une femme s’y aventure, est ballotée d’une rive à l’autre, perd pied, ruisselle, lutte en vain, corps chahuté. La scène est violente, poignante, directe. Forte avec peu. La femme est nue, je pense au dénuement. Elle se noie, je pense aux migrants. Elle est rejetée par les autres des deux côtés, je pense à tous ceux qui ne trouvent pas de place. D’autres lui succèdent sur cet océan, les uns contre les autres, mais s’épuisent en courses et luttes intimes et fratricides, éperdues, sans raison. La dernière scène nous apaise, quand les danseurs nous font nous lever pour disposer partout dans la salle des ballons d’eau-nous redéfinissons ainsi l’espace avec eau. Puis ils rampent pour les éclater. Ils se regroupent, tribu de chair, nous autour d’eux. Le monde retrouve un peu de paix.

     

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    Pindorama de Lia Rodrigues, vu le 21 novembre au théâtre de la cité internationale avec le festival d’automne à Paris. Jusqu’au 26 novembre, puis au 104 du 28 au 30 novembre et à L’apostrophe le 3 décembre.

    Guy

    photo par sammi_landweer avec l'aimable autorisation du T.C.I.

    Sur le blog, à propos de Ce dont nous sommes fait.

    Et à propos de Pororoca

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  • Paysage théatral

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    Sur ambiance de crépuscule, les artistes arrivent avec bagages en résidence au Swamp Club. No man’s land éloigné de tout, de la société. Bien accueillis, et sotto voce, ils semblent résignés à ne s’y étonner de rien, à en oublier ce qu’ils sont venus créer. De mystérieuses menaces rodent pourtant à l’extérieur (le monde réel ?): bruitages anxiogènes, plan d’urgence et tout le monde bien à l’abri dans le tunnel, dehors fumées couleur radioactivité. Tandis, tout le long, qu’un quatuor à corde commémore Schubert et Chostakovitch, tel l’orchestre du Titanic. S’il s’agit d’une métaphore de la situation des artistes, le constat est bien dépressif,  bien qu’égayé de dialogues réalistes et ahuris que l’on devine issus d’improvisations. C’est discrètement drôle, ouaté de brume, et désengagé, impeccablement esthétique en arrière fond, mais lent, lent… On dirait les Chiens de Navarre au ralenti, et surtout lorsque un comédien apparaît en costume de taupe géante. Le monde fume, bonne nuit.

    Swamp Club de Philippe Quesne au T2G- Théâtre de Gennevilliers, jusqu’au 17 novembre.

    Guy

    photo de  Martin Argyroglo avec l'aimable autorisation du T2G

  • La vie et le temps...

    A l'occasion de la présentation des épisodes 1 à 4 au Nouveau théâtre de Montreuil, Rediffusion d'un texte de notre ami François, à propos de Life and Times, mis en ligne le 12 décembre 2010...

    Life and Times Episode 1 proposé par la compagnie new-yorkaise Nature Theater of Oklahoma (NTO) est un spectacle étrange, long d’environ 3 heures, mis en scène sous forme de comédie musicale, tout le texte étant chanté. Il raconte l’histoire autobiographique de Kristin, une des actrices de la troupe, depuis l’âge de ses plus vieux souvenirs jusqu’à l’âge de 8 ans. Le spectacle commence avec une seule actrice, rejointe après un long moment par deux autres filles et enfin par 3 acteurs masculins. Aucun ne joue un personnage précis et chacun chante des morceaux de l’histoire personnelle et autobiographique de Kristin. Comme dans toute bonne comédie musicale, le chant s’accompagne d’une chorégraphie, qui dans ce cas précis, est inspirée de spectacles de masse comme la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques ou un défilé des Spartakiades, les jeux sportifs qu’a connu le metteur en scène Pavol Liska dans son enfance en Slovaquie communiste. Les acteurs sont vêtus d’un uniforme identique, les femmes portent le foulard rouge des pionniers soviétiques.

    Life and Times est un projet gigantesque, conçu en 10 épisodes étalés sur 10 ans. Le 2ème épisode vient d’être monté le mois dernier à Vienne mais c’est le premier épisode qui sera à l’affiche en janvier prochain à Paris. Tous les spectacles du NTO ont pour point de départ une question portant sur la notion de récit et sont construits à partir d’histoires racontées par les membres de la troupe ou des proches, dans une logique de ‘ready-made’.

    Pour Life and Times, les deux metteurs en scène Pavol Liska et Kelly Cooper, fascinés par les enregistrements sonores, ont demandé à Kristin de leur raconter sa vie au téléphone, en la découpant en 10 portions d’une durée totale de 16 heures. Episode 1 est la restitution INTEGRALE de la première partie de cet enregistrement. Intégrale car absolument toutes les paroles prononcées sont restituées y compris les ‘aah…eeuh’,’ you know’ , ‘hummm’ dont est parsemé le récit. Rien n’est modifié, ajouté ou soustrait. La chorégraphie des acteurs se développe selon une programmation aléatoire, chaque acteur devant exécuter des instructions figurant sur un panneau pris au hasard dans une pile par une femme assise devant la scène.

    La forme chantée et musicale donne l’impression de se retrouver quelques siècles en arrière dans un château médiéval pour y assister à un spectacle de ménestrels chantant à la gloire de quelque héros oublié. Ou même à écouter les exploits épiques de l’Iliade et l’Odyssée. La tradition des récits oraux est une source d’inspiration certaine pour Kelly et Pavol. Chaque spectateur réagit à sa façon face à ce récit ordinaire amplifié jusqu’à en devenir lui aussi épique dans l’esprit de son auteur et des metteurs en scène, comme d’ailleurs face à tout ce qui se passe sur scène car tout est sujet à libre interprétation, aucune signification n’est imposée. Mais on imagine que chacun se retrouve plongé plus ou moins profondément dans sa propre enfance, confronté à des joies ou des douleurs depuis longtemps oubliées. Devant cette scène où défilent le récit de ces souvenirs accompagné de cette chorégraphie abstraite, nous nous retrouvons face à ce qui nous a constitué comme individus, engagés dans une sorte d’autoanalyse. La durée – longue-  du spectacle est manifestement un moyen utilisé par Pavol et Kelly pour nous toucher, pour que nos défenses naturelles face à l’apparemment insignifiant tombent et pour que nos sortions transformés par l’expérience.  

     Life and Times Episode 1, spectacle vu au Kaaitheater de Bruxelles.

    A l’affiche au théâtre des Abbesses à Paris du 11 au 15 janvier 2011.

    François

  • La veuve était en noir, en apparence vermillon, ivoire....

    Le Baiser de la Veuve se joue du 7 novembre au 7 décembre au théâtre 12. Rediffusion du texte mis en ligne le 31 mars 2013 

    Pas de doute. Il s’agit d’un théâtre de texte (et quel texte!) mais d’un théâtre physique tout autant, violemment. Lorsque les répliques submergent les personnages et quand les mots les piègent, ce théâtre devient de larmes et de sang, de sueur, de relents de bière, de bourre-pifs et de gnons. La violence des empoignades prolonge- libère ou exacerbe?- rivalités et tensions. C’est saisissant. Se mesurent sur scène Bobby et Georges, deux hommes frustres qui triment dans une usine de l’Amérique industrielle sur le déclin- une sorte de purgatoire théâtral, un no man’s land dont on doute qu’ils puissent s’évader.

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    Entre eux: la visite d’une femme. Betty, L’amie d’enfance, peut-être une ancienne amante, depuis longtemps mariée et partie, revenue en veuve maintenant. Un étrange triangle amoureux se constitue. Les deux mâles rivalisent déjà confrontés à son attente. Betty arrive enfin, et la danse se complique. Elle, désormais si sophistiquée, mots choisis, jupe serrée et manteau vermillon, semble jouer avec eux, les mener de sa voix, du bout des seins. Ou même de sa fragilité. Chocs de langage. Contrepied. Jeux dangereux. Elle déconcerte, aussi inattendue qu’ils semblaient prévisibles. Leur passé commun est chargé, elle revient demander des comptes. Tout est possible désormais, tous les risques et retournements.… Interprétée avec nuances, Betty me parait si irréelle, bien que si charnelle, que je la croie un fantôme revenu les hanter pour leurs fautes… 

     

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    Après la représentation, l’auteur- Israël Horowitz- se matérialise au café voisin. C’est un privilège de l’interroger à ce propos, il me répond qu’à priori non: Betty est réelle, mais que, bien sûr, chacun peut interpréter la pièce à sa façon. Il incite aussi à prendre du recul par rapport au réalisme de l’œuvre, de par son hyper-réalisme même; ce soir la mise en scène humble et nerveuse, l’interprétation précise et intense des comédiens renforce cette sensation, avec l’ancrage « working class » des dialogues, la caractérisation des personnages, la précision des décors encombrés de paquets de journaux à recycler. C’est un piège pour le spectateur, redoutable. J’y suis pris. Comme la veuve (noire), Israël Horowitz tisse la toile du récit, quitte à user de drôlerie, pour faire accepter le drame et ses règles, peindre une noire humanité. C’est ensuite que j’y réfléchis, longtemps encore après.

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    Sous les flots des mots qui se cherchent, des vraies gaffes et fausses embrassades, des mots qui trompent, des fragiles convenances et connivences, des souvenirs complaisants cachant les vérités qui dérangent, s’imposent la violence et la cruauté des rapports de force, entre hommes et femme, faibles et forts. Jusqu’aux coups qui départagent, jusqu’à la contrainte physique. Pas de pitié. Israël Horowitz ne recule pas devant l’évocation du pire. La tendresse est blessée, étouffée, et la vengeance pese lourd sur la balance. Ultime question: la possibilité du pardon. On attendra en vain ce soir la réponse. Ce théatre ne donne pas de leçon.

      

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    Au café, Israël Horowitz me demande d’où je viens. C’est peut être une question de politesse, ou peut- être plus que cela. Dans le baiser de la veuve, l’origine importe. Georges et Bobby sont restés prisonniers de leur lieu d’enfance, de leur morne médiocrité, sans espoir ni rêves. Ils sont condamnés à soulever à longueur de journée des kilos de journaux, aussi lourds que les souvenirs qu’ils ressassent. Avant que ces papiers-et les mots écrits dessus- ne soient broyés dans une machine, et recyclés à l’infini. Ainsi se répètent leurs vies. Betty est celle qui est partie, devenue une autre: une femme chic, un écrivain, et qui ce soir revient. Ou rend elle juste visite? Dans les dialogues, les surnoms d’école collent toujours à la peau des personnages présents ou évoqués: Betty la souris, Georges la Crevette, Bobby le Bélier, le Suédois, la Girafe…, jetés à la figure pour  humilier ceux ci à tour de rôle, les contrôler, les figer dans leur état passé, leur interdire de changer. Betty est-elle vraiment une autre à présent? Et peut-elle résister aux efforts de ceux qui veulent la reduire à son passé?

    N’oublions jamais, ouvrons les yeux, toujours changeons.

    C’était Le Baiser de la Veuve d’Israël Horovitz, mis en scène par Tony Le Guern, à l’Aktéon Théâtre, du lundi au mercredi jusqu’au 24 avril.

     Guy

     Photos de Laurent Caron avec l'aimable autorisation de la compagnie.