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eugène durif

  • L'histoire de Lucia J.

    Elle est dés le début perchée, sur un échafaudage, Lucia in the sky, seule en scène et dans le flux de son monologue sans issue. Elle cherche les mots à l'horizon. Ils fusent et elle bondit. A notre rencontre. Spectateur, connait-on, ou non, le destin de la fille de James Joyce? Selon, on goûte la connivence, ou alors le plaisir curieux de la découverte, au fil du texte en détours d’Eugène Durif. Dans les deux cas on sait qu'un soir on reviendra voir la pièce, pour se placer dans de nouvelles perspectives. Pour revoir Lucia folle malgré son père illustre, folle à cause de lui ? Là est l'un des enjeux, sans doute destiné à rester irrésolu. Ses mots meurtris, ses gestes vifs, s'adressent à nous, au cœur, s'adressent à la mère, au géniteur. 
    L'histoire de Lucia J., c'est ce voyage au bout de la folie, où nous entraîne l'actrice Karelle Prugnaud, en générosité absolue, qui court, pleure, danse, lutte, séduit, crie, chute, s'enlaidit. C'est peut-être, ou ce n'est pas, l'histoire de l’héroïne de papier de Finnegans Wake: Anna Livia Plurabella. Lucia se révolte, veut être, si fort, mais le docteur Carl Jung ne veut ou ne peut rien pour elle, le jeune Samuel Beckett non plus, encore moins les électrochocs et les internements psychiatriques. 
    Après des mois de sevrage, d'isolement et d'anesthésie sociale, il est beau de revivre le théâtre ainsi, si intense, le lieu de la rencontre et du dérangement, sur la ligne de crête entre l'intelligence et la physicalité. 

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    Guy

    Le cas Lucia J.(un feu dans dans sa tête) d'Eugène Durif, mise en scène d'Eric Lacascade, vu le 14 juillet 2020 au gymnase Auguste Renoir avec le Paris Off Festival du théatre 14.

    photo de Jean Michel Coubart (avec l'aimable autorisation de la compagnie)

  • A Court de Forme: no limits

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    Cette semaine, on s'aventure aux limites. Et c'est peu dire. Pour les abattre à coup de mots, à coups de pieds. Acmé en un discours rageur et politique qui ne s'embarrasse plus de fiction. Révolte, lumières, micros, c'est tout. Tabula rasa, sans regret. Après deux semaines d'attentats furieux le théâtre est à bas. Akun n'avait servi que de répétition. Coup de grâce, tout se précipite au crépuscule, pour ouvrir sur des lendemains audacieux et incertains.. Mais il faut avant en passer-en quatre parties et un peu plus- par la mort du théâtre. Voire la mort tout court, en toile de fond, en obsession. Même les complaintes du Moony band sonnent soudain plus lugubres. Une actrice se prête au jeu d'une interview faussement convenue, mais se désagrège en mouvements et répétitions circulaires, jusqu'à la décomposition de son insignifiance. Terrible lucidité: tout se joue en vain, tête de mort à la main. Avec des paroles affolées se déconstruit un langage hagard. Qui ne peut plus rien, distrait un moment par un slow hypnotique, puis perdu jusqu'aux mimiques, réduit aux gesticulations du désir. A voir la mort en face, tout touche au vif. Karelle Prugnaud et Eugène Durif ne font plus de théâtre, mais une "ciné performance". Qui déborde baroque et impudique dans le hall du théâtre. Puis se dédouble sur scène et sur l'écran, Diane erre mais ailes au dos en une danse déglinguée. Actéon doit être dévoré, Le spectateur-voyeur lui survit, mais sérieusement secoué. Jusqu'au final de la soirée, une profession de foi de stoïcisme qui remet la possibilité-même du spectacle en question: "Jouir c'est renoncer à la représentation, être sans visage c'est renoncer à la reconnaissance..."

    Aprés ?

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    C'était Ce qui peut coûter la tête à quelqu'un, de Stéphane Auvray-Nauroy avec Aurélia Arto et Jumien Kosellek, Memento Mori (Vanité 1) de Guillaume Clayssen avec Aurélia Arto, Frederik Hufnagel, Mélanie Menu, Paroles Affolées de Sophie Mourousi avec Mathilde Lecarpentier et Julien Varin, La Brûlure du Regard , texte d' Eugène Durif mise en scène de Karelle Prugnaud avec Elisa Benslimane, Cécile Chatignoux, Anna Gorensztejn, Mélanie Menu, Karelle Prugnaud. A L'étoile du Nord, avec A court de Forme. Jusqu'à samedi, aprés c'est fini!

    Guy

    photos de Nicolas Grandi, avec l'aimable autorisation de L'étoile du Nord

  • Durif: Textes hors Champ

    Quand dehors et sur les écrans se donnent à voir toutes les horreurs, à quoi servent encore les tragédies, et les poètes aussi? L'actrice, hors de scène, nous réserve ce soir un accueil bousculé s25791726041_4381.jpgà nous demander si l'on connait l'histoire d'Oreste- et d'ailleurs peu importe- puis à nous placer d'autorité sur un coin de banquette. Tout est ici question de place ou de point de vue: le texte aussi joue à être dedans et dehors à la fois, à s'étonner de nos attentes. Les meurtres ne seront pas montrés, ni ceux d'avant, ni ceux d'après. Plus besoin. Pour mieux s'attarder sur ce qui en chemin peut- on non- se passer. D'une langue délicieusement incorrecte, qui ose la liberté, tout en chocs, ruptures et fausses pistes, en ironie désabusée. Les rôles sont allusifs, Oreste erre dans ce labyrinthe de la fatalité, où ne le guident pas la Fille et le Guide Coryphée. Souffre et baise en chemin, mais l'érotisme est à jamais interrogatif, douloureux. Cassandre- en rouge appuyé- ne sait plus au juste pourquoi pleurer, mais sait bien encore comment, imprévisible, et peut-être trop triste pour se prendre au sérieux. Musiques et surprises se heurtent sur un mode mélancolique et grotesque, étonnent sans expliquer. On nous interpelle droit dans les yeux pour nous rappeler que tout celà n'est qu'un jeu. La mise en scène est encore verte, quoique plutôt moite aussi. C'est qu'il y a un poil trop d'idées et d'impatience, et l'envie de tout essayer. Mais on les suit sur ce chemin aussi. Tant les outrances forment un tout juste, et étonnamment joyeux.  

    C'était Meurtres Hors Champ d' Eugène Durif, mis en scène et interprété par Sophie Anselme, Clémence Labatut,  Clément Bayart, Sophie Berneyron, à l'AKTEON THEATRE avec le festival d'été jeunes compagnies. Jusqu'à samedi.

  • Le cabaret Durif

    "On n'arrête pas le théâtre" lit -on ce juillet sur les affiches de l'Etoile du Nord. C'est une évidence bienvenue, tant la pièce de ce soir se situe dans la continuité irrespectueuse d'un théâtre qui vient d'il y a longtemps, et depuis lors s'obstine à exister. Putains et mauvais garçons semblent sortir droit de l'Opéra de Quatre Sous; ukukulélé et accordéon rythment à l'unisson des complaintes décalées. C'est alors une bonne surprise que la gouaille distanciée ne sente ni le moisi, ni le fabriqué. Le jeu est moqueur, bien vivant, les archétypes flagrants, les phrasés exagérés. Surtout, si les poètes mentent mal, il est certain que ces poètes écrivent bien, et qu'ils renouvellent le genre, ouvrent grand les fenêtres. Car dans le texte d'Eugène Durif  il y a une vraie poésie, d'un potentiel presque populaire. On est trés rassuré, qu'il reste des poètes vivants. Dans la pièce, de quoi est il question? Plutôt d'amour et de désillusions, mais on perd vite le fil, les faits divers partent dans tous les sens et reste surtout le plaisir, avec des beaux dialogues deglingués et des épisodes déshabillés, une abondance de clins d'oeil et de références en coins, un grand bol d'air frais.

    Dommage que le format soit un poil court, on reste sur sa faim et la piece finit sur une pirouette. La mise en abime finale- derniers épisodes lus faute de temps et passage d'aspirateur sur le plateau- tourne un peu à l'exercice de style. S'agit il (une fois de plus) de se demander si la représentation est encore possible, puisque que l'on évoque la mort des utopies, politiques et amoureuses? Mais la chose est menée avec telle absence de serieux-en apparence-qu'on peut la supporter, voire bien mieux. Surtout avec assez de jeunesse, d'isolence et d'insouciance. En tout cas c'est pardonné volontiers, car tout finit par une chanson.

    C'était Les Poètes mentent mal d'Eugène Durif, m.e.s. par Sophie Loucacchevsky, au Théatre de l'Etoile du nord, avec "On arrête pas le théâtre".

    Et c'est encore ce soir, et Dimanche.

    Guy

  • Des courts encore en forme

    Prévenu depuis il y a deux ans déja, on est plus pris de court par ces formes courtes, qui se bousculent, audacieuses et abruptes. Avec des résultats contrastés- c'est forcé- mais sans jamais qu'on leur en veuille d'avoir tout essayé.

    L'exagération, pour commencer, avec la Sinistre Répétion. Pas si sinistre que celà: ça gueule trés fort maquillé blanc, dans une coméda dell arte d'un mauvais goût assumé. Le principe s'affirme ici d'étriller les codes de représentation. De l'acteur en cadavre las de rester allongé, aux lamentations de la veuve de théatre au delà du suraiguë, jusqu'au faux metteur en scène qui intervient à tout bout de champs. C'est une entreprise risquée, le rythme en est cassé. Mais à force d'excès et d'énergie, de grimaces, de boyaux brassés à pleines mains, on sourit, au moins.

    Pour continuer avec les codes à vue, il y a au début de Phèdre une accumulation telle que rarement osée de signes superposés sur les épaules d'un seul acteur: le récitatif, le travestissement en femme, le masque de clown, la gestuelle dansée, le tout sur une musique d'opéra...et c'est étonnant que le tout paraisse joliment cohérent! Quoiqu'à ce stade on ne fasse que sourire-encore!-, avant d'en revenir à une variation sur un spectacle en train de se faire. Ce qui laisse craindre un temps qu'on en revienne à une sinistre répétition de l'exercice précédent. Mais Eram Sobhani reste en juste équilibre, pince sans rire. Surtout Stéphane Auvray-Nauroy est tout Phèdre- généralisé en archétype de la passion amoureuse- digne et étonnant. Et finit par porter bien haut de beaux morceaux de texte, pour réhabiliter le sentimentalisme.

    C'était La Sinistre Répétition de la Dernière Scène de Florent Dorin, et Phedre, Pauvre Folle de Syvie Reteuna et Stéphane Auvray-Nauroy sur des textes de Racine et d'Eugène Durif, à L'Etoile du Nord.

    Deux des cinq propositions de cette semaine, dans le cadre d'A Court de Forme

    Guy

  • Nadège Prugnard: une voix dans le noir

    Le verbe qui s'impose, arraché d'un corps allongé dans la pénombre nue, et l'on se souvient du lancinant 4.48 Psychose, une longue plainte noire et blanche mis en scène de même par Bruno Boussagol.

    213c85242d4190437c6acb558a1fd25b.jpgMais du tout furieux de ce soir, la part plus audacieuse, et la meilleure, tient plus aux mots- les mots écrits par Nadège Prugnard-  qu'à la manière dont est montré le corps qui les porte, celui de Nadège Prugnard aussi. Le plus intense déborde dans sa voix, qui ose l'obscène et l'incontrôlé: c'est un domaine qui se laisse encore maculer de déraison, de liberté et de colère. Alors qu'il n'est pas si audacieux que cela- même si c'est loin d'être insignifiant- de s'enduire nue de chocolat, de s'accoupler incontinent avec son nounours géant. La provocation-même si elle est plutôt payée de sa personne que gratuite- est bien usée sur ces terrains là. Ou alors il faudrait libérer une vraie violence, telle celle que souvent offre la danse. Mais les mots et la voix, cette voix grave et essoufflée, sont bien là, qui font surgir des entrailles de l'âme quelque chose de terriblement vrai, d'une féminité sans détours, entre l'urgence de la jouissance et l'irrépressible dégoût de la sexualité, en un déferlement inattendu et ordurier. Un libre inventaire de désirs, de regrets, de pulsions, le discours amoureux dépecé à vif. 

    Vaisseaux brulés, N.P. prend le risque d'elle même tout assumer, d'ecrire et d'interpréter à la fois, de tout offrir pour gagner le droit de dire au monde ses quatre vérités. Mais qu'il est périlleux de rester en équilibre, et juste vêtue d'ombre, une heure durant sur ce fil! Il faudrait qu'elle poursuive sans cesse dans l'extrême, qu'elle évite tout humour ou clin d'oeil complaisant, qu'elle prenne garde au moindre soupçon de sentimentalisme petit bourgeois, à la moindre mine de fille qui mendie de l'amour. Mais heureusement, toujours juste à temps, l'âpreté et la violence reprennent le dessus. Avec une rare audace, c'est à dire que cette audace va aussi loin dans le domaine de la langue que dans celui de la moralité, c'est le plus important.

    C'était Monoi,  ♥♥♥♥♥ de et avec Nadège Prugnard, mis en scène par Bruno Boussagol, avec la collaboration d'Eugène Durif  à la Guillotine.

    Monoi qui reviendra en janvier, au L.M.P.

    Guy

    P.S. du 2 octobre: on peut gouter à Monoi en video sur le site du LMP

    P.S. M.A.M.A.E. est ici