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  • Danse entravée

    Le pari est risqué que de pratiquer une danse sous contrainte, ici littéralement: c'est-à-dire jambes, ou bras, liés. Oui, je distingue bien un effort vers des gestes nouveaux. Mais la danse me semble rester prisonnière, comme si la créativité ne parvenait pas à totalement se libérer de ces chaînes volontaires. Pour commencer, une sirène se meut par bond de carpes. Surprend. Se trouve de nouveaux chemins, mais qui toujours ressemblent à d’impossibles évasions, jusqu’à s’épuiser. Son regard prend le relais, son corps ruse, tronc, joue avec nos perceptions, va nous faire puiser dans nos banques d’images sociales. La danseuse commence à nous attirer jusqu’à nous faire accepter de nouvelles anormalités, aussi tendres que des images de Freaks, apprivoisées par l’acte artistique. Mais l’idée s’enlise peu à peu, frustration. La deuxième femme a les bras entravés, ses talons hauts et sa cambrure font glisser notre perception d’elle vers un archétype de femme objet. Là encore, dans l’inconnu des gestes, mais rassemblées autour des repères plus convenus- symboliques, vestimentaires- s’impose une image possible, celle- quelque part entre vulnérabilité et séduction -d’une prisonnière. Puis je la perds.

    C’était Inedito de Luigia Riva, au colombier de Bagnolet.

    Guy

  • La bête est cachée

    La nouvelle d’Henry James – «La bête dans la jungle »- nous raconte la vie d’un homme-John- convaincu d’avoir un Destin. Un événement majeur, mais indéfini, devrait un jour dans sa vie survenir. On assiste à ses discussions répétées, années après années, avec une amie nommée May. Des spéculations à propos de cette survenance, plutôt de cette non survenance. Le texte donc parle d’attente. Mais la pièce elle-même devient l'attente. L’objectif est atteint, et je suis déçu. Malgré d’infinies nuances, de glissements narratifs, de suspends, de possibilités d’émotions. J’ai l’impression de voir deux acteurs, une heure durant, s’expliquer leurs personnages, en s’appelant par leurs vrais noms. Ils jouent au lieu de jouer, parlent au lieu de parler. A coté.  La bande son d’un Bunuel en arrière fond pour mieux combattre l’illusion théâtrale. Une manière pour le metteur en scène, Jan Ritsema, de dire que le vieux théâtre à personnages est mort, victime de « l’esthétique de l’émotion ». Mais ce théâtre ci, défini comme « un exercice de pensée » ne me semble guère plus vivant. La morale de l’histoire est qu’à la mort de May, John ressent peut-être mais trop tard que l’événement absent n'était d'autre que l’amour de sa confidente, une chance qu’il n’a pas saisie. Parralellement, la pièce se révéle à elle-même les 10 dernières minutes. Cette expérience théâtrale ne me révèle pas le sens de la vie, au moins ne me prend- elle à moi qu’une heure. Dans ce parfait exercice de distance et d’assèchement Nathalie Richard et Gérard Watkins se montrent admirables de subtilité, souvent drôles, et c’est à peu près inutile. Et le tout est d’une terrible fidélité au texte d’Henry James, dont la grande valeur littéraire tient, parait-il, pour beaucoup à son insaisissabilité.

    C’était ça, de Jan Ritsema, d’après La Bête dans la jungle de Henry James, au Théâtre de la Cité Internationale jusqu’au 10 décembre.

    Guy

  • Danse en puzzle

    D’abord une entrée. Puis une sortie. Entrée à nouveau. Fausse sortie. Encore ainsi de suite. Sans raccords jusqu’à en sourire. Mais chaque action décrite au mur, en sous-titres. Avec des déphasages, des descriptions menteuses, à diverger de plus en plus. A n’en croire que ses yeux ? Des jeux déjà avec les nerfs, mais la danse qui y trouve son chemin, l’air de ne pas y toucher. Vite drôle et chic, presque pédagogique. L’une des deux en combi moulante, l’autre en robe panthère. L’une grande, l’autre moins. Sur les deux notre attention focalisée, la salle très silencieuse, comme rarement concentrée, mais sans impatiences. Un joli jeu de cache- cache pour tout de suite résumer.

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    En abandon, humour, décontracté. Comme un dialogue entre elles, qu’on devrait deviner, avec les non dits au milieu. Illustré d’événements minuscules, accumulés, gravitant autour du sujet (l'entre d'eux?): de soli en miroirs, d’actions simples et d’autres moins. Accompagné de tout ce qui peut être autour communiqué, tous moyens confondus, par inventaire de procédés: le bruit du vent, et des corps alors emportés, même un nu impromptu, instantané, des accords de guitare emphatiques, voire des lumières à se faire remarquer, ou des ombres coquines, des films d’errances bucoliques, à la poursuite de deux folles et une biche, des petits mystères et de la fumée verte, « Frère Jacques » entonné à coups de balles de tennis, des grands écarts, de lentes figures, des impertinences en patins à roulettes. Autant d’instants à saisir, à déguster. Le tout à regarder sans faim, léger. Un puzzle libre, sans grand tout à rassembler.

    C’était long Long Short Long Short d’Alix Eynaudi & Agata Maszkiewicz, à la Ménagerie de Verre avec le festival Inaccoutumées.

    Guy

    Photo par Vincent Tirmache avec l'aimable autorisation de la Ménagerie de Verre

  • L'absence intangible

    Quelque chose se perd ici par trop de pudeur, l’essentiel je le crains, mis à trop de distance. Je suis vite découragé par la lecture blanche de ces lettres d’amour, de prison et de manque, rescapées d’une Palestine non nommée, puis par d’autres textes trop dispersés, en arabe, en français, en anglais. Aussi par cette danse qui se contente d’abord de n’être que fragilité, au mur par des images obscures, et par ce bruit de fond qui renonce à se faire entendre. Le recours à cette pluridisciplinarité ne me semble pas faire sens, chaque voix trop faible pour dialoguer avec les autres. L’accumulation s’annule. Il s’agit certes tout le long de perte et d’absence, de la mémoire des lieux et des gens mutilée par l’histoire. Mais ce minimalisme au départ courageux finit par ressembler à de l’affection, économe et asséchée. A entendre chaque histoire, on se rapproche de l’empathie, mais sans vraie compréhension.

    Se détache pourtant un moment très beau d’émotion, et qui échappe aux pièges d'un militantisme univoque pour nous faire toucher l’universalité. D’un malheur qui ne peut pas ne pas se partager. L’évocation d’une maison détruite, ses souvenirs d'une vie réduits à néant. Si fort soit le texte, il ne suffit plus. La danse vient alors au secours des mots. Sans ne pouvoir rien expliquer, mais pour tenter de soigner cette perte. Les tambours de Max Roach se révoltent. C’est un moment assez beau pour suffire à ne pas nous faire regretter toute l’expérience.

    C’était le Tangible, du collectif tg STAN et Frank Vercruyssen, sur des textes de divers auteurs, au théâtre de la Bastille jusqu’au 14 novembre.

    lire aussi  Neige à Tokyo, Théatre du blog.  , un fauteuil pour l'orchestre , Théatrorama

    Guy 

  • Viviana et Viviana

    Rêve et mystère… On est à nouveau aspiré à la recherche de Madame Gonzalez, ce soir au milieu des étranges images de l’exposition consacrée à Moebius. Le créateur de bandes dessinées a-t-il été associé à la programmation de ces soirées nomades? Il semble que l’univers de Viviana Moin communique avec le sien par de troublantes coïncidences. Les imaginaires s’ensemencent, ouverts. Dés l’apparition de ce corps hybride, en transformation et mouvance. Deux apparences entremêlées, vraies et sociales: c'est-à-dire en dessous la chair crue et à vue, par dessus le costume merveilleux, ridicule, extravagant. Cette robe en morceaux veut briller argentée, et ainsi l’incroyable perruque, comme en un impossible retour à la grâce et l’innocence de l’enfance.

     75173_454544464692_670589692_5168528_8273950_n.jpgViviana Moin sait tout oser. Le corps se renverse en souvenirs de figures de ballerine, transformé par des mouvements émouvants de lenteur puis de soudaines et feintes maladresses, impudique se retourne comme un ruban. Il se déplace et nous emmène dans l’espace et dans le temps, dans un va et vient entre Paris ici et là bas Buenos Aires. Entre maintenant et le temps flou d’il y a plus de 30 ans. La voix, irrésistiblement naïve et hésitante, ouvre un portail trans-dimensionnel, dans une belle connivence, une machine à remonter le temps. La fragilité offerte est une force qui balaie les résistances. Le « Je » de la narratrice emporte auteur, interprète, personnage dans les mêmes transfigurations. L’hypnagogie s’étend, le songe suit. Tout est possible maintenant dans la logique forte de l’inconscient: pas de hasard mais des surprises, des rires, et des enchantements. D’un seul trait épuré, d’une phrase, nait un possible, d’un coté le plein et de l’autre le vide, en surgit pour nous submerger toute la matière du récit. Madame Gonzalez, qui jouait du piano au cours de danse, du jour au lendemain a disparu. D’évidence un coup des extra-terrestres, également responsables de la fêlure du carreau cassé sur le chemin de l’école. On est sur le coup convaincu que dans l’Argentine des années 70, il ne pouvait y avoir d’autres explications. L’œil de l’enfant, comme celui de l’artiste voit l’invisible, préfère construire des évidences cosmiques. Le tragique jamais loin, la mort derrière le rideau.

    La parole à la fin se tarit, les mystères plus entiers que jamais et le corps plus dénudé, qui s’abandonne aux origines, à la transe d’une extraordinaire danse chamanique, vers la vérité, vers son origine ré-imaginée au son des flutes andines.

    C’était Ou est passée Madame Gonzalez? de et avec Viviana Moin, dans le cadre des soirées nomades de l’exposition trans-formes consacrée à Moebius, à la fondation Cartier.

    Un premier état de la pièce, Madame Gonzalez au Piano, a été créé en février 2010 au Dansoir dans le cadre du festival Indisciplines (voir le texte et les photos de Jérôme Delatour-images de Danse).

    Guy

    Lire aussi à propos de Billy, d’Espiral, et de Montre moi ta Pina , et aussi à propos des danseuses qui parlent.

    Photo de répétition (X) avec l’aimable autorisation de Viviana Moin