Breve - Page 14
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Vers le silence
Le batteur est il vraiment le gardien du tempo? Les baguettes de Christan Vander déjouent cette attente, s'évadent et nous emportent, avec fougue et subtilité, déraisonnées. Le rythme est implicite, intérieur. Les accélérations et ponctuations véhémentes, le soulignent et le tendent, jusqu'à suggérer l'illusion d'un imperceptible silence, juste l'espace d'une micro seconde, ou l'existence d'une éternelle vibration, comme l'atteinte mais aussitôt perdue d'une perfection. Chaque fois une fin et une renaissance. L'émotion commande, servie par la technique: les premières notes de Naima résonnent, mais bientôt on se sait quand et comment le rythme lent de l'introduction s'est accéléré vers l'acmé.Surtout cette musique célèbre et suspend avec respect et dévotion un moment clé du passé, lorsque que le jazz atteint un sommet de passion, aperçu de l'absolu, porté le quartet de John Coltrane, Mac Coy Tyner, Jim Garrison et Elvin Jones, dont les musiciens ce soir reprennent les rôles. Cette pièce, récréée se joue depuis des années.Christian Vander quartet : Laurent Fickelson – piano ; Jean Michel Couchet saxophones ; Emmanuel Grimonprez – contrebasse; Christian Vander: batterie au Sunset le 29 avril 2016Guy -
ça colle!
Selon le pari du festival un chorégraphe, un écrivain tentent la rencontre. Ici sur un mode de fiction amoureuse, chacun dans le personnage de sa fonction. Elle souveraine et féline, garde le contrôle, l'attire et le porte, le frôle et vole, mène le pas de deux. Moqueries caressantes, mais bienveillance en action. Lui fait le grand gauche, qui parle et saoule, s'étourdit de mots, agite Schopenhauer et Platon. Paroles, paroles: les gestes l'emportent. Le contact se joue drôlement entre toutes parties du corps, se prolonge en une joyeuse danse, emportée par la voix de Sam Cooke. La danse fait vivre plus longtemps.It's a Match créé par Raphaëlle Delaunay et Sylvain Prudhomme pour le festival Concordan(s)es, vu au Colombier de Bagnolet le 25 mars 2016.GuyProchaines représentation le 6 avril, à 15H à la bibliothèque André Malraux des Lilas , et à 19H au Centre National de la Danse (Pantin). -
HS (Épilogue aux entretiens avec Katalin Patkaï)
Quand Katalin Patkaï crée HS en février dernier au Générateur, il me faut un peu de temps pour prendre conscience qu'il s'agit en un sens de la conclusion de nos entretiens initiés pas loin de deux ans auparavant. Je me demandais pourquoi cela avait pris tant de temps, même après sur des heures d'enregistrements plus d'heures encore de transcription, de collage et de rédaction pour tenter d'être plus fidèle que le texte. Puis le projet qui reste en pause, passé en arrière-plan des vies et envies de l'une et de l'autre. Enfin à l'approche de la création d'HS, K. qui revient, relit et corrige sans rien censurer, juste les formes et rien du fond. Car il y avait là pour elle bien plus qu'un moyen de promotion: une nécessité de sincérité qui tenait à la pièce ... Plutôt j'ai pris conscience que les entretiens en constituaient la préparation. Non seulement parce que cette pièce en gestation, K. m'en parlait tout au long des entretiens, même quand nous n'avons pas Ernesto dans les pattes. Non seulement en raison de la logique qui venait peu à peu au jour dans ce cheminement artistique, partant des pièces au sujet du genre, des femmes, des mères (M.I.L.F.), de l'innocence (Jeudi), jusqu'à l'aboutissement d'aujourd'hui. Je comprends maintenant que parler sans retenir faisait partie du travail de création d' HS. Il fallait ce temps là. Ce que K. livre sur scène avec cette pièce est la chose la plus intime qui soit: le fruit de sa chair, et l'amour le plus absolu qui puisse exister. L'enfant. La mise en scène, les textes, la drôlerie, ne peuvent faire diversion, masquer ce fait. Le travail de mise en scène est ici nécessaire, il n'est pas essentiel. Ce travail dessine juste un cadre autour de ce qui est important, au vrai travail, celui de l'accouchement. L'enfant chahute, s'échappe des jupes de sa mère, prend son vélo, roule son chemin autour de nous et fait exploser le cadre de la scène. Il grandit déjà et bientôt cet instant ne sera plus. Ni la pièce. Tout fuit, incertain. C'est cela le plus important et après cela il n'y a plus de secret qui tienne en paroles, ou sur scène K. où ose, dit son age- plus fort que de se mettre à poil- parle de son père. Des proches la lisent et la comprennent mieux. De mon coté, il me faut un peu de temps. Attendre quelques semaines plus tard, de revoir K., et comprendre. Sans doute comprend-elle de son coté qu' HS, dans sa radicalité, comme un don impudique qui porte en lui sa fin, sera peu compris. Mais il suffira qu'il soit assez aimé.
HS créé par Katalin Patkaï le au Générateur de Gentilly dans le cadre de Faits d'hiver, sera joué à nouveau au Regard du Cygne le mardi 22 mars à 14h30 dans le cadre du festival Signes de Printemps
Guy
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L'imitation des saints
L'effet le plus troublant, même avant l'in-actualité du sujet, c'est déjà de ne pouvoir savoir à quel degré recevoir ces exercices d'hagiographie, sucrés-salés, entre canon et irrespect. Il y a ici des signes de grand sérieux: Christine Armanger fait preuve d'une érudition sans fautes dans ces récits très incarnés des martyres de Sainte Agathe et Saint Sébastien (à cette étape). Et d'un coté la chair est intensément engagée dans l'imitation, avec flèches et tenailles, de l'autre les vidéos tutorielles témoignent d'une délicieuse désinvolture, détachée. Ou est ce de la pudeur? On flotte dans les zones frontières entre sacré et érotisme. Modernité et tradition. Déconstruction et réenchantement. Ça sent l'encens. Et le parfum également?
Je ne poserai pas de questions à Christine Armanger, de peur qu'elle me réponde. On y croit, ou non. Certains mystères ne doivent pas être éclaircis. On la prie juste de continuer.Edmonde et d'autres saint(e)s de et avec Christine Armanger, étape de travail vue à Micadanses le 16 mars 2016
Guy
Photo de Salim Santa Lucia avec l'aimable autorisation de la compagnie.
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Tirer le fil
Tout est là, sur le plateau tel qu'en pensées, et en apparent désordre: vêtements, livres (beaucoup), accessoires et fleurs séchées, et souvenirs invisibles. Tout sera utile, ou non. Ou une autre fois. Cette conférence dansée évoque le flou du sensible, ce qui est fragile, qui va et revient, les extases possibles, le temps qui s'étend de la création. Elle ouvre un livre, lit un texte, regarde une image et en libère un geste. La danse émerge de l'informulé des inspirations, les pensées se matérialisent. Le corps s'autorise, la chorégraphe se cherche dans l'espace, erre et explore, une musique exaltée l'emporte. Le mouvement juste vient.
Tressage de Gaëlle Guéranger, vu en présentation professionnelle à Micadanses le 8 mars 2016.
Guy
Photo par Aurore Monvoisin avec l'aimable autorisation de la compagnie
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Faisons-nous peur
A-t-on vraiment eu peur, comme il était promis sur l'affiche? On a en tout cas beaucoup rit, ce qui revient un peu au même. Stéphane Azzopardi ne lésine sur rien, avec le même abattage que dans le trépidant Tour du monde en 80 jours. Il pose une intrigue archétypale qui rassure (légende, adultère, accident, culpabilité, malédiction, folie, sacrifice, rédemption) et secoue avec le rythme, les effets et les retournements de situation. 4eme mur explosé, spectateurs figurants, accident de voiture, tour de magie, accessoires qui prennent vie, apparitions et disparitions.... tout y est, et en 3 D. En bicyclette, si on s'arrête de rouler, on tombe: donc ici jamais de décélération, les personnages bondissent de lieu en lieu et de scène en scène en traversant les éléments du décor tournant. C'est la grande réussite de ce théâtre d'emmener en instantané et en toute lisibilité les spectateurs enthousiastes dans ces imaginaires en mouvement.
La dame blanche de de Sébastien Azzopardi Et Sacha Danino , mise en scène : Sébastien Azzopardi vu le 1er mars au théâtre du Palais Royal.
Guy
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Le jaune et le blanc
Je retrouve ici à ce point de son avancée un même projet, mais ce soir d'une autre manière, allant du rouge d'avant au blanc, du clair obscur à la pleine lumière, de la chair à l'épure, de la suggestion à la démonstration. Camille Mutel, d'évidence, poursuit dans ses pièces la recherche asymptotique des zones dérobées de l'érotisme, se confrontant à la possibilité, ou non, de représenter le désir jusqu'à son assouvissement. A cette étape, loin de l'onirisme d'Etna- dernière pièce en date- l'audace suit d'autres chemins. La proposition de ce soir fait tout autant écho au travail récent de la chorégraphe dans le cadre de (Nou) dirigé par Matthieu Hocquemiller qu'à ses propres créations. Le décor mental du Japon est posé, non seulement par les images urbaines d'Osamu Kanemura, mais dans le mode même de la pièce, sa respiration. Est-ce ici le pays de Mishima plutôt que celui d'Hijikata? La rencontre des deux corps dénudés des danseurs se tente dans un cérémonial érotique méticuleux, qui épuise tous les usages que l'on peut faire des œufs. Étrange alliance de crudité et de délicatesse, que la voix inattendue, organique, d'une chanteuse vient troubler à contre courant. Je songe aux créations précédentes, et aux sentiments d'irrépressibles surgissements qu'elles inspiraient, et je reviens ici face à une proposition plus mise à distance, plus cérébrale, mais qui appelle à la connivence. Le travail se donne à voir: travail sur le temps étiré du rituel avec la préparation minutieuse des accessoires, travail sur l'espace et la lumière, qui souligne le vide consistant entre les êtres jusqu'au rapprochement des dermes, travail sur le mouvement des 2 corps qui matérialise les dynamiques de l'attraction, de l'hésitation et de la rencontre. Le jeu de correspondances est dense: rencontre du masculin et du féminin comme du jaune et du blanc de l'œuf, symbolisme de cet objet et évocation de l'oiseau dans la danse, rôle détourné du chant qui relaye l'indicible....
Je vois là un objet artistique neuf et surprenant, beau et glacé cependant, qui ose mais en inspirant un sentiment de contrôle. Qui me paraitrait presque trop sérieux s'il n'y avait dans l’œil et sur les lèvres des interprètes cette étincelle de plaisir et d'ironie.
Rencontre avec Camille Mutel autour de la création Go, go, go, said the bird (human kind cannot bear very much reality) from micadanses - Faits d'hiver on Vimeo.
Go, go,go, said the bird (human kind cannot bear very much reality de Camille Mutel , vu le 8 février au Générateur de Gentilly avec le festival Faits d'Hiver.
Guy
photo de Paolo Porto avec l'aimable autorisation de la compagnie
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En mode collectif
Certains d'entre nous sont allongés dans la mezzanine, s'essaient à la sieste ou à la transmission de pensée. D'autres, dans la pièce plus bas, épluchent très lentement des mandarines, concentrés. D'autres réjouis se déguisent dans l'entrée, ou manipulent bijoux et bougies dans la salle de bain. Tous en jeu, en groupes ludiques, dans ces espaces de vie vaguement organisés. La performeuse canadienne Winnie SuperHova qui a lancé les libres consignes se transforme elle même en œuvre, agit et interagit avec une grande feuille blanche, du marc de café et autres matières colorées. La vie sans paroles, ni sens dit d'avance. Eno plane autour de nos oreilles, sans s'imposer. Des rires fusent et d'autres participants ne peuvent résister, se joignent à cette fête improvisée, se colorent. Luna Paese, elle aussi, tente de faire de nous qui nous connaissons peu entre nous une communauté. Cela passe sans doute part l'abandon du spectaculaire au profit de la simplicité, du minimum qui est partagé: accepter d'arborer un signe commun qui nous rassemble, réagir ensemble mais chacun à sa façon à un hymne rock, improviser ensemble une œuvre à coup de colle, de journaux et de ciseaux, comme quand à la petite école on apprend à socialiser. Pour un moment, laisser les barrières tomber.
C'était une soirée du Petit Festival, le 29 janvier chez Joäo Costa Espinho.
Guy
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Aprés le Diable
Comment se révèle-t-elle, cette étrangeté en nous, cette monstruosité, que Maxence Rey fouille de pièce en pièce? On ne croit plus au diable et en ses tentations, mais l'inexpliqué toujours nous inquiète, le point mort de notre rationalité, l'incontrôlé. C'est par le corps des interprètes qu'il surgit ici, entre grotesque et beauté. Ceux ci nous font toucher du doigt cet instant paniqué de la transformation, où la résistance abdique. De la fête de village selon Rubens à la la fête techno, le mouvement traverse les époques. Les pulsions se libèrent avec force, les visages grimacent, les ventres s'agitent et se tendent, les sens s'ouvrent, les regards s'aiguisent, avides. Quelques frôlements, des gestes francs, et explosent des orgasmes raides et muets. Les poses sont convulsées et les cris libérés, loin de la tête les bassins dansent. Dans sa troublante viscéralité, l'œuvre parait sévère jusqu'à ce que la drôlerie l'emporte, culminant irrésistiblement en une chanson folklorique réinventée.
Teaser - LE MOULIN DES TENTATIONS - Cie Betula Lenta - Maxence Rey from Romain Kosellek on Vimeo.
Le Moulin des tentations de Maxence Rey vu le 6 février au CDC-Atelier de Paris-Carolyn Carlson dans le cadre de faits d'hiver.
Guy
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A l'origine
La lune est pleine, la pièce est vide. Pour l'éclairer une bougie suffit. C'est l'ombre qui sur le mur se dresse et danse, celle d'un ventre tendu en avant, qui donnera la vie, de seins dans l'attente. Les courbes puissantes dessinent l'idée, la chair est lourde, humaine jusqu'à la fragilité. La femme se tourne et le poids l'entraine, nue simplement, la respiration trouve son chemin. Elle cherche son équilibre entre pensées et convulsions. Une voix fige le temps. Quelque chose d'ancestral et futur s'impose et l'emporte. Quelques instants nous adorons une déesse mère, sereine et souveraine.
Luna Llena de Maïte Soler, musique de Damien Serban le 7 février en appartement avec Projektor.
Guy
photo par Fabrice Pairault