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  • Cecilia Bengolea et François Chaignaud : montrer.

    Peut on essayer d’oublier tout ce qu’avant on a lu à propos de Pâquerette, toutes attentes tues, curiosité remise à neuf?

     

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    Cecilia Bengolea et François Chaignaud doivent être satisfaits du buzz, et de la salle pleine à craquer. Avertis des risques aussi. Déjà présents sur la scène à notre arrivée, ils désamorcent. Familiers, chuchotent entre eux sourire aux lèvres, lancent un clin d’œil aux copines du premier rang. Parés de robes chatoyantes, elle yeux de biche, lui blond angélique, les genres sexuels convergent.
     

    Quand les deux danseurs glissent enfin dans le jeu, c’est par délicates suggestions: yeux vagues, râles étouffés, expressions de doigts de pied. Ces manifestations finissent vite par déraper, en sifflements de cocotte minute, interactions nerveuses et tremblements pâmés. Déjà on ne peut plus feindre d’ignorer ce que l’on sait: on sait qu’ils savent qu’on sait ce qui les tend. L’obscène- à la lettre- est hors de vue. La performance se concentre dans cette connivence. Avec des sensations sans sensationnalisme: le public est bon enfant, quelques rires réprimés. C’est joyeux et libérateur. Le spectacle pourrait tout autant se refermer sur cette première partie, homogène et bien maîtrisée, symptômes en pleine lumière et causes occultées.

     

    Puis les robes tombent, et les enjeux se déplacent.

    On savait: maintenant on voit. Constat immédiat : ils sont mignons, pas scandaleux. On consacre un instant à apprécier l’audace de la démarche: aucune raison que la danse s'interdise de telles explorations. L’instant suivant on admet que montrer c’est dédramatiser. Voire desérotiser. Par cette simple démonstration le projet se justifie. La suite, c’est de la danse. Sous contrainte: les deux danseurs s’efforcent de conserver inchangée leur relation avec les objets, quitte à ce que l’équilibrisme fasse passer au second plan l'expression du plaisir. C’est une danse honnête, à tous points de vues, d’une poésie fraîche. Qui n'ouvre pas sur de grandes révélations, chacun jugera selon ses attentes. Ils sont beaux et fragiles, généreux et drôles, des statues nues dans un jardin d’hiver, avec quelque chose en plus.

    Mais après Pâquerette, que peuvent ils bien faire ? Sans doute tout autre chose…

     

    C'était Pâquerette, de et avec Cecilia Bengolea et François Chaignaud, dans le cadre du festival innacoutumés à la Ménagerie de Verre.

     

    A lire: le Tadorne, et bientôt Images de danse.

    Et un point de vue moraliste, dans Le Monde.

     

    Guy

     

    photo par Alain Monot, avec l'aimable autorisation de la Ménagerie de Verre.

     

    Paquerette fleurit au Dansoir mercredi 4 fevrier, et à Ardanthé le vendredi 20 fevrier

  • Looking for Paco: episode 4

     

    Regards sur la création de « Fresque, femmes regardant à gauche » par Paco Dècina et la compagnie Post-Retroguardia.

     

    Episode 4 : Que font ils aujourd'hui? 

     

    Nulle part ici dans le studio de crayon, de cahier, de dessins, de calendrier. Ni de caméra, ni d’ordinateur. Pas de paper–board, nulle notation, ni partition. Juste encore des fringues jetées partout. Zéro tracabilité.

    Seuls les deux visiteurs d’aujourd’hui travaillent à l’aide-mémoire. C'est-à-dire avec un stylo (moi-même), avec un appareil photo (Jérôme). Ceux qui créent Fresque, le font juste avec leurs corps, et leurs têtes.

     

    Nous les regardons: Paco Dècina et les danseurs au grand complet- Vincent Deletang, Takashi Ueno, Jesus Sevari, Orin Camus, Noriko Matsuyama, Chloé Hernandez, Silvère Lamotte- qui ensemble travaillent une scène. Une scène qui d’ailleurs ne porte pas de nom, qui n’a pas non plus de numéro. C’est juste « la scène d’après ». Ils répètent, et se souviennent des gestes déjà répétés, la veille, avant. Plus ou moins. L’un des garçons suspend son mouvement au moment où Paco lui fait remarquer: «Tu devrais faire comme tu faisais hier, tu sais…Ca fonctionnait mieux ! ». Ce qu’il faisait hier, en l’occurrence il l’a oublié. La vraie question, c'est plutôt: comment se souviennent-ils de tout le reste?

    Doute. Je note une autre question à poser à tout à l’heure, lors de la pause, à Paco: pourquoi est-ce cette scène qu’il répète aujourd’hui, maintenant. Pourquoi celle-ci précisément- même si d’ailleurs cette scène ne porte pas de nom- et non n’importe quelle autre, parmi cinquante, ou cent?

    Au moins une chose est établie: aujourd’hui nous sommes au studio Blanca Li. Rue des Petites Ecuries, au dessus d’un Franprix, dans un quartier populaire, africain, affairé de Paris. Un lieu que Catherine a loué pour la semaine. Encore que nous pourrions être n’importe où. Lorsqu’à la pause, nous évoquerons les répétitions de la semaine suivante, Paco parlera de Micadanses. Raté. Tout le monde, sauf Paco, semble savoir qu’en fait ce sera au C.N.D. Moi compris, qui garde précieusement le planning, établi par Catherine, des lieux de répétition.

     

    Petit bond en avant. Tout à l’heure Paco me répondra, concernant la scène à répéter, que ce matin même, il n’avait rien décidé. Puis qu’il fit son choix «en fonction de l’énergie des danseurs». Concernant les jours à venir, cela semble tout aussi indéterminé. Quand même, Paco reconnaît qu’en janvier, de retour au T.C.I.,à l’approche des représentations, avec la lumière, la musique, la vidéo, le calendrier sera plus resserré.

     

    Flash back sur la dernière visite au T.C.I. . Paco, dans l’ombre, semblait alors plus dans le calendrier, plus conscient de l’horloge, plus préoccupé, moins enjoué. Grondait une danseuse qui était arrivée un quart d’heure en retard, pas échauffée. L’environnement du théâtre le ramenait-il à une conscience plus aigue des échéances?

    Flash forward, encore plus tard: Chez moi, je consulte le gros bouquin de Rosita Boisseau avec sa sélection de 90 chorégraphes. A chaque chorégraphe son illustration. Beaucoup d’entre eux ont fourni des reproductions de cahiers de croquis, de dessins préparatoires, de descriptifs, de listes, ou d’autres documents de travail. A la page 147 (de l’édition 2006), celle qui concerne Paco Dècina, on trouve un dessin représentant…l’union Yin-Yang du Ciel et de la Terre.

    Tout vient d’ailleurs. Ou de dedans. Et par des voies détournées

     

    Ici et maintenant, les danseurs travaillent, donc de mémoire, sans filet. Dans tous les sens. C’est un paradoxe, fascinant. La scène qui n’a pas de nom dure deux ou trois minutes. Elle se précipite, vive et complexe, les sept danseurs s’y plongent en même temps. Tout se joue avec une grande précision et je ne comprends pas de quelle manière ils tendent déjà vers l’exactitude. Chacun doit anticiper bien en amont ses mouvements afin d’arriver au bon moment pour rencontrer l’autre. Comment y parviennent ils ? Et la musique bourdonne, sans offrir de repères.

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    Le résultat, plutôt le travail en son état actuel, enivre. Les actions à suivre, multiples, se chevauchent comme des partitions simultanées et légèrement dissonantes. Avec des diagonales, des accélérations, des convergences. Comme suspendu en son centre, il y a dans cette minute un instant remarquable: quand Jesus s’envole, soulevée par les reins d’Orin. Un autre moment me semble tomber à plat, tel que vu maintenant. Lorsque, pour conclure, Chloé, Orin, Noriko, forment ce qui à mes yeux ressemble à un tas. Ils semblent moyennement enthousiastes. Je constate, un peu plus tard, que Paco ne semble pas convaincu lui non plus.

     

    L’heure et demi qui passe est consacrée à ce qu’on pourrait appeler des ajustements, plus sur du rythme (du souffle?) que du mouvement. L’usinage de la matière brute de la danse, mais d’une manière qui conduirait tout droit à la folie un consultant en productivité. Même si on découvre que Paco a été ingénieur, si on en croit sa bio.

    Paco s’implique de la voix. Avec son accent italien, en français, en anglais. Ecoute les danseurs, interroge, stimule, s’exclame. D’une manière toujours délicieusement oblique…«Est ce qu’on peut avoir ici une résonance?» « Là, il faudrait que tu ouvre l’espace ». Sur le papier, lu après, hors contexte, cela ne veut strictement rien dire. Si juste ramené au contenu. Mais à l’œuvre, dans la relation et l’instant, cela se cale avec beaucoup de grimaces, d’exclamations, d’onomatopées. La communication analogique triomphe sur le langage numérique. Jérôme prend une photo spectaculaire, qui sera dévoilée à son heure. Paco s’implique avec le corps aussi, se  jette dans la mêlée d’une roulade, se fait un peu mal. Il chante aussi, lorsqu’il danse.

    Il faudra décrire, une autre fois, comment les danseurs réagissent, communiquent, il faudra parler de leur grand sérieux.

     

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    A la pause, Jérôme évoque notre visite dans la réserve, nous avions alors pris conscience de la grande autonomie laissée aux danseurs. Il demande à Paco qui doit être considéré comme créateur de la pièce. Paco décale sa réponse « Il n’y a pas eux et moi, il y a juste la pièce, Les mouvements ne sont pas la danse, les mouvements rendent visibles la danse ».

    Confirmation de ce que je ressens du projet: Ici il ne s’agit pas vraiment d’élaborer il s’agit plutôt de révéler. Montrer ce que voient les trois femmes de la fresque? Lorsque nous nous sommes rencontré la première fois Paco ma parlé de rêve, de rêve éveillé. On y reviendra. Mais aujourd’hui Paco me dit ne jamais rêver de danse. Ses rêves parlent d’autres choses, et l’inspirent…indirectement

     

    Jérôme, dans la vie, est conservateur et historien. Depuis un certain temps il s’efforce de retrouver trace de la fameuse fresque d’Herculanum, dans des livres d’art, sur internet. Mais à ce jour sans succès. Jérôme est persuadé que cette photo reprise sur le dossier de presse, avec les trois femmes qui regardent vers la gauche, vers d’invisibles objets, ne montre que le détail d’un ensemble plus grand. Il pense qu’il existe, dans un musée, quelque part, une autre partie de cette fresque, et que nous pourrions y découvrir ce que les trois femmes regardent.

    Je parierais que non. Ce n’est qu’une intuition. Mais je suis convaincu que ce vis-à-vis, à supposer qu’il ait vraiment existé, est perdu à jamais. Rendu à notre imagination. Que le point de départ de Fresque ne peut être un point de repère fixe et tangible. C’est à mon avis un rêve, flou, un désir, que la danse doit rendre à la visibilité.

     

    Guy Degeorges 

     

    Photos de Jerôme Delatour, a voir en intégralité sur Images de danse.

    Merci à Paco Dècina et à la compagnie Post-Retroguardia, et au T.C.I..

     

    Le prochain épisode est diffusé ici, bientôt...

     

     lire le prologue, l'épisode 1, l'épisode 2, l'épisode 3, l'épisode 5, l'épisode 6, l'épisode 7 , les bonus...

  • Five days in March: ma voisine et Okada

    La salle est comble pour Okada, avec la présence d'une importante minorité asiatique. Japonaise, on présume. Ce qui n'est pas le cas de ma voisine de gauche, elle plutôt gênée par le phrasé japonais surtitré.

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    Pas tant par le fait que la pièce soit jouée dans une langue étrangère- ma voisine, très parisienne, a l'habitude- mais par quelque chose d'indéterminé qui revient toujours dans la musique et le rythme des monologues, et dialogues. Une scansion courte, régulière, sans que ma voisine puisse apprécier ce qui dans ce ton serait ou non affecté, par rapport aux normes d'une discussion japonaise. Ma voisine cherche des correspondances dans les mots répétés en sur-titres, échoue. Alors comment voient-ils, entendent-ils cette pièce, les japonais autour de nous? On pourrait supposer qu'ils vivent en ce moment les mêmes sensations que nous-mêmes, quand ici-même nous regardions Le début de l'A. (de Pascal Rambert, le directeur du théâtre de Gennevilliers). Quand nous regardions la version française, pas l'adaptation japonaise surtitrée. Dans la mesure où la mise en scène partage le même parti pris de minimalisme. Mais l'analogie a ses limites: dans Le début de l'A. le jeu était retenu, milimétré, mais tout de même incarné. Ce soir les acteurs rentrent sur scéne sans jouer, puis racontent qu'ils racontent. Et ils bougent. Je repense à un autre voisin- ce soir absent- mais quelques mois avant séduit par le langage de leurs gestes. Cette gestuelle des acteurs est déconnectée du récit. Les mouvements hésitent, en déséquilibre, ânonnent, se repêtent. Avant- arrière. Debout-assis. Devant-derrière. Je comprends l'intention, je ne saisis pas le sens. C'est à dire que je conçois qu'il y ait là une manière d'envisager différement les rapports entre corps et texte, mais je ne ressens aucune des correspondances qui pourraient être initiées. Ma voisine de gauche en est presque oppressée, ressent ces mouvements comme étriqués, à l'échèlle de l'espace confiné de la chambre de Love Hotel dont il est question dans le récit.

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    A l'entracte ma voisine de gauche- quand j'écris "ma voisine de gauche", c'est un raccourci: il faut comprendre "la voisine qui est assise à ma gauche", sans aucune implication politique- lit le programme: Okada raconte qu'il a assisté, le jour de l'offensive de la coalition contre l'Irak, à un concert, comme le font les personnages de la pièce. Mais l'auteur écrit que la suite est fictive, dés le moment où la fille et le garçon qui se sont rencontré au concert s'enferment tous deux pour cinq jours dans un love hotel. Ma voisine, pragmatique, suppose que l'écriture de la pièce à quelque chose à voir avec la frustration de l'auteur qui est donc rentré seul du concert. Bien vu. La frustration est un puissant moteur de création. 

    La pièce reprend. Avec les mots la même musique. Avec les mêmes balancements. Quelques instants d'assoupissement. Ma voisine veille...............................................Reveil. On reprend. Pour être honnête, il y a plus ici que l'histoire d'un couple qui se fait plaisir durant cinq jours en mars dans la chambre d'un love hotel. On saisit vite l'opposition montrée entre le vécu hédoniste d'une génération, et les échos de l'histoire, la guerre vue à la télévision, croisée par hasard lors d'une manifestation. La dilution du collectif dans l'individuel. Le constat est juste, et franchement déprimant. Toshiki Okada est-il le David Bobée japonais? On comprend vite le principe du récit, on en revient insensiblement à surtout en observer la forme. On s'y fait. Des répétitions qui bercent, les acteurs vont et viennent pour raconter, des points de vue variés sur les mêmes évènements. Mais on reste trés loin de Pirandello, même adapté en Rashomon. A force d'être médiocres, les personnages en deviennent attachants, et à leur exemple on oublie la guerre au dehors. L'évocation des chambres sans fenêtres du Love hotel influe sur notre perception du temps, nocturne et dilué. Dans toute la salle il y a un seul spectateur, qui rit tout au long. Il est absolument le seul à rire, il n'est pas asiatique et c'est mon voisin de droite. Ma voisine de gauche ne rit pas, elle rumine sa prochaine attaque. Prend note de la désinvolture très étudiée des lumières. D'une simplicité affectée, à l'image de tout le reste. Nous sortons, pensifs, et prenons quelques minutes et quelques discussion pour arrêter notre jugement. "Prétentieux" dit-elle. Le couperet est tombé.

    C'était Five Days In March de Toshiki Okada au Théatre de Gennevilliers.

    Guy

    photos par Naoki Onjo avec l'aimable autorisation du Théatre de Gennevilliers

  • Looking for Paco: episode 2

    Regards sur la création de « Fresque, femmes regardant à gauche » par Paco Dècina et la compagnie Post-Retroguardia.

     

    Episode 2: Le Filage

     

    Donc, le filage a commencé. Le voir me fait craindre qu’il soit trop tard pour écrire à propos de la création de Fresque.

    Filage: répétition de toutes les scènes (ou de la plupart des scènes du moins) dans l’ordre prévu, et avec tous les moyens techniques (lumière, son, musique, vidéo) alors disponibles. Ce qui ressemble le plus, à cet instant T, à ce que sera la représentation.

    Dans la salle il fait toujours noir. Sur scène, mon point d’ancrage est Jesus. Au début. Parce qu’elle m’est la plus familière, à regarder danser. Je me guide sur sa présence, sereine, charnelle, et la fluidité de ses mouvements. Pour un temps. Vite, mon attention se rééquilibre sur les autres interprètes. Sur chacun d’entre eux. Sur tous, sur le groupe en son ensemble. Ce groupe qui semble être déjà formé, vers une danse homogène. Il y a déjà eu à ce jour vingt, ou trente, demi-journées de répétition.

    Je regarde le filage, sans m’être mis en position critique. Je regarde Paco qui dirige, tout au long. Voir le filage et écouter Paco en même temps, c’est un peu comme regarder un DVD avec en piste son les commentaires du réalisateur. Paco donne des indications, pas tant de mouvements que de rythme. En termes indirects, détournés: «laisse l’arrêt en suspension ! A l’intérieur ça doit être vivant !». Il use d’un langage de poète et de géomètre. On entend du calme, de l’autorité. La voix est caressante, « italienne ». Les syllabes traînent. Quand Paco s’énerve un peu quand même, sa voix change à peine. Mais sa musique se suspend un court instant; il s’en prend au dossier du fauteuil de devant.

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    Il faut ici écrire ce qui est le plus embarrassant.

    Dès maintenant, j’aime voir ce que je vois.

    Ce qui peut donner l’impression que je rédige un document de promotion. Ou que j’essaie de me concilier dés le début Paco ou l’équipe. Mais en vérité-je ne sors de chez moi que depuis quelques années- je n’avais jamais vu encore de travail de Paco Dècina.

    La rencontre n’allait pas de soit. Et d’ailleurs ce que j’aime depuis quelques minutes, je ne le sais pas. J'aime certains moments. Je ne peux pas encore les qualifier. Plus exactement, je ne ressens pas d’urgence pour qualifier ce que je vois, je ne ressens pas le besoin d’en fixer les images pour le moment. J’ai le temps. Juste l’envie de noter: justesse, essence, densité.

    Le plus important, c’est que je suis déjà, surtout, encore, dans une affinité intuitive. En accord profond avec ce que la danse doit être. C’est évidemment un soulagement, ce projet aurait été compromis si je n’avais pas ressenti cette proximité.

     

    Mais ce projet n’arrive-t-il pas trop tard? Le travail me semble très avancé. Il y a des heurts, des blancs. Mais de ce que je vois, la danse est née déjà. Grandie de plusieurs semaines, par endroits forte et assurée. La création est elle derrière moi ? Je me raisonne: pour ce premier contact, j’ai été invité à être témoin de ce qu’il avait de plus fini. Mis en position de spectateur, dans le noir de la galerie. Oui et non. Cela tend à être une représentation, sans l'être vraiment. Y il aura-t-il donc toujours un doux antagonisme, non formulé, entre la compagnie et moi, la compagnie voulant me montrer de l’achevé, moi recherchant à comprendre les hésitations, les accidents ?

    Après, nous partons boire un pot au self de la cité, Paco, Catherine, Marion, et moi. Je m’ouvre de ces doutes. Tous me rassurent, ou comprennent cela comme une boutade. Il y a autant de répétitions à venir que passées. Et tout à l’heure, un éminent personnage du milieu de la danse contemporaine assistait au filage, délivrait encouragements mais surtout aussi suggestions….Toutes ces discussions, et les doutes, et le reste, je les passe en accéléré, on y reviendra peut-être plus tard, ou pas.

     

    Ce qui compte, c’est que, des jours après, lors d’une répétition dans la Resserre, la lumière se fait....

  • Looking for Paco: episode 3

    Regards sur la création de « Fresque, femmes regardant à gauche » par Paco Dècina et la compagnie Post-Retroguardia.

     

    Episode 3 : Dans la Réserve, sans Paco

     

    C’est après le filage. C’est une semaine, ou quelques jours plus tard. Paco est resté en bas, dans la « Galerie », dans le noir.

    Nous montons. Nous- Jérôme et moi- et quatre danseurs, dans la « Réserve »: la plus petite salle, en haut, tout en haut par l’ascenseur, sous les toits.

    Nous sommes arrivés tout en haut, et la lumière est là. Beaucoup de lumière, assez de lumière pour que les danseurs travaillent leur soli, assez de lumière pour que Jérôme conjure le flou, beaucoup de lumière, et je vois.

     

    Paco n’est pas là, les souris dansent, mais elles dansent sérieusement. Utilisent toute la profondeur de la scène.

    Tout devant, en duo: Jesus Sevari et Vincent Delétang. Chacun à son tour est le creux de l’autre. Chacun son tour à l’issue d’un retournement lance à l’autre un geste inattendu du bras- une gifle quasiment- l’autre alors s’affaisse, s’efface, du haut du corps, de la tête. Silencieusement. Chaque fois, je n’y crois pas.

    Au second plan Chloé Hernandez, jambes longues et déliées, toute en rapidité, conclut- et bute encore parfois- sur quelque chose de surprenant, de spectaculaire, corps à l’envers.

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    Au fond, trop loin, Takashi Ueno. Près du sol plus abrupt, très physique et étrange, il travaille avec les mains. A regarder, c’est encore un mystère.

    Je vois trois actions à la fois. Au commencement les danseurs ne semblent pas les uns et les autres se voir. Chacun est concentré sur son espace. Sortie d’un ipod, juste la musique, banale et consensuelle, se partage. Ils commencent et recommencent, essaient et se trompent, et encore recommencent. Vincent à la recherche d’un geste de la main comme pour attirer, sans la toucher, Jesus à ses pieds. Comme pour faire rebondir un ballon de basket? Pour trouver ces gestes, ils semblent toujours à la recherche d’invisibles évidences. Qui obéiraient à d’inexplicables critères. Ou ils recherchent des gestes qui soient possibles, tout simplement: Vincent et Jésus entament un pas ensemble…finissent par se coincer les bras. Rires, ils recommencent, autrement.

     

    Ce sont Jesus et Vincent qui les premiers parlent en duo, quand leurs gestes ne se comprennent pas suffisamment. Puis Chloé, qui travaille toujours son mouvement spectaculaire jusqu’à le réussir en apparence, s’interroge à haute voix : « Ca ne fait pas trop cirque ? ». Dit elle cela juste pour se rassurer elle-même? Ou est-ce un appel ? Les autres s’arrêtent de danser. Ils l’aident, suggèrent, ou la confortent, lui permettent de poursuivre dans le sens de ce qu’elle avait décidé.

    Paco n’est pas là. A portée de portable, mais toujours loin quand même, en bas, dans la Galerie. En haut ici dans la Resserre; Jesus, Vincent, Chloé, Takashi créent Fresque, ou des morceaux: « Pour ces soli, Paco nous donne juste des directions très générales et c’est nous qui proposons.  Nous sommes la matière, nous apportons la matière, nos gestes sont la matière, mais Paco la sculpte…et ce qui est génial c’est que cela devient vraiment du Paco Dècina. »

    Les quatre danseurs créent depuis une heure et ensemble. Chacun à un moment le chorégraphe des autres danseurs, ils travaillent maintenant autant du regard et de la voix. Ils montrent, laissent voir de l’inattendu. Le filage est oublié loin derrière, ils tirent des fils. Jesus est d’une irrésistible sérénité, Vincent rit encore, rit souvent, Takashi lui aussi, d’autant qu’il ne semble pas trop bien parler français. Les trois autres l’invitent et lui demandent de montrer son solo.

     

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    Puis chacun de son coté fait à nouveau travailler son propre corps. Les corps- hors représentation- s’autorisent à vider des litres d’Evian, à souffler bruyamment et à ne pas cacher douleurs et fatigues. Les danseurs épuisent ces mêmes séquences d’une minute, une minute trente. Je ne m’attends toujours pas, même après les avoir faire vu dix fois, aux enchaînements de Takashi, à la « gifle » de Jesus et Vincent, à la figure de Chloé.

    Je découvre ce degré de liberté que je ne soupçonnais pas avant. Que la danse d’abord vient d’eux. Eux qui semblent parfois comme de grands enfants, qui montrent tous entre 25 et 30 ans, qui volent deux minutes pour fumer un clope, qui rient et esquissent des pas hip hop.

    Ils apportent les gestes…d’où vient la mémoire de leurs corps? Durant cette répétition, d’où viennent ces gestes qu’ils répètent ? Qu’en restera-t-il dans Fresque?

     

    A suivre…

     

    Guy Degeorges

     

    Photos de Jerôme Delatour, a voir en intégralité sur Images de danse.

    Merci à Paco Dècina et à la compagnie Post-Retroguardia, et au T.C.I., ainsi que, pour leurs relectures, à Pascal Bely et Jérôme Delatour.

     

     lire le prologue, l'épisode 1, l'épisode 2 l'épisode 4, l'épisode 5 , l'épisode 6, l'épisode 7, bonus

  • Denis Chabroullet: l'Azur au neon

    Il faut oser (du moins d'un point de vue de parisien...). D'abord trouver Lieusaint, entre autoroute, lotissements et friches, entre Senart et Melun, oser braver les sens interdits et les rond-points, les panneaux attention travaux, s'accrocher à la certitude qu'il y a quelqu'un de vivant au bout du noir et du froid en se souvenant de la gentille voix au téléphone ("surtout ne rebroussez pas chemin"), ensuite éviter engins de chantiers, plots de beton, le long du chemin défoncé, chercher la "Serre" à la lueur des phares, les derniers mêtres acueilli par des guirlandes lumineuses, mais pas encore de lampions.

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    Il faut oser ensuite faire l'expérience du théâtre sans paroles, après avoir été le spectateur intéressé d'une danse parlée. Peut-on vraiment? D'abord plongé dans une ambiance de glapissements animaux, de fumée décomposée et d'odeurs de sciure. Puis le quatrième mur fait un retour spectaculaire: c'est un long mur circulaire, un grand enclos de bois, avec de larges meurtrières. Ils sont à l'intérieur. (1) Des corps dedans, nous à l'extérieur, des yeux. Il faut oser trouver sa place, et être libre d'en changer, ou y être obligé quand l'une de ces fenêtres brutalement est fermée. Oser s'approcher au plus prés des personnages, mais toujours séparé d'eux. Notre point de vue de spectateur en est efficacement renouvelé, et déja coupable, posé sur les étranges spécimens d'un zoo humain. Le dispositif scénique déjà suggère-plutôt impose-une interprétation d'ensemble: celle d'un groupe humain en vase clos. Condamné à répêter drames et situations, privé de langage et de sens. A-t-on jamais prété un dessein, une intention, à un tigre ou à un singe qui tourne en cage? Sont-ils enfermés là depuis longtemps? Le calendrier semble déchiré à la page d'une France d'avant les années soixante-dix: bistrot, casquette et bretelles, flipper, robes aux couleurs de rideaux délavés, pompe à essence, rutilances rouillées. L'eau qui croupit au sol, où surnagent des épaves, témoigne de la stagnation et de la decadence générale. Plus c'est crasseux et déglingué, plus cela parait vrai. Puis, à la reflexion, trop vrai pour vraiment l'être: plutôt parfaitement archétypal, aux couleurs recomposées de notre mémoire collective, comme s'agissant des reconstitutions d'époque dans les parcs d'attraction. Mais les parades sont ici bien sombres, violentes et fantasmées. 

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    Que font-ils en rond, pieds dans l'eau, sous les lumières glauques? Rien de très beau quand le langage leur fait défaut. Rien de beau, moralement s'entend, esthétiquement c'est autre chose. Ne reste à cette humanité en boite, muette et avinée, que noirceurs, pulsions, et sales habitudes. Et quelques grammes d'amour noyés dans l'huile et la boue. Pour des scènes chocs et découpées dans le vif, qui capturent le regard, sans espoir d'évasion. Les cris s'entrechoquent mais les mots restent enfermés, les coups volent, les concupiscences suintent, les idiots rient, la pin-up se pâme par à-coups au flipper, la fille en bas résilles se languit, les faibles sont brutalisés et humiliés, des rondeurs humides et impudiques débordent d'un tub, les personnages boivent un coup et s'en mettent partout, ils se vautrent, se bagarrent, hurlent, tortillent du bide ou de la croupe, font les beaux, glissent et s'abiment dans la flotte, dansent un rock 'n roll abatardi, martyrisent les victimes, betifient pour noël, sortent un tank de sa bâche, et le coq empaillé, jouent à la guerre, se tuent. Tout s'enchaine et tourne, grotesque et désesperé, tout est fort et tout s'oublie vite. Avec la frustration de penser qu'on en garde bien moins que tout ce qui y a été mis. Les partis pris scéniques étant ce qu'ils sont, on a bien du mal à suivre la narration, ou à l'organiser nous même. Etrangement, nous sommes moins préparés à faire ce travail ce soir que lorsque nous regardons de la danse. Un travail à prolonger? Surement. Mais nous-mêmes tournons autour du mur, privé de langage nous aussi, pour un temps. Soudain, la palissade cède....

    C'était Côte d'Azur de Denis Chabroullet du théâtre de la Mezzanine, à La Serre de Lieusaint

    les lundis, vendredis et samedis, jusqu'au 8 décembre.

    Guy

    (1) Pourquoi, avant que les volets ne soient soulevés, ne voit on que des spectatrices qui essaient de zeuiter entre deux planches?

    Photos par Christophe Raynaud de Lage avec l'aimable autorisation du Théatre de la Mezzanine


  • Looking For Paco: prologue

    Regards sur la création de « Fresque, femmes regardant à gauche » par Paco Dècina et la compagnie Post-Retroguardia.

     

    Prologue : Avant l’avant (mais qu’on peut zapper jusqu’à l’épisode 1).

     

    Si dès cette première ligne commence l’écriture d’un récit (ou d’une fiction, ou d’un roman, mais pas d’un documentaire, ou juste d’une enquête… d’un écrit en tous cas), alors Paco Dècina pourra en être le personnage principal. Pourtant, le lundi 19 janvier 2009, au T.C.I. (Théâtre de la Cité internationale), lors de la création de la pièce de danse contemporaine Fresque, femmes regardant à gauche, Paco Dècina n’apparaîtra pas sur scène.

    Restera hors champ.

    Paco Dènica aura pensé, conçu, porté, mis en scène la pièce. Mais n’y dansera pas. Sera présent, omniprésent, sur le programme, sur les affiches, dans les esprits, dans chacun des gestes. Mais restera à l’écart, loin des regards qui convergeront sur les danseurs. Loin des regards découvrant, à cet instant zéro, ce projet artistique, inspiré par la volonté de révéler ou d'évoquer l’invisible. La fresque de Pompéi (dont, pour certaines raisons, on ne pourra peut-être pas montrer l’image non plus…) qui a donné son titre à cette pièce donc nommée Fresque,  représente trois femmes, leurs regards portés vers d’invisibles objets.

     

    Mais le sujet de ce texte n’est pas Fresque. Ou sinon juste par réflexions, par reflets, par incidences. Ce texte aura pour sujet ce qui existera avant la représentation de Fresque, autour, en dessous, derrière, à coté, à propos, en amont, en soubassements. Aussi ce qui serait jeté avant, oublié. Tout ce qui potentiellement est visible mais qui n’est que rarement montré, parce que jamais raconté.

    Donc…

    Je ne parlerai pas de la création de Fresque : c'est-à-dire de sa première représentation publique.

    Je parlerai de sa création: c'est-à-dire du processus de création, du travail, collectif, élaboratif, qui aura précédé cette première représentation publique

    Et je tenterai de guetter la création telle qu’elle se manifestera: l’acte de créer, dans sa dimension essentielle. Accidentelle? Démiurgique?

     

    C’est dire qu’il y aura des pièges et des frontières floues.

     

    Tout au long de ce récit, Paco Dècina devrait donc tenir le premier rôle. Même de dos…

    Ou peut-être n’y aura-t-il pas vraiment de premier rôle. Seule certitude : je serais de ce texte le narrateur. En littérature, par convention, le narrateur est souvent omniscient. Je serais à l’inverse un narrateur à tâtons. Un narrateur candide, dont le point de vue, je l’espère, évoluera dans le temps. Dont l’écriture s’ouvrira aux rencontres. Avec ceux qui voudront m’aider. Probablement, je ne trouverai pas ce que je serais venu chercher. Et je découvrirai des choses- petites ou grandes, qui sait ?- dont avant je n’aurais pas eu idée. Evolueront autour de Paco une douzaine de personnages, issus de la compagnie, du théâtre, ou d'ailleurs, tous nécessaires, tous importants. Et il sera sûrement question du groupe en tant que tel. Il y aura des épisodes dans divers lieux, des retours en arrière et peut-être en avant, mais tout commencera et finira ici, au T.C.

    Lire  l'épisode 1, l'épisode 2, l'épisode 3, l'épisode 4, l'épisode 5 , les bonus...

  • Looking For Paco: episode 1

     

    Episode 1: Arrivée, présentations.

     

     

    Tout commence donc ici, une fin d’après-midi, au T.C.I. . La porte se déverrouille à l’aide d’un badge magnétique. Nous descendons les marches en direction de la « Galerie », celle des trois salles de spectacle qui est située en sous-sol. Dans les escaliers je suis Marion comme l’Alice de Lewis Caroll poursuit le Lapin Blanc toujours plus bas dans les méandres du terrier. Arrivée dans la salle. Là une dizaine de personnes, certaines évoluent sur scène, plus ou moins dans la lumière, d’autres affairées au premier rang avec des ordinateurs, d’autres assises dans la salle et qui semblent occupés à attendre. Tous en mode studieux et concentré. C’est une répétition. Si j’étais plus jeune, je serais intimidé. Paco Dècina assis, au milieu, vu de dos, est le seul ici à parler à voix haute. De sa voix, il marque le temps. Il veille à l’obscurité: « Quelqu’un pourrait fermer la porte »? Quelque part je vais m’asseoir, discrètement, à l’affût. Entre les sacs, les fringues, n’importe où. Dans le noir. Puis je fais l’éponge. Aujourd’hui malade et excusé: Jérôme avec son appareil photo (les images que l’on voit ici viennent donc d’un futur proche). Mais je ne suis pas seul : Marion et Jesus, toutes en sollicitudes et attentions, viennent m’entourer. A mi voix, me parlent technique et images vidéo. J’apprécie le geste, je perds vite le fil. A ce stade, c’est aussi intelligible que tout le reste. Ce n’est pas grave, on a le temps.

     

    Pour ceux qui l’ignoreraient, Jesus Sevari est une chorégraphe et danseuse chilienne. J’ai vu, à Mains d’Oeuvres, Jesus interpréter sa propre création, Como Salir a buscar…. J’ai écrit à son sujet. Jérôme également, qui aussi l’a photographiée. J’ai vu à nouveau Jesus danser, dans la reprise d’As far As d’Alban Richard, dans cette salle même, en janvier dernier. Nous étions jusqu’alors dans la situation  particulière de ces personnes qui se connaissent sans s’être jamais écrit ni rencontré. A l’instant c’est chose faite, et parfaite: on se fait la bise. Jesus sera l’une des sept interprètes, l’une des trois femmes, de Fresque.  

    Marion Franquet semble toujours tout à la fois concentrée, affairée, et ouverte à la discussion. Marion est responsable pour le T.C.I. des actions artistiques, et des relations avec le public. Elle est donc en relation avec moi. Marion a accueilli au Théâtre une réunion de bloggeurs en octobre dernier, au cours de laquelle j’ai évoqué mon envie d’écrire à propos d’une création. Sans alors penser spécifiquement à celle de Paco Dècina, en résidence ici pour la troisième année. Le texte qui se déroule maintenant est donc l’une des premières conséquences de cette rencontre. Sous l’impulsion de Marion. Parmi ses missions: faire venir le public ici en janvier et février pour les représentations de Fresque. Pour dix-sept représentations, ce qui est ambitieux s’agissant de danse contemporaine.

     

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     Je regarde, dans le désordre. Equipé du dossier de presse, de mon stylo et de mon moleskine. Des danseurs répètent, de courts, très courts, segments. Paco guide, ajuste. Toujours à haute voix, mais toujours à voix douce. A ce stade, je pourrais tout autant regarder s’affairer une équipe de travailleurs du bâtiment. C’est tout autant indéchiffrable. Avec d’abord la même impression de voir des personnes se déplacer mais sans jamais les voir travailler. Dans un second temps, je reconnais que le travail consiste ici précisément à accomplir des déplacements et des mouvements. Des gestes qui pour le moment, vu par fragments, ne me transmettent pas de sens: je ressens à la fois curiosité et frustration. Catherine Monaldi vient me saluer et m’évaluer dans un même élan. Catherine est l’administratrice de la compagnie, et tout ce qui va avec. Dans la vraie vie, moi aussi j’administre, mais pas des danseurs. Je ressens donc d’emblée une sympathie fonctionnelle pour Catherine. Au premier rang, on  fait des essais vidéo avec les danseurs, qui cherchent leurs repères dans les lumières. Ce que Marion, ou Jesus, ou les deux, essayaient de m’expliquer tout à l’heure. Pour tester une technique, qui permet de capter leurs positions et mouvements, pour en imprimer et projeter les traces au mur, en noir et blanc. Ces réglages sont délicats. Comme tout ajustement entre la technologie et les danseurs. Je pense irrésistiblement à l’empreinte des corps de Pompéi dans les cendres. Le rapprochement était facile, mais je suis content de l’avoir fait tout seul, quand même. Mais c'est tout pour le moment.

     

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    Brèves présentations avec Paco. Puis c’est le début. C’est le début du  filage, ce qui était l’objet, ou le prétexte, de cette première rencontre. Au bout de quelques minutes je crains d’être venu, intervenu, trop tard, beaucoup trop tard, pour écrire à propos de la création de Fresque….

     

    A suivre…

     

    Guy Degeorges

     

    Photos de Jerôme Delatour, a voir en intégralité sur Images de danse.

    Merci à Paco Dècina et à la compagnie Post-Retroguardia, et au T.C.I., ainsi que, pour leurs relectures, à Sarah Barreda et Jérôme Delatour.

     

    Le prochain épisode est diffusé ici, vendredi 22 novembre.

  • Slat: Maki Watanabe indomptée

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    Au début c'est confus. A travers une bâche, à peine vu. Nous, tout contre la bâche, à guetter. Dans l'obscurité. Des bruits par attaques, des ombres qui passent. Des menaces percussives et diffuses. Une forme à quatre pattes. Animal et femme, enfant sauvage. Tunique et hirsute. Juste éclairé par la lumière balancée d'une lampe tempête. Paniqué. Bondit, gratte le sol des mains, des pieds. Rejette l'écuelle. Gestes de chat hérissé. Autour des hommes passent. Fouets. Tout est aussi menaçant que vu à travers les yeux de l'enfant. Puis avec toute la mauvaise conscience de visiteurs d'un zoo humain, fascinés, quand nous montons au premier étage de l'échafaudage pour découvrir la scène d'en haut. Qui a changée. Lumière. Le silence se fait et elle se lève, femme désormais. Un éveil. Sur ses deux pieds. Le visage noyé de cheveux et de larmes. Toujours plus vers le haut. D'une beauté première. Des cloches sonnent, pour marquer le début de la conscience, le commencement du temps. Les hommes eux se sont courbés. Elle se redresse encore. Elle monte plus haut, grimpe l'échafaudage. Jusqu'à nous toucher. Pour aprés retomber. Dans une animalité dansée qui nous stupéfie. Elle emportée sans retour par les pulsations des percussions. Tout autour d'elle et hors d'atteinte, des manifestations dérisoires de civilisations: une femme sophistiquée qui vocalise et babille. Drôle et voué à l'inintelligibilité. Des parades et fanfares, tambours et accordéons, qui se mélangent dans notre esprit, et celui de l'enfant sauvage, jusqu'à se décomposer.

    C'était Slat, créé par Tevor Knight, chorégraphie de Gyohei Zaitsu, lumières et installation de Paul Keogan et Alice Maher, dansé par Maki Watanabe, joué par Rebecca Collins, Robbie Harris, Julie Feeney et Trevor Knight, au Centre Culturel Irlandais. Encore ce soir, vendredi.

    Guy

    P.S. : Claude Parle était là (en spectateur), nous a posté ses impressions:

    Victor–Maki ou de l’Aveyron à l’Irlande …

     

    Tout d'abord, ce qui force le regard, c'est l'évidence qu'il ne nous sera rien donné ni épargné ! ! ... à travers un plastique perforé, sans doute eu égard à ceux qu'un oubli fâcheux à privé de lunettes ! ! ...à travers ce plastique blanc opaque et indifférent, les “auditeurs“, parqués dans un étroit couloir , entre bêtes à l'abattoir et voyeurs prévoyeurs d'un de ces attractifs spectacles de foire où patientait une foule excitée et bruyante dans l'attente du "monstre" piaffant tandis que se vidait le précédent troupeau ...

    A force ...on finit par coller presque sans répugnance au plastique pervers pers-foré ...

    On découvre avec malaise un de ces cas d'animalité...mi fauve mi humain ...

    comme les sombres ménageries les jours d'été où l'orage menace ...

    Le sol est ocre, manque juste la poussière et l'odeur ...les fouets, les claquements étranges, les ombres furtives tout y est ...rhombes, tuyaux, wood blocks  et autres bruissements percussifs ...La bête captive d'une pauvre lampe à filament oscillante mue d'un vent fou ou bien d'un improbable tangage ....Quelquefois, un garde s'en empare puis la relance l'abandonnant au délire de la bête ...bête ruante, gémissante, courante animalité entée sur un torse humanoïde ...

     

    Enfin les portes s'ouvrent ...ou plutôt les escaliers ! ! ...

     

    On monte sur la plateforme d'un praticable qui entoure et autorise une vue plongeante sur la fosse où croupit la créature ...

    Des sonorités plus prégnantes apparaissent, voix, nappes de synthés, polyrythmies ...peu à peu, les percussions se font plus pressantes, plus incisives ...

    La performance, de fait repose presque entièrement sur les épaules de la danseuse ...

    Il faut tenir ...le rythme se noue, s'intensifie jusqu'au paroxysme ...

    Apparaissent trois doctes personnages, ithyphalliques, inertes, jaugeant, consignant ...

    N’oublions jamais l'irruption de la norme dans le pathologique mes frères ! ! ...mais, quand donc au juste tout cela a t-il bien pu commencer ? ...

    La danseuse progresse vers la verticalité jusqu'à l'exaspération ...

    Finit par se hisser à la hauteur des voyeurs ...qui ne la voient cependant pas ...plus qu'elle ne les voit ...

    En bas, les manifestations se succèdent dans un mélange de grotesque et de représentation, apparaît aussi un personnage de femme vocalisant puis se déréglant peu à peu, masque déformé par l'émotion, la violence, les glossolalies virant à l'imprécation, rires virant au grotesque, succédant aux pleurs soudains, ravagés à leur tour par quelque éructation suivie, je veux dire poussée par un babil se muant en rage ...Images, clichés de la folie, de l'hors norme, ou jeux de la vie sur fond d'obscénité ?

     

    Maki, en bas finit par s'immobiliser ...

    Finit par se baptiser elle-même de son propre amnion ...

    Finit par s'assoupir centrée sur elle même ...

    Finit par absorber la lumière ...

     

    Dans l'obscure itée ..(“ita est“ ! ) les spectateurs ont décidé de la fin et tapent des mains bruyamment !

    Tout le monde se salue ...dans la lumière revenue tout cela descend les marches ...

    Tout cela se retrouve donc en bas ... "Le voyageur épris au piège" ...

    Jean Pierre* ? tu nous attendais là ? ! avec Victor ? ! …

    ...

     

    CP

     

    * = J.P Duprey