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  • Comédie longue durée

    « Je suis dans la merde »: telle est l’une des premières répliques de Cher Trésor, la dernière pièce de Francis Weber avec Gérard Jugnot. L’acteur y incarne un chômeur de longue durée.  Le ton est donnée, la comédie ne vise pas le fou rire. Plutôt douce-amère, elle résiste à la dépression qui guette. Le jeu est à l’avenant, plus complice que frénétique. Ma génération n’a pas oublié comment la bande du Splendid avait méchamment dynamité les comédies populaires de la fin des années 70. Pour sentir comment se porte la société, il est utile (en plus d’être agréable) d’aller voir Jugnot jouer. Le Père Noël de cette année n’est plus une ordure, ni un clochard inadapté, mais un déclassé, désabusé. Il reste propre, émarge au RSA,  et ne squatte pas dans une roulotte mais dans un appartement d’emprunt. Plutôt que de méchants provocateurs, l’acteur incarne maintenant des consolateurs. D’un François Pignon à l’autre, depuis longtemps Francis Weber sait y faire, la mécanique comique tourne au bon rythme: répliques qui claquent et vraies surprises. Nos descendants jugeront s’il était le Molière ou le Feydeau de notre temps. Il sait en tout cas en peindre les vanités et les vénalités, en conjurer drôlement les angoisses, avec ces histoires de nouveaux pauvres sans perspectives qui s’inventent des contrôles fiscaux, des héritages, des problèmes de riches pour échapper à l’invisibilité. En ce 24 décembre, les chiffres mensuels du chômage viennent d’être publiées, avec un nouveau  record de 5.176 millions de demandeurs d’emplois. Joyeux Noël.

    Cher Trésor de Francis Veber avec Gérard Jugnot au Théâtre des Nouveautés (dernières jusqu’au 4 janvier)

  • Prendre position

    C’est une exposition au Centre Pompidou sur la sexualité dans la performance d'hier à demain, panneaux accrochés aux cimaises, textes, photos et projections de vidéos. Commentés par une brillante conférencière-Mette Ingvartsen- pour un petit groupe attroupé autour d'elle. La conférencière est nue. Le corps est exposé, le corps est l’exposé. C’est un spectacle de danse, en curiosité, radicalité et intensité. En bref c’est une performance. Un marathon de près de 2 heures. Rien d’un solo pourtant. C’est une expérience collective. L’enjeu vient se situer dans notre relation, droit dans les yeux. Dans notre relation avec elle, de plain-pied. Nous évoluons ensemble dans le même espace, entre adultes consentants. La chorégraphe danoise nous guide en un français parfait, se met à notre niveau, ce geste est important. Dans cette relation la nudité constitue un obstacle. A franchir. Cette nudité se charge d’abord d’érotisme- dévoilement inopiné d’un sein, du sexe- se banalise dans la durée, se re-sexualise lors de séquences dansées où la libido du personnage qu'elle devient soudain se focalise et se déchaine sur des objets inattendus: une table, une chaise, une lampe…. Les ambiguïtés gardent leur richesse: Mette Invargtsen réussit à interpréter la performance Dressing/Undressing extraite de Parades and Changes - qui consiste en un lent déshabillage et déshabillage exécuté en fixant dans les yeux un membre du public- tout en commentant dans le même temps le procédé. De la sensation à l’intellect, ce moment peut être donc reçu à différents niveaux de perception. Il faut être journaliste à Libé pour s’étonner de percevoir une certaine réserve, voire de la gêne les premiers temps chez les paticipants. Mette Ingvartsen a la grâce, l’humour et l’habilité nécessaire pour peu à peu la dissiper. Elle vient au contact sans nous mettre en danger, joue avec les distances sociales et spectaculaires pour proposer ces variations en public sur des sujets intimes. La participation est sollicitée en douceur. Des spectateurs, hommes et femmes, se portent volontaires pour un concert d’orgasmes, un monsieur se risque à quelques acrobaties dirigées au-dessus de la performeuse allongée en position plutôt disponible, mais les autres participations à cette construction de groupe élaborée, à la manière de Sade, resteront virtuelles, organisées dans le récit. De facto personne ne se dénude mais la chorégraphe nous invite à nous imager ainsi, ou à fermer les yeux et devenir statues érotiques. Les 69 positions ne sont que des propositions. Les frontières intérieures sont ébranlées, lorsque c’est avant tout le corps de la performeuse qui s'offre en terrain de réflexions, d’interrogations et d’expériences. Mette Invargsten revisite ainsi en corps et vidéo dix ans de ses propres créations, de 50/50 à To Come en passant par Manual Focus, rapproche en direct gestes et intentions. La cohérence se dessine. La relation s’établit aussi entre les générations d'artistes. Le lien se fait entre les créatrices des années 60 qu’elle évoque, qu’elle invoque- ces créatrices pour lesquelles la nudité prenait une valeur politique et protestataire- et des artistes contemporaines comme elle même, intéressés par les questions de genre et par de nouvelles formes d’hédonisme. La chorégraphe affirme sa filiation avec les pionnières, actualise en direct des extraits de leurs performances. La superbe danse qu’elle crée en conclusion fait écho dans sa frénésie au rituel libérateur de Dionysus in 69 de Richard Schechner qu’elle nous a invité à réinterpréter avec elle un moment auparavant.

    Là où Annie Juren & Annie Dorsen (Magical) théâtralisaient les mêmes références (Carolee Schneemann, Anna Halprin…) à la manière d’un spectacle de magie, posaient un répertoire, la proposition de ce soir est tout aussi passionnante, se vit comme une expérience étonnante.

    69 positions de Mette Ingvartsen vu le 18 décembre 2014 au Centre Georges Pompidou.

    Guy

  • La mémoire du corps

    La danse est placée en évidence au centre de cette proposition autobiographique, la surprise est qu’il n’est pas besoin d’être danseur pour s’y intéresser.  Je vois à l’œuvre la mémoire du corps, non seulement de son apprentissage technique avec cette fameuse cinquième position, mais avant tout dans ses émotions, dans toutes ses expériences, adultes et de l’enfance. Andréa Sitter fait le grand écart entre gestes et récit, et les lie mais laissées libres, les réconcilie.  L’hommage aux maitres est riche de matière, la danse chargée de densité, je craignais-à tort- qu’elle soit désincarnée. Toujours sous l’autodérision apparait la question d'une impossible pudeur, et de l’irréductible distance de l’étrangère en France. Elle me fait ressentir en retour la perplexité intimidée que m’inspire l’Allemagne depuis toujours. Je ne désespère pas, qui sait je tenterais bien Berlin quelques jours.


    Andrea Sitter - La Cinquième Position (extrait) par Theatre_de_Chaillot

    La cinquième position d’Andrea Sitter vu le 10 décembre au Théâtre national de Chaillot.

    Encore Jusqu’au 20 décembre

    Guy

  • Espace vital

    Beaucoup de monde sur si peu d’espace: il faudra surement tous tôt ou tard s’y habituer. José Vidal fait vivre 9 danseurs en 2 m2- y compris au début leurs vêtements, lourds et colorés. Ils n’en souffrent pas, bien au contraire: sourires au vent et gestes d’amour, caresses et bras tendus pour des appels généreux. C’est le collectif qui prime, corps offerts, corps effleurés, corps portés, exprimé en des milliers d’interactions, asservies aux boucles rythmiques lentes ou emportées des 9 parties de la pièce. Les images se sur-impressionnent sans répit- images de foules évidemment sentimentales, dans des discothèques, sur des bord de plage ,des terrains de sports… ou sur un radeau de la méduse mais en bien plus joyeux. Les vêtements volent, jusqu’à la félicité suivi du relâchement. Il n’y a à voir ici que jeunesse et amour, dans un esprit qui m’évoque les utopies des sixties. C'est forcement euphorisant. Qu’elles soient optimistes ou pessimiste, j’ai le sentiment d’assister de plus en plus souvent à des danses de l’épuisement.

    C’est Loop 3 de José Vidal vu au Centre National de la Danse le 5 décembre.

    Guy

  • Ils parlent

    "Voulez vous vous assoir coté batterie ou coté piano?" nous proposent-ils au Sunset, club de jazz des Halles. Peu importe: c'est la voix qu'on écoute, d'abord, surtout, ce sont les voix qu'on écoute vraiment, les vraies voix mais même celles des instruments. C'est du pareil au même, depuis qu'un jour Louis Amstrong scatta pour imiter le son de son cornet, à moins qu'il n'ait voulu imiter le son de sa voix à la trompette. Ronald Baker, le leader, chante en ballade, délicat, avec un léger vibrato, son jeu à la trompette en est le prolongement, de cris en murmures. On entend des chants d'amour, des histoires soufflées, délicatement pianotées, vibrées dans les graves et caressées sur les peaux et cymbales. On entend les échos de fantômes bienveillants: Nat King Cole, à qui la soirée est consacrée, Eddie Jefferson... Bien vivante, et bien plus, Michele Hendricks- (que j'avais entendue il y a déja un bon moment)- vient dialoguer avec Baker, joue et parle avec lui une scène de ménage qui part du blues en scat. Sa voix râpe façon sax. Tout s'accélère, on est porté, on est soufflé. Le saxophone vient entremêler avec eux ses phrasés legato, la fusion avec les voix est parfaite, la boucle est bouclée.

    C'était le Ronald Baker Quintet Tribute to Nat King Cole, avec Michele Hendricks en invitée, au Sunside

    On entendra la voix franco-americaine de Michele, ses paroles, dans le prochain livre d'Isabelle (Viéville- Degeorges), mais c'est une autre histoire...

    Guy

     

     

  • Dieu dans tout ça

    Une nouvelle contribution de François:

    Un gorille seul assis par terre sur la scène faite d’un plan très incliné percé de trois trappes. Le gorille est vert fluo ; c’est un homme revêtu d’un déguisement de gorille, masque compris. Un métronome posé sur le sol bat une mesure très lente. L’espace est également rempli d’une nappe sonore, indéterminée, plutôt synthétique, quelque chose qui évoque la bande-son d’un film de science-fiction. Quelques accidents scéniques viennent parfois hacher le cours de ce temps lent et plat : une modeste flamme surgit d’une des trappes et s’éteint lentement, une fumée colorée s’élève d’une autre trappe en explosant et se dissipe sans hâte dans l’univers (une fois verte, une fois rousse,…),  des briques de carton remplies de talc tombent du ciel à intervalles réguliers en créant à chaque fois un petit nuage de poudre blanche ; une plante verte elle aussi tombée du ciel s’écrase sur la scène en faisant gicler de petits éclats de terreau.

    Au bout de quelques minutes, un évènement majeur se produit. Une enseigne lumineuse, elle aussi descendue du ciel, se fige sur le fond de la scène avec ses quatre lettres de néon se détachant distinctement du fond sombre : D I E U.

    Un peu plus tard ou peut-être un peu avant cette manifestation divine, le gorille se met à bouger, il se déshabille très lentement et devient un hommel âgé aux cheveux gris ; à l’aide de ruban adhésif l’homme colle sur son corps un micro et un ampli portable ; à l’aide de deux feuilles de papier et d’une paire de ciseaux il confectionne en tremblant une couronne qu’il pose sur sa tête. Une fois la tunique de gorille complètement enlevée, l’homme nu plie méticuleusement le déguisement et le laisse tomber dans la trappe la plus proche.

    L’homme nu et couronné se déplace à pas comptés sur le plan incliné. Il se dirige vers les tas de talc et s’en asperge tout le corps. Il se met à parler : il raconte un très vieux souvenir d’enfance, lorsqu’il se retrouvait avec son père dans l’ambiance humide de la salle de bain familiale. Il conclut son récit par une phrase mettant en doute l’existence du temps et de l’espace. Il sort du plan incliné et se retrouve sur le devant de la scène ; le rideau s’abaisse derrière l’homme nu et couronné. Il se dirige à pas très lents vers la sortie de secours et disparaît.

     Une escapade parmi d’autres

    Thomas Ferrand a repris quelques éléments scéniques d’ «une excellente pièce de danse », son spectacle précédent (la couronne, le talc, la flamme…). Il introduit une gravité supplémentaire dans l’écoulement du temps qui, notamment grâce au métronome, devient physiquement perceptible par nos sens. Et il réduit encore le spectre de l’action jouée par l’acteur. Celle-ci, minimaliste, tient en quelques gestes. Elle prend forme par l’intermédiaire d’un roi nu. Le roi nu évoque la fameuse phrase du conte d’Andersen prononcée par un enfant, seul à dire ce que chacun voit tout en faisant semblant de voir autre chose, parce que la pesanteur sociale étouffe la manifestation de la vérité.

    Thomas Ferrand vɔɪədʒəʳ  novembre 2014.jpg

     

    Dieu est omniprésent dans cette pièce, même si ce n’est que sous la forme d’un affichage promotionnel fait en tubes de néon ou peut-être surtout parce qu’il n’est plus qu’une enseigne lumineuse, un slogan. L’homme-gorille assis au pied du néon Dieu, à ne (presque) rien faire, fait penser aux deux personnages de la pièce de Beckett ‘en attendant Godot’. Beckett a certes nié avoir caché Dieu derrière l’identité de son personnage invisible God(ot). Mais la pièce de Thomas Ferrand s’inscrit dans la veine qu’a ouverte Beckett : montrer une existence humaine sur une scène déserte, une solitude dans un monde où rien ne se passe si ce n’est  périodiquement quelques ravages , une attente de sens qui ne vient pas. Dans cette vie là, Dieu ne se manifeste pas plus que des tubes de néon et il n’est pas d’un grand secours pour notre roi nu qui après ses ablutions rituelles au talc décide finalement de s’échapper par la porte de secours.

    Le titre vɔɪədʒəʳ III fait référence à une sonde envoyée dans l’espace par la NASA en 1977. Elle suggère un au-delà ou même un univers fictionnel où tout serait illusion. Mais finalement tout dans cette pièce ramène à la condition humaine ici et maintenant.

    C’était vɔɪədʒəʳ III de Thomas Ferrand, les 13 et 14 novembre 2014 au Théâtre d’Orléans – scène nationale, à l’occasion du mini festival  ‘Des Floraisons‘

    François

    photo de Marion Poussier avec l'aimable autorisation de la compagnie