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Dieu

  • J'ai entendu Dieu (à la maison)

    La musique nous surprend de tous cotés, de devant, de derrière, à gauche, à droite, au dessus, au dessous. Nulle part et partout à la fois, à l'image de Dieu dont il est ce soir question. Présente et invisible, son origine est cachée. Elle nous entoure, cette musique libérée des instruments, eux qui sont exposés en pièces sur tous les murs de toutes les pièces de cette maison, de la cave au plafond: un incroyable bric à brac electro-acoustique de bobines, de bandes, de mémoires, de circuits imprimés, de boites, de ressorts, de claviers, de cordes, de manches, d'enceintes, de peaux, de bois, de caisses de résonances, de pupitre, de potentiomètres, de fils, de curseurs, de touches, de disques, de cds. Tous ces objets mis en pièces, joyeusement disséqués, leurs secrets explorés, leurs sons mis à nus, ré-agencés en souvenirs et trophées.

    Ici vit Pierre Henry, c'est sa maison et son lieu de création, dans une petite rue de Paris. Nous y sommes accueillis, sagement assis par petits groupes dans chacune des pièces. Le créateur est invisible, l'homme recherche Dieu, les mots sont de Hugo, la voix est celle du comédien Jean Paul Farré qui vient nous rendre visite pour l'un des chapitres, avant de poursuivre sa quête dans d'autres pièces de cette maison de sons. Le poème métaphysique de Victor Hugo s'amplifie de minutes en minutes avec emportement, voire emphase, même grandiloquence. Mais la musique de Pierre Henry qui l'accompagne est aussi simple à entendre que sa construction est élaborée: elle évoque humblement les sons de la vie, imagine ceux de l'au-delà, et le souffle de l'âme entre les deux. Au terme du voyage, la maison explorée, Dieu reste absent. Pierre Henry se laisse apercevoir au cœur de la maison, installé au milieu de ses machines dans son salon, barbe de patriarche, modeste et bienveillant.

    C'était Dieu à la maison, de Pierre Henry sur des textes de Victor Hugo, avec Jean Paul Farré. Chez Pierre Henry, avec le festival Paris Quartier d'Eté

    Guy

    A lire: Pierre Henry au T.C.I.

    Pas de photos, la politique du festival étant de laisser les demandes sans réponses, mais on peut voir la galerie d'Agathe Poupeney

  • Alain Platel: Pitié (pas de jeu de mots avec le titre)

    Dieu est mort. Il chante encore. Avec la voix cristalline d'un jeune congolais contre ténor. Sur le T-shirt de ce dernier reluit un Christ kitch et irrémédiablement iconique. Déserté. Dieu est mort, reste l'humanité esseulée. Sur le plateau pas de mariages: un enterrement. Un groupe en noir de deuil. A coté- indifférents - une addition d'individus hagards et en couleurs. Tous seuls donc, désemparés, des corps fragiles qui chassent la gêne de gestes oppressés, se cherchent à deux en frottements laborieux, en coïts hasardeux. Dieu est toujours mort. Même la musique s'est arrêtée. Pour un moment audacieux, prometteur, de chants a capella. Enfin ensemble. Mais avant de nouvelles dispersions. Des démonstrations névrotiques et acrobatiques. Les danseurs se portent les uns les autres comme on porte des blessés. Leur chair est fragile, des peaux à plisser et meurtrir. Les corps émouvants. Vulnérables dans le vaguement ridicule de sous-vêtements, plutôt que dans le superbe de la nudité. Seuls, mais soudain unis en un moment ensemble arraché à la pesanteur, portés très haut par la musique avant qu'encore se disperser. Le passage est époustouflant. C’est tout et c'est peu. Car ce moment retombe, laisse la place à des duos saccadés, des soli convulsifs, comme si la réunion n’avait pas eu lieu. Tout est dit, à peine une demi-heure est passée. C'est dans ces alternances de solitudes et de communions qu’aurait pu monter la pièce en tension. C'est justement dans ces allers - retours que la pièce échoue. C’est là où elle se répète en procédés à perdre le sens, et répète V.S.P.R.S. . Le pari était courageux de concilier le sublime et le vulgaire, le profane et le sacré. Le pari est perdu, et l’on ne sait même plus si la compassion était le vrai sujet.

    Dieu est mort, quoi après ? On espère la naissance d’un humanisme, on ne voit qu’hystéries, épilepsies, pathologies. Une humanité à prendre ou à laisser? L'empathie se refroidit. L'homme, seul, a du mal à danser. Il s’agite. Jette des pierres sans se soulager de son fardeau. Par un confessionnal- parloir on entend les dernières confidences au micro des condamnés à mort. L’amour y est un aveu difficile. Mais on reste de l’autre coté de la vitre. On assiste à des rites détournés, on voit des tableaux vivants de la renaissance. Expédiés. Une passion christique, le linceul vite emballé, comme une formalité. Pour dire quoi? Juste pour faire une belle affiche? En haut pendent en dépouilles des peaux de bêtes, en bas les danseurs sont embarrassés de leurs vêtements bariolés, ils les enlèvent, les remettent. Ils cherchent la lumière et ne grattent que des allumettes. A intervalles réguliers, le sublime se réfugie en suspend dans la musique, l’orchestre de huit musiciens d’en haut domine et entretient lyriquement la flamme de la spiritualité: autour de la musique de Bach d’obsessionnels obstinati, véhicules de vaines transes pour ceux d’en bas.

    L'enterrement a duré deux heures, ce qui est long. Une dernière étreinte et chacun rentre chez soi. La compassion a eu son moment, rien n’a servi à rien. Dieu est mort, la danse balbutie, reste la bande son.

    C'était Pitié, d'Alain Platel (Concept et mise en scène) et Fabrizio Cassol (musique originale, d'aprés la passion selon Saint Matthieu de J.S. Bach) au Théatre de la Ville.

    C'était fini le 29 octobre.

    Guy

    Lire d'autres expressions de deceptions: Images de Danse et Native Dancer, et tout pour la musique, sur Bien Culturel.

    P.S. : "L'homme y est réinterprété comme corps incarné, faible, en échec. Cette religion insiste sur l'ordinaire et l'accessible, elle est hantée par la dérision, la mort et le deuil. Après une modernité désincarnée proposant ses icônes majestueuses, on en revient à une image incarnée, une image d'après la chute." texte de 4° de couv' de L'art contemporain est-il chrétien , Catherine Grenier, Éditions Jacqueline Chambon. 

  • Tartuffe, acte 1

    Dans quelques mois, l'Eglise de Scientologie  sera convoquée en tant que personne morale devant le tribunal correctionnel de Paris pour répondre de l'accusation d'escroquerie en bande organisée. Tartuffe, quant à lui, court toujours. Pas toujours évident de reconnaitre l'escroc: il y a depuis Molière, des tartuffes gros et des tartuffes maigres. Jerome Keen, saississant dans le rôle titre, appartient sans doute possible à la seconde famille: plus effrayant que comique, sombre, emancié, sévère, le crâne rasé, de même que la mise en scène colle ici au Molière TNO.jpgtexte d'une manière on ne peut plus efficace, intense et austère. Avec, comme les bons soirs au T.N.O, proximité entre le public et les comédiens, absence de décor, sobriété intemporelle de costumes tendance avant guerre. Pas si facile non plus de juger l'arbre à ses fruits: l'aveuglement d'Orgon, la victime, reste le principal ressort comique et dramatique de la pièce. Porté à l'extrème quant il faut que sa femme Elmire manque de se faire violer sous ses yeux par Tartuffe, afin qu'enfin ceux ci ne se dessillent. Comme quoi les femmes y voient clair bien avant les hommes, n'en déplaise à MMe Laure Adler qui expliquait il y a trois jours sur Arte que chez Molière les personnages féminins étaient ridicules ou insignifiants. Mais l'auteur ne dit rien ou presque des raisons de la folie d'Orgon, de la soif spirituelle dont il doit forcement souffrir au point de se livrer corps et âme à l'imposteur, lui offrir cet amour indécent et sa fille en prime. Sauf à admettre que richesses et plaisirs terrestres déaltèrent si peu qu'il faille les sacrifier aux faux prophêtes. Malgré les efforts de la justice, Tartuffe a de beaux jours devant lui.

    C'était Tartuffe ou l'imposteur, de Molière, m.e.s. par Edith Garraud, au Théatre du Nord Ouest, en alternance dans le cadre de l'intégrale Molière jusqu'au 8 mars 2008

    Guy

  • Archie Shepp et A.T. de Keersmaeker: 44 ans aprés J.C.

    La rencontre que suggère l'affiche n'aura pas lieu, au sens strict, entre le saxophoniste Archie Shepp et la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker. Il importe peu, ce sont d'autres fils qui tout au long de la soirée se tissent, plus subtilement, entre les gestes et les musiques, les époques, les cultures, les continents.

    C'est un vieil homme noir et élégant, borsalino et soprano, qui n'a plus rien à prouver, et tout à explorer encore. A ses cotés deux musiciens indiens rompent l'immobilité à sons de clochettes. Archie Shepp regarde un temps, écoute. Puis le souffle nait avant la note. C'est un gage d'humanité avant que la beauté ne devienne abstraite. Un son clair et brillant. Aérien. D'un lyrisme tranquille. Sans effets. Détaché de tous les genres. Le danseur Salva Sanchis cherche des yeux la musique. Sa danse se developpe, droite, pivote. Humble sous le regard du saxophoniste, attentif. Qui quant à lui va à l'essentiel, phrase des séquences courtes et repétées, s'élance vers l'épure, tend vers une transe apaisée. Pas loin du rève offert par Coltrane dans A Love Supreme. L'Inde et le Continent Afro-américain se rapprochent. Nous sommes entrainés dans ce mouvement, d'où que l'on vienne. Le muicien indien chante, authentique, mais avec l'énergie et les intonations d'un blues shouter. Ses doigts arrachent des cordes d'un instrument traditionnel des riffs de guitare funky. Le dialogue continue dans des langages inédits, Archie Shepp, attentif au danseur comme aux instrumentistes, sait s'interrompre, reprendre, répondre, essayer, prendre tous les risques. Salva Sanchis, félin (dit ma voisine), ouvre les bras pour offrir aussi, et gagne sa liberté, bondit.

    Aprés se présente Anne Teresa de Keersmaeker. Seule. Qui dicte d'abord les gestes d'une grammaire austère, d'un bras tendu, d'une jambe pliée. La musique l'environne, indienne et inconnue, le rythme incertain à nos oreilles. La chorégraphe fait le choix heureux de ne pas danser le rythme, danse l'harmonie plutôt. Semble sans cesse balancer entre abandon et retenue, toujours au bord de l'ivresse, sans jamais s'y livrer. Blanche immaculée, ose un sourire, juste esquissé. La danse part des bras, tourne et semble vouloir se saisir de volutes de fumées ou d'instants de bonheur. Reste aussi sobre, mesurée, que Salva Sanchis. Entre Archie Shepp et John Coltrane, mais sans jamais les citer, A.T. de K. fait le trait d'union.

    Love%20Supreme%20(c)%20Herman%20Sorgeloos.jpg

    Quatre, ensuite. Les 4 lettres du mot LOVE. Les 4 instrumentistes d'un quatuor (de Jazz encore ?). Les 4 danseurs sur la scène. Les 4 mouvements du disque enregistré... fin 1964. A love Supreme: L'oeuvre de Coltrane est si célébrée que le seul fait de l'adapter constitue une gageure, pour le moins indimiante. La réponse d'A.T de K. et de Salva Sachis à cette presque impossibilité se déploie en toute simplicité, pourtant. Sur un mode spirituel forcement, mais enjoué, ce qui est moins evident.

    Acknowledgement:  au comencement l'appel à la prière lancé par le saxophone, puis s'installe l'obstinato de 4 notes à la contrebasse. C'est un mantra qu'aprés son solo Coltrane reprend sur son instrument à différentes hauteurs de ton. Jusqu'à ce qu'il soit temps qu'il y renonce, pour juste chantonner les 4 syllabes de sa voix nue. La danse ne copie pas, exprime plutôt ce cheminement vers la simplicité. Les exposés et reprises des thèmes sont dansés en ensembles, de même que les musiciens sont à l'unisson. Le reste est libéré, on devine une grand part d'improvisation dans cette transposition du moment de l'histoire où le jazz change de nature. Avant que le saxophoniste ne s'aventure vers d'autres territoires, où il sera moins suivi. Pour l'Ascension de Coltrane qui viendra ensuite, où l'accompagnera Archie Shepp, il y aura moins de disciples à ses cotés. Dans l'adaptation de A Love Supreme, d'une forme artistique à l'autre, A.T. de K. échappe au risque de trop de gravité. L'enjeu ne se pose pas en terme de modernisme ou de classicisme de la danse, mais dans ses relations à sa source d'inspiration. Déja les danseurs sont délivrés de la mesure: 3 ou 4 rythmes se superposent dans le drumming d'Elvin Jones, pour ouvrir bien des possibles. Resolution: il y dans les mouvements, même exacerbés, beaucoup de joie et de la légereté. Les corps courent et se rencontrent, se portent dans des élans de sensualité. Dans cette sincérité, plaisir et spiritualité se rejoignent sans se contredire. Des souvenirs reviennent des deux performances précedentes, à nos oreilles l'Inde est présente, comme souvent chez Coltrane. Mais entremélée avec d'autres influences, dans un syncrétisme musical et religieux. Pursuance  s'ouvre sur un chorus de batterie. Un grand jeune homme offre un solo spectaculaire et eclaboussé de sueur, à la mesure de la performance physique que la musique suggère. Là comme lors d'autres échappées instrumentales, les individualités des danseurs reprennent leurs droits. Parenthèses individuelles, émouvantes et nécéssaires. Avec autant d'énergie que de tension. Psalm:  dernière prière crépusculaire et funêbre. Rassemblement sur un tempo lent. C'est le temps du don et du renoncement, de la Passion. Une danseuse s'effondre, les autres la soutiennent. Quatre font un. Sur le mur les ombres s'allongent. La suite fait écho dans les âmes, pour ceux pour qui tout s'est arreté le 17 juillet 1967, pour les plus fervents à la Saint John Coltrane Church de San Francisco.

    Epilogue: Archie Shepp revient saluer avec A.T. de K. et les danseurs. Pour retisser avec eux les fils du temps, lui qui en 1964 participa, même si le vinyle n'en conserva pas le témoignage, aux sessions d'enregistrement de A love Supreme.

    Guy

    C'étaient les improvisations de Salva Sanchis et Archie Shepp, accompagnés par Mimlu Sen et Paban das Baul. Raag Khamaj dansé par Anna Teresa De Keermaeker  et co-chorégraphié par Salva SanchisA Love Supreme, chorégraphié par Anna Teresa De Keermaeker et Salva Sanchis, avec Salva Sanchis, Cynthia Loemij, Moya Michael, Igor Shyshko, sur la musique originale de John Coltrane,  interprétée par John Coltrane (Saxophone ténor), Elvin Jones(Drums), Mac Coy Tyner (Piano), Jimmy Garrison(Bass). 

    A la Grande Halle de la Villette, avec Jazz à la Villette.

    photo par Hermann Sorgelos avec l'aimable autorisation de la Cité de la Musique

    A lire: Native Dancer

  • Mavis Staples est toujours en marche

    Sur la route depuis maintenant cinquante-trois ans, Mavis Staples nous chante ce soir d'abord d'où elle vient, d'en bas du Mississippi, là où elle est 1341003758.jpgnée. Là où sa grand mère un jour lui apprit qu'il ne fallait pas boire de l'eau de la fontaine devant elle, mais d'une autre fontaine plus loin, où un écriteau disait: "Pour gens de couleurs seulement". Jusqu'au jour où vint un homme du nom de Martin Luther King, pour arracher tous les écriteaux du Mississippi. Le pasteur King, chaque fois qu'il venait écouter les Staples Singers, reclamait sa chanson préférée, composée par "Pops" Staples (1915-2000), le chef de  famille. Un hommage à l'obstination des écoliers noirs qui prétendaient accéder à la même école que les blancs, une chanson demandant pourquoi ils étaient si mal traités. Depuis beaucoup a changé, et trop peu. Mavis Staples se réjouit que cette année, un métis puisse être président des U.S.A.. Elle continue sur cette route parfois dangereuse, depuis une étape historique à Washington D.C. Y faisant années aprés années beaucoup de rencontres: Bob Dylan- et le gospel noir s'est alors teinté de folk protestataire blanc au grand effroi des puristes-, Prince, Aaron Neville, les Blind Boys... 

     

    Le corps s'est chargé d'épreuves et la voix s'est éraillée en chemin, profonde et rocailleuse, mais continue à porter fort 853568177.jpgles convictions d'une révolution pacifique, ce soir jusqu'à Clichy-sous-Bois. Debout, pour raconter encore, fraternellement, aller à la rencontre, faire partager et faire reprendre son chant par noirs et blancs rassemblés. Ferme et digne, enjouée, préchant la liberté. Dieu à ses cotés sans l'ombre d'un doute, comme remède à la lassitude, alors personne ne la fera reculer. Et on se fiche que la dame aie perdu un octave depuis les années soixante, que l'orchestre des trois gars efflanqués aux faux-airs de mauvais garçons, avec les trois choristes, bucheronne un blues un peu basique. Mavis Staples est vraie, en marche, et elle est là. On a pu, et nos fils aussi, serrer la main de celle qui avait serré la main de Martin Luther King.

    C'était Mavis Staple,  à l'Espace 93-Victor Hugo de Clichy sous bois, avec le festival Banlieues Bleues

    Guy 

    ...et des extraits des textes de Down in Missippi, We Shall not be moved et d'autres, sur le dernier album de Mavis Stapples "We'll never turn back" (2007), produit par Ry Cooder

    playlist: For what it's worth, Mississippi river, I'll take you there, the weight, respect yourself, we shall not be moved, Why i'm treated so bad...

  • Angelin Preljocaj: mythes et légendes

    A promettre une danse narrative, et au sujet bien défini, ne risque de décevoir des attentes trop précises? Surtout avec un thème aussi intimidant 177395499.jpgque l'Annonciation. Moment fondateur du Nouveau Testament, à la source de la nativité et de la rédemption. Fra Angelico, Filippo Lippi, Leonard de Vinci et des centaines d'autres maîtres en ont offert des représentation picturales aux richesses qui ne se laissent pas épuiser. Mais qui figent l'évènement dans le cadre de certaines conventions. Comment représenter ce thème par le mouvement? C'est bien tout le défi. Ici les fondamentaux sont respectés: les deux protagonistes- Marie et l'Ange Gabriel- sont présents, un rayon de lumière frappe Marie à la manière dont est traditionnellement représentée la parole divine sur les tableaux de la renaissance. La présence coporelle, puissante, permet la naissance de moments intenses et fulgurants. Qui vont au delà de ce qui est montré, traditionnellement. Quand il y a baiser, quand il y a enlacement, quand l'imposition des mains de l'Ange d'un coup pétrifie Marie. C'est juste parfois affadi par les effets exaspérants d'une musique tapageuse. Et d'autres passages déconcertent celui qui y recherche un sens trop précis: pourquoi les deux personnages dansent ils à l'unisson, comment est- il possible de suggérer une égalité de rôles, une symétrie entre eux? Ces perplexités empêchent d'apprécier selon ses mérites cette danse fluide, comme en apesanteur, sans grandiloquence, peut-être aurait-on préféré voir la proposition sans en connaître le titre. Et quitte à voir des annonciations retourner à Florence, aux Offices ou au couvent Saint Marco.

    En amont de la tradition chrétienne, est ensuite proposé un point de départ mythologique: les Centaures. Le thème est plus large. Plus libre? 731313247.jpgLa problématique spirituelle ne peut être spirituelle encore, on est tenté de voir ici l'émergence ambiguë d'êtres mi-homme, mi bêtes. Mais l'accent est plus mis sur les rapports entre les créatures que sur leurs combats intérieurs. Ce duo masculin, poitrines et cranes nus, évolue tout en muscles et virilité. Les contacts se transforment tout autant en étreintes qu'en chocs, les bras et jambes s'entremêlent pour redonner naissance à un seul être primitif et fusionnel, les affrontements eux-mêmes se résolvent pour laisser place à des moments d'oubli animal. Ces phases toujours soutenues par un subtil tempo, sous jacent. Le travail des jambes est admirable, ce qui est bienvenu s'agissant de centaures. Le tout aboutit à un résultat d'un beau classicisme, dont on a du mal à départager s'il est sage ou innovant.

    Avec Eldorado, on se retrouve transporté dans un dispositif à la Stonehedge. 12 monolithes, chaque danseur au départ immobile devant son bloc, qui laissera derrière lui sa silhouette lumineuse inscrite sur la pierre. Sont-ils les voyageurs d'un vaisseau 1160682842.jpgspatial antique venus peupler une planète? La musique de Stockhausen est elle même d'un futurisme un peu daté. On lit sur le programme que le compositeur a proposé sa musique à Preljocaj, qui avoue avoir hésité devant la difficulté. Doit on comprendre qu'il n'a pas osé refuser? Mais abstraction faite des périls esthétique, la partition propose de beaux défis rythmiques au chorégraphe, qui s'était aussi attaqué au Sacre du Printemps. Sur ce plan, c'est un beau sans-475066573.jpgfautes. Les danseurs enchaînent duos, trios, ensembles, avec rigueur et géométrie, on imagine que rien ne peut les arrêter dans ce crescendo, on s'attend presque à une orgie finale. C'est que le risque de trop de cunnighamisme inhérent à une construction trop formelle est tempéré par une salutaire sensualité, discrète mais qu'on ne peut nier. Le sexe est toujours là, invisible mais présent. Suggéré, comme dans les deux pièces précédentes. Tant mieux.

    C'étaient, d'Angelin Preljocaj, Annociation (1995) ♥♥♥, Centaures (1992-1998) ♥♥♥♥♥, et Eldorado (Sonntags-Abschied) ♥♥♥ sur une création musicale de Karlheinz Stockhausen, avec 12 danseurs, au Théatre de la Ville.

    jusqu'au 8 mars

    Guy

    P.S.: sur Scenes 2.0. les points de vue du Tadorne, de Danse à Montpellier et de Clochettes

    Re P.S. : voir le reportage photo, sur Photodanse

  • Pietragalla: encore un effort pour être revolutionnaire!

    Avec Sade, il y a un vrai sujet. Pour s'aventurer dans les dédales pré- psychanalytiques vers la liberté absolue, et vers bien d'autres gouffres. Mais il y a de vrais e78fdb22ea05ec815b42ab9691f8e5c4.jpgrisques aussi. D'en faire trop, ou trop peu. D'en arriver, confronté à l'impossibilité de montrer l'insoutenable, à manier des substitus trop convenus. Marie-Claude Pietragalla doit être consciente de ces difficultés, qui fait une entrée forte, entravée d'un voile-linceul sur lequel sont inscrit les écrits du marquis.

    Las! Sade, pour commencer, est enfermé chez les fous: ce n'est pas faux, historiquement, mais doit-on pour autant cantonner Sade dans le registre de la folie?. Et ces fous, forcement, sont des gars en haillons, qui grognent et se grattent l'oreille, courent et copulent contre le mur. Ni transposition ni re-création, on reste enfermé dans la représentation, littérale sans pouvoir l'être vraiment non plus. Résultat: le propos en ressort affadi, et la chair cliché, un peu buto-bateau de trop de fond de teint blanc. Suivent d'autres poncifs d'ancien régime, dans le style club privé S.M. haut de gamme. La bande-son appuie sur le clou, à coups de massue et de décibels. Est il nécessaire d'être très explicite pour produire en danse un spectacle populaire?

    Heureusement, Pietragalla est une danseuse (c'est une litote, par exellence!). Il suffit qu'elle commence à danser pour qu'on oublie cage, fouets, chaînes et tout l'attirail. Et qu'elle nous parle de Sade d'une manière plus convaincante. Grace à un langage éperdu, rude, ample, s'égarant généreusement dans le vertige et la jouissance, à en ébranler les murs de l'asile. Autour d'elle, de même. Quand ils oublient de mimer la folie, les danseurs la traduisent en mouvements, font des duos des combats, font des moments d'ensemble des batailles ou des orgies sans pitié. Tout alors tombe juste dans la démesure. La question de juger si cela est ou non de la "belle" danse est tout à fait dépassée, ce qui change agréablement du contemporain pur et dur. Et la mise en scène finit par toucher au vif quant elle délaisse les lieux communs pour oser s'aventurer aux limites avant l'in-montrable. Empêchée alors justement de montrer elle suggère enfin, dans quelques tableaux qui se jouent et se blessent aux frontières des tabous. Pour rappeler, après un meurtre fondateur, aprés une cruxifiction nue et sans rédemption, que l'exercice de la liberté , de la jouissance sans freins, ne se résout que par le sacrifice des faibles, des innocents. Tout finit dans le sang, la révolution.

     

     

    C'était Sade-Le théatre des fous, ♥♥♥ de Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault, avec Aurore di Bianco, Julien Derouault, Nam Kiung Kim, Sébastien Perrault, Marie-Claude Pietragalla, François Przybylski, Yoham Tete et Claire Tran, musique de Laurent Garnier, avec la voix d' Alain Delon, à l'Espace Pierre Cardin. Et Alain Delon en vrai pour la générale de presse ( mais sans toge, ni lauriers)

    Jusqu'au 10 février (mais sans Alain Delon).

    Guy 

    P.S. : quelques paroles ici et quelques images chez Laurent Pallier et la video-promo

  • Alain platel - se souvenir de V.S.P.R.S.

    Parfois il faudrait avoir le courage de s'indeterminer, radicalement. C'est à dire de rester dans l'indétermination. Tout le problème est qu'il suffit de succomber au passage à l'écrit pour que les choses tendent à se figer. Dans l'instant. Autoritairement. Se stratifier en émotions. Même si l'on veut être nuancé, les choses se figent dans cette nuance même. Même punition même si on reste ambigu. On a vu la pièce d'Alain Platel il y a plus qu'un bon moment, restée jusqu'ici dans les limbes du non jugement. Suspendue dans l'état flou qui succède à la sortie de salle. Sans avoir été obligé d'en parler jusqu'à maintenant. De cette pièce que l'on a aimée et que l'on a pas aimée. Une pièce qui nous a irrité et épuisé par sa richesse même. Par ses trouvailles et ses facilités. Une pièce surthématisée. Qui nous a laissé saturé d'images et de sons, autant de nourritures pour des sensations contradictoires. les sensations s'éffacent alors que s'enfuit le temps, mais les écrits restent, même mis à distance:

    Tels que: Dans cet iceberg de tissus blancs, à la droite du spectateur la musique, Monteverdi, un groupe de musique baroque et tzigane, une chanteuse magnifique, une voix qui s'élève directement jusqu'aux cieux, soulève le coeur, et le porte également dans ce mouvement vertical, en partant du bas ventreAjoutez à ce bouillon créatif, une chorégraphie s’inspirant des films du neurologue Arthur Van Gehuchten sur l’hystérie et ceux de Jean Rouche sur les transes africaines, et vous avez une œuvre magistrale, transdisciplinaire, euphorisante. Elle atteint votre inconscient, comme un rêve éveillé. Sous nos yeux, un groupe de femmes et d’hommes « en transe » se forme, se sculpte. Comme dans la cour d’un hôpital psychiatrique, ils se parlent, se relient avec leur corps qu’ils plient, contorsionnent. ces êtres fragiles sans doute, traversés de convulsions et de tremblotements, et que nous jugeons déshérités, sont habités des mêmes passions que nous. Quand un membre bouge, change de place, de rôle, l’ensemble se modifie. La solidarité fait le groupe, le cimente. À mesure que le processus de création du groupe se joue, les danseurs se transforment. Ils rient, ils pleurent, ils dansent, trépignent, connaissent la joie et la fraternité ; ils sont aussi chargés de tous les trésors que nous avons abandonnés, savent des passages secrets entre réel et rêve, enfance et sagesse que nous croyons avoir murés. Usage et raison mêlés n'ont jamais fait de nous que des moitiés d'hommes...

     Une fois de plus, les Ballets C. de la B. touchent par leur justesse, la lisibilité du propos et la qualité de l'interprétation. Pourtant j'ai été déçu(e), je crois que Platel n'a pas été à la hauteur de son propos. on a un discours qui se veut drôle sur le caca, qui applatit plus qu'il ne se fait signifiant. Le choix du travail sur l'hystérie a le danger des évidences : c'est certes un état de corps qui permet d'explorer l'excès et les limites du corps mais attention au sens, il s'agit d'une névrose de symptômes organiques qui traduisent en réalité des troubles neurologiques, psychologiques ; c'est une pathologie de la simulation en quelque sorte. L'hystérie n'est pas une étape vers un état de transe, ce n'est pas la même chose, il serait temps de le comprendre.. Il faut du temps pour dépasser le profane, tout ce bavardage n'était peut-être que rite, celui des chorégraphes contemporains qui essaient de trouver du sens, englués dans notre contemporanéité certes plutôt hystérique, pour atteindre, enfin, le moment de grâce. Heureusement il y a cette scène finale, sur le magnificat où la transe se fait chair et orgasme, passage du profane au sacré. D'accord à 100 %, mais sans trop s'engager.

    C'etait V.S.P.R.S.   ♥♥♥♥♥  ,  d'Alain Platel et les ballets C. de la B., au Théatre de la Ville.

    Guy ...avec surtout la participation non autorisée de Clochettes, d'Images de danse, et du Tadorne

  • Blind Boys of Alabama: Jesus hits like an atom bomb

    Il suffit d’écouter les enregistrements que les Blind Boys of Alabama  ont gravés dans les années (mille neuf cent) 7341a75a873819274c168ec3c3ab9af0.jpgquarante et cinquante pour qu’il n’y ait plus de place pour le doute: c’est dans le feu du gospel tel qu’alors le vivaient à haute voix ces garçons issus de l’Alabama Institute for the negro blind in Talladga, que James Brown, Ray Charles et leurs suiveurs sont venus chercher 90% de leur inspiration. Le Genius et le Godfather of Soul ont depuis peu cassé leur micro, mais les Blind Boys chantent toujours présent, et assez fort pour encore donner en 2007 des leçons d’âmes à de nouvelles générations.

    Les vieux garçons cheminent vers la scène, lunettes noires, chic désuet, costumes lavande et chemises vertes, en file indienne, le bras gauche posé sur l’épaule droite de celui de devant. L'équipage est guidé par les yeux du guitariste Caleb Butler. Avec  l'abandon que la foi permet. Depuis 2001, le temps s’est peu soucié de s’arrêter. Survivaient alors encore trois grand pères aveugles. Ils avaient attendu 60 ans de scène pour miraculeusement se faire connaître au delà des circuits spécialisés du negro spiritual, en tournant dans le monde entier avec Peter Gabriel. Qui les avait engagés sur son label world music . Ne reste ce soir d’origine garantie 1939 que Jimmy Carter (mais ce Jimmy là n’a jamais été président des U .S.A.). Exit le ténor Georges Scott, qui scandait « Jesus hits like an atom bomb » sur l’album éponyme, parti chanter avec les anges. Le leader Clarence Foutain est restéce458ceadb76bd486f751657a00f84be.jpg chez lui soigner son diabète. Tant pis. La présence du dernier des vétérans suffit pour garantir le frisson de l’authenticité. Un lien humain, palpable vers les origines, vers une foi solidement enracinée. Quand bien même: dès qu’« un soldat de l’armée du seigneur » tombe, aussitôt un autre se lève pour le remplacer: assis aux cotés de Jimmy Carter deux nouveaux mais qui n’ont rien de jeunes débutants: Bishop Billy Bowers surprenant colosse sphérique, et Ben Moore, solide et modeste dans le rôle râpeux du baryton. Tous deux sous leurs lunettes noires manifestement aussi aveugles et aussi rocailleux de la corde vocale que leurs prédécesseurs: mais où vont-ils les chercher?

    Les Blind Boys ne sont venus pas venu ce soir pour proposer un divertissement.  C’est tout le contraire. Ils sont venus ramener l’assemblée vers l’essentiel. Vers Dieu, évidemment. Avec amour et fermeté. Comme ils parleraient à des enfants. Leur arme est la musique, puisée dans le pot commun et bouillant du patrimoine afro-américain. Blues, Rythm & blues, gospel, jazz, funk, soul, c’est toujours la même énergie, portée par des voix différentes, mais avec les mêmes harmonies, que celles-ci résonnent dans un bar plutôt canaille ou à l’église baptiste.

    Premières chansons: les voix se chauffent sur un « Down The Riverside » encore raffiné, encore sans trop de surprises. Derrière les trois chanteurs solistes, trois plus jeunes musiciens et choristes, eux bien voyants mais avec juste des lunettes de soleil: les guitaristes 611e15d1c4dbd3e0449aebf9751b896f.jpgJoe Williams et Caleb Butler, et le bassiste Tracy Pierce. A la batterie Rickie Mac Kinnie, lui de la confrérie des cannes blanches. Dès les premières mesures, le dispositif musical se met en place, d’une simplicité biblique: une rythmique discrète et carrée, les voix rassemblées en harmonies viriles et tout en âpretés, l’ensemble au service des prêches énergiques des solistes. Pas de place pour des contre-chants trop policés à la Golden Gate Quartet, ou des surabondances de choeurs en robes façon église surpeuplée. Juste du robuste, du brut, de l'authentique, sur une trame blues qui s'impose avec l'évidence des vérités révélées. Premières notes tenues, aussitôt applaudies, encore avec mesure, premières mises sous tensions, premières prières intempestives, premiers déferlements d’exhortations soutenues à coups de cymbales en crescendo. Les arguments commencent à porter: au premier rang, on tape du pied. Des chorus robustes de guitare bleue électrique font jeu égal avec les couplets des solistes. Quelques pauses, Jimmy Carter économise ccfa4704d1903010ebbda49dc1d5a2f5.jpgencore sa voix de septuagénaire, laisse Rickie chanter un morceau en solo derrière sa batterie, puis les quatre instrumentistes oser un joli a capella façon barbershop quartet. Une petite fille noire somnole au premier rang. Le leader introduit les morceaux avec les plaisanteries un peu éculées, à un public respectueux mais réservé. Puis se rassoit impassible. Il semble presque chercher à gagner du temps, comme incertain, un peu fatigué.

    Le vieil homme a bien caché son jeu: au détour d’un standard, il se permet enfin la coquetterie d’un premier hurlement arraché à sa carcasse fluette. Une note détimbrée, mais maîtrisée et volontaire, qui tient, tient, et tient encore plus que de raison. A la juste limite du faux, à bonne distance du joli, tout prêt de la beauté. Il en sourit d’aise aussitôt après en tendant le micro vers le public incrédule, content de son tour. Et la salle estomaquée répond, un peu plus fort enfin. Soudain en un cri tout a été dit: l’âme est toujours bien accrochée au corps. Même si le corps est fragile, diminué, l’âme n’est rien sans le corps tant que celui ci reste vivant. C’est le corps et la voix que l’âme doit porter aux limites pour se laisser entrevoir. Le gospel ne serait rien sans ce spectaculaire quasi miraculeux qui met l'héroïsme en scène, fait presque oublier tout le métier derrière.

    Jimmy se décide à passer aux choses sérieuses: il pousse «The devil Way Down The Hole » de Tom Waits, comme un manifeste, avec autorité, seul au micro d’un bout à l’autre. Puis laisse ses compagnons enchaîner d’autres morceaux de bravoure, pour les rejoindre dans les choeurs. Billy Bowers soudain s’envole en scats cassants d’une voix flûtée, agite son quintal dans des soubresauts de midinette en transe, puis retombe d’un coup dans un état semi comateux sur sa chaise. Ben Moore proclame « I’m a soldier in the army of the lord »  ce qui en dit plus long que toutes les présentations. Dans l’assistance, nos voix profanes se risquent de plus en plus à répondre à ces injonctions, nos voix commencent tout juste à s’érailler. La grande salle de la Cité de la Musique apparaît déjà moins froide qu’on aurait pu le redouter. Le public semble être le même celui qui fréquente les salles de jazz, juste un peu noir, mais surtout blanc, averti mais bon enfant, prêt à retomber en enfance, en état d'innocence, prêt à se laisser entraîner. Dans ses rangs: Thélonius, lui encore 10 ans, synthétise comme toujours admirablement la situation: «Papa, j’avais déjà vu un concert de Gospel, 1f74a2991542081db73b19652e01eb5c.jpgmais là ce sont les vrais!», avant d’oser être le premier à s’éloigner un tout peu de son fauteuil pour danser. Laissez venir à moi les petits enfants. Même l’ado sort de sa réserve dédaigneuse, pour frapper dans ses mains: c’est le premier vrai miracle de la soirée. Les Blind Boys montent en puissance, sans ne laisser rien retomber de la ferveur ambiante. Certaines chansons viennent de très loin, voire d'avant le déluge, telle l’inusable «Amazing Grace » (plus archi-connu en France sous son dernier avatar: "Les Portes du Pénitencier…"). D’autres morceaux empruntent à l’intensité appuyée de la Soul: « People Get Ready » de Curtis Mayfield , ou ceux, tel « There will be a light »  extraits de l’album live à l’Apollo enregistré avec Ben Harper, blind boy honoraire, dont Joey Williams, reprend sans les perdre en route les parties vocales haut perchées. Autant d’incursions vers un public plus large et hors du strict gospel, mais toujours respectueuses du cahier des charges spirituelles. Et dans la voix d'hommes qui ont fait le chemin de l'Alabama des années quarante jusqu'à aujourd'hui, un tribut aux luttes pour les droits civiques portées par tant d'hommes d'église, le pasteur Martin luther King en tête.

    L’heure est déjà bien avancée, et à ce stade une fois les lumières rallumées, ne resterait que le souvenir d’un très bon concert. Mais l’essentiel reste à venir. L'orchestre met en place la phrase hypnotique de « Look where he brought me from »  en tempo acceléré, prete à se répéter à l’infini et monter jusqu'aux cieux. 3 ou 4 secondes obstinées scandées en récitatif par Jimmy et conclues par un "Yeah" des autres garçons. Le gospel train est en marche, lancé sur les rails, à pleine vitesse. Numéro bien réglé et complice, chacun des vétérans fait mine de se lever à son tour de sa chaise, emporté par le rythme et la foi, avant d'être rappelé à la raison et la station assise par la main de Joe Williams posée sur l’épaule. Avant que le guitariste ne sache plus où donner de la tête et s’avoue vaincu. Les aveugles ne voient pas encore, mais les paralytiques se sont levés. Dans la salle les spectateurs plus valides qu'eux ont aussi quitté leur siège, sautent et s’époumonent, sans que personne ne soucie de les faire rasseoir. Sur scène, le péril vient maintenant de Jimmy Carter, qui entreprend une improbable pirouette, réussit son ascension: dans les airs un demi tour presque complet, sans tomber. L'Esprit Saint a fait son oeuvre. Enfin l'aveugle s’aventure aux limites de la scène, un monumental roadie le prend dans ses bras de géant pour le descendre dans la salle. Porté ainsi par ce Saint Christophe, le vieillard semble frêle comme un enfant. Retombé sur ces pied le prophète vient micro en main à la rencontre de son peuple prêcher la bonne parole. Un message simplissime: Do you fell god? Difficile de ne pas hurler 8003f50ec3b762be0dae5c6278e296f8.jpgyeah en réponse. Il y aura demain beaucoup d'extinctions de voix. Tout le monde est sur ses pieds, voire plus haut. Sans remords, sans arrières pensées. Tout le monde chante ou à peu prés. Jimmy Carter, bras tendus vers le ciel, arpente les travées, soutenu de loin par l'orchestre, suivi de près par Caleb Butler. Il se retourne, saute sur place, ré-exhorte au micro, revient au trot sur ses pas, sourit, aux anges. Il passe non loin de nous et nous lui répondont très fort, pour qu'à défaut de nous voir il puisse nous entendre. Pendant tout ce temps l’orchestre n’a pas dévié d'une croche de la phrase musicale entétante. Jimmy Carter fait mine de s’écrouler après avoir tenu un râle prolongé, Caleb fait mine de le relever, Jimmy ressuscité lui échappe, tourne les talons et repart à l'aveuglette chanter dans la salle, marche à travers la foule comme sur les eaux, fait à chaque passage se soulever des vagues de spectateurs. Cela continue encore et encore à ne jamais s'arrêter, enfin dix ou quinze minutes ou moins. Depuis combien d'année le chanteur se prête-t-il à cet exploit unique chaque fois, mais répété chaque soir de tournée. Depuis 10 ans, 20 ans, ou 50? S'écroulera-t-il un soir ainsi pour de vrai? Pourtant rien n'est faux. Ni simulé. Toute l’essence du show est là. Une alliance de ferveur, d’entertaiment, de prosélistime, de rourerie et d'absolue sincérité.

    Jimmy a du enfin remonter sur scène. Conclusion endiablée en tempo accéléré sur le Higher Ground de Stevie Wonder, sous un deluge de guitare wah-wah et de hurlements: Preacher kep' on preaching....Ce qui est une dernière occasion sur scène et dans la salle de sauter toujours plus haut sur ses pieds. Fin? Pas tout à fait. Les lumières rallumées, les Blind Boys restent s'assoir au bord de la scène, accueillant les spectateurs qui viennent les remercier, dire adieu peut être. It may be the last time we ever sing together. C'est une cohue bon enfant, les éclairs des portables crépitent, Jimmy et les vieux garçons serrent les mains tendues avec ferveur, précieux instants de contact véritable, font la bise à quelques minettes ravies: « God Bless You » ! Avec les autres, on va serrer la poigne de Jimmy, malgré tout ému. Qu'il nous voit avec la main, qu'il sache qu'on a été là, pour de vrai. Provoquent–ils ainsi des miracles, des guérisons spontannées? Et est on reparti converti? Ce n’est pas sur. Mais en tous cas rechargé à plein d'amour et de générosité.

    C'était The Blind Boys of Alabama, à la Cité de la musique

    Guy 

  • Melquiot: une nuit chaude, plutôt tempérée

    La langue est très naïve- usant et abusant de coqs à l'âne, de néologismes, de répétitions et d'associations bf0434617fc353450b9fc8416db4aa0c.jpgspontanées, et si systématiquement que cela à la longue peut agacer. Mais, si l'on est mieux disposé, la naïveté peut passer pour de la poésie. Et c'est, tous comptes faits, un mode d'expression approprié pour ces personnages tous un peu désoeuvrés, en quête de rêves et d'ailleurs, qui ont perdus le sens. Déboussolés par les "trous dans le ciel", la chaleur des nuits de polars et l'effacement des saisons. Des "essayeurs de vie". Qui forment une drôle de famille: un père travesti et en crise de larmes permanente, des frères détrousseurs de cadavres (pour marquer la dramatisation, faut il ouvrir sur du sordide?), leurs improbables amoureuses, et un poète alsacien en route vers la Californie. Une famille dont les liens échouent à consoler le mal-être de chacun.

    C'est- on l'a bien compris- un nouvel avatar de ce bon vieux théâtre de l'absurde. En une version assez sentimentale et dénudée, dont le texte sonne par moments comme du Dubillard vulgaire, la vulgarité etant sûrement un effet de mode. Heureusement tempérée par une mise en scène ouatée, drôle et douce-amère, qui insiste plus sur les langueurs de la tristesse et des regrets que sur la violence des désirs. Tout est habilement amené, en une progression non linéaire, l'espace se transformant de scènes en scènes par déroulés de rideaux. L'exercice ménage quelques effets de cabotinage digne d'un théâtre de boulevard, mais paradoxalement sans jamais menacer un rare équilibre de jeux. Tout ce qui peut être dur- deuil et abandon- est finalement tempéré d'ironie.

    C'est toute l'habileté de l'entreprise et de ses audaces maîtrisées: le désespoir se fait doux et supportable, balancé par le chant d'un Elvis qui scande les didascalies.

    C'était Autour de ma Pierre il ne fera pas nuit  ♥♥♥♥ de Fabrice Melquiot, mis en scène par Franck Berthier, au vingtième théatre. Jusqu'à fin octobre.

    Guy