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Jazz

  • Vers le silence

    Le batteur est il vraiment le gardien du tempo? Les baguettes de Christan Vander déjouent cette attente, s'évadent et nous emportent, avec fougue et subtilité, déraisonnées. Le rythme est implicite, intérieur. Les accélérations et ponctuations véhémentes, le soulignent et le tendent, jusqu'à suggérer l'illusion d'un imperceptible silence, juste l'espace d'une micro seconde, ou l'existence d'une éternelle vibration, comme l'atteinte mais aussitôt perdue d'une perfection. Chaque fois une fin et une renaissance. L'émotion commande, servie par la technique: les premières notes de Naima résonnent, mais bientôt on se sait quand et comment le rythme lent de l'introduction s'est accéléré vers l'acmé.
     
    Surtout cette musique célèbre et suspend avec respect et dévotion un moment clé du passé, lorsque que le jazz atteint un sommet de passion, aperçu de l'absolu, porté le quartet de John Coltrane, Mac Coy Tyner, Jim Garrison et Elvin Jones, dont les musiciens ce soir reprennent les rôles. Cette pièce, récréée se joue depuis des années.
     
     
    Christian Vander quartet : Laurent Fickelson – piano ; Jean Michel Couchet  saxophones ; Emmanuel Grimonprez – contrebasse; Christian Vander: batterie au Sunset le 29 avril 2016
     
    Guy

  • Ils parlent

    "Voulez vous vous assoir coté batterie ou coté piano?" nous proposent-ils au Sunset, club de jazz des Halles. Peu importe: c'est la voix qu'on écoute, d'abord, surtout, ce sont les voix qu'on écoute vraiment, les vraies voix mais même celles des instruments. C'est du pareil au même, depuis qu'un jour Louis Amstrong scatta pour imiter le son de son cornet, à moins qu'il n'ait voulu imiter le son de sa voix à la trompette. Ronald Baker, le leader, chante en ballade, délicat, avec un léger vibrato, son jeu à la trompette en est le prolongement, de cris en murmures. On entend des chants d'amour, des histoires soufflées, délicatement pianotées, vibrées dans les graves et caressées sur les peaux et cymbales. On entend les échos de fantômes bienveillants: Nat King Cole, à qui la soirée est consacrée, Eddie Jefferson... Bien vivante, et bien plus, Michele Hendricks- (que j'avais entendue il y a déja un bon moment)- vient dialoguer avec Baker, joue et parle avec lui une scène de ménage qui part du blues en scat. Sa voix râpe façon sax. Tout s'accélère, on est porté, on est soufflé. Le saxophone vient entremêler avec eux ses phrasés legato, la fusion avec les voix est parfaite, la boucle est bouclée.

    C'était le Ronald Baker Quintet Tribute to Nat King Cole, avec Michele Hendricks en invitée, au Sunside

    On entendra la voix franco-americaine de Michele, ses paroles, dans le prochain livre d'Isabelle (Viéville- Degeorges), mais c'est une autre histoire...

    Guy

     

     

  • Jazz?

    Arthur H. mauvais élève en jazz, nous confie-t-il, modeste, qui en guise de standard ne sait jouer que The Man I Love. Se produire en quintet cool et classe à cuivres et contrebasse, est-ce avant tout installer une ambiance d’avant et d’ailleurs, du cabaret, du théâtre? Pour raconter goguenard de sa voix rocailleuse ses belles et drôles histoires de personnages qui font rêver et sourire plutôt que d’y croire: le soldat, le chercheur d’or, le trompettiste fou… Laisser se heurter mots et textes, cette poésie décalée. Alors les notes aussi peuvent raconter, emporter. Et lui de nous surprendre d’accords plaqués sur son clavier, dissonances qui semblent le travailler dedans depuis des éternités. Laisser de l’espace aux musiciens, improviser en rappel, trop vite, prendre le risque de se planter. Alors c’est du jazz.

     Jazz, Musique, chanson, Cité de la musique, Jazz à la Villette

     

    C'était "I'm Beginning to see the light" à la Cité de la musique, concert vu et écouté le 13 septembre 2013 dans le cadre du festival Jazz à la Villette, avec Arthur H (piano, voix), Laurent Bardainne (saxophone, clavier, arrangements), Fabrice Martinez (trompette), Marcello Giuliani (basse, contrebasse), Raphaël Chassin (batterie).

    Guy

     

    La vidéo du concert est ici en ligne jusqu'au 14 mars 2014: http://www.citedelamusiquelive.tv/Concert/1008323/arthur-h-%22i-m-beginning-to-see-the-light%22.html

  • Du jazz pour maintenant

    Les rythmes se bousculent et en triple file se dépassent, en fusion se rejoignent. Les harmonies entourent et s'étendent, généreusement. Les lignes serpentent sur un tapis boisé de contrebasse, d'accents de cymbales, de notes égrenées noires et blanches, impatientes. Les rôles s'échangent. L'œil danse sur la chorégraphies des mains et des instruments, ces vibrations qui se propagent aux épaules du contrebassiste, ce batteur qui bat de la tête, ce poignet droit du pianiste qui vers le bas s'échappe après l'attaque... Le trio s'est baptisé Sphère, j'entends plutôt un triangle aux angles impossibles qui se distendent jusqu'avant la rupture, se retournent en tout sens, jubilants. La musique est colorée, expressive et tendre, emporte dans l'émotion, et loin, sans faire violence.  

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    Je cherche les réminiscences de trios d'avant: ceux de Bill Evans, Keith Jarett... puis j'oublie, je jette. Pas besoin de références: ils sont eux, ils sont jeunes-bien que plus ou moins barbus pour donner le change- et en compositions toutes originales et aussi fraiches qu'une ballade matinale, un matin de printemps. Du jazz pour le troisième millénaire, qui, une fois la tradition assimilée, s'oublie et recommence, à neuf.

    C'était Sphère, avec Jean Kapsa (piano), Antoine Reininger (contrebasse), Maxime Fleau (batterie), vu et entendu au Sunside.

    Photos par Alice Rain avec l'aimable autorisation de Jean Kapsa

    Guy

  • John Coltrane est vivant

    Dans cette baraque prés des voies de la Gare du Nord, on pourrait se croire dans un club de jazz à New-York. Sur la scène des spectateurs attablés, le brouhaha des conversations, un barman qui nous réchauffe d'un ballon de rouge, avant de se révéler en comédien aux premières mesures jouées par le trio sans piano. Dans son regard doux et triste affluent les souvenirs de ce jour de juillet 1967, lorsqu'il apprit la mort de J.C.. Il se saoule, se balance, danse, rie et conte, ramène Coltrane en direction de l'Afrique, à force d'emphase, de bonhomie, de générosité.

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    Ses mots seuls ne sont rien, belles anecdotes, hommages fervents, justes reflets impuissants de mélodies insaisissables et d'envies d'infinis. Mais c'est l'équilibre entre le récit et musique qui est remarquable ici, sans jamais que l'un ne gêne l'écoute de l'autre. Les quatre jouent, chantent ensemble, se soutiennent et se consolent. La voix du témoin est portée par les trois instruments, jusqu'à s'élever en chant. Mais souvent choisit sagement de se taire, laisse parler le saxophone une fois dite quelle douleur inspira Alabama, ou une fois annoncée la soif d'amour universel qui porte A love Supreme. Le saxophone alors de tenter de s'emporter jusqu'à s'effacer lui-même, l'instrument oublié à nous faire entrevoir des éclats du tout et des fulgurances de beauté. Sans tenter d'imiter note pour note, son pour son, John Coltrane, plutôt partager avec nous un peu de ce qu'il nous offrait. Que peut dire le conteur aprés? Encore réveler ses doutes, les incompréhensions, les embûches sur son chemin, à chaque étapes de cette quête sans fin, rappeler la condition des noirs américains alors qu'un chorus de batterie prend des accents de rébellion. Évoquer la vocation d'artiste de J.C. , s'interroger sur la vocation de l'artiste tout court, passeur vers l'absolu et inspirateur de vie. Coltrane s'estompe dans le continent oublié des sixties. Ce monde est mort sans doute, disparu dans la lassitude ou la confusion. La musique survit, une flamme ranimée.

    C'était A Love Supreme, mis en scène par Luc Clémentin, d'aprés une nouvelle d'Emmanuel Dongala, avec Adama Adepoju (jeu et voix), Sebastien Jarrousse (sax tenor et soprano), Jean Daniel Botta ou Mauro Gargano (contrebasse), Olivier Robin (batterie). Du jeudi au dimanche jusqu'au 24 janvier au Grand Parquet.

    Guy

    Photo par Nelly Santos avec l'aimable autorisation de la compagnie.

    lire A love Supreme dansé par AT de Keersmaeker

    lire aussi : belette

     

  • Jon Hendricks en liberté

    Le premier bonheur que Jon Hendricks connu en France eu le goût d'une bouteille de calvados. Qu'un couple de paysans normands avait gardée enterrée à l'insu des «boches», pour l'offrir aux libérateurs de juin 1944, peu importe qu'ils soient blancs ou noirs. C'était le goût de la fraternité, Jon déserta bientôt de son armée où régnait le racisme organisé, mais il ne pu rester chez nous aussi longtemps qu'il l'aurait voulu. Pour le jazz ce fût tant mieux, quand plus tard un soir il rentra dans un club à New York, où Charlie Parker l'invita à venir chanter à ses cotés. Bien des années après, il nous rapporte en cadeau sur la scène du Balzac son « Now's The time » chanté d'une voix hors du temps, une voix aussi libre et rauque qu'avant, qui a vécu, aimé intensément. Et nous rend assez de bonheur pour qu'on s'en enivre immodérément. Il pétille, chaque instant. Sa vie d'homme et de musicien d'entre ces deux épisodes est amoureusement évoquée dans le beau documentaire d'Audrey Lasbleiz. Pas une année de perdue, de voyages en rencontres, à engendrer musicalement Bobby Mac Ferrin, Take Six, Al Jarreau..., et inventer le vocalese. Il ne s'agissait pas seulement d'une démonstration de virtuosité et de jubilation, d'ainsi chanter Count Basie ou John Coltrane à la note près, de devenir contrebasse, trompette ou saxophone. Il fallait aussi réinventer chacune des paroles des improvisations instrumentales originelles, avec amour et intelligence, chaque mot imaginé à partir d'émotions et d'intonations comme une joyeuse évidence. Il fallait raconter les histoires inédites de Moanin', Caravan, Freddie Freeloader..., sans trahir ces chansons. Donner de nouveaux sens au jazz, le garder populaire, en ne sacrifiant rien de sa liberté.

     

    Réunir le trio vocal interracial Lambert, Hendricks & Ross- lui le noir, l'anglaise rousse et le gars de Boston avec une tête de mormon-, c'était venu naturellement des la fin des années cinquante, par goût de la liberté et joie de jouer, comme le jour où à l'université il avait décidé de quitter le coin où les noirs se cantonnaient pour aller s'asseoir au milieu des blancs, refusant toute autosegrégation.. C'est un peu le cas ce soir avec le public du Balzac, à la grande différence de la reconnaissance, toute la salle debout pour l'acclamer. Il y a dans le documentaire un moment drôle et vache à la fois: Jon Hendricks se promène dans le quartier de Toledo de son enfance, et entonne un blues devant des jeunes gens à peu prés indifférents, et qui n'ont jamais entendu parler cet Art Tatum qui jouait du piano dans la maison du bout de la rue. Aujourd'hui Jon Hendricks enseigne encore, inlassablement, aux jeunes musiciens, donne des conférences, toujours indigné que le seul art vraiment original inventé dans son pays, et par les noirs, reste le plus dévalorisé. Son combat se livre tous les jours, ainsi que celui pour les droits civiques, dés le début le même. L'enthousiasme reste intact, et ce sens du bonheur se sent sur « In Summer ». Teinté en même temps d'une mélancolie qui nous laisse frissonnant, d'une voix brumeuse qui sait emporter, guérir, consoler.

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    « Mais alors de quoi se nourrissent les anges ? » lui demande une spectatrice... Jon nous confie son secret, un secret que Thélonius Monk lui avait transmis: rester à jamais un enfant de six ans. C'est toujours le cas de toute évidence, même avec un corps de 88 ans. Quand il n'est pas en colère (contre l'injustice, essentiellement), il rit tout le temps. Nous confie regretter ses parties de pétanque avec Henri Salvador. Jon Hendricks est un gosse assez coquet, casquette de yachtman, tiré à quatre épingles. Sous le regard indulgent de sa fille Michelle, avec qui il duette sur « Everybody's bopping », en tempo accéléré, comme on se renvoie la balle. Et la balle ne tombe pas, toujours rattrapée à temps. Jon a toujours un grain, dans la voix mais pas seulement. Pas assez raisonnable pour finir la soirée et aller se coucher, se prend le temps du rappel, des questions et traductions, d'un bain de foule, de rire encore, de serrer la main d'un enfant...

     C'était la soirée consacrée le 4 octobre par le cinéma Le Balzac à Jon Hendricks, avec la projection du documentaire qui lui est consacré : « Tell me the Truth » de d'Audrey Lasbleiz, un mini concert de Jon et Michelle Hendricks accompagné par deux musiciens, suivi d'un échange chaleureux avec le public.

    Guy

     Song List: Variations sur Lady Be Good, une bossa nova de Joa Gilberto, Now's the time, I fall in love so easily, Everybody's boping, Un petit blues..., In Summer

    Video réalisée lors de l'un des concerts les jours précedents, au Duc des Lombards. ...pas du vocalese, mais du scat!

    Photo avec l'aimable autorisation du cinéma Le Balzac

  • Ornette Bluette

    L’attaque nous surprend à découvert, cheveux dressés. Les premiers morceaux au bord de déraper. Des quatre musiciens: aucun au premier plan. Collectifs, mais se rencontrent-ils pour autant? Les vagues sonores se chevauchent en tempête: des phrases brisées, des temps décalés. On sourit, bousculé, remis en question, aux aguets. Et on reste dedans, c’est gagné. En gros plan: le fiston Delano qui déborde et martèle avec l‘énergie d’un batteur de punk rock, à des années lumières des délicates ponctuations de cymbales et roulements millimétrés auxquelles nous habituent ses homologues. Les changements de tempo se heurtent incessants, limite Dave Bruckeck Quartet sous cocaïne. Contrebasse et basse électrique (cette dernière qui triche avec une 5°corde) jouent à cache-cache, frères ennemis. Partent à l’unisson, ou s’échangent rôles et registres: soutien et contrechamps, rythmes et harmonies- se déguisent alternativement en guitare, piano, sax et violoncelle... Au centre pourtant il y a Ornette. Assis. On ne se soucie plus de quelle manière il joue. Sauf qu'il sonne au saxophone comme pour consacrer un hommage constant et décalé à Charlie Parker, un hommage absolument libéré. Et délivre de brèves suggestions de trompette et de violon. A mesure de la performance, la musique s’assagit, vers un précaire apaisement, avec un balancement plus funky. Sous les heurts, et les aspérités, tout ramène à la fraîcheur des compositions, tendres, naïves, acides, fruitées… Comme des berceuses lyriques, des comptines mélancoliques. Depuis la première note, c’est de blues dont il s’agit, mais de ce blues très particulier. En passant par une suite de Bach, un air de soul, un air de calypso, un air de fête foraine…

    Pour recevoir vraiment cette musique il faudrait être innocent. Pourtant le plus souvent, écouter du jazz c’est cultiver ce rapport paradoxal avec le temps et l’immédiateté, à la fois profiter de l’instant qui s’envole et s’interroger sans repos sur les traces dans notre mémoire de notes d’avant.

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    Cette musique d’Ornette Coleman ressemble beaucoup à celle qu’il avait enregistrée il y a une cinquantaine d’année. Le musicien semble être resté au même endroit qu'alors, juste avec l’âge s’est un peu courbé. Ce sont les esthétiques qui autour de lui ont bougé, avec des fortunes diverses, qui ont prospérées ou juste survécues… Depuis le manifeste apocalyptique de son double quartet- le disque « Free Jazz »- Ornette fût absolument prophète, et donc un peu pestiféré. Influent, admiré mais à l’écart, voire par beaucoup vilipendé. Dans un milieu qui se nourrit de rencontres au sommet, plutôt solitaire, mais ses musiciens empruntés par Sonny Rollins, John Coltrane. Ma jeune voisine, qui me dit peu connaître du jazz, semble plus happée par la musique d’Ornette qu’elle n’avait été intéressé par celle de Bunky Green: celui ci a offert une très honorable première partie, mais bien bordée dans des volutes de fumées qui évoquent un club de jazz sixties. Une question revient irrésolue : Ornette Coleman a-t-il toujours voulu choquer par audaces et excentricités? Ou a-t-il toujours été sincère en déclarant ne vouloir jouer que sa musique, qu'elle soit simple et accessible, universelle, sans soucier des écoles? Les spectateurs qui ont rempli les gradins de la grande salle de la Grande Halle offrent une réponse spontanée, un hommage émouvant et tardif. Ils envahissent le bord de scène pour photographier, serrer la main du vieil homme plutôt fatigué, lui l'allure modeste d'un doux entété, et qui entonne en rappel de son saxophone de plastique blanc un Lonely Woman d’une simple évidence, prenant la beauté mélancolique d’un soleil couchant.

     

    C'était Ornette Coleman, avec Al Mac Dowel (basse), Tony Falanga (Contrebasse), Denardo Coleman (batterie), à l'espace Charlie Parker de la Grande Halle de la Villette avec le festival Jazz à la Villette.

     

    Guy

     

    lire aussi Native Dancer. et Bien Culturel.

     

    photo de Jimmy Katz, avec l'aimable autorisation de Jazz à la Villette.

     

  • Benny Golson whispers

    Ce murmure là de saxophone, d'une virilité contenue, d'une volubilité tranquille, c'était- il y a 20 ans- d'une terrible efficacité pour titiller de vibrations troublantes le sexe opposé, pied au plancher, fenêtres ouvertes et volume poussé haut sur le radio cassette. Cette musique là était assez originale pour faire intellectuelle, alors assez vieille de déja 30 ans de plus pour être parée de la qualité mystérieuse des choses historiques, assez entendue pourtant pour permettre à chacun de se raccrocher à quelque chose de vaguement familier (Car ce Blues March  avait servi pendant une éternité de générique sur Europe 1 à l'émission de Fillipachi et Tenot). Quelques kilomètres ensuite, pour se faire pardonner les assauts à la hussarde des baguettes d'Art Blakey, on envoûtait sur l'autre face avec Whisper Not, un sourire esquissé, une caresse, un baiser. 

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    Ce soir Benny Golson ressouffle Whisper not, en notes sinueuses et colorées. La mélodie se laisser couler tout en médium, sans jamais que le musicien ne force, avec tout au plus quelque grognements graves et jamais d'échappées aigues. Si l'on craint que le tenor ait avec l'âge perdu un peu de coffre, on peut réécouter les vieux enregistrements: la puissance, surtout la manière sont les mêmes qu'à la fin des années cinquante. Le style depuis épuré de quelques échauffements rythm' blues, qui avec le recul apparaissent comme des facilités de l'époque hard bop. Sax posé, Golson raconte le triste jour de 1957, partagé avec Dizzy Gillespie à l'Appollo, de la disparition d'un musicien à l'âge de 26 ans, et offre son hommage au trompettiste: "I remember Clifford". Les années ont vécues mais Benny Golson a le temps, seulement 80 ans, et plus du tout besoin d'épater. Au saxophone il continue à dialoguer avec les ombres, et les notes s'évadent du passé. L'invocation de fantômes aux noms illustres fait partie ce soir de la visite. Mais aucun de ces hommages n'est gratuit, chacun le pendant d'un thème musical hanté de souvenirs mélancoliques, colorés. Tel Stablemates une de ses première compositions, que, raconte-t-il, son ami Coltrane fit enregistrer par Miles Davis. Les ballades sont vives, jamais mievres, piquantes et subtiles. Les phrases de Golson flottent, véloces mais détachées, en un sens modestes. Le leader délégue tout le panache à la trompette, avec le soin de faire briller les notes haut comme il faut, l'explicite du tempo à la section rythmique franco-américaine, attentive et respectueuse: piano discret, contrebasse veloutée, cymbales ouatées.

    S'émerveillent ce soir au Duc des Lombards quelques dizaines de rescapés, d'amoureux de l'inactualité, qui imaginent ou se souviennent delicieusement d'un temps libre et insouciant, quelques mois avant l'arrivée fracassante du free jazz, de Coleman, de Dolphy pour qu'ensuite tout change à jamais. D'un temps où cette musique ne se posait pas encore la question d'être ou non militante. D'un temps tout simplement où cette musique était écoutée. De moments inutiles et sublimes, pour un soir recréés. Durant lesquels on se sent tout à fait bien, surtout si on est deux.

    C'était Benny GOLSON (ts), Pierre-Yves SORIN (b), Alain JEAN-MARIE (p), François BIENSAN (tp), John BETSCH (dms), au Duc des Lombards.

    Guy

    Photo de Benny Golson (D.R.) avec l'aimable autorisation du Duc des Lombards.

  • Black Indians à Bobigny

    Iko, Iko: syncopé une fois, deux fois, trois fois, dix fois, après on ne compte plus. Déborde alors tout ce qui bouillait épicé dans la marmite New Orleans: rock'roll, funk, gospel, blues, jazz, cajun, caraïbe... Cette musique ne tient pas en place, accouchée dans le fracas de la rue, le long des défilés sur Bourbon Street. Mais étouffe trop à l'étroit sur scène ici, et nous le cul calé dans nos froids fauteuils de salle contemporaine. Il faut plus d'un morceau pour s'oublier et s'y croire un peu, bien loin là-bas outre atlantique dans l'autre quartier français. Heureusement il y a pour ouvrir la soirée en chorale une trentaine de gamines du 9-3 gauches et appliquées, superbes, qui scandent Hey Pocky A- Way (des Meters), conduites par une chef de chœur désinhibée qui chaloupe des fesses. A leur droite un commando enthousiaste de percussionnistes locaux. Au milieu- lui louisianais pour de vrai, ou au moins vrai noir américain- assure l'altiste Donald Harrison dans le rôle du pro, mais pour autant généreux. Un musicien tout terrain qui a fait ses classes avec Art Blakley. Il souffle, chante, danse, frappe des bongos et fait le pitre. Tranche des phrases de sax coupantes, courtes et répétées, en crescendo à la manière de Maceo Parker. Appuyé par un quartet de jeunes gars qui oublient de se la jouer: batteur et pianiste discrets, jeune bassiste blanc tiré à quatre épingles, guitariste plus chevronné et aux belles envolées, nspirées franchement jazz. Deux instrumentaux soul mais un peu sages ensuite font patienter. Merci aux gamines du 9-3, qui avaient quitté la scène mais reviennent alors du fond de la salle, applaudir, crier, danser, agiter la salle, faire basculer la soirée. Merci: on se dégèle nous aussi, on se lève. Sur scène ont débarqué deux zoulous à plumes. Sapés au delà des limites. Ces deux ambassadeurs exubérants de Congo Square font chatoyer sur leurs costumes de parade plus de couleurs qu'on ne pourrait jamais décrire ici, ils déchaînent Mardi Gras en plein carême. D'évidence, la danse est message, la présence joie. Le morceau d'un titre à l'autre n'en finit plus: Iko-Iko encore, ou autre chose, on s'en fiche. Prétexte pour Harrison à se lâcher en de plus longs soli qui évoquent la générosité de Sonny Rollins, rapper et danser comme un canard qui aurait fumé un pétard. Prétexte pour tout le monde d'oublier de se rasseoir, la première partie s'achève sur les rotules.

    Avec les Wild Magniolas, la reprise est dure. Plombée en introduction par de lourdes démonstrations de rock saturé par les quatre briscards de l'orchestre. La distortion essoufle. Un peu tard aux quatre coins de la salle surgissent des apparitions saturées de vert, bleu, orange, rouge: une tribu d'indiens noirs emplumés qui rejoignent la scène. On y amène aussi Bo Dollis, Big Chief du Mardi Gras, en discontinuité depuis 1964, mais qui a renoncé ce soir à son trop lourd costume. Il ne marche qu'avec peine, ne cache pas les signe d'une santé en pointillés. S'arrache un ixième « Iko-Iko » d'une voix incroyable et étranglée. La rythmique semble empâtée, les danseurs hésitants et la fête lasse, alourdie par les regards inquiets de tous vers le leader, avant qu'on ne l'exfiltre à la fin du morceau. Dollis junior et l'autre vétéran, Big Chief Monk Boudreaux, reprennent le flambeau sur un blues hypnotique. La musique se détend, les indiens remontent peu à peu la pente, agitent tambourins et plumes sans s'économiser, nous font nous oublier la fatigue et nous relever tandis qu'Harrison revient derrière les bongos. Bo Dollis réapparaît par éclipses hors des coulisses, acclamé avec émotion, reprend le micro pour Iko Iko  encore, authentique et inimité. Ne renonce pas, survit telle la ville qui malgré les ouragans, la violence, et toutes les incuries, toujours fait la fête et ne se laisse pas emporter par les flots. Il nous emporte d'un morceau à l'autre, pourtant toujours le même ou à peu de choses prêt. Miracle du Mardi Gras, comme souvent s'agissant de musique, il s'agit moins d'accords que de générosité et d'héroïsme. On l'aime. Somebody screams...longtemps la banlieue bleue résonne des cris des black indians, quelque part les gamines du 9-3 font les fières, peut-être dans la tête l'orgueil de l'Amérique d'Obama.

    C'était Donald Harrison SAXOPHONE, PERCUSSIONS, VOIX, Gerald French VOIX, Detroit Brooks GUITARE, Conun Papas PIANO, Max Moran CONTREBASSE, Joe Dyson BATTERIE, et les ateliers dirigés par Béatrice Cheramy chant, Pierre Allio PIANO, Vincent Lassalle PERCUSSIONS. CHORISTES des Collèges Pierre Sémard et République, et PERCUSSIONNISTES de Canal 93 de Bobigny, et WILD MAGNOLIAS: Big Chief Bo Dollis, Big Chief Monk Boudreau, Second Chief Bo Dollis, Jr., Spyboy Indian Charles Johnson et Flagboy Indian Isaac Johnson VOIX, June Yamagishi GUITARE, « Geechie » Johnson PERCUSSIONS, VOIX, Joe Krown PIANO, CLAVIERS, Brian Quezergue BASSE, Jamal Batiste BATTERIE, à la MC 93 pour la cloture de banlieues bleues.

     Guy

    Et on peut ré-écouter pendant un mois les concerts sur France Musique  

  • Charmatz et Collignon surchauffent la Villette

    Il y aurait sur scène deux fous furieux, on aurait vite oublié qui serait censé faire le danseur et qui le musicien, et il y aurait des fils et des machines, des histoires de poulets et de camions poussés avec les fesses, d’hommes peints de blanc dans le noir et leurs corps entremêlés, à cause de ces textes échappés d'un happening dada, on pensera très fort au Be-bop Tango de Franck Zappa ("Jazz is not dead...but it just smells funny") on croirait même reconnaître une ou deux mesures de Dog Breath, les deux individus joueraient à se faire peur tels un savant fou et sa créature déjantée, le second luttant comme un dément pour prendre le contrôle de la console de son, on serait éclaboussé par les débordements suraigus d'un be-bop mutant et orgasmique, par des coïts bruyants de trompette naine et des voix de dessin animé doublés en H.P., des aveux régressifs, drôles, poétiques et douloureux, abandonnés au cours de l'exploration d'une jungle techno pullulante d’animaux bariolés, encombrée de bruitages effleurés et stridents, de bruits venus d'ailleurs, car tout pourrait arriver, des séquences de danses bras croisées ou renversées sur les épaules, des rafales d'onomatopées surchauffées, Colllignon entreprendrait de dresser le fil du micro, laisserait s’échapper des notes dans le micro pour qu'enregistrées elles se battent en boucle, ressusciterait le son d'Herbie Hancock lorsque durant les seventies il se figurait l'an 2000, ou quelque chose apparentée à une World music qui ressemblerait un peu à du Weather Report déglingué, funk, free et suraigu, comme des pièces de beauté tranchée à vif par deux garçons turbulents, d'éternels adolescents, facétieux et excités à s’escalader l’un l'autre, Charmatz disparaîtrait derrière l'écran et les pieds de son corps remueraient encore, il y aurait des gestes morts qui ne voudraient pas mourir vraiment, et des mots toujours dits avant, on se sentirait libre absolument à les voir se refuser toute limite, à nous laisser ressentir quelque chose d’essentiel sur ce que c’est de créer, on serait mort de rire d'un bout à l'autre, émus également, cela pourrait durer longtemps et tant pis pour le spectacle d'après, ils pourraient simplement improviser, ce serait beau, ce serait fou, tendre, et souvent de mauvais goût, et après à jamais disparu.

    C'était Boris Charmatz et Médéric Collignon, à la Grande Halle de la Villette, avec Jazz à la Villette