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Shakespeare - Page 2

  • Shakespeare: contes et songes

    Il est tout à fait possible d'emmener les petits découvrir Shakespeare, sans que le songe ne se transforme en f05fbe43deffc2465e3d973143a7a8b5.jpgcauchemard. Au Théatre Mouffetard, les sortilèges d'amours sont administrés à coups de piqûres par deux acteurs déguisés en moustiques géants, qui courent sur scène en bourdonnant. Dans ces conditions, le succès est assuré. Bien sur, les adultes vont sourciller en entendant les personnages être rebaptisés "Rillettes" ou "Pur Porc", en découvrant l'intrigue du Songe d'une nuit d'été  simplifiée de 3 à 2 actions simultanées. Tant pis pour eux, ce n'est pas aux adultes qu'ici on s'adresse. Pour le bonheur des vrais spectateurs, les cinq acteurs, et tous leurs masques et costumes, en font des tonnes, en couleurs et en chansons. Les enfants découvrent avec un effarement délicieux que sur scène, et peut être aussi dans la vie, on peut tomber amoureux n'importe quand, n'importe où et de n'importe qui.

    Approche tout à l'opposé, mais avec tout autant de réussite à l'arrivée, au T.N.O. : une voix, quelques 1c6e3715d6b5761733705651e53956b0.jpggestes, une percussion, c'est assez pour quitter la rive et que surgissent de l'obscurité les images du Songe, de la Tempête, de Roméo et Juliette. Le choix de la sobriété. Pour emmener par les détours du conte les enfants, bouches bées, bien plus loin dans la complexité des pièces qu'on aurait pu le penser.

    C'était le Petit songe d'une nuit d'été de Stéphanie Tesson d'aprés William Shakespeare, mis en scène par Antoine Chalard, au Théatre Mouffetard,  jusqu'au 5 janvier, et les Contes de Shakespeare, d'aprés Charles et Mary Lamb par Monique Lancel au Théatre du Nord Ouest, en alternance jusqu'au 9 mars dans le cadre de l'intégrale Shakespeare.

    Guy

  • Yves Noël Genod: Aprés la chute.

    En colère. On lui en veut. A Yves-Noël Genod. D'être puni d'Hamlet. On lui avait rien fait pourtant à Y.N.G.. Parcequ'on se sent devenir plus que réac. A voir son Hamlet à lui. Dégoûté. Prêt à revenir au théâtre de papa. Plus conservateur que Alain-Gérard Slama. Avec tout le respect qu'on a pour Alain Gérard Slama. Qui lui au moins a une pensée qui se tient. Plus vitupérant que Jacques Julliard. Et ses conceptions bien arrêtées quant au texte et la diction. Pourtant on était arrivé idées ouvertes. Mais en premier il y a eu la fumée. Et après la fumée un grand n'importe quoi. Un indéchiffrable foutoir. Où des gars errent. On vitupère. Seul dans son coin. Avec les autres seuls eux aussi. On repense à la belle pièce d'Anne Hirth. On attend Miss Marion. Ou l'inverse. Peu importe. Et les gars sont à poil. Évidemment. On a déjà vu cent fois. Mais ça fait glousser les bourgeoises. Ce soir aussi. Les gars sont à poils. Ils errent. Et puis voilà. Ca nous énerve. On se s'élève pas vue sur le dépotoir. On s'emmerde. On déprime. On devient vide. On devient con. Une heure de punition. On tapote sur le fauteuil. On se penche en avant. On se tasse en arrière. On soupire. On entrouvre Le Monde sur les genoux. Froissements. Regards furieux de la voisine. On relit trois fois le programme. Cinq fois. Projet inspiré de la planète des singes? Pourquoi pas. Après le grand cataclysme, le défilé des primates. Qui foulent au pied les résidus culturels. Regard vers Jérome. Au premier rang. Dans la fumée. Trop de fumée alors Jérome a du halluciner. Et surinterpréter. Oui Jérome d'accord. Il y a avec plein de choses sur scène. Des bouquins. Des guitares. Des fringues. Des os. Le crâne évidemment. Des résidus de marché aux puces. Et après? Dans mon salon aussi il y a tout ça. Les mauvais jours. Au moins moi, je ne pisse pas dans les bassines. Et tout ces objets ne font pas sens. Sauf le sens qu'on finit par leur prêter. Comme lors d'un test de Rorschach. Ici pour tuer le temps. Pour éviter de trop s'emmerder. Inventaire après faillite. Au bout d'un temps, des acteurs parlent. Disent des morceaux de textes. Encore des débris. Decontextés. Y.N.G. montre qu'il a des lettres. Tant mieux pour lui. Dommage pour nous. Shakespeare. La Bible. Corneille. Montherlant. Bel alibi. Pour en faire quoi? Et Cabrel aussi. Et Eddy Mitchell. Pour tout mettre sur le même plan. Style cultures au pluriel. Symptomatique. Est ce la mort du théâtre? Mise en pratique? Tout balayer pour reconstruire à partir des débris? Mais pourquoi ? Le théâtre est bien vivant. Mais juste bien vivant ailleurs qu'ici. Audacieux. Inquiet. Travaillé. Fort. Avec des gars à poils, mais à poils intelligemment. Qui parlent à poils intelligement. Ici on ne voit que des débris. Ici, en trois mots: c'est bâclé. Improvisé ou préparé en l'état? Peu importe. C'est juste déplacer le problème. En amont. On applaudit pas.

    C'était Hamlet   , d'Yves-Noël Genod, avec Guillaume Allardi, Julien Gallée-Ferré, Frédéric Gustaedt, Yvonnick Muller, Marlène Saldana, Thomas Scimeca, la Halle aux Cuirs de la Villette, avec 100 dessus dessous.

    Guy

  • Lost

    Les rescapés explorent l'île par petits groupes, veulent en percer les mystères, se retrouvent impuissants confrontés aux volontés des étranges habitants du lieu, sont terrorisés par des phénomènes inexpliqués, par les apparitions de monstres et créatures surnaturelles.

    Ce n'est pas la dernière saison d'une serie made in Los Angeles, c'est juste La Tempête, oeuvre tardive de Willy, son quasi testament. Une pièce étrange et onirique, presque ésotérique, de quoi occuper les fabricants d'exégèses fc017e753e191a7a214000796a70ca18.jpgpendant quelques siècles. En tous cas une pièce atypique dans la production shakespearienne: ici nulle passion qui menerait un Macbeth ou un Othello jusqu'à son propre anéantissement, ni intrigue à proprement parler qui nous tiendrait en haleine. Trahisons, luttes de pouvoir: toute l'action a eu lieu avant  la pièce, dans un temps ordinaire, suspendu par la tempête. Ensuite, comme dans les séries d'aujourd'hui, les naufragés rencontreront leur vérité à travers les épreuves. Mais c'est l'île elle même- et ses incarnations primitives: Ariel et Caliban- qui est le personnage principal de la pièce. Un lieu de magie, mais comme empreint d'une lassitude apaisée, où les passions se résolvent, où les fautes sont pardonnées.

    L'île est donc un lieu hors du monde et du temps, avec plus d'évidence encore que la forêt du Songe d'une nuit d'été, ou l'Illyrie de la Nuit des rois, une puissante métaphore de l'espace théâtral lui même. Il faut donc que soit imposé à nos esprits l'étrangeté de ce lieu: c'est chose faite dés l'entrée, avec, agitant quatre grandes voiles, une effrayante tempête, ensuite souvent le son des tambours, de beaux effets de lumière, et une juste part laissée au ténèbres. Le texte est ensuite joué avec humilité, mais avec intélligence. Dans cette troupe peuplée de têtes familières pour qui fréquente le T.N.O. François Paul Dubois en Prospero dégage une irrésistible mélancolie, tout autant que de l'autorité. Frédéric Touitou  surjoue un peu Caliban. Surtout, Carlos Ouedraogo campe un Ariel résolument, étonnement, delicieusement africain.

    Tous les mystères ne seront pas éclaircis, tant mieux. Mais qui est vraiment le magicien Prospero, un homme qui, fait extraordinaire, renonce de lui même à sa magie? Peut être ce Prospero est il déjà mort, nous suggère à l'oreille une voix perspicace.... 

    C'était la Tempête de William Shakespeare, mise en scène par Bernard Mallek et Paola Rizza dans le cadre de l'intégrale Shakespeare, au T.N.O.

    Guy

  • Timon-Macbeth: 34-10

    Le match est disputé sur un terrain qui n'est pas neutre. Sur lequel les deux équipes se sont entraînées: la salle Laborey du T.N.O.. Mais chaque camp joue seul et en alternance, devant un public silencieux, ni cornes de brumes ni sifflet. Quand à f661ae2a6ca0d7997ec45348352e1e30.jpgl'arbitre, c'est le grand Will en personne. Dans les ceux équipes, pas de stars internationale, mais des talents déjà remarqués. A noter, au nombre des transferts, Audrey Sourdive, déjà remarquée en pilier dans la mêlée des religieuses de Port Royal, ici talentueuse dans le rôle de la Lady. Macbeth part favori, avec l'avantage de la notoriété, un public presque acquis, plus exigeant aussi? Timon d'Athenes du même Shakespeare est un outsider, quasi inconnu, mal aimé des critiques, qui vont même jusqu'à douter de la paternité de la pièce.

    Las, Macbeth peine à marquer, un peu joué ras le texte. Beaucoup de passes manquées entre les acteurs, pas tous du même niveau. Jouent ils trop perso? Déception, on se souvenait de l'entraîneuse plus inspirée par Montherlant. ll y a des beaux moments de jeu, pourtant, mais trop de démonstrations inutiles, de longueurs plombés d'emphase. On se disperse, sans rentrer dans nos 22 mètres. La sorcière marque un essai, mais pas pas vraiment transformé. Trop de pression? Manque d'entraînement ?

    Timon fait vite la différence, d'une élégance intemporelle, en habit chic colonial. On se souvient de la performance de l'équipe sous la bannière de Jeanne d'Arc. Le terrain dramatique est ce soir43fb9e1190dd68ce707aa010afb73124.jpg bien occupé, dominé d'un bout à l'autre. L'avantage est assuré par un jeu de haut niveau dés le début de partie, sur les thèmes de la prodigalité de Timon et de l'hypocrisie de ses invités. Jerome Keen marque l'essai. Actions d'équipes brillantes à la mi temps, alors que Timon est ruiné, la scène du banquet d'eau chaude servi aux convives avides est d'une précision et d'une énergie à couper le souffle. Dans un même mouvement, l'aisance et l'efficacité. La transformation est réussie, lors d'une belle malédiction jetée à la face d'Athènes, par un Timon amer. Le choc: on est plaqué. Fin de partie un peu moins vive, plus défensive, avec Timon l'ermite.

    C'était Macbeth, mis en scène par Damiane Goudet, et Timon d'Athènes (traduit par Jean-Claude Carrière) mis en scène par Cyril Le Grix - La Torche Ardente,  au T.N.O. en alternance jusqu'à début mars, dans le cadre de 'intégrale Shakespeare.

    Guy

    P.S. : des photos de Timon, ici

  • Othello, noir, blanc, lumières

    Sans Iago, Othello serait il quand même Othello? Sans les suggestions de Iago, se tourmenterait-il jusqu'au délire d'images de trahison? Deviendrait-il de lui même littéralement fou de jalousie, au point d'étrangler sa Desdémone? Suffit-il que Desdémone soit très femme et très sensuelle entre ses bras, pour que tôt ou tard il s'en effraye, jusqu'à la croire putain, forcement infidèle?

    8f7f9f783258f6e6d20fd77324f6a1b4.jpgC'est sans doute la question la plus importante posée par la pièce. La seule question, même. A chaque mise en scène sa propre réponse. Ce soir la réponse est claire: on ne voit que Iago, qui tire toutes les ficelles, et Othello mené par le bout du nez. Ce qui reporte l'attention sur les motivations de Iago. Envieux ordinaire, ou être démoniaque? On se focalise sur ce personnage, mais peut être par l'effet d'un déséquilibre palpable du jeu: Iago (Alexandre Mousset, qui était tout autant remarquable dans le costume du fou de la Nuit des Rois) est ici charmeur, nerveux et implacable, ouvrant un monde d'ambiguïté à chaque syllabe. Alors qu'il manque quelques années, ou quelques kilos, en tout cas encore de l'autorité à l'Othello de ce soir pour s'imposer solide et inquiétant, tel un tueur, tel un chef de guerre. Au moins est il crédible dans l'expression de la fragilité de la folie amoureuse: la scène du meutre ressemblera absolument à une scène d'amour. Partagée avec Karine Leleu (qui fût Pasiphae ici même), depuis le début charnelle, et innocente à la fois, jusqu'à la transparence. Ce duo s'est déjà épuré en une belle rencontre du noir et du blanc, à compter de l'instant où Othello, gagné par la folie et les ténèbres a abandonné son manteau. L'austérité de la scène du T.N.O., éclairée de quelques lumières est propice à d'aussi belles oppositions. 

    C'était Othello de William Shakespeare, mis en scène par Edith Garraud, au Théâtre du Nord Ouest. Dans le cadre de l'intégrale Shakespeare, jusqu'à fin février.

  • Lucrece: la soif du mal

    C'etait sans doute sur scène le mieux à faire que de dire le moins possible du texte de Shakespeare. De le laisser résonner par quelques phrases et de suggérer le reste, dans le suspend du silence et de la semi-obscurité. Plages de noir funèbre, préparatifs insouciants de Lucrèce au coucher, 03993b259ece7e9680cd09d56774ec99.jpgchemin dans l'ombre de Tarquin vers son crime, déjà sur la couche de Lucrèce l'opposition violente du rouge et du bleu. Puis la brutalité précipitée des gestes. Après, de quelques mouvements, le dégoût muet et prévisible qui envahi Tarquin. Le désespoir, la mort de Lucrèce.

    Le poème est ce soir épuré de toutes ses redondances et fioritures d'origine, de tout ce qui pourrait paraitre trop élégant. Nu comme la scène, réduit à deux voix et pour chacun des deux protagonistes repris à la première personne: par la voix de Tarquin le criminel, par la voix de Lucrèce la victime. Pour chacun l'intense exposé du trop plein de son intériorité. Ces deux voix ne se rencontrent jamais, surtout pas lors de ce faux dialogue: les menaces de Tarquin ne sont que ponctuations qui accompagnent l'usage de la force, les appels que lance Lucrèce à l'honneur, la pitié, à la raison inutiles, car Tarquin a d'avance choisit de les ignorer, ayant déjà de lui même pensé et balayé tous les arguments.

    Le jeu est sans cesse retenu juste avant de toucher aux limites des pleurs, de peur de trop montrer, de peur du pathétique? Le théâtre de Shakespeare est il celui des passions qui se consument et succombent à elles-mêmes? On voit ici, d'une manière qui ne pourrait être plus sobre et directe, l'exposé moral du mal en action. Le mal absolu en ce sens qu'il est totalement conscient de lui-même et de ses conséquences, et qu'il renonce d'autant moins à s'accomplir. Le désir, dont Tarquin dit d'avance que sa satisfaction sera brève et vaine, passe presque au second plan face à la fascination qu'exerce le crime sur lui. Une pulsion irrésistible de destruction. La nécessité de la détruire elle, et se détruire lui-même. Pour Lucrèce, par ce seul crime le monde s'affaisse sur lui-même, noir et douloureux. Désormais impossible. Par sa voix la révolte-et non une plainte- qui s'exprime s'oppose autant contre le monde entier que contre Tarquin seul.  

    C'était le Viol de Lucrèce de William Shakespeare, mis en scène par et avec Achai Finance et J-Luc Mingot, au T.N.O..

    Guy

  • La Moukère Apprivoisée

    L'oeuvre d3bd9fd3f371b12fe80e263a7e82af40.jpgde Shakespeare est universelle. Si cette oeuvre est universelle, elle appartient donc à tout le monde. Si elle appartient à tout le monde, chacun peut bien en faire ce qu'il veut. Et détourner les flots du texte vers les préoccupations de l'époque. Chaque génération voit Willy à sa porte.

    Avec ici un Petruchio sous de nouveaux habits, aux couleurs islamistes, réduisant Kato de rebelle à recluse, dressée au son des muezzins, soumise, voilée, enfin éteinte, presque endeuillée. Ici l'on tique, et ce n'est pas coté politique. La religion, et son emprise sur les attitudes sociales, se trouve depuis des siècles dans la ligne de mire des artistes. C’est plus que normal que l’islam puisse aujourd’hui être visé. Mais le fait est qu'interprétée ainsi, la pièce de Shakespeare en ressort un peu rétrécie. Bien à l’étroit dans ce contexte. En sens unique. Sans pouvoir prétendre à l’intemporalité.  

    Mais peut-être La Mégère Apprivoiséen’est elle plus montable ni montrable aujourd’hui, si on respecte son sens originel. Dans une conception Elisabéthaine des rapports matrimoniaux, la femme finalement heureuse et soumise au mari en remerciement amoureux de sa protection, de même que le sujet est soumis au souverain. Par la voix de Katharina dans son dernier monologue, Shakespeare plaide- au moins dans cette pièce ci- pour un monde bien ordonné. Au regard des consensus moraux contemporains, cette morale est insoutenable, évidemment. Le metteur en scène d'aujourd'hui ne peut que tenir Shakespeare à distance. Et dénoncer la violence faite à Kate, ici voilée à la mode du jour.

    Cette conclusion amère a le tort, ou le mérite, de nous mettre brusquement mal à l’aise. Après une première partie jubilatoire, qui voit Petruchio- Christophe Jean- déborder à plaisir de la scène. Qui rie, hurle, éructe, boit, crache, bouscule, se fait soudain matois, rugit, déboule à poil à ses noces. Joue de tous les moyens d’une virilité conquérante et agressive. Face à cet ouragan, Katharina/Kathe/Cato- Lisa Sans- doit lutter pour exister et faire entendre sa voix, au bord de ses limites physiques. Et réussit un travail plus en nuances, qui met en relief sa défaite d’autant plus cruellement.

    Le monologue final de Kato, manifeste de sa soumission à genoux devant Petruccio, résonne comme la récitation atone d'un prisonnier politique après un lavage de cerveau. Après une mise en condition- torture morale, privation de nourriture, etc… -digne des prisons d'un régime totalitaire. Petruchio conditionne Kato à répéter après lui que le soleil brille alors qu’il fait nuit, moyen de l’habituer à perdre le sens, à se résoudre à l’absurde à et s’habituer à l’obéissance. Cela évoque plus "1984" de Georges Orwell qu’une joute amoureuse. Derrière nous, dans l’intimité de cette salle minuscule s’indigne une spectatrice. Contre le personnage ? La mise en scène ? L’auteur ? On ne sait pas vraiment, mais elle s’indigne et c’est sûrement le but recherché. 

    C'était la Mégère apprivoisée de William Shakespeare, mis en scène par Cedric Grimoin, au Théatre du Nord Ouest.

    Guy

  • Shakespeare, pleine mesure

    Parvenu dans la salle du bas, on traverse comme à chaque fois la scène pour rejoindre son fauteuil. Mais on est accueilli ce soir sur cette scène par des jeunes gens qui y dansent, jouent de la guitare et des oeillades langoureuses. 5c253727713ad0541e02345447c02e02.jpgBelle troupe qui chante à l'unisson, dont trois rousses qu'un ado dévore des yeux. Belle invitation, évocation un peu canaille, mais assez sage à tout prendre, des bas-fonds de Vienne.

    On s'y amuse, dans ces bas-fonds, mais pas pour très longtemps. Car le Duc décide de quitter Vienne et laisser les pleins pouvoirs à son régent, Angelo, que celui ci remette de l'ordre dans les moeurs et la cité. Que la loi soit y appliquée dans toute sa rigueur originelle. Première mesure prise pour l'exemple: condamner à mort le jeune Claudio au motif de fornication.

    Difficile d'attaquer de manière plus extrême, on peut après ce départ en force considérer dans quelles situations la justice doit s'oublier pour accepter la tentation du pardon. Avec une intrigue qui se complique, car, comme souvent chez Shakespeare,les masques se flouent ou tombent: le pur et dur Angelo n'est pas si pur que cela, d'une humanité même odieuse à force de passions secrètes. Tandis que le Duc, allégé du poids de l'autorité, revient incognito observer les résultats de l'expérience: c'est un air connu et repris dans maints contes. Dilemme sur Dilemme, chez chacun des personnages s'affrontent en un combat aux ressonnances érotiques la rigidité des principes et la fragilité de la condition humaine. En premier lieu chez Isabella, soeur de Claudio, mise en situation de céder aux avances d'Angelo et ainsi pécher contre ses voeux de nonne. Mais pour la bonne cause: sauver par là la tête de son frère. Chacun des protagonistes se partage, confronté à la décision. C'est dialectique et joué sur le rythme d'une réthorique jamais pesante et trés moderne, on croirait par moment voir du Montherlant.

    Avant Hamlet, le Roi Lear, Othello et consorts à la rentrée, le T.N.O. prend le risque de laisser un peu de place dans cette intégrale Shakespeare à des jeunes compagnies. Sans convaincre à tous les coups- on a vu peu avant ici un Conte d'Hiver entrepris avec un peu trop de naïveté. Mais en permettant d'excellentes surprises. C'est ce soir le cas: passé la nervosité un peu palpable des premières minutes, l'enthousiasme paye. Car il est ici justement question de générosité, d'appétit de vivre et d'aimer malgré les lois et les règles. La pièce commence en drame, mais c'est le pardon et la tolérance qui ont le dernier mot, dans une très belle conclusion, sage et appaisée. D'une thématique, c'est assez inhabituel chez Shakespeare, nettement chrétienne.

    C'était Mesure pour Mesure de William Shakespeare, mis en scène par Béla Grushka, en alternance jusqu'en février 2008 au T.N.O., dans le cadre de l'intégrale Shakespeare.

    Guy

  • Shakespeare: Windsor au T.N.O.

    D'abord on aborde cette pièce coté coulisses, bien obligé car cette pièce déborde chaque début de soirée dans la salle d'attente du T.N.O.. Là où l'on attend pour par exemple aller voir une autre pièce dans l'autre salle du bas. On attend là et 367a050c1daef11448ee05ecf9705138.jpgpar la porte de la salle du haut surgissent des comédiens qu'on ne peut pas ne pas remarquer- des ours, un curé, un juge, des dames en robes d'époque, des jeunes premiers, un Falstaff qui se saisit de bois de cerfs...- ils tournent en rond seuls ou à plusieurs, mais toujours un peu absents, et bientôt repartent dedans à l'assaut. Et chaque fois que la porte de la salle du haut s'ouvre, on entend d'où l'on est quelques répliques et des éclats de voix, des applaudissements.

    Difficile donc de longtemps résister à la curiosité d'aller voir la pièce à l'endroit. On retourne bientôt au T.N.O. dans la salle du haut, là où les fauteuils entourent les comédiens. Là on peut enfin mieux les compter, ils sont jusqu'à seize à se dépenser et on aurait jamais cru que la salle du haut du T.N.O. puisse les contenir tous à la fois. On comprend bientôt pourquoi ces "Joyeuses Commères de Windsor"embarrassent souvent les commentateurs, qui expédient l'affaire en deux pages de préfaces discrètement glissées avec le texte dans les oeuvres complètes. Il s'agit bien d'une farce, à mille lieues des élégances métaphysiques d'Hamlet. Avec Falstaff, vieux galant, berné par deux commères. On lit que, selon la tradition, William aurait écrit la chose en deux semaines pour plaire à Elisabeth La Première. Cette explication ressemble à des excuses. 

    Mais ce soir personne n'a rien à excuser, bien au contraire. On comprend aussi combien il faut d'énergie, de métier, d'humilité, pour mener sur scène cette affaire à bien, joyeusement assumée, pour tout forcer- accents, quiproquo, costumes, gouaille, gestuelle et mimiques- sans jamais agacer. Ne jamais perdre le rythme, tenu par les acteurs qui courent en annonçant sur des pancartes chaque changement de lieu. A l'approche de la fin, la bouffonnerie s'envole dans le merveilleux, avec une ronde narquoise d'elfes et de fées, avant que le vaniteux Falstaff ne s'éveille dans la désillusion, tout son ridicule dévoilé. Vieilli soudain jusqu'à ses propres yeux. Après cet instant cruel, c'est pour tous les personnages le temps de l'indulgence, il ne reste plus à Falstaff qu'à aller boire avec les maris à qui il a voulu faire porter des cornes: "ce que l'on ne peut éviter, mieux vaut s'y résoudre de bonne grâce"

    On rit, on applaudit. Pas trop longtemps quand même, afin de permettre à deux des comédiens de déjà s'échapper pour aller jouer Mesure pour Mesure, celà commence dans cinq minutes dans la salle du bas.

    C'était Les Joyeuses Commères de Windsor,  de William Shakespeare, mis en scene par Idriss au Théatre du Nord Ouest.

    Guy.

    En photo, on a reconnu en Falstaff l'immortel Orson Welles, version 1965.

     

  • Deux nuits, des rois

    Que notre boussole nous ait guidé jusque dans la salle de l'Etoile du Nord ou plus bas dans celle du Théatre du Nord Ouest, on débarque de toute manière sur les rivages d'une imaginaire Yllirie. Libre et naufragé. C'est dire que l'on entre dans le b6cab4885daf41539748acf8f5b50a1f.jpgpays de l'illusion, et de toutes les possibilités. On perd pied dans les sables mouvants de l'imaginaire amoureux, où chacun ose se rêver, sans interdit de rang ou de sexe, dans les bras de l'être aimé. Lui même reconstruit selon tous nos désirs. 

    L'intendant Malvolio se voit plus grand qu'il n'est, imagine sa noble maîtresse Olivia à ses pieds pour qu'il puisse mieux s'élever lui-même. Viola-Octavio, fille travestie en garçon, est aimée de cette même Olivia. Pour cette Olivia encore le Duc Orsino se languit, mais Viola travestie en secret n'a quant à elle d'yeux que pour le Duc. Qui en Viola ne voit que le garçon Octavio, un garçon chéri, mais un garçon quand même. De cet écheveau de désirs lancinants et frustrations ambiguës, personne ne sort indemne. Et surtout pas Viola, écartelée entre ses rôles et ses identités sexuelles, sérieusement névrosée. Il ne faudra pas moins que le retour d'outre tombe de Sébastien, son frère jumeau, pour que Viola puisse se dédoubler en deux sexes opposés, pour la satisfaction conciliée du Duc et d'Olivia. Remise au clair des genres masculin et féminin, attestée de visu par une mise à nue finale- sur la scène de l'Étoile du nord on s'en serait douté- mais si timide et triste, qu'elle ressemble à la mort de l'amour. Au moins entre temps Toby le bon vivant, oncle d'Olivia, aura copulé joyeusement avec Maria la servante, Sir Andrew naif et puceau aura courtisé Olivia mais sans désir 39196a342684be7c9c73741e781d86ce.jpgflagrant, à l'inverse d'un certain Fabien aimant Sebastien-le frère jumeau- jusqu'à se faire battre pour le défendre.

    Si on nous lu jusqe là, on conviendra qe la pièce est trop impossible et embrouillée pour qu'on puisse la jouer littéralement. Nicole Gros au T.N.O. s'y essaie pourtant, et bien évidemment n'y réussit qu'à moitié. La moitié très réussie tient aux personnages comiques-Toby, Sir Andrew et le Bouffon- qui emportent leur partie à force de verve et de chansons. Alors que les autres personnages, cantonnés au registre de la gravité, s'épuisent à se heurter sans succès au scabreux et à l'invraisemblable des situations. En premier lieu la pauvre Viola, ici travesti tétanisé. Résultat: tout cela se traîne un peu, à force de trop de sagesse.

    Julien Kosellek et Cedric Orain à l'Etoile du Nord contournent la difficulté en adoptant d'un postulat inverse: les rôles sérieux sont traités d'emblée avec une distance grotesque. L'illusion théâtrale-projecteurs manipulés par les acteurs, costumes surchargés de références et autres conventions bousculées- est mise sur le même plan d'évidence que l'illusion amoureuse. Stratégie gagnante en l'éspèce: on peut s'en amuser sans être obligé d'y croire. Le Duc se languit en emphase. Viola (Céline Milliat-Baumgartner), tremblante, exude à chaque instant de confusion. Olivia à sa vue semble être illico gorgée d'hormones. On échappe pas à des facilités, dont un medley beatles laborieux, ainsi qu'à des incursions déprimantes dans une ambiance de backroom glauque- peut-être la marque d'un nouveau conformisme. Mais tout n'est pas gadget, une gazelle de chantier se prête à des exploitations scéniques appropriées. Plus audacieux, pour suivre jusqu'au bout la logique de l'inversion, les rôles comiques se chargent d'une nouvelle gravité. Toby devient plus voyou et pervers que débonnaire, et Malvolio surtout, humilié par tous pour avoir prétendu aimer plus haut que son rang, retrouve ici un tragique émouvant dans l'exposé de sa souffrance.

    C'était La Nuit des Rois de William Shakespearemis en scene par Julien Kosellec et Cedric Orain, au Théatre de l'Etoile du Nord, jusqu'au 4 août. C'était La Nuit des Rois de William Shakespearemis en scène par Nicole Gros assistée d'Elise Rouby au Theatre du Nord Ouest, en alternance jusqu'en février 2008.

    Guy