Dieu est mort. Il chante encore. Avec la voix cristalline d'un jeune congolais contre ténor. Sur le T-shirt de ce dernier reluit un Christ kitch et irrémédiablement iconique. Déserté. Dieu est mort, reste l'humanité esseulée. Sur le plateau pas de mariages: un enterrement. Un groupe en noir de deuil. A coté- indifférents - une addition d'individus hagards et en couleurs. Tous seuls donc, désemparés, des corps fragiles qui chassent la gêne de gestes oppressés, se cherchent à deux en frottements laborieux, en coïts hasardeux. Dieu est toujours mort. Même la musique s'est arrêtée. Pour un moment audacieux, prometteur, de chants a capella. Enfin ensemble. Mais avant de nouvelles dispersions. Des démonstrations névrotiques et acrobatiques. Les danseurs se portent les uns les autres comme on porte des blessés. Leur chair est fragile, des peaux à plisser et meurtrir. Les corps émouvants. Vulnérables dans le vaguement ridicule de sous-vêtements, plutôt que dans le superbe de la nudité. Seuls, mais soudain unis en un moment ensemble arraché à la pesanteur, portés très haut par la musique avant qu'encore se disperser. Le passage est époustouflant. C’est tout et c'est peu. Car ce moment retombe, laisse la place à des duos saccadés, des soli convulsifs, comme si la réunion n’avait pas eu lieu. Tout est dit, à peine une demi-heure est passée. C'est dans ces alternances de solitudes et de communions qu’aurait pu monter la pièce en tension. C'est justement dans ces allers - retours que la pièce échoue. C’est là où elle se répète en procédés à perdre le sens, et répète V.S.P.R.S. . Le pari était courageux de concilier le sublime et le vulgaire, le profane et le sacré. Le pari est perdu, et l’on ne sait même plus si la compassion était le vrai sujet.
Dieu est mort, quoi après ? On espère la naissance d’un humanisme, on ne voit qu’hystéries, épilepsies, pathologies. Une humanité à prendre ou à laisser? L'empathie se refroidit. L'homme, seul, a du mal à danser. Il s’agite. Jette des pierres sans se soulager de son fardeau. Par un confessionnal- parloir on entend les dernières confidences au micro des condamnés à mort. L’amour y est un aveu difficile. Mais on reste de l’autre coté de la vitre. On assiste à des rites détournés, on voit des tableaux vivants de la renaissance. Expédiés. Une passion christique, le linceul vite emballé, comme une formalité. Pour dire quoi? Juste pour faire une belle affiche? En haut pendent en dépouilles des peaux de bêtes, en bas les danseurs sont embarrassés de leurs vêtements bariolés, ils les enlèvent, les remettent. Ils cherchent la lumière et ne grattent que des allumettes. A intervalles réguliers, le sublime se réfugie en suspend dans la musique, l’orchestre de huit musiciens d’en haut domine et entretient lyriquement la flamme de la spiritualité: autour de la musique de Bach d’obsessionnels obstinati, véhicules de vaines transes pour ceux d’en bas.
L'enterrement a duré deux heures, ce qui est long. Une dernière étreinte et chacun rentre chez soi. La compassion a eu son moment, rien n’a servi à rien. Dieu est mort, la danse balbutie, reste la bande son.
C'était Pitié, d'Alain Platel (Concept et mise en scène) et Fabrizio Cassol (musique originale, d'aprés la passion selon Saint Matthieu de J.S. Bach) au Théatre de la Ville.
C'était fini le 29 octobre.
Lire d'autres expressions de deceptions: Images de Danse et Native Dancer, et tout pour la musique, sur Bien Culturel.
P.S. : "L'homme y est réinterprété comme corps incarné, faible, en échec. Cette religion insiste sur l'ordinaire et l'accessible, elle est hantée par la dérision, la mort et le deuil. Après une modernité désincarnée proposant ses icônes majestueuses, on en revient à une image incarnée, une image d'après la chute." texte de 4° de couv' de L'art contemporain est-il chrétien , Catherine Grenier, Éditions Jacqueline Chambon.
plan, de gauche à droite de la scène et retour, ni profondeur ni mouvement vers le haut, bête sans ambiguïté. Le collant est hérissé, évoque de plutôt loin les photos de Nijinski. Faute de nymphe disponible, la créature finit par faire l'amour aux cônes de lumière, sa corne repositionnée où il faut, dans un élan masturbatoire et espiègle. On ne sait au juste ce que Marie Chouinard a choisit de retenir de ceux qui l'ont précédés, pour exécuter ces deux pièces de répertoire, et ce qu'elle a choisi d'oublier de toute la tradition pour revenir à plus archaïque, mais le résultat est drôle et perturbant.
que l'Annonciation. Moment fondateur du Nouveau Testament, à la source de la nativité et de la rédemption.
La problématique spirituelle ne peut être spirituelle encore, on est tenté de voir ici l'émergence ambiguë d'êtres mi-homme, mi bêtes. Mais l'accent est plus mis sur les rapports entre les créatures que sur leurs combats intérieurs. Ce duo masculin, poitrines et cranes nus, évolue tout en muscles et virilité. Les contacts se transforment tout autant en étreintes qu'en chocs, les bras et jambes s'entremêlent pour redonner naissance à un seul être primitif et fusionnel, les affrontements eux-mêmes se résolvent pour laisser place à des moments d'oubli animal. Ces phases toujours soutenues par un subtil tempo, sous jacent. Le travail des jambes est admirable, ce qui est bienvenu s'agissant de centaures. Le tout aboutit à un résultat d'un beau classicisme, dont on a du mal à départager s'il est sage ou innovant.

Mais on oublie toutes inquiétudes dix minutes après le commencement, juste le temps de se souvenir que cette fameuse distanciation brechtienne ne fût sans doute à l'origine appliquée que relativement, même à en relire Roland Barthes. Qui voyait dans le théatre de Brecht un art permettant un certain recul permettant des prises de conscience, non un art froid et désincarné. Mais peut être ce débat est il oublié, et si les acteurs portent ce soir des masques, c'est qu'ils jouent une farce. Dans une tradition de comedia dell'arte. Avec un esprit de caricature, des voix déformées, des costumes bariolés, des accessoires loufoques, des courses, des chutes et des chansons.
branché technologie. Et à l'entrée fait distribuer des I-Pods au public, c'est la grande affaire de la soirée. On abandonne au guichet sa pièce d'identité- on a failli écrire qu'on abandonne son identité- en échange du petit appareil blanc immaculé et avec si peu de touches. On a fort à faire à procéder au premiers essais écouteurs aux oreilles, et déja s'est ouvert avec la fosse d'orchestre un gouffre entre les spectateurs et la scène, pour ne jamais par la suite être comblé.