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théâtre - Page 9

  • Soudain un secret

    Bonsoir Marie,

    Un grand merci pour ton incitation/invitation à découvir Soudain l'été dernier. Il me fallait bien ça: j'ai toujours un peu peur de Tennesse Williams. Il y a tout ce texte, si abondant, tellement qu'on a parfois l'impression que les acteurs en sont à se battre contre lui.

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    A un point qu'on se doute vite que tous ces mots, ces redites, ces accumulations, ont pour fonction de cacher la vérité plutôt que d'expliquer des enjeux et des situations. Et évidemment, le sujet de la pièce, c'est le secret. Les secrets, au delà du seul mystère du meurtre de Sébastien. Catherine- ton personnage, le témoin du drame- finira par réveler contre tous ceux qui refusent d'entendre cette vérité et veulent la faire taire, jusqu'à envisager de la lobotomiser. Il y a d'ailleurs une belle trouvaille de mise en scéne: ce jardin (secret) de Sebastien, au coeur de la maison, que tous admirent sans le voir: il est représenté sur scéne par un mur de lumière de coté, l'inconscient aveuglant hors de portée... Et d'ailleurs à part cela il n'y a pas besoin de beaucoup de décors, tout en sobriété. La piece, cruelle et concentrique, est entière construite pour préparer la révelation finale délivrée par Catherine, elle se rassemble autour de cette attente. On se console de ce qu'il y a d'un peu pesant et pas coupé dans la première partie en se disant que cela est sans doute nécéssaire. Puis tout s'accélère, enfin il y a ton monologue, trés logiquement dans cette construction dramatique une belle récompense. D'autant plus qu'en toute sincérité (il y en aura pour me croire complaisant, tant pis pour eux!), tu y es excellente. Trés émouvante. Tu réussis à ne pas quitter la fragilité de Catherine, sa folie, tout en installant une autorité dans ce recit précis et halluciné. (Catherine est-elle folle en raison de ce traumatisme, ou à cause du déni qu'elle subit depuis? ...) La scène donc est intense et en même temps d'un calme immense, presque en suspension, dans l'oeil du cyclone. On entend les oiseaux, on devine une lumière aveuglante, on voit sur cette plage ces enfants nus, noirs et malingres, on assiste au drame qui se prépare, cet avenir écrit, soudain au passé. En même temps, dans ce terrible récit tout n'est pas nommé, l'indicible au centre, le récit prend une telle force que toutes les interprétations ne sont pas épuisées, et résonnent encore à travers nos préoccupations contemporaines, prés de la brûlure des tabous... Alors tout commence! Heureux que vous ayez déja pleins d'articles, ici, et là encore (ce dernier texte à déconseiller avant d'avoir vu la pièce:il en dit beaucoup trop), ma contribution est donc un peu décalée.

    Plein de bises, Isabelle t'embrasse aussi, qui de même a adoré comme tu jouais, et me souffle "que les fumées de cigarettes dessinent un ciel noir et blanc digne d'un film de la MGM". Dernière chose: si tu peux me trouver des photos libres de droit, je prends volontiers.

    Guy

    P.S. pour qui d'autre me lit, c'est mis en scène par René Loyon, au Théatre de la Tempête, jusqu'au 13 décembre.

    P.S. du 27/11 : photo d'Antonia Bozzi avec l'aimable autorisation de Marie D. , et à lire, l'article de Martine

  • Nagège Prugnard: Femmes Fatales

    Si M.A.M.A.E était un morceau de jazz, il pourrait être signé Charles Mingus. Avec en fil rouge une pulsation obsédante et organique brisée par de e5e921eec1e6e9cff9c5c6bc3e220402.jpgsoudaines éruptions de stridences et de provocations, avec un humour féroce et politique, avec des impressions de sang, de larmes et de sueur, et d'un bout à l'autre, malgré des plages de réveries et de tendresse, un grondement de révolte et de colère. Un morceau hurlé à six solistes qui se soutiennent et se répondent. Un morceau traversé d'éclats modernistes et toujours techniquement maitrisé.

    La métaphore n'est pas gratuite: les mots s'installent et s'imposent d'abord par leur musicalité, portés par les six voix et à travers les six corps en soutien rythmique, pour six portraits de femmes dans tous leurs états d'urgences, d'excès et de dépendances. Sur tous les terrains de saturation des boulimies sexuelles, affectives, artistiques, consuméristes, politiques. Les six personnages, chacune différente incarnation de la femme portée à vif, recrachent par attaques verbales tout ce qui à l'intérieur fait mal, à en pétrifier d'effroi le mâle pris à témoin dans la salle. Le moment où est mise en évidence la violence que porte en lui le regard du spectateur-quand poussé à l'extrême de sa logique- n'est pas le moins dérangeant. L'exploit est qu'il y a ici toujours de l'audace, jusqu'au rire d'incrédulité, jusqu'à l'obscènité du verbe quand il le faut, mais sans jamais de vulgarités. Le mérite en revient à une écriture d'une belle pertinence, et à une réalisation sans gratuités. Qui s'allient pour mettre tout à bas de la convention théatrale, et reconstruire aussitôt.

    C'était M.A.M.A.E- Meurtre Artistique Munition Action Explosion   ♥♥♥♥  , de Nadège Prugnard, mis en scène par Marie-Do Fréval en collaboration avec Nadège Prugnard, avec Véronika Faure, Marie-Do Fréval, Sophie Million, Johanne Thibaut, Juliette Uebersfeld, Tessa Volkine, au Lavoir Moderne Parisien.

    Cet article  a été initialement mis en ligne le 18 janvier 2008, M.A.M.A.E. est présenté au théatre de la Bastille, aujourd'hui samedi à 18H00.

    Guy 

    P.S: Monoi est ici

     

  • La possibilité d'une pièce

    Est-ce trop? 

    Roboratif sûrement, compulsif, cabotiné, effusionnel, exagéré, long, trop plein même au point d'en écoeurer certains... Mais c'est qu'à la perfection, la forme répond au fond! En substance, au delà des histoires gigognes que l'on ne saurait résumer, la possibilité de la fiction est elle même dans cette pièce remise en question, crée la tension entre vide et accumulation. 

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    Il y a pour commencer un prétexte narratif digne du scénario d'un vieux Star trek. Dans un futur lointain et amnésique, les "intelligences" extra-terrestres qui nous gouvernent, exigent de se nourrir de nos fictions. Il faut donc en inventer, sous pression, et à partir de là se téléscopent en un joyeux syncrétisme les références littéraires et artistiques (de Bosh à Philippe K. Dick) et les esthétiques populaires: série B et chinoiseries, burlesque et soap opéra, non-sens et science-fiction, pièges logiques et effets à sensations, sous-marins et détectives privés, miss Venezuela et télé-réalité. Entre les différents niveaux de récits, le jeu en direct et les scènes videos se répondent avec jubilation. Question de survie, les innombrables personnages courent et créent frénétiquement, quitte à en faire des tonnes-il faut lutter contre le vide-, toujours au bord de l'épuisement. On devine la création, celle de la piece, pas seulement celles des pièces dans la pièce, trés collective. Dans cette lutte les uns incarnent les artistes - cet écrivain à succés réduite à se plagier elle-même-, les autres de froids logiciens s'éfforçant d'inventer des fictions combinatoires nourris de modèles mathématiques. Si la parabole est évidente, lorgnant vers notre société en besoins contradictoires de sens et de divertissements, et évoquant les eternelles difficultés de la création, on attendrait en vain des réponses. Les évidences s'effrittent en exacte proportion de leur apparente solidité: ceci par exemple n'est pas une plante, mais juste son idée, et l'on ne peut plus se reposer sur le calendrier grégorien. Cette troupe joue Spregelburd comme elle joue Copi: hilarante, grinçante et travestie, au mépris du bon goût, avec toujours affleurant quelque chose d'inquiet, voire de desespéré. Drôle, virtuose et agaçant, le projet porte en lui même son propre épuisement.

    C'était La Paranoïa de Rafael Spregelburd, m.e.s. de Marcial Di Fonzo Bo et Elise Vigier, avec Marcial Di Fonzo Bo, Frédérique Loliée, Pierre Maillet, Clément Sibony, Rodolfo de Souza, Elise Vigier, Julien Villa. Et c'était au Thééatre de Chaillot.

    Guy

    Lire le Tadorne, et Froggy's Delight.

    photos de Christian Berthelot avec l'aimable autorisation du Théâtre de Chaillot.

  • La Guerre et les Mots

    Le monde est blanc, flou, denudé: une prison matelassée en forme de cube, un no man's land, entre nous et la guerre une zone frontière. Elle est frêle, encore enfant, presque réduite à rien, survit debout, bras tombés le long du corps, pieds enfoncés comme dans la neige.

     

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    Ses phrases d'étrangère hésitent, évitent, les mots mutilés. Ils viennent conquerir notre attention, sans que ne puissent se dresser doutes ni resistance. Dans la bouche de ce temoin ordinaire, le plus horrible de la guerre reste indicible. ll lui faut se libérer des mots des autres, écrasants. Elle nous répete les ordres et les rires des policiers, les cris gutturaux: "CHTO". Dans sa conscience les langages s'effacent les uns les autres, s'embrument: le tchétchène natal, le russe des soldats, le français hospitalier. Les souvenirs reviennent et se répondent, obsédants, les temps et les lieux se confondent sur la route de son exil, au milieu seul son corps fragile, fouillé, humilié, et qui à tout cela ne peut rien comprendre, l'humanité là bas ramenée à néant, ici dans notre regard réhabilitée. En projections les paysages défilent, perdus et incertains, et le souvenir infiniment précis d'un motif de papier peint, dans la maison où peut-être elle ne retournera pas. Dans sa ville où dans la guerre plus rien n'existe. Elle ne dit rien, ne peut rien dire, du meurtre de son père, et d'autres massacres, souvenirs dits en ombres. La raison impuissante, elle répete la même phrase: "Je ne veux pas", jusqu'aux limites de notre endurance. Une épreuve que nous acceptons d'elle, ainsi que ce texte adapté de sources documentaires, dur et hors littérature appuyés sur la simplicité poétique des moyens scéniques, et sur une interprétation exceptionnelle, incarnation parfaite. Nos yeux s'ouvrent, l'espoir et l'avenir, une identité à reconstruire.

    C'était CHTO interdit aux moins de quinze ans, texte de Sonia Chiambretto, mis en scene d'Hubert Colas, avec Claire Delaporte. Jusqu'au 20 novembre au Théatre de la Cité Internationale, présenté avec CHTO Trilogie, en alternance avec Mon Kepi Blanc et 12 soeurs slovaques.

    Guy

    Lire le TadorneSitaudis.

    Lire aussi: des témoins ordinaires

    photo de Nicolas Marie avec l'aimable autorisation du Théatre de la Cité Internationale

  • Vous pouvez repéter la question?

    D'où cela vient-il que je reste en réserve. En spectateur détaché de ce procès. Ce qui pourtant saisit sans possibilité d'évasion, c'est la présence de Claude Degliame dans le rôle d'Eglantine, l'accusée. Une interprétation démesurée et déchirée, en clocharde à la voix gouailleuse et fêlée, au corps cru et comme lacéré par la vie, un portrait de l'humanité en misère nue. Le regard que nous fait poser J.M. Rabeux sur ce corps furieux et vieillissant est impitoyable et tendre comme jamais. Un personnage monstrueux, littéralement, véhicule de désirs qui le sont autant. Je comprends vers où Rabeux entend nous emmener: au plus profond. Dans le même temps, je regrette d'être exposé ainsi si radicalement, dés le début, à ces intentions. Je repense à la mise en scène des Charmilles, texte du même auteur et présenté dans le même lieu, qui m'emmenait dans des chemins tout aussi périlleux, mais plus progressivement.

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    Un drap est dressé en fond, comme un voile devant l'inconscient, mais ici est surtout évidente la surexposition: au sol des postes de télévision, sur la peau d'Eglantine lent des gros plans, minutieusement, comme pour froidement retransmettre et enregistrer, objectiver, attester, du point de vue neutre du greffier.

    Les aveux de l'accusée se font à la troisième personne, indifférents aux accusations, décalés, il s'agit des aveux de la part qu'Eglantine garde dans l'ombre, en une exploration toute baudelairienne des noirs recoins de l'humain. Posés de lourds enjeux: meurtres et d'enfantements, inceste, parricides, infanticides. Des crimes ancestraux. Je crois comprendre le défi que se pose Rabeux: moderniser la tragédie, au sens antique, en replongeant à ses sources. Du même coup j'en pressens le risque et ses limites: peut-on de front se rapprocher du mythe, sans qu'il ne tende vers sa propre caricature, sans qu'il se s'évanouisse? La mise en scène me semble hésiter entre froideur, en mouvements figés, et obscénité, peut-être au sens premier du terme. Dans la bouche d'Eglantine le texte se dérobe complexe, au moins survit un peu de sa beauté. Je me dis qu'à plus tard relire ce texte à froid, j'y trouverais mieux matière pour m'interroger.

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    Dans ce procès, Eugène Durif joue La Question, incarnation du Juge et de la Société. Il use habilement de son physique débonnaire, ses inquisitions s'insinuent sur un ton inexorablement tranquille et pénétrant. Cette mise en accusation des passions humaines, de la vie même, est d'autant plus implacable. Mais le personnage est grotesquement fardé. Sur cet effet comique je me focalise, il neutralise à mes yeux les éléments tragiques de la pièce. Me fait douter par d'autre aspects que la mise en scène s'assume jusqu'au bout. Et pour autant que les questions de la Question soient objectives et pénétrantes, elles trahissent, bloquées sur un mode objectif, son incompréhension du discours d'Eglantine et de son humanité même. Cette incompréhension dés le début me gagne aussi, moi-même perdu dans la confusion, sur ce point je rejoins la Question, me surprends à rester de son coté. Et contre la pièce, qui me parait longue. Quand Vimala Pons (la fille d'Eglantine) passe aux aveux, je ne suis pas son avocat, même plus concerné, je reste froid et éveillé.

    C'était le Cauchemar de Jean Michel Rabeux au Théatre de la Bastille

    Guy

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    Photos par Denis Arlot avec l'aimable autorisation de la compagnie Rabeux.

  • Marie, Marie

    Ici, tout s'exclame à la première personne: une jeune femme qui d'autorité se confie, surtout clame ses amours, sur un mode rock'n roll. A dire vrai, Marie-qui-joue je la connais déjà de vue. Juste assez pour croire la voir ici comme dans la vie. Vraie et immédiate, évidente, d'ici et d'aujourd'hui. Rien à voir avec une Antigone, ni avec aucun rôle qui semblerait bien construit et distancié. Les mots dans sa bouche sont pourtant ceux d'un double, d'une autre Marie-qui-écrit. Et ce personnage ainsi créé qui livre crus ses émois... à y regarder de plus prêt semble très occupé à se cacher lui-même derrière l'ironie.

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    Car parler à l'envie de ses amants, est ce pour éviter de livrer trop de soi-même? Dans les premiers rôles de son récit: l'Acteur qu'elle vient de quitter, surtout l'Ecrivain qui se veut écrivain maudit et qui aime la jeunesse par-dessus tout. Son portrait d'imbu est acide et irrésistible. Mais s'offrir à la littérature, en muse de 18 ans, ce n'est pas une vie, et ni coucher utile, et peut-être même un marché de dupe. Candeur, amour et cynisme, coups de griffes, en creux de la statue de l'écrivain rapetissé s'imprime le portrait d'une femme éperdue dans ses éducations sentimentales. Qui s'efforce ici de faire oublier par piques et pirouettes en quoi elle pourrait elle-même souffrir: ce n'est pas rien de nous faire rire avec la description de son suicide raté, ni en évoquant ce suicide là bien réussi de Jean Seberg- une autre identité d'emprunt.

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    Marie-qui-joue met ici à tous ses talents dans la balance. Elle part à l'assaut du public, déploie charme et énergie, chante comme l'on se moque et danse comme l'on vit. Beaucoup mais rien de gratuit, les pas et les notes dessinent des nuances, nous guident dans ce jeu de pistes, par détours et raccourcis, le ruptures ne cassent pas le récit. Plus que les mots, la voix et les gestes s'avancent sans se masquer... c'est au final un très bel exercice d'évitement de soi, qui laisse frustré et content. On aurait très envie de retrouver encore ce beau personnage, pour plus longtemps, mieux comprendre l'avant- ses rapports avec sa maman-, et connaître l'après de ces tranches de vies marquées par l'empreinte des amants.

    C'était Sentier de Dépendance, écrit et m.e.s par Marie de Beaumont, interprété par Marie Delmarés, musique et guitare de Johann Grandin. Au Théâtre de l'épée de Bois demain dimanche encore avec un automne à tisser, au Lucenaire fin février et début mars.

    Guy

    Photos par Gérard Marché avec l'aimable autorisation de Marie Delmares

    lire ausi Froggy's Delight et Les Trois Coups

  • Goldoni: les vacances ne sont pas finies

    A quelle époque sommes nous ici? Textuellement vers 1761 en compagnie du vénitien Goldoni, mais aussi quelque part au début du siècle dernier à se laisser guider par les manières et les costumes- charme discret de la nostalgie-, et tout autant ici et maintenant, dans cette salle du T.N.O. où plus qu'ailleurs se fait oublier la distance entre le public et la scène, lorsque les spectatrices d'un certain âge continuent à papoter alors que les acteurs en domestiques s'affairent comme si de rien n'était à la préparation des valises.

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    En vérité nous sommes ce soir à la veille des vacances de tous temps- celle des riches évidemment. Dehors, ou bientôt: la crise. Mais l'important c'est une fois encore de partir, de jouir du sursis de l'été. En attendant la faillite, tels des personnages de Scott Fitzgerald ou du Jean Renoir de La Règle du Jeu, on se grise à crédit de vins légers, d'apparences et de frivolités. Même, entre l'essayage des dernières robes à la mode, une tasse de chocolat relevée de quelques médisances et une partie de cartes, on croit s'aimer. Mais dans les amères limites des conventions et des intérêts bien compris.

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    Cela pourrait être déja vu et trop attendu, si ce n'était joué délicieusement léger, d'un élégant réalisme, toutes âmes vouées aux désillusions, les domestiques juste un peu plus lucides que les maîtres. La gravité et la noirceur se laissent juste deviner en filigrane. Epurée également de ce qui la déséquilibrerait trop ouvertement coté mélodrame ou bouffonnerie, l'œuvre en trois parties se savoure comme en creux. Ce théâtre est subtilement politique, l'air de ne pas y toucher, avec plus de portée que si avaient été employées des lourdeurs pasoliniennes. Parce qu'on se surprend à s'attacher à ces personnages pourtant dépeints sans concessions. Vrais à un point qu'ils nous inspirent indulgence et tendresse, nous rendent accros à ce sitcom avant la lettre, une comédie douce-amère comme les Woody Allen dernière manière. On ne supporterait pas de manquer un seul épisode de cette trilogie: plus qu'une consolation, pour une rentrée contrariée.

    C'etait la Trilogie de la Villégiature, de Goldoni, traduite, adaptée, mise en scène par Carlotta Clerici (Théâtre Vivant), rediffusée en alternance au Théatre du Nord Ouest  jusqu'au 2 octobre.

    Guy

    lire aussi: Martine Silber

    photos (Droits Réservés) vec l'aimable autorisation de Carlotta Clerici.

  • Essais / Erreurs

    Hier soir, je suis témoin du massacre d'une œuvre de Sarah Kane, mise en pièces. Faut il en parler? Donner les noms ? En l'espèce, l'exercice critique s'apparenterait à de la délation. Et il y a toujours quelque chose d'irréductiblement odieux à dénigrer, confortablement installé sur son siège, l'aboutissement d'un travail artistique toujours long et impliquant. N'empêche c'est un cas d'espèce, dés le début cela s'engage mal. En omniprésente bande son: une litanie de reportages concernant des viols, meurtres et faits divers odieux. Etait-il nécéssaire de surligner ainsi le texte déjà si noir de Sarah Kane? Et comme les acteurs jouent plutôt faux et ne simulent pas mieux, on peine à s'intéresser à leurs dialogues et fellations. On ne prête plus attention qu'à la bande son: le best-of radio des exploits de Josef Fritz et consorts. Infligé sans recul : la nausée, et la pièce aplatie derrière, en exposé de nihilisme, de complaisance, de triste vulgarité.

     ...

    Restituer l'univers tout aussi torturé de Mishima- l'Arbre des Tropiques-, c'est une gageure. Comment être excessif sans être grotesque ? Tout le long, l'interprétation est sur le fil, en équlibre sur l'ironie. On est toujours au bord de prendre ses distances, mais à défaut d'être emporté on accepte la logique des personnages. On finit par les suivre dans le dédale de leurs tragiques relations, c'est déjà ça. Les corps se rencontrent avec mesure et justesse dans des situations à risque. Pour le reste, pas grand-chose à rajouter à ce que Mélanie en a déjà écrit, si ce n'est évoquer une scène perversement drôle où la fille de la maison étouffe ses perruches. Après cette représentation, je reviens la semaine suivante à l'Akteon  pour une autre pièce, celle là oubliable, et même immature. Mais sans doute faut-il continuer prendre des risques dans cette salle, qui ouvre en août pour des jeunes compagnies, et ainsi faire de belles découvertes, comme l'an passé.

     ...

     « Calderon » de Pasolini à l'épée de bois, c'est un cas de conscience. Sans doute, je vais voir cette pièce pour de mauvaises raisons. Je tiens « Rosaura » de Brigitte Seth et Roser Montllo Guberna, inspiré de ce texte-lui-même étant inspiré par La Vie est un Songe de Pedro Calderon de la Barca, pour l'une des plus belles pièces de danse que j'ai vue. Je désire revenir ce soir à la source, connaître l'histoire depuis le début, comprendre l'inspiration. Las. Ce que j'avais aimé en gestes dans Rosaura est, dans Calderon, noyé dans le texte. Ce que je voulais, c'était retrouver ce personnage émouvant, condamné à chaque réveil amnésique à se voir imposer une nouvelle identité, accompagner son combat entre folie et révolte, dans une situation aux résonances métaphysiques. Je suis ce soir projeté en arrière dans le contexte politique pesant et spécifique de l'Espagne aux derniers temps du franquisme. Et englué dans un discours marxiste en boucle, lancinant, pur jus 60's, bien avant ses remix Badiou prêts à télécharger. La langue de Pasolini est quant à elle poétique, mais perce toujours en arrière fond le soucis de démonstration. La dimension politique et sociale, inévitable déterminant, subordonne tout le reste, occulte la réflexion sur la nature du théâtre et de la réalité. Cela m'assomme, je perds pied. Pourtant rien à reprocher à la mise en scène. D'un tout autre niveau, précise et élaborée, qui installe à chaque épisode- à chaque réveil de Rosaura en jeune fille riche et surveillée, en prostituée misérable et méprisée, en mère folle et internement- , donc à chaque différent contexte d'oppression, de nouvelles couleurs, de nouveaux climats. Hasard, tendance ou invariant? Quoisqu'il en soit comme les deux autres pieces évoquées ici, il est question d'inceste. De personnages en transformations, l'interprétation est forte et généreuse, l'espace dominé. Pour un ensemble riche et long mais justement à la limite de l'indigestion. C'est un choix assumé.

    C'étaient quelques sorties et frustrations théâtrales, de mi-août à mi septembre.

     Guy

  • L'envers du corps

    D'abord elle nous rassure en toute banalité, familière, en bleu de travail passe la serpillière sur le tapis de danse. L'odeur citronnée du détergent ne nous surprend pas.

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    photo par Denis Arlot avec l'aimable autorisation de la compagnie Rabeux

    Puis, elle se lave d'un gant, nue comme un ver, d'un nu clinique, blanc. C'est pour mieux nous déciller: nous inviter à lire sur la surface du corps non les prémisses de l'amour mais ceux de la mort, toujours à l'affût. Alors l'étrangère s'adresse à nous, avec les maladresses volontaires de l'accent, nous emmène voir de l'autre coté, nous attire d'un ton plat, par confidences. Jusqu'à nous perdre dans de troubles souvenirs d'enfance, peu à peu le malaise nous y surprend. De l'être c'est le plus sensible et éphémère qui est dévoilé, retourné à vif, ouvert par ses mortels déchirements: corps maladifs, accidentés, souffrants, diminués, mutilés. Corps désirés pourtant, toujours à deux doigts de la mort. Ainsi se révéle une beauté surprenante, aux frontières de vrais interdits, en ces endroits s'ose peut-être une véritable obscénité. L'entreprise est d'une audace entêtante, sans le besoin de la charger d'effets, de montrer à tout prix. La voix reste lente et mesurée, le cœur bat de coups sourds et amplifiés, le sang impose sa présence, d'une lourde et noire consistance, presque figé, coule, teinte la chair, trouble le blanc. Le texte est dur et tendu, les mots choisis au scalpel nous font une violence sans appel, nous font glisser sans heurts vers l'insoutenable, presque jusqu'à l'étouffement.

    Dehors au grand jour on revit, on respire. L'averse n'a tempéré que pour quelques heures les chaleurs de l'été. Dans le quartier de la Bastille  sourires et peaux halées s'exposent en grand pour s'ouvrir aux rencontres, ou pour leur propre contentement, avec une innocente impudence: corps aveugles, vivants, en sursis et joyeux.

    C'éait Les Charmilles, d’après Les Charmilles de Jean-Michel Rabeux, adaptation et mise en scène Cédric Orain, avec Eline Holbø Wendelbo, au théatre de la Bastille, avec Trans.

    Guy

    lire Neigeatoyko

  • Blanche Neige: la psychanalyse aprés les contes de fées

    C'est lorsque que le conte de fée s'achève que commencent les ennuis, pour de vrai.

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    Dans son cercueil de verre rempli de pommes Blanche Neige recrache celle qu'elle avait coincée dans la gorge, revient à la vie dans la douceur d'un décor enneigé. Mais bientôt obligée de se formuler cette triste évidence: "Belle-Maman, tu m'as tuer (sic) !" Il faut vivre avec, continuer à vivre ensemble tous les quatre, en famille recomposée: la Méchante Reine, Blanche Neige, le Chasseur, le Prince étranger (Le roi compte pour du beurre, aveugle aux enjeux, réduit à quelques images inoffensives sur la toile de fond). Survivre avec l'innommable. Cette séance de psychothérapie familiale est loin d'être gagnée d'avance. Autant pour la  résilience, malgré tout le talent de la reine pour la manipulation, et la bonne volonté de Blanche Neige pour nier les évidences et innoncenter sa belle mère de tous les forfaits... 

    (Mais écrire tout cela ne rend en rien compte de l'expérience de la pièce: ce drâme est drôlement mené, la mise en scene à l'image du beau texte de Walser: poétique et cynique, naive et cruelle, en appuyant sur le kitsh avec de douces outrances visuelles, rose et nudité. Tous déclament et cabotinent, en premier lieu Claude Degliame (La Reine) irrestistible, et Aurélia Arto (Blanche Neige) hébétée.)

    ...Donc rien n'est soldé, car les vrais conflits restent ouverts. On retrouve ici les principaux motifs qui seront plus tard developpé par Howard Barker (Le Cas Blanche Neige): l'angoissante rivalité sexuelle qui oppose blanche neige et la reine, quasi mère et fille, les difficultés qu'éprouve la jeune fille à exister et se débarrasser de sa virginité. Comme chez Barker, la Reine baise le Chasseur, et comme un aimant attire sur sa personne les élans du (pourtant peu viril) prince étranger... Mais que reste-t-il à Blanche Neige?

    C'était Blanche Neige de Robert Walser, mise en scène Sylvie Reteuna, avec Aurélia Arto, Olav Benestvedt, Claude Degliame, Eram Sobhani, et la participation de Marc Mérigot, au théatre de la bastille, dans le cadre de trans, qui continue jusqu'à samedi avec Les Charmilles et Le Corps Furieux. Blanche Neige reviendra en juillet, à L'étoile du nord.

    A lire: Neige à Tokyo, Allegro théatre et Fluctuat

    A lire: Le Roi Lear par Sylvie Reteuna

    A lire: aussi: Blanche Neige selon Howard Barker et Frederic Maragnani

    ... et pour ceux qui seraient vraiment trés curieux: Blanche Neige selon Ann Liv Young

    photos (DR) avec l'aimable autorisation de la compagnie J.M. Rabeux