Pour commencer par la fin de ces courts, Le Bruyant Cortège s'ébranle mais sans nous, laissés sur le coté du chemin. On sourit triste, une fois de plus, en le regardant défiler. La fête est désenchantée à dessein, l'agitation vaine. C'est forcé, vu le sujet: l'invocation moderne d'un Dyonisos libérateur, par des contemporains en mal de fantasmes. Mais le Dieu hermaphrodite n'apparaît en seins et postiche que pour aussitôt désintéresser ses adorateurs. Une allégorie trop parfaitement déprimante.
Elle est plus drôle, paradoxalement, la proposition d'avant. Un chapitre des 120 journées de Sodome, sous la forme d'une lecture en costume et robe de soirée. Le phantasme est ici présenté d'une manière plus distancié: les recits de coprophilie sont articulés on ne peut plus chic. Mais le plat qui nous est proposé est quand même indigeste à force. Peut-on vite se blaser de tout, même de l'obscénité élégante? Une fois le premier effet de contraste amorti? Une fois le premier plaisir passé d'entendre le verbe "baiser" employé à l'imparfait du subjonctif? On re-decouvre que Sade écrit bien, mais on n'apprend rien de plus sur le texte, en fin de compte. C'est néanmoins grinçant et gonflé, et au moins de sentir le public ne pas trop savoir comment réagir. On aurait préféré cela plutôt que la voix d'Alain Delon en guise de bande son du dernier Piétragalla. On est en tous cas par principe rassuré de pouvoir entendre de telles choses sur une scène.
Mais c'est avec Notre Père, que l'audace prend un vrai sens, au delà de l'exercice de style, et pour un résultat admirable. Les thèmes abordés sont des plus sombres, difficiles, dangereux: la mort et le deuil qui pourrit en plaie ouverte, les désirs tout autant lancinants, ambigus et inavoués, les liens qui se tissent entre toutes ces douleurs. Et quelque part, inommée, l'ombre de l'inceste. On pourrait être rebuté: on est pris à la gorge. Sans doute car, à l'inverse d'autres propositions de cette soirée, le choix est fait ici d'une intense sobriété, tous moyens concentrés sur l'obscurité et la lumière, sur la voix à vif et le corps exposé, épurés à l'extrème, de Celine Milliat Baumgartner, rejointe par Marc Mérigot. Qui nous emmènent en direction du gouffre, avec le beau texte de Cédric Orain, toujours à la frontière de ce qui peut, de ce qu doit, ou non être dit, et une mise en scène d'une impitoyable précision.
C'était Notre Père de Cédric Orain, avec Céline Milliat-Baumgartner et Marc Mérigot, Les 120 journées de Sodome de Sade adapté par Eram Sobhani, et Le Bruyant Cortège de Julien Kosellek, au Théatre de l'Etoile du nord.
Jusqu'au 10 mai, avec chaque semaine deux autres nouvelles propositions, dans le cadre d'A court de forme.
Ce soir, pourtant, le premier regard fait douter. Ils semblent d'abord très loin tous deux l'un de l'autre, presque en concurrence: l'écrivain
quasi champ libre à
Le texte semble s'étonner lui même, violemment banal et toujours au bord de son abandon. "C", "M","B","A": les mots s'échappent, comme de situations devenues irréelles, nous frappent au coeur quelques instants et échouent à redéfinir ceux qui les prononcent. Pour nous ramener, à force de dialogues avortés, au coeur du sujet: la perte de l'identité, la perte du sens, l'incommunicabilité. Pourquoi va-t-on toujours voir du Sarah Kane? Et écouter cette obstination à toujours dire le presque insoutenable.... Mais plus les mots osent et avouent, se libèrent, moins ils construisent et signifient... Au moins désormais savons-nous que nous ne sommes pas seulement ce que nous disons.
née. Là où sa grand mère un jour lui apprit qu'il ne fallait pas boire de l'eau de la fontaine devant elle, mais d'une autre fontaine plus loin, où un écriteau disait: "Pour gens de couleurs seulement". Jusqu'au jour où vint un homme du nom de
les convictions d'une révolution pacifique, ce soir jusqu'à Clichy-sous-Bois. Debout, pour raconter encore, fraternellement, aller à la rencontre, faire partager et faire reprendre son chant par noirs et blancs rassemblés. Ferme et digne, enjouée, préchant la liberté. Dieu à ses cotés sans l'ombre d'un doute, comme remède à la lassitude, alors personne ne la fera reculer. Et on se fiche que la dame aie perdu un octave depuis les années soixante, que l'orchestre des trois gars efflanqués aux faux-airs de mauvais garçons, avec les trois choristes, bucheronne un blues un peu basique. Mavis Staples est vraie, en marche, et elle est là. On a pu, et nos fils aussi, serrer la main de celle qui avait serré la main de Martin Luther King.
escamoté. Ceci n'est plus une danseuse. Cou et menton forment un autre. Un être, reptile? Mutant? Primitif? Qui se cherche. D'abord en lenteur. Repères bouleversés. Après se présentent les muscles du dos. Forment d'autres figures. Des créatures, sous la peau. Il y a foule. Qui produit contrastes, contractions. Torsions. Grouillements et conflits. En nudités émiettées. Micro-organismes. En perpétuelle évolutions? Les membres font combat. Font sécessions. Comme chez
plan, de gauche à droite de la scène et retour, ni profondeur ni mouvement vers le haut, bête sans ambiguïté. Le collant est hérissé, évoque de plutôt loin les photos de Nijinski. Faute de nymphe disponible, la créature finit par faire l'amour aux cônes de lumière, sa corne repositionnée où il faut, dans un élan masturbatoire et espiègle. On ne sait au juste ce que Marie Chouinard a choisit de retenir de ceux qui l'ont précédés, pour exécuter ces deux pièces de répertoire, et ce qu'elle a choisi d'oublier de toute la tradition pour revenir à plus archaïque, mais le résultat est drôle et perturbant.