Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Phèdre échauffée

    Mr Sarkosy, jusqu'à récemment, avait comme conseiller Mr BenamouNéron, il y a 20 siècles, avait Sénèque. Quand Néron signifiât sa disgrâce au philosophe, ce dernier se retira dans sa villa romaine, mais pour se donner la mort en se tranchant les veines. On ne souhaite pas un sort aussi extrème à Mr Benamou (qui semble avoir déja assez d'ennemis comme ça). Mais l'évenement illustre à quel point les temps ont 379373541.jpgchangé, et que les intellectuels ont perdu beaucoup de leur sérieux. Heureusement, avant de trépasser, le philosophe a eu le temps de nous transmettre, entre bien d'autres choses, sa version de Phèdre.

    Ce texte, échauffé par une mise en scène nerveuse et abrupte, on aime le recevoir comme un brûlot. L'auteur nous ramène jusqu'à une frontière. Artistique et idéologique. Il n'est pas indifférent que la vie de Sénèque commence à la fin de l'ère antique (vers 4 avant J.C.) et s'achève au début de l'ère chrétienne (65 après J.C.). On trouve les sources de ce Phèdre dans la mythologie, et chez Eurypide ou Sophocle. Mais Sénèque porte sur les dieux et les hommes un regard plus moderne que ses prédécesseurs, d'un point de vue moins religieux, plus critique. Reste encore dans la pièce toute la force sidérante des mythes, mais déja vis à vis d'eux la distance du moraliste stoicien. Qui met en scène et sous observation l'enchaînement fatal des passions humaines. Et le texte n'est en rien pollué par du sentimentalisme ou du psychologisme: merci pour ces quelques siècles de sursis. Uniquement de l'élévation, juste de la puissance, que de la dignité, et aucune familiarité avec le spectateur, aucune complaisance. On ne s'étonne pas que cet homme ait su se couper les veines.

    Question passions-puisque leur étude fait le sujet- il y a de la matière. Phèdre est fille de Minos et de Pasiphaé, lourde hérédité! Hérédité à laquelle- le texte est explicite- on ne saurait échapper. La Reine, délaissée par Thésée,  ne jette pas comme le fit sa maman son dévolu sur un taureau ("au moins lui il savait faire l'amour"), mais sur son beau fils, Hippolyte. C'est plus fort qu'elle...(mais soyons moins sévère que Séneque: depuis Phèdre nous ne cessons nous même de perpétuer tout ce que nous avons reproché à nos parents, ou ce qu'il nous ont chargé de faire à leur place). Cette attirance pour le jeune homme est tout autant contre-nature, selon les standards de l'époque. On aurait alors mauvaise grâce à reprocher à la mise en scène de ce soir d'être excessive. Hurlements et calvacades, Phèdre part à l'assault d'Hippolytepour lui montrer d'une manière plus qu'explicite qu'elle le veut, sexuellement parlant. Voudrait-on qu'elle lui propose plutôt une tasse de thé? Qu'elle s'offre calmement? Nous ne sommes pas chez Marivaux! Thésée, à son retour des enfers, n'est pas en reste d'agitation, lamentable surhomme, possédé par l'orgueil et la colère, alors qu'il apprend les (fausses) accusations portées contre son fils par Phèdre éconduite. L'intrigue atteint un niveau d'énervement et de déraison qui place le sur-jeu et l'emphase comme une norme logique. Seul à l'écart de ces tempêtes, complice de notre regard détaché, le joli couple du choeur joue de la guitare et du micro. La scénographie est magnifique: comme ces acteurs (et seuls quatre se succèdent sur la scène) semblent petits! Ils courrent d'un bout à l'autre du plateau, perdus dans l'imaginaire du décor esquissé, écrasés par la fatalité! L'immensité du palais froid est installé par d'amples vases au sol, remplis de matières élémentaires, colonnes que les lumières prolongent vers le haut. Bien sur, tout sera saccagé, répandu, emporté par les passions et le désordre, les vases renversés. Au mur se défigure un portrait de famille. En écho de la décadence. Doit-on s'agacer de détails: décolletés et bicyclette? C'est bien peu et rien du texte, pourtant d'une rare densité, n'en est gâché ni obscurci. Ce texte de Sénèque, somptueux, parsemé de joyaux incandescents et poétiques, riche de mille thèmes: la nostalgie d'un ordre originel, les considérations morales et politiques, jusqu'à la description- très gore- de la mort d'Hippolyte poursuivi par la malédiction paternelle. La main de Neptune n'est pas guidée par la colère des Dieux, mais par la folie de l'homme, la victime est réduite à une triste bouillie humaine. L'eau tombera en déluge, funèbre, pour tout laver et emporter: ce théâtre sait aussi s'apaiser.

    C'était Phèdre ♥♥♥♥♥, de Sénèque, traduit par Florence Dupont, m.e.s par Julie Recoing, avec Thomas Blanchard, Marie Desgranges, Alexandra Castellon, Grétel Delattre, Anthony Paliotti, au Théatre Nanterre Amandiers, jusqu'au 17 avril.

    Guy

    P.S. : (de mémoire), une dernière citation du Phèdre de Sénéque, pour la route: les peuples élèvent à leurs têtes des va nus pied, les encensent, et bientôt les rejettent...

    et des images ici ...

     

  • Herman Diephuis: 6 fois Julie Andrews

    Cher Herman Diephuis

    On a vu votre Julie, entre autres... mais avant de décider si on a aimé, une question: vous-même, aimez vous cette Julie, oui ou non? C'est à dire le modèle de départ, le personnage même? Question centrale. Car en regardant la pièce que vous avez crée à partir de matériaux tirés de La Melodie du Bonheur,on ne sait jamais pas à quel degré se situer, peut-être car on ne sait pas non plus où vous vous situez vous-même. Ily a t-il au départ de la nostalgie? Voulez vous simplement nous faire réfléchir? Vos six interprètes de Julie Andrews nous sourient d'un bout à l'autre, et machinalement nous leur sourions aussi. Sans crier à la manipulation, ce n''est qu'un sourire réflexe. Mais cela suffit il pour alimenter une véritable réfléxion sur le "marketing de l'optimisme"? Voire une critique du divertissement, à la manière du dernier sujet de controverse produit par Maguy Marin? Vous nous invitez à "grimper la montagne" avec Julie Andrews. Votre confrère Alain Buffard s'attaquait lui aussi à la comédie musicale par d'autres versants, avec (Not) a love song. Mais on avait le sentiment que son projet fonctionnait mieux, sans doute car malgré tout le détournement des codes, tout le second degré, la jubilation naïve face à ses sources d'inspiration restait évidente. On était, en sa compagnie, "dedans" et "en dehors" à la fois. Dans un déséquilibre dynamique. Dans une ambiguïté stimulante. On jubilait et refléchissait à la fois.

    Cela écrit, votre pièce est drôle, dans les gestes et dans la danse. Quoique nous faire écouter 5 versions à la suite de "My favorite things"(2 fois façon chanteuses de jazz, 2 fois façon crooner, une fois style punk) ne peut que tendre vers l'exercice de style, la gratuité. Et l'usage du play-back, ne peut qu'évoquer le style "spectacle de fin d'année", même ultra pro et reglé. Heureusement on se réveille quand Dalila Khatir donne de la voix, pour de vrai, on s'accroche au fauteuil. Puis quand les autres interprètes s'y risquent un peu. Mais on en revient à la question de départ, on ne sait pas où se situer. D'autant plus qu'en France nous sommes moins familiers avec La mélodie du Bonheur que dans les Pays-Bas de votre enfance. Personne ne vous a prevenu? Ou visez vous le marché anglo-saxon? Il faut une certaine remise à niveau pour vous suivre, et comprendre les allusions que vous faites à l'histoire, à sons de cloches et autres. Avec vous ce n'est jamais inintéressant, mais c'est toujours difficile à suivre. Pour Julie, comme on est sérieux on avait acheté, avant de voir votre chorégraphie, le DVD du film avec les bonus. Sans compter qu'on va devoir s'inscrire à la visite guidée organisée bientôt au Louvre, rien que pour comprendre les références de votre excellent "Dalila, par exemple"... (qui repasse au T.C.I.).Vous rendez vous compte à quel point vous faites travailler vos spectateurs? Pour en revenir à Julie, découvrir adulte le film La Mélodie du Bonheurc'est vivre une expérience kitsch surprenante, toutes ces histoires de bonnes soeurs et de blondinets qui courent dans les champs en chantant Edelweiss. Remarquez, le petit dernier a beaucoup aimé... Nous, est on trop vieux? Ou est ce un sujet inadaptable, au delà du niveau candide? Est il intéressant de critiquer le bonheur? En tout cas, merci pour les dernières minutes, vous avez choisit une interprétation de "My Favorite Things" par John Coltrane  vraiment déchirée. Auriez vous la référence? Savez vous- vous le savez sûrement- que Coltrane enregistra des dizaines de "Favorite Things" jusqu'à sa mort durant toutes ses années soixante, pour sans cesse transformer la mélodie gentillette en... autre chose d'absolu, et qu'il s'était absolument approprié. Est-ce le temps qui manque à votre Julie entre autres"? On en revient toujours là... Êtes vous sur d'avoir "tué" la Julie de votre enfance, avant de nous en montrer une autre?

    Bien cordialement

    Guy 

    P.S. On a un reproche à vous faire, pour une faute inexcusable. Vous ne créditez nulle part sur programme les auteurs de toutes les chansons que vous nous faites écouter: Richard Rodgers (1902-1979) et Oscar Hammerstein II (1895-1960). 

    C'était Julie, entre autres ♥♥♥ d' Herman Diephuis,avec Jerome Andrieu, Trisha Bauman, Julien Gallée-Ferré, Claire Haenni, Christophe Ives, Dalila Khatir au théâtre de Vanves, avec Artdanthé

  • Jocelyne Danchick: un monde sous contrôle

    On trouve plein de cadeaux cette année dans la Dance Box  de Bertin Poiré: une performance de Yumi Fujitani (qu'on a ratée), deux courts mais beaux soli (qu'on a vu), le premier de l'italienne Eleonora Zenero d'une puissance et d'une économie post buto, le second de Saiko Kino, toute en longueurs et en judicieuses obscurités...et hier soir une proposition à la fois corsetée et libérée de Jocelyne Danchick.

    1144764547.jpg

    On avait eu plus qu'un avant-goût du concept radical et orthopédique de Breath Cycle avec un solo ici même l'an dernier. Le choc esthétique initial est donc un peu amorti. Mais sans perdre de sa force. Évidemment déja d'un point de vue érotique: la vue d'un sein jaillissant de la prison d'un corset rigide interpelle plus qu'une franche nudité. Il y a heureusement plus à voir ici qu'une offensive fétichiste. Il est troublant de montrer le corps en montrant ce qui le contraint... ou ce qui le soutient. Les mouvements cassés, asymétriques, sophistiqués ou instinctifs, cultivent tout au long cette intéressante ambiguïté. Au son lancinant du cri du cuir. Et au fil de Vivaldi, Haendel, Chostakovitch, pour une mise en perspective historique, de la poupée baroque aux corps industriels, et l'incursion d'inquiétantes araignées charnelles. Tous ces personnages tentent-ils d'être libres dans leur liens, et d'être sujets autant que d'être objets? On entend Freud aussi, pour nous en dire la difficulté. Manier tout cet attirail peut être pesant, J.Danchick introduit aux bons moments une distance ironique bienvenue.

    268643399.JPG

    Tout de même des regrets: de Breath Cycle 1 à Breath cycle 2 le passage du singulier (dans tous les sens du terme!) au pluriel se grippe par moments. Les soli ne détonnent pas mais les ensembles semblent manquer de précision, ce qui est un comble s'agissant d'une évocation du corps-machine. Question de rodage (il vrai que c'est la première), d'huile dans les rouages? Là n'est pas le plus important. Les danseuses et le danseur se libèrent de leurs carcans à la fin: on est soulagé pour eux...Voire: les corps d'aujourd'hui sont tout autant contrôlés qu'avant, mais de manière plus subtile, par des appareillages moins visibles. Ce n'est pas le moindre mérite de Breath Cycle de nous le rappeler.

    C'était la création du Monde Entre Parenthèses, ♥♥♥ second volet de Breath Cycle, de Jocelyne Danchick avec Melanie Brockmann, Onenn Danveau, Claudia Gradinger, Charles Essombe, Malena Murua. Ce soir encore, Dans le cadre du festival Dance Box, qui s'achève le 29 mars, à l'Espace Culturel Bertin Poiré

    Guy

    P.S. : photos de Danielle Voirin, avec l'aimable autorisation de Jocelyne Danchick

  • Troilus et Cressida en V.O. (Director's cut)

    Merci à Declan Donnellan: il nous permet de découvrir enfin Troilus et Cressida in-extenso. Et du même coup, on comprend comment J.L. Jeener avait pu couper 70 % du texte dans la version vue au T.N.O.  C'est que la pièce est bizarrement construite. On est habitué à ce que Shakespeare 1709927291.jpgmène plusieurs intrigues de front. Mais ici il y a incontestablement deux pièces en une, et très peu d'interactions entre les deux: d'un coté l'histoire d'amour entre les deux personnages du titre, de l'autre tout un épisode de la Guerre de Troie. Ils sont venus, ils sont tous là: Agamemmon, Achille, Priam, Hector, Paris, Menelas, Helêne, Nestor, Ulysse, Patrocle, Ajax, Cassandre, Andromaque.... Donnellan  aurait pu couper exactement ce que Jeener avait gardé, et renommer "Hector et Achille" le résultat. Mais le metteur en scène a choisi l'intégrale, en anglais dans le texte, et en deux fois une heure-vingt mais qu'on ne voit pas vraiment passer.

    Car formellement, rien à redire: très beaux et drôles les troyens en dominante beige décontracté, impressionnants les grecs en noir martial et sévère. Le tempo est parfait, le phrasé Shakespearien impeccablement articulé en V.O., la tragédie mise à distance en comédie. Le dispositif bi-frontal autorise défilés de mode comme défilés militaires. Pourtant, à force de voir tout ce savoir-faire à l'oeuvre, on se demande si l'exercice ne tourne pas un peu vain. Coté coeur l'intrigue amoureuse parodiée atteint l'absurde, d'accord: Créssida blonde très blonde, carrement gourde, Troilus absolument gland. Jusqu'à la conclusion, les anti Roméo et Juliette. Coté épé l'histoire guerrière est menée et minée avec un art joyeux de la démystification, c'est entendu aussi. Tout le ridicule de l'honneur militaire cruellement mis en évidence. Nestor est une vieille baderne, Ulysse un politique pas franc du collier, Ajax un crétin authentique. Les autres ne valent pas mieux. Tous se prenant trés au sérieux dans cette histoire d'hommes avant tout, de vrais hommes, qui jouent du menton et jouent à la guerre comme on joue au polo, en compétitions cruelles puis embrassades dans les vestiaires, un univers masculin très british. Les femmes sont remises à leur place, sous contrôle. On se garde de toucher Cassandre, de peur de la contagion. De loin, comme un star, on admire Hélène. A la limite on préfère s'en passer, les relations entre Achille et Patrocle vont visiblement bien au delà de la simple camaraderie. Tout ça est réjouissant, mais les deux pièces tardent toujours à s'articuler.1391729653.jpg

    C'est durant la dernière demi-heure que les deux histoires se réconcilient, que le tout prend un sens, au delà de la simple valeur distractive. La traîtrise d'Achille, qui la trêve de la veille embrassait Hector à la loyale, fait écho à la trahison amoureuse de Créssida vis à vis de Troilus. Les scènes de mise à mort de Patrocle, puis d'Hector, sont montrées telle l'arrivée de Cressida dans le camp grec: à la manière d'un viol collectif. Sale guerre, sexe sale. Chacun pour soi: Cressida comme Achille défendent leur peau. La morale se charge brusquement d'un incurable pessimisme. Shakespeare ne semble plus rien pardonner. Les hommes ne sont qu'enfants cruels et les femmes marchandises, qui passent de camps en camps, parfois maman ou star toujours plus ou moins putains. On croit presque voir du Sarah Kane, Guerre et luxure à tout jamais, dans le lit au combat aucune place pour l'honneur ou la loyauté.

    C'était Troilus et Cressida ♥♥♥ de William Shakespeare, m.e.s par Declan Donnellan, au Théatre Les Gémeaux, à Sceaux. En anglais surtitré. Jusqu'au 30 mars.

    Guy

     

  • Eleonore Didier de A à Z

    Sur la feuille de salle de LAISSERVENIR, Eléonore Didier  suggère un abécédaire. Hélas réduit à 16 lettres (dont 2 "D" et 3 "E"). Propositions 74264464.jpgpour un alphabet complet:

    • A comme Anorak, à même la peau, couleur de pauvreté, d'une remarquable laideur. Une manière de prendre ses distances avec la beauté dansée?
    • B comme Basculement, leitmotiv dans le vocabulaire gestuel mis à contribution, au sol ou sur/sous/dessous/dessus/autour de l'Echelle.
    • C comme Chaussettes à tête de mort. Eléonore Didier n'en porte pas (s'en tient au strict Anorak). Ce qui clos une longue contreverse interprétative avec J.D.
    • D comme Danse?. Ou autre chose? C'est une question qui rapidement passe au second plan.
    • E comme Echelle. (Ou Escabeau). Un accessoire vulgaire par excellence. Qui ancre la performance dans la banalité du quotidien. Aussi dur et froid que chaude est la peau. Mais qui est théâtralisé durant la performance en une pure forme pyramidale, un terrain de jeu, un lieu dans le lieu.
    • F comme Frustration: (voir quinze Minutes)
    • G comme patins à Glace, le seul accessoire absent de  la matrice de Paris Possible. Un outil d'instabilité?
    • H comme Humour. Qui surprend au détour. Par le détournement du quotidien. 
    • I comme Imaginaire. Stimulé. 
    • J comme Jeu avec notre regard. Dirigé. 
    • K comme Kafkaien. La performance fait qu'on s'y perd peu à peu. L'espace parait hostile. La danseuse porte son Échelle, il semble qu'elle hésite avant de trouver l'endroit pour l'installer.
    • L comme LAISSEZVENIR. Pourquoi Ce titre en un seul mot? Est ce une allusion au dualisme activité/passivité?
    • M comme quinze Minutes à comparer aux deux heures de Paris Possible. Donc tout a changé. Quinze minutes qui sont irritantes et passionnantes. C'est entendu. Mais c'est beaucoup, beaucoup trop court.
    • N comme Nue.
    • O comme Oser. A tous points de vue.
    • P comme Paris Possible. Formellement, LAISSEZVENIR est une variation à partir de Paris Possible . Pour l'essentiel une variation à partir de ses dernières minutes. Mais dans son format de quinze Minutes, LAISSERVENIR devient tout autre chose. Et, paradoxalement, c'est plutôt dans Solide, Lisboa qu'on retrouve l'esprit de Paris Possible. Et l'expérience d'instants étirés.
    • Q comme Cul Écrivons-le net et sans précautions, car c'est peu de dire que le sexe se donne à voir cru sous l'Anorak, sans distance esthétisante, tranquillement provocateur. Et de manière tout à fait anti-conventionnelle, c'est l'essentiel.
    • R comme Rythme. Volontairement cassé, détourné, étiré, trompé. Toujours au bord de s'arrêter.
    • S comme Sans-dessus dessous, jambes en l'air, tête en bas, Anorak flottant, fesses au milieu. Une recherche- dans l'inquiétude- vers de nouveaux équilibres? Vers l'envol?
    • T comme Triangle, formé par l'échelle. Image d'un phallus ou d'un triangle pubien? L'ambiguïté de l'identité sexuelle, par rapport aux rôles actifs/passifs, serait au coeur des intentions de la pièce.
    • U comme Universalité. Ce qui est permis par la sobriété et le dépouillement. Par le silence, Par l'ambiguïté. Par l'humanité?
    • V comme Variations. Vers l'épuisement des positions. Peut on trouver sa place sur une Échelle? Même symbolique?
    • W comme Variations au carré.
    • X comme X: a-t-on pensé à écrire plus haut que l'érotisme est plus que présent dans la pièce?
    • Y comme Yoga: de long moments immobilisés. Sans lasser.
    • Z comme...?

    C'était LAISSERVENIR ♥♥♥♥ de et par Eleonore Didier, à Mains d'Oeuvres. Hier, et aujourd'hui samedi encore.

    Guy 

    A lire: laisser venir revisité, juin 2009

  • Eleonore Didier, entre les gestes

    Aveu1Petit.jpgCe qui ne se produit pas ou qui n'est pas vu est aussi important que ce qui se produit en apparence. En cela, ce solo créé à Lisbonne en 2005 est le digne grand frère de Paris Possible, performance pour un spectateur unique (en principe), mûrie à Point Éphémère l'an dernier. Eléonore Didier, plus qu'elle ne danse, ce soir invente des mouvements inquiets, d'abord en arpentant raz le sol, puis en sauts bas, de la lenteur vers presque la panique, l'espace blanc jusqu'à l'épuisement de celui-ci. 

    Passée debout elle construit l'espace de son regard, crée une forte attente vers la suite. Puis les habits vides de corps, comme dessinant une présence abandonnée, sont soigneusement rangés à terre- pour ne laisser à ce corps que la sincérité du dépouillement. Corps qu'on voit, tout en surface, rien qu'en surface. Lent, mais sans intentions lisibles: qu'y voir après vraiment? Rêver? Répétés, des instants suspendus sont précieux, des arrêts sur images quasi photographiques. La danseuse parvient ici, tout autant que durant les deux heures de Paris Possible, à faire durer quelques moments d'éternité. D'une rare qualité d'immobilité. Pleins de la tentation de l'abolition de la danse? L'"image" suivante a la force et l'incongruité d'un déjeuner sur l'herbe de Manet ou d'un tableau pré-surréaliste: un jeune homme assis immobile et la femme sans vêtements, sa tête cachée, souvent, tous deux d'abord dos au public, tournés vers le mur immaculé. La danseuse passe en revue l'inconfort des positions qu'elle peut avec table et chaise, laissée déjà loin derrière elle sa sobre impudeur. Les arrêts se tiennent en déséquilibre, elle succombe à la chute. A la fin-tendresse?- le garçon sera enlacé.

    Guy

    C'était Solides, Lisboa, de et avec Eleonore Didier, vu à Mains d'Oeuvre.

    Voir les photos de Vincent Jeannot.

    Lire aussi Images de danses, et -la critique professionnelle s'inéressant enfin à Eléonore Didier- Mouvement, l'année d'aprés...Il ne s'agissait pas d'une "création" à faits d'hiver, comme Gérard Mayen l'écrit dans son article, comme peut-être chaque fois qu'il découvre une pièce :-) . 

     

    flyer.jpg

     

     

  • Cannibales: à boire et à manger

    523409649.jpgDans le désordre: une déclaration d'amour drôle et émouvante à force d'être perdue d'avance, un salon/espace social (après la salle de bain solitaire et régressive de "Fées"),un plateau blême pour le portrait d'une unième génération perdue, l'élégance des gestes circassiens, une caméra sous la couette, de lassantes énumérations, une immolation par le feu( après le quasi-suicide par noyade de "Fées"), quelques rires, pas mal d'embarras, de spectaculaires acrobaties à la perche, du no-future en boucle, des chansons trop générationnelles, un couple embarrassant à rester planté au micro comme pour un discours de mariage, de belles répétitions de gestes, un peu de danse(juste un peu), trop de mots, mais sans beaucoup expliquer, du ton faux, (comme dans "Fées") des dizaines de flacons de produits de beauté, des longueurs et des bâillements, un rap remarquable, des beaux moments, une fête à tous danser sur le lit mais à laquelle on ne se sent pas invité, un spiderman, des groupes comme des additions de solitudes, des sous-vêtements noir et blancs, une sincérité touchante, de l'angoisse et de la précarité, des clins d'oeil téléphonés, de la jonglerie, des pas brusques et des luttes à la T.R.A.S.H., l'explication de la différence entre la blennorragie et la myxomatose, des projections d'images urbaines, une longue complainte de la gauche désabusée, des cascades en transparences, de la verticalité (après l'horizontalité de Fées), de la déprime à la tonne, une fin surprenante (un espace enfin approprié?)

    Au final, une ambiance: les trentenaires parlent des trentenaires aux trentenaires. On a compris. Et pour les autres?

    C'était Cannibales, ♥♥♥ texte de Ronan Chéneau, mise en scène de David Bobée, au Théatre de la Cité Internationale, jusqu'au 5 avril.

    Guy

  • DOGMA

    Il est impossible de parler de la danse.
    Ce n’est pas une raison pour en parler n’importe comment.
    Ce n’est pas une raison pour en parler en employant des mots pré-pensés, qui se reproduisent ad nauseam de textes en textes, tels des pièges à connivence, des points de repères trop rassurants, vidés depuis longtemps de toute substance.
    Ecrivons autrement.
    Pensons autrement.
    Pensons.
    Je propose donc à mes camarades d’adhérer à la chartre suivante, et de proscrire désormais de nos textes autour du spectacle vivant les 7 termes suivants:


    1.Questionner
    N’écrivons plus : « en sortant de la scène, Eric Bernard-Jean questionne son rapport à l’espace fictionnel »
    N’interrogeons que des êtres pourvus d’intelligence, donc susceptibles de nous répondre.
    Laissons l’usage de ce terme aux professeurs et aux policiers.
    2.Interroger
    Même faute, Même punition
    3.Champs
    N’écrivons plus: « Pendant 5 heures, Eric Bernard-Jean entreprend l’épuisement des champs narratifs »
    Laissons l’usage de ce terme aux agriculteurs.
    4.Mettre à nu
    N’écrivons plus : « La danse met le danseur Eric Bernard-Jean à nu et révèle son être intime »
    Rendons l’expression à Edgar Poe et Charles Baudelaire.
    5.Produire
    N’écrivons plus: « Eric Bernard-Jean parvient à produire du rire avec de la danse » ou «le corps n’est produit qu’en se produisant »
    Laissons l’usage de ces termes aux industriels.
    6.Convoquer
    N’écrivons plus« Avec Eric Bernard-Jean, la danse convoque l’ensemble des arts de la scène »
    Laissons l’usage de ces termes aux proviseurs et aux Assedics.
    7.Intime
    N’écrivons plus: « La performance d’Eric Bernard-Jean traverse la notion d’intimité et ses différents modes de représentation dans le monde contemporain. »
    Laissons l’usage de ce terme aux gynécologues.

    Tolérons ces termes uniquement quand employés dans leurs usages premiers.
    On continuera, à regret, à user des mots « corps » et « texte », trop lus, mais difficilement substituables.
    En veillant à ne pas en abuser.

    J’engage tous mes amis spect-acteurs, et au-delà à signer ce manifeste du 9 mars 2008.
    Sont aussi les bienvenus avec nous dans cette démarche les journalistes professionnels, les artistes qui s’expriment quant à leurs travaux, les responsables de lieux, leurs porte-plumes et de manière générale tous les acteurs de ce milieu amenés à produire -pardon, à rédiger- des textes à propos du spectacle vivant.

    Guy – Un Soir Ou Un Autre

  • Mildred Rambaud, au coeur de la matière

    Il arrive rarement, trop rarement, qu'une performance s'impose brusquement à l'oeil et au coeur avec la force et la beauté de l'évidence. 57115615.jpgÉvènement insoupçonné l'instant d'avant, indispensable dés la première seconde, ensuite 15 minutes essentielles. Qui n'auraient pu être autrement, avec une telle simplicité. La danseuse debout, portant bras au dessus de la tête un vase lourd et humide de terre, à la forme féminine. Cette matière encore instable vit et se courbe, et les épaules sous le poids. L'eau de la terre suinte le long de la robe brune contre la peau. Le corps de la femme devient matière originelle, la terre sur la peau glisse par devant et s'affaisse, s'éffrite, se rompt, par fragments sur le corps vers la bas, les jambes se plient, le regard part au delà. La terre s'assèche, les gestes sont douloureux. C'est une lente fusion organique, une métamorphose jusqu'à terre, un retour tout près de l'être avant qu'il ne se relève. L'ensemble ne se voit plus en gestes que le regard critique pourrait appréhender, mais en en états élémentaires. Ne transporte plus ni joie ni douleur. Une sérénité première?

    C'était Pot, ♥♥♥♥♥♥  de et avec Mildred Rambaud, présentée par Moeno Wakamatsu, et durant la même soirée: Kiyoko Kashiwagi (Métamorphose),  tombo (Atari) Chirstos Vlassis avec Gen Shimaoka (Kreonta), et Moeno Wakamatsu.

    Ce soir encore, à la Fond'action Boris Vian

    Guy

  • Pour Shylock

    352405803.jpgSur quel pied peut-on jouer, de quel oeil peut-on voir, aujourd'hui, le Marchand de Venise? On s'aventure sur un terrain moralement plus périlleux encore que celui où évolue La Mégère Apprivoisée. Il faut sans doute que la pièce soit jouée comme elle est écrite. Car, si on ne peut pas se représenter comment l'oeuvre était reçue et comprise par son public du temps de Shakespeare, il est évident qu'aujourd'hui toute notre empathie va à Shylock. L'insouciante arrogance d'Antonio et Basiono, et avant tout leur antisémitisme-bien qu'user de ce terme ici soit assez anachronique- nous irrite et nous révolte. Shakespeare charge Shylock de lourds stéréotypes-avarice, fourberie et acrimonie-, et en fait un Harpagon sanguinaire. Mais l'auteur offre à son personnage un cadeau hors de prix: ce monologue universel et poignant, parmi les plus beaux de son oeuvre:

    Un Juif n'a-t-il pas des yeux ? Un Juif n'a-t-il pas des mains, des organes,
    des dimensions, des sens, de l'affection, de la passion ; nourri avec
    la même nourriture, blessé par les mêmes armes, exposé
    aux mêmes maladies, soigné de la même façon,
    dans la chaleur et le froid du même hiver et du même été
    que les Chrétiens ? Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ?
    Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez,
    ne mourrons-nous pas ? Et si vous nous bafouez, ne nous vengerons-nous pas ?
    Acte III, scène I

    Après cela, qu'écrire de plus? 

    Que la cause de la chute de Shylock, par delà toute contingence, est que cet homme ne sait résister à ses passions. Maladie mortelle qui perd  plus d'un personnage shakespearien. Shylock persiste dans la vengeance, au lieu de s'abandonner au pardon, ce pardon qui sauve les personnages de Mesure pour Mesure. On constate aussi que l'argent, de tous temps, se paye en livres en chair. Lorsque le marchand juif, incarné par Jean Pierre Bernard, la voix ancrée au plus profond, sort de scène, il faut beaucoup de charme et savoir-faire aux interprêtes d'Antonio et de Portia pour que l'on s'intéresse encore un peu aux marivaudages de leurs personnages. Une fois encore le T.N.O. assure, avec les moyens du bord, un travail salutaire de conservation du répertoire, alors même que beaucoup de scènes subventionnées se consacrent plutôt à la création. Ce qui est bien sur une tâche tout aussi importante, en plus d'être plus gratifiante pour les créateurs, mais...

    On regrette que Will Eisner (1917-2005) ne nous ai pas offert sa version sur papier du Marchand de Venise. Le grand créateur de bandes dessinées s'était interrogé à la fin de sa vie sur les stéréotypes raciaux dans les arts, et leur influence sur les mentalités. Avec assez d'honnêteté pour regretter d'avoir eu lui-même la légèreté dans sa jeunesse d'avoir créé pour son héros masqué, The Spirit, un faire-valoir du stéréotype "bon nègre". Ces travaux et réflexions de Will Eisner trouvèrent leur aboutissement avec un album passionnant: "Fagin le juif" (2003), réhabilitation du personnage négatif d'"Oliver Twist" de Charles Dickens, recréé dans le souci de la vraisemblance historique et sociologique, au rebours des idées reçues. Que nous aurait il appris sur l'autre stéréotype juif de la littérature anglaise?

    C'était Le Marchand de Venise ♥♥♥♥♥ de William Shakespeare, mis en scène par Geneviève Brunet et Odile Mallet. Au T.N.O..

    Dimanche prochain encore

    Guy