Pour ceux qui auraient évité jusqu'à ce soir le beau pavé de Dostoievki (1821-1881), le Prince Michkine (l'Idiot du titre) c'est un peu Forrest Gump dans la Russie des tsars. Une belle âme, d'une simple clairvoyance, dans sa propre logique pas si stupide que cela, projetée dans une société hypocrite. Ceci expliquant pourquoi l'interprétation de ce rôle par Alexandre Ruby bien que remarquable peut au début déconcerter: le prince Michkine est le seul des personnages de la pièce qui ne joue pas. Michkine ne ment jamais, devant chacun déroule le fil de ses pensées, au fur et à mesure que celles ci lui viennent. Une figure quasi christique, d'une franchise aux conséquences souvent catastrophiques. Contrairement à chacun, il n'use jamais du discours comme d'une arme pour protéger ses intérêts, et ses amours.
D'amour ce soir il est surtout question, de ce qu'il reste du roman passé par le filtre d'une adaptation inévitablement réductrice. Un intermède religieux orthodoxe tombe d'ailleurs à plat. Au moins ces feux de l'amour brûlent-ils pour de vrai: c'est fort, c'est tourmenté, c'est excessif, c'est agité, c'est introspectif, c'est compliqué. Bref c'est russe. Et un brin pré-psychanalytique. Placée frémissante au centre de l'intrigue, Nastassia Philippovna est une femme très convoitée, au passé douleureusement scandaleux, qui pour tuer le temps jette les liasses de 100 000 roubles au feu. Histoire aussi de suciter un beau climax, de voir si son soupirant Gania Gavrila Ardalionovitch se montrera assez vil pour s'y jetter les récupérer. Comme elle n'aime que Michkine, elle le lui dit puis elle fuit, part plutôt avec le Moujik Rogojine. Sans oublier de jeter Michkine dans les bras de la jeune Aglaïa Ivanovna. Vilaine Nastassia Philippovna Barachkova! Oui vilaine, car l'important pour notre Nastassia Philipovna est de montrer à quelle point elle est vile, très vile, vraiment très vile, tout à fait indigne du bon prince Michkine, même pas digne de lui laver les pieds, tout juste bonne à rendre son pauvre Parfione Rogojine fou, de rendre très jaloux ce malheureux Rgojine de son ami à la vie et la mort le prince Michkine. L'important c'est qu'elle même, Nastassia, puisse souffrir excessivement d'être si vile, avec intensité, bruyamment, pas discrètement du tout, pour evidemment rendre la vie impossible au prince Michkine, jusqu'à la crise d'épilepsie, et par ricochet de rendre la vie impossible à Aglaïa Ivanovna aussi, qui, quand à elle, envoie tous les jours des billets à Michkine pour lui rappeller qu'elle lui interdit de la courtiser: sublime!
Comment montrer cela et tous les à-cotés sans trop donner mal à la tête? Antoine Bourseiller, aidé d'une belle troupe, y parvient, d'une mise en scène presque invisible derrière les éclats de jeu. Avec le bon goût de ne pas (trop) en rajouter dans l'agitation et les crises d'épilepsie. De ménager des accalmies pour respirer un peu. Enfin c'est assez agité bien sur, mais aurait pu l'être beaucoup plus. Non?
C'était l'Idiot de Fédor DOSTOÏEVSKI, traduit par André Markowicz, adapté et mis en scène par Antoine Bourseiller , au Théatre Mouffetard. Jusqu'à fin octobre.
P.S. : et l'on découvre qu'en 2005 le Tadorne vit la piece, à relire ici
Mais du tout furieux de ce soir, la part plus audacieuse, et la meilleure, tient plus aux mots- les mots écrits par
C'est sans doute la question la plus importante posée par la pièce. La seule question, même. A chaque mise en scène sa propre réponse. Ce soir la réponse est claire: on ne voit que Iago, qui tire toutes les ficelles, et Othello mené par le bout du nez. Ce qui reporte l'attention sur les motivations de Iago. Envieux ordinaire, ou être démoniaque? On se focalise sur ce personnage, mais peut être par l'effet d'un déséquilibre palpable du jeu: Iago (Alexandre Mousset, qui était tout autant remarquable dans le costume du fou de
spontanées, et si systématiquement que cela à la longue peut agacer. Mais, si l'on est mieux disposé, la naïveté peut passer pour de la poésie. Et c'est, tous comptes faits, un mode d'expression approprié pour ces personnages tous un peu désoeuvrés, en quête de rêves et d'ailleurs, qui ont perdus le sens. Déboussolés par les "trous dans le ciel", la chaleur des nuits de polars et l'effacement des saisons. Des "essayeurs de vie". Qui forment une drôle de famille: un père travesti et en crise de larmes permanente, des frères détrousseurs de cadavres (pour marquer la dramatisation, faut il ouvrir sur du sordide?), leurs improbables amoureuses, et un poète alsacien en route vers la Californie. Une famille dont les liens échouent à consoler le mal-être de chacun.
chemin dans l'ombre de Tarquin vers son crime, déjà sur la couche de Lucrèce l'opposition violente du rouge et du bleu. Puis la brutalité précipitée des gestes. Après, de quelques mouvements, le dégoût muet et prévisible qui envahi Tarquin. Le désespoir, la mort de Lucrèce.
de Shakespeare est universelle. Si cette oeuvre est universelle, elle appartient donc à tout le monde. Si elle appartient à tout le monde, chacun peut bien en faire ce qu'il veut. Et détourner les flots du texte vers les préoccupations de l'époque. Chaque génération voit Willy à sa porte.
Belle troupe qui chante à l'unisson, dont trois rousses qu'un ado dévore des yeux. Belle invitation, évocation un peu canaille, mais assez sage à tout prendre, des bas-fonds de Vienne.
par la porte de la salle du haut surgissent des comédiens qu'on ne peut pas ne pas remarquer- des ours, un curé, un juge, des dames en robes d'époque, des jeunes premiers, un Falstaff qui se saisit de bois de cerfs...- ils tournent en rond seuls ou à plusieurs, mais toujours un peu absents, et bientôt repartent dedans à l'assaut. Et chaque fois que la porte de la salle du haut s'ouvre, on entend d'où l'on est quelques répliques et des éclats de voix, des applaudissements.
Rigoulot se découvrent l'un l'autre en un duo sensuel et amoureux, Malena Murua fait une avec un rideau de tente et on ne lasse pas de suivre la fébrile
programme. Pourtant ici pas de rocher à pousser, mais sur scène un tas de gravats. Perchée au dessus, la condition humaine, à l'épreuve de sa vérité. Un danseur en costume de ville- Haïm Adri- au corps et la mémoire habités par le foisonnement des danses populaires, le coeur assailli par la surabondance des musiques et des images sonores. Les mains dans la poussière, se saisissant de la matière, cailloux après cailloux, le regard perdu et un peu fou. Pour une heure de course offerte, c'est grave et émouvant.
pays de l'illusion, et de toutes les possibilités. On perd pied dans les sables mouvants de l'imaginaire amoureux, où chacun ose se rêver, sans interdit de rang ou de sexe, dans les bras de l'être aimé. Lui même reconstruit selon tous nos désirs.
flagrant, à l'inverse d'un certain Fabien aimant Sebastien-le frère jumeau- jusqu'à se faire battre pour le défendre.