Pas de vraie intrigue sans jumeaux: ils sont nombreux et depuis des siècles, les auteurs de théâtre à avoir tiré sur ces ficelles à force usées, pour faire apparaître et disparaître des jumeaux- vrais ou faux, doubles, sosies, imposteurs de toute nature. Brecht en bas de la liste, pour une version dialectique-marxiste plutôt indigeste. Chaque fois, c'est la virtuosité dans les substitutions et ces tours de passe-passe, l'enchaînement crescendo des quiproquos, qui dans un premier temps épate. Puis on se dit qu'est révèle quelque chose d'essentiel du théâtre dans ces jeux de géméllités, d'usurpations, d'échanges d'identités. De caractérisations contrastés qui ne s'avèrent être que trompeuses apparences.
Dans le Médecin Volant, Sganarelle se dédouble. S'improvise médecin pour tirer d'embarras une ingénue. Puis piégé par sa propre imposture, doit s'inventer un frère jumeau moins honorable, jusqu'à rencontrer de plus en plus de difficultés pour jouer les deux personnages à la fois. Il prouve au moins en passant qu'il suffit d'être pédant pour apparaître comme un médecin compétent. Etre aux yeux des autres ce qu'il n'est pas vraiment. Les ingrédients des grandes tragi- comedies qui suivront sont déja présents... mais quand il écrit le Médecin Volant (1645), Molière (1622-1673) n'est pas encore vraiment Molière, apparemment. Il se fait les dents. Se contente d'être bouffon. Les effets tombent, lourds, et peinent. Ce Sganarelle semble à tout bout de champ effrayé par sa propre imposture, sa gène devient communicative. La troupe peine ce soir à animer le texte tel quel, et n'ose pas ré-inventer.
Juste retour à la comedia dell' arte qui avait inspiré Molière: les Jumeaux Venitiens (1747), de son suiveur Goldoni (1707-1793), sont quant à eux des jumeaux pour de vrai. Mais de caractères opposés et que l'on prend sans arrêt l'un
pour l'autre. L'un est noble et raffiné, l'autre veule et idiot, à 100 % gouverné par ses instincts. Comme deux faces irréconciables d'une même personnalité. L'intrigue est échevelée et irrésumable. La comédie de moeurs glisse insensiblement vers la noirceur, sans renoncer à un enjouement enfantin. Voire. On ne peut que s'effrayer que chacun des actes de l'un des jumeaux engage la vie-voire la mort-de l'autre. La comédie de l'argent et de l'amour ne connait pas de pitié, la société change pour un cynisme assumé, le siècle finira par s'effondrer. Interprété sur tréteaux en pleine ville par un dimanche ensoilellé, c'est une belle illustration de ce que peut offrir le théatre édudiant, avec vigueur et sincérité, mais avec justesse pourtant.
Reste à se demander si on peut aujourd'hui encore nous faire le coup des jumeaux: Depuis le temps de Martin Guerre le contrôle social fait que l'identité officielle est de plus en plus placée sous contrôle. Ce n'est plus aujourd'hui que sur le territoire virtuel du net que l'on peut encore redéfinir ses rôles et ses apparences.
C'était Le medecin volant de Molière, mis en scène par Valérie Thériau, au Théatre du Nord Ouest, dans le cadre de l'intégrale Molière en alternance jusqu'au 8 mars. Et Les Jumeaux Venitiens de Goldoni mis en scène par Alexis Roque, vu en juin en plein air, avec les scènes d'été du Théâtre 13.
à nous demander si l'on connait l'histoire d'Oreste- et d'ailleurs peu importe- puis à nous placer d'autorité sur un coin de banquette. Tout est ici question de place ou de point de vue: le texte aussi joue à être dedans et dehors à la fois, à s'étonner de nos attentes. Les meurtres ne seront pas montrés, ni ceux d'avant, ni ceux d'après. Plus besoin. Pour mieux s'attarder sur ce qui en chemin peut- on non- se passer. D'une langue délicieusement incorrecte, qui ose la liberté, tout en chocs, ruptures et fausses pistes, en ironie désabusée. Les rôles sont allusifs, Oreste erre dans ce labyrinthe de la fatalité, où ne le guident pas la Fille et le Guide Coryphée. Souffre et baise en chemin, mais l'érotisme est à jamais interrogatif, douloureux. Cassandre- en rouge appuyé- ne sait plus au juste pourquoi pleurer, mais sait bien encore comment, imprévisible, et peut-être trop triste pour se prendre au sérieux. Musiques et surprises se heurtent sur un mode mélancolique et grotesque, étonnent sans expliquer. On nous interpelle droit dans les yeux pour nous rappeler que tout celà n'est qu'un jeu. La mise en scène est encore verte, quoique plutôt moite aussi. C'est qu'il y a un poil trop d'idées et d'impatience, et l'envie de tout essayer. Mais on les suit sur ce chemin aussi. Tant les outrances forment un tout juste, et étonnamment joyeux. 
intestinaux, mais de dénier, avec brutalité, tout signification au langage, tout ordre au monde, le réduire à la seule corporalité.