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Danse - Page 9

  • Danse en puzzle

    D’abord une entrée. Puis une sortie. Entrée à nouveau. Fausse sortie. Encore ainsi de suite. Sans raccords jusqu’à en sourire. Mais chaque action décrite au mur, en sous-titres. Avec des déphasages, des descriptions menteuses, à diverger de plus en plus. A n’en croire que ses yeux ? Des jeux déjà avec les nerfs, mais la danse qui y trouve son chemin, l’air de ne pas y toucher. Vite drôle et chic, presque pédagogique. L’une des deux en combi moulante, l’autre en robe panthère. L’une grande, l’autre moins. Sur les deux notre attention focalisée, la salle très silencieuse, comme rarement concentrée, mais sans impatiences. Un joli jeu de cache- cache pour tout de suite résumer.

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    En abandon, humour, décontracté. Comme un dialogue entre elles, qu’on devrait deviner, avec les non dits au milieu. Illustré d’événements minuscules, accumulés, gravitant autour du sujet (l'entre d'eux?): de soli en miroirs, d’actions simples et d’autres moins. Accompagné de tout ce qui peut être autour communiqué, tous moyens confondus, par inventaire de procédés: le bruit du vent, et des corps alors emportés, même un nu impromptu, instantané, des accords de guitare emphatiques, voire des lumières à se faire remarquer, ou des ombres coquines, des films d’errances bucoliques, à la poursuite de deux folles et une biche, des petits mystères et de la fumée verte, « Frère Jacques » entonné à coups de balles de tennis, des grands écarts, de lentes figures, des impertinences en patins à roulettes. Autant d’instants à saisir, à déguster. Le tout à regarder sans faim, léger. Un puzzle libre, sans grand tout à rassembler.

    C’était long Long Short Long Short d’Alix Eynaudi & Agata Maszkiewicz, à la Ménagerie de Verre avec le festival Inaccoutumées.

    Guy

    Photo par Vincent Tirmache avec l'aimable autorisation de la Ménagerie de Verre

  • Viviana et Viviana

    Rêve et mystère… On est à nouveau aspiré à la recherche de Madame Gonzalez, ce soir au milieu des étranges images de l’exposition consacrée à Moebius. Le créateur de bandes dessinées a-t-il été associé à la programmation de ces soirées nomades? Il semble que l’univers de Viviana Moin communique avec le sien par de troublantes coïncidences. Les imaginaires s’ensemencent, ouverts. Dés l’apparition de ce corps hybride, en transformation et mouvance. Deux apparences entremêlées, vraies et sociales: c'est-à-dire en dessous la chair crue et à vue, par dessus le costume merveilleux, ridicule, extravagant. Cette robe en morceaux veut briller argentée, et ainsi l’incroyable perruque, comme en un impossible retour à la grâce et l’innocence de l’enfance.

     75173_454544464692_670589692_5168528_8273950_n.jpgViviana Moin sait tout oser. Le corps se renverse en souvenirs de figures de ballerine, transformé par des mouvements émouvants de lenteur puis de soudaines et feintes maladresses, impudique se retourne comme un ruban. Il se déplace et nous emmène dans l’espace et dans le temps, dans un va et vient entre Paris ici et là bas Buenos Aires. Entre maintenant et le temps flou d’il y a plus de 30 ans. La voix, irrésistiblement naïve et hésitante, ouvre un portail trans-dimensionnel, dans une belle connivence, une machine à remonter le temps. La fragilité offerte est une force qui balaie les résistances. Le « Je » de la narratrice emporte auteur, interprète, personnage dans les mêmes transfigurations. L’hypnagogie s’étend, le songe suit. Tout est possible maintenant dans la logique forte de l’inconscient: pas de hasard mais des surprises, des rires, et des enchantements. D’un seul trait épuré, d’une phrase, nait un possible, d’un coté le plein et de l’autre le vide, en surgit pour nous submerger toute la matière du récit. Madame Gonzalez, qui jouait du piano au cours de danse, du jour au lendemain a disparu. D’évidence un coup des extra-terrestres, également responsables de la fêlure du carreau cassé sur le chemin de l’école. On est sur le coup convaincu que dans l’Argentine des années 70, il ne pouvait y avoir d’autres explications. L’œil de l’enfant, comme celui de l’artiste voit l’invisible, préfère construire des évidences cosmiques. Le tragique jamais loin, la mort derrière le rideau.

    La parole à la fin se tarit, les mystères plus entiers que jamais et le corps plus dénudé, qui s’abandonne aux origines, à la transe d’une extraordinaire danse chamanique, vers la vérité, vers son origine ré-imaginée au son des flutes andines.

    C’était Ou est passée Madame Gonzalez? de et avec Viviana Moin, dans le cadre des soirées nomades de l’exposition trans-formes consacrée à Moebius, à la fondation Cartier.

    Un premier état de la pièce, Madame Gonzalez au Piano, a été créé en février 2010 au Dansoir dans le cadre du festival Indisciplines (voir le texte et les photos de Jérôme Delatour-images de Danse).

    Guy

    Lire aussi à propos de Billy, d’Espiral, et de Montre moi ta Pina , et aussi à propos des danseuses qui parlent.

    Photo de répétition (X) avec l’aimable autorisation de Viviana Moin

  • Danse et démons

    C'est dans la convulsion des derniers instants que tout se précipite et se rassemble. Dans un vertige où tout prend (non une logique) mais force et sens, au paroxysme d’un tourbillon. La danse, d’abord enfermée dans un solo en boucle  (A Conspiracy), s’est mise à contaminer tout l’espace autour d’elle, s’est propagée, par cercles successifs, de danseurs en danseurs, en expansion irréversible, par décharges, par déferlements de sons et sensations, par brusques possessions. Notre espace d’observateur est emporté, balayé, les fantômes parmi nous libérés. Le moment est saisissant, effrayant à dire vrai.

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    C’est dans ce dénouement en débordement que se justifie et trouve une cohérence ce qui a précédé, vécu jusque là comme un patchwork déroutant  de danses (vues ou nouvelles), et théâtre, poésie, musique, performance: une étrange carte blanche(1). A commencer par ce long prélude qui sur le coup paraissait fastidieux: trois femmes, dont les robes lugubres et cérémonieuses contrastaient avec les poitrines dénudées, une combinaison comme sacrée. Elles semblaient devoir tournoyer lentement pour l’éternité au son des trois mêmes notes, tandis que trois sorcières de Macbeth lançaient leurs malédictions. C’était, rétrospectivement, un rituel, un envoutement. Aussi une manière de nous faire accepter le principe de répétitions et de subtiles variations comme moyen de faire apparaitre ce qui sinon resterait caché, la mise en œuvre d’une transe au ralenti, diluée. Circulaire également, la lutte ensuite de ces deux guerriers presque nus. Les corps s’attaquaient l’un l’autre en contacts exacerbés, leurs gestes accumulés, saturés, dans un combat d’abord à mort dont la violence s’épuisait peu à peu, en ralentissements, pour se transformer en étreintes amoureuses. Dans cette répétition de mouvements pouvait donc changer la signification de l'ensemble. Par contraste, le corps avait tout à fait disparu de la partie qui suivait: une pure évocation de l’invisible sous trois angles, tentée via trois sensations. La musique de Philippe Glass interprétée au piano, la voix portant la poésie d’Emily Dickinson, les images floues d’un film fantomatique (de Xavier Baërt). Durant cette absence le temps encore s’étirait. On en venait enfin à la dernière histoire, celle de la folie d’un prince- d’un fou-shakespearien(Lionel Hoche), condamné halluciné à répéter encore et encore mots et gestes, enfin à s’en libérer tout en nous entrainant avec lui dans ce cycle. Nous avons été invités à deviner toute cette soirée des recits de fantômes et de disparitions, d’exorcismes enfin.  On peut comprendre ainsi le final, sur une variation d’Amazing Grace. Mais ne sommes- nous pas à notre tour,invités à danser, pris au piège, sommes nous vraiment libérés de ces démons? Je retrouve surtout, au terme de cette soirée rétrospective, ce qui me fascine dans l’art d’Alban Richard: la faculté de faire naitre des émotions brutes de la rigueur et géométrie des formes.

    C’était Shake that Devil d’Alban Richard, au CDC Paris Réseau.

    Guy

    (1) bien que le déroulé de la soirée ai été quelque peu ralenti et dispersé par le parti-pris de la partager entre quatre lieux reliés par des trajets en car: l'Atelier de Paris Carolyn Carlson, le studio Le Regard du Cygne, L'étoile du nord et Micadanses. L'initiative a pour avantage de nous informer que ces structures constituent désormais un centre de développement chorégraphique en réseau (c'est surement une excellente chose), mais aussi pour inconvénient de nous faire mesurer toute la congestion de la circulation routière à Paris et petite couronne...

    photo de Vincent Jeannot avec l'aimable autorisation de la compagnie.

    lire aussi As far as et lointain

    et à lire en anglais...

  • Les plus beaux chemins...

    Les plus courts chemins de Daniel Dobbels nous emmènent très haut, nous emmènent loin. A condition de soi-même accepter de ralentir, de prendre le temps, de se placer en état d'écoute, de se dégager de bien des conditionnements.

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    Pour s'approcher alors d'une utopie, celle de voir des corps qui s'exprimeraient en leurs émotions, en leurs verités, libérés de toute contrainte sociale, de toute obligation trop spectaculaire. Cela posé, de la danse elle même on ne se risquera donc pas à entreprendre de description, forcement de réduction. Sinon remarquer que les mouvements semblent se développer toujours sur un autre rythme que celui celui auquel on s'attendrait, à une autre vitesse. Il faut accepter de se couler dans une autre mesure du temps, un autre possible. Aussi ressentir que rien ici n'est appuyé, ni demonstratif, ni évident, la subtilité des rapports entre les êtres et les corps respectée, de la résilience à l'affirmation exaltée de la vitalité. Du silence à l'exacerbation des sentiments, de la musique de Cecilia Bartoli au blues de Jimi Hendrix, les corps se révèlent à eux même attentifs et yeux mi clos, maitrisent dans un espace appaisé d'invisibles objets. Cet art ressemble avant tout à une morale, à une attitude, c'est aussi une chance d'écouter parler quelques minutes le monsieur, à l'image de sa danse: intelligent, sensible, respectueux, passionné. Et de mieux comprendre son projet: faire découvrir à tous les publics que les gestes ne sont pas des armes mais des dons, des richesses.

    Les plus courts chemins, de Daniel Dobbels (Compagnie de l'Entre Deux), suite composée de Les revenants (trio), Etre à même (duo), Effectif réduit (quintette) sera créé les 8 octobre et 9 octobre (aujourd'hui et demain) au Forum de Blanc Mesnil.

     Guy

    photo avec l'aimable autorisation de la compagnie.

  • Speed dancing

    Ce n’est ni à une répétition, ni à un spectacle, ni un festival, auquel j’assiste aujourd’hui, mais à des rencontres entre professionnels de la danse. Une vingtaine de compagnies, connues ou moins, présentent durant deux jours, à la Maison des Arts de Créteil, leurs créations à des programmateurs, en présentent plutôt des extraits. Pour la troisième année le CDC du Val de marne m’invite aux Plateaux, j’en suis content, attiré ici par la variété des propositions, m’y sentant toujours pourtant comme un peu clandestin, au milieu de professionnels. Il y a là plus d’une centaine de programmateurs, de représentants de lieux de spectacles et de création, qui viennent quant à eux  autant pour le travail que pour le plaisir de la découverte. Je leur souhaite d’arriver à concilier les deux. Le rythme est soutenu. Afin de permettre à un maximum de compagnies d’être vues dans le temps par définition limité de la manifestation, ce sont des échantillons- idéalement représentatifs- des pièces qui sont proposées. Des teasing de 10 à 30 minutes, c’est quitte ou double. Cette contrainte est d’évidence réductrice pour le chorégraphe, et souvent frustrante pour le spectateur. Mais la curiosité est éveillée, tant les propositions, sur le fond et la forme, sont variées. L’essentiel est que cette louable initiative du CDC permette à des compagnies de gagner ici en visibilité. Se crée ici pour quelques heures tout à la fois un lieu de création et une place de marché,  un lieu d’approches, d’étonnements et de rencontres. On devine que réputation et notoriété se construisent sans doute sur un plus long terme que ne souhaiteraient ici les artistes.

    J’arrive pourtant en terrain connu. Je retrouve Veronica Vallecillo pour Redressage, Redresser, Redresse-toi. Et me retrouve saisi par l’intensité déjà vécue qu’il y a trois ans à Point Ephémère, gagné par des sensations lourdes déjà ressenties alors, par la même étrangeté. Le sol semble trembler sous le martèlement guerrier des talons de la danseuse, les vibrations s’insinuer dans mon inconscient, accompagnées par de graves chuchotements, et par le grain palpable de l’image et du son. Le noir domine, déchiré d'écarlate, l’espace dessiné libre pour des rêves troubles. Au fond le paysage s’enfuit, des banquises s’effondrent. Au centre, farouche, la figure féminine: corps raide et en défi, corseté en robe noire, voile et bottines, en pleine flamenco attitude. Entrainé dans un vertige érotique, dans une danse post-apocalyptique, entretenant avec les comparses vêtus de collant noirs et munis de trousseaux de clés des relations réversibles et ambigües. Fouets, baisers et étreintes avec la mort rouge: les scènes se chargent d’autres images fortes et fantasmatiques….et la création en reste là, inachevée, pour le moment en recherche de budget. Impossible d’oublier ici que la dance est aussi une activité économique, dont on connait la fragilité des paramètres (faiblesse des recettes de billetteries, complexité des soutiens publics, grande richesse de l’offre créative,  précarité de la situation de beaucoup d’artistes…). En l’absence de financements beaucoup de créations restent longtemps à l’état d’ébauches, je souhaite que cela ne soit pas le cas de celle-ci.

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    La jauge est ensuite annoncée quasi complète pour Claudio Stellato, je m’efface pour laisser plus de place aux pros. Louves, de Christian Ben Aïm, ensuite me laisse perplexe. Au moins je ressens avec évidence un déluge inquiétant de piano et percussions. Il faut d’abord s’habituer à la féminisation du danseur, qui, dans ce songe de fées, se rêve petit chaperon rouge puis grand méchant loup, se débat dans sa robe. Le suivre, alors qu’il se déplace par mouvements paniqués, puis lorsqu’il évolue de personnage en personnage, sa hache brandie, du comique au menaçant. Le temps me manque, sans doute, pour m’adapter à ces changements de modes. Pourtant, il semble que la création-qui sera reprise cette saison à Artdanthé- aie été dés le départ prévue pour ce format: c’est l’exception qui confirme la règle.

    Au retour du déjeuner Bruno Pradet, avec Des Cailloux sous la peau nous emmène déambuler aux quatre coins de la Maison des Arts. Afin de présenter en continu les différentes propositions des compagnies, une demi-douzaine de lieux du bâtiment du M.A.C. sont utilisés tout au long de la journée. Ce chorégraphe ci a choisi de mettre en mouvement avant tout les matières: sable, lumière, fumée, images projetés… Aux danseurs de s’y confronter, de glisser leurs corps dans ces environnements. A défaut de pouvoir en vingt minutes nous guider dans la profondeur, Pradet nous place dans un état de jubilation enfantine, impressionnés par le renversement des sensations et l’inventivité des effets. Et tire bien son épingle de ce jeu de démonstration accéléré.

    Pas le temps de souffler- tout juste de saluer des visages connus, voire des personnes moins bien identifiées dans la cohue et qui ne m’ont peut être plus reconnu non plus, ou de reconnaitre d’autres personnes pour de bon mais sans avoir le temps de les saluer, et d’abord ne pas reconnaitre Veronica Vallecillo (qui sur scène était masquée)-il faut aller ensuite découvrir Palle Granhoj (Danemark), qui présente un extrait de 2men2mahler. Ce duo masculin joue d’abord drôlement des muscles, et à cache-cache avec la nudité, dans une suite de gags qui trouveraient leur place dans une salle de gym…mais la pièce passe progressivement du comique à la subtilité, les rapports entre les deux personnages gagnent en intensité et incertitudes… Leur relation muette semble riche et  annonciatrice de futurs développements. Mais à dire vrai, ma concentration commence à se perdre, plus par l’effet de ma propre fatigue qu’à cause de la pièce, sa douceur permet d’agréablement m’évader ailleurs. Cette proposition est ouverte. Si j’étais programmateur, je voudrais en voir plus, mais plus tard peut-être.

    La proposition suivante commence avec du retard, de tels aléas techniques étant la rançon de cette course en flux tendu, et la transformation de tous les espaces d’ici en lieux de représentations. Toucher terre de Laura Nercy me lasse très vite, la fatigue y est peut –être pour quelque chose. C’est la cinquième proposition vue aujourd’hui, à chaque fois un effort d’adaptation à un univers différent, un exercice d’humilité. Mon empathie d’assèche, et le public de professionnels qui m’entoure me semble plus difficile et retenu qu’un public d’amateurs. Mais j’aurais eu, confronté à cette pièce dans un autre contexte, des réactions similaires: confinée sur une chaise la proposition me parait trop statique, introspective et auto-centrée, sans la grâce ou le mouvement qui pourrait la transcender. Ni la subtilité de la proposition d’avant, ni le spectaculaire de la précédente. Gros coup de fatigue et saturation, je sèche INAWTP de Kasja Sandström. Brève évasion dans le réel, dans un rade de la dalle-esplanade de Créteil, lieu vaste, vide, blanc, plat et venteux entre Hôtel de Ville, Commissariat, Chambre de Commerce, Préfecture et Maison des Arts et de la Culture. J’admire les pros, qui pendant ce temps enchainent sans sourciller (mais peut-être certains font-ils l’école buissonnière ?).

    Retour à la M.A.C. Grand hall central encore désert, mais dans la fosse quatre jeunes femmes plus nues qu’en intégral, bronzées et huilés, aux physiques calibrés au poil prés selon les canons du jour, qui s’étirent alanguies sur un tapis de danse. Réveil instantané. Il s’agit de la mise en place de la prochaine performance, Broken Glass Performance d’United-C (Nl). Le show s’enclenche sans heurts ni ruptures à la sortie du public de la salle d’avant. Les belles évoluent en frôlant au sol des verres cassés, pour donner le sentiment de pouvoir se blesser durant l’exercice. Elles caressent les tessons du bout des doigts de pied, lentement se retournent, se fraient horizontales des chemins des les verres coupants en glissements charnels, étirements sensuels et pivotements luisants. Les verres tintent aussi agréablement. Personne ne m’en voudra de révéler que les belles s’en sortent indemnes, les amateurs de sang ou de coupures en restent pour leurs frais. A dire vrai, je ne parviens pas à avoir peur pour elles. Les danseuses semblent plus exposées aux regards qu’au danger (sinon au niveau symbolique). A défaut d’être vraiment intense ou cruel, c’est « plastique » et visuellement généreux. Et très lisible à la fin d’une journée bien remplie. A suivre: une autre création de la même série dans quelques mois à Artdanthé (décidément).

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    Ensuite, T.R.A.S.H. (Nl) délivre avec T+Bernadette ce qu’il faut, à 18H00 passé, d’adrénaline. Je connais leur style (et n’ose plus dire d’où), on ne peut plus physique et nerveux, on craint plus pour eux que pour les danseuses d’United-c. Courses et saccades, gestes tendus, pendus, tremblés, équilibres pénibles, corps qui se trainent et se heurtent, se saisissent et se culbutent cris et tremblements, agitation extrême, le sol en est secoué. Et un violoncelle est là pour taper sur les nerfs. L’Il et l’Elle du duo changent souvent de rôles et de costumes, mais je ne sais lesquels. Si je ne comprends rien à ce qu’ils disent, je goute à de belles fulgurances. J’en sors en n’ayant rien découvert de plus: ni conquis ni déçu.

    Je commets une dernière erreur, aller voir, le regard épuisé, la représentation publique de Mais le diable marche à nos cotés d’Heddy Maalem mon regard épuisé. La pièce est nerveuse et intense, situé dans un désert aux couleurs rouges traversé de migrations inquiètes, la musique entêtante, le tout est trop oppressant, je ne suis plus, après cette journée, armé pour affronter cela. La rencontre n’a pas lieu. Les plateaux continuent le lendemain, ouverts au public. pour des raisons personnelles je ne peux assister à cette seconde journée et n’entend tirer ni bilan ni conclusion de la première. C’est un voyage express dans un paysage contrasté et morcelé, avec d’étonnant aperçus, un paysage modelé par les différents artistes, qui me donne envie d’encore marcher et découvrir. Sans règles, ni tendances lourdes qui se dégageraient, ni directions partagées: tant mieux.

    Guy

    photo 1 avec l'aimable autorisation de Véronica Vallecillo

    photo 2 avec l'aimable autorisation de United-C

  • Les arbres et la forêt

    La forme d'un arbre signifie un arbre, deux arbres un bois, et trois arbres une forêt... C'est ce que nous explique aprés coup, en japonais, la calligraphe Saiso Shimada. Un monsieur sorti des rangs du public s'improvise avec brio traducteur pour partager avec nous ces dits. Le signe écrit évoque donc l'objet en lui même, son apparence et son essence à la fois, sa place dans l'harmonie naturelle, mais étions-nous beaucoup dans le public à le comprendre ainsi, alors qu'au terme d'une longue méditation dans un silence d'une blanche perfection, sur le papier couché au sol la caligraphe jetait son geste? Le pinceau- une grande brosse, presque un balai- plongé une seule fois dans le sceau, puis son bras qui danse pour lâcher en quelques mouvements la lourdeur noire de l'encre sur le papier immaculé, sans retours ni regrets. A partir de ces idéogrammes, que je ne sais pas lire, surgit donc la Forêt, puis s'étend la Décomposition, enfin se lève l'Aurore. 

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    L'encre posée, ces forces naturelles s'incarnent dans le corps de la danseuse Moeno Wakamatsu. Je la regarde portée par ces trois improvisations, sans alors connaitre leur signification, mais pour au moins ressentir et deviner que des forces cachées la traversent douloureusement, sa lenteur en est l'écoute exacerbée. Je vois cette femme sans alors deviner la forêt écrite et dansée, pourtant déja évidentes des cycles d'inéductables agonies et de miraculeuses renaissances, son ombre tendue sur les feuilles blanches, des terribles affaissements, son bras tendu vers l'infini, puis tout revient comme avant dans le tout. Moeno dessine de son corps dans l'espace des signes tout autant enigmatiques et fascinants que le pinceau sur le papier, j'en accepte d'abord les mystères tout comme j'en accueille plus tard le sens.

    " Je ne vois pas la femme cachée dans la forêt", tel est le titre de la toute prochaine pièce de Perrine Valli. La chorégraphe est revenue d'une résidence au Japon, mais je ne sais si elle s'intéresse aux idéogrammes. Nous sommes quelques-uns à qui Perrine, à l'initiative de Mains d'Oeuvres, ouvre cette répétition, pour ensuite recueillir nos impressions. Il est prématuré de parler ici sur le fond de ce que nous voyons de cette pièce en pleine éclosion, avec ses belles promesses et encore ses fragilités. Mais il me sera, je l'espère, pardonné d'évoquer la discussion qui suit, significative. Nous découvrons en effet durant cet échange toute la distance qui reste à ce stade entre ce que chacun a vu et ce que Perrine a voulu montrer. La chorégraphe a pris garde à ne pas trop appuyer ses effets. Trop?  Beaucoup d'images, de références artistiques ou sociologiques, de situations, de jeux de rôles, fruits d'une réflexion ambitieuse et complexe, m'ont échappé, ainsi qu'à d'autres invités. Nous n'avons pas vraiment vu la femme dans cette forêt de gestes, du moins la femme comme elle voulait apparaitre. Sans pour autant que cette méconnaissance, comme lorsque j'étais confronté aux idéogrammes de Saiso Shimada, ne m'empêche de vivre avec un grand plaisir l'expérience de cette représentation, porté par le flux des images et la cohérence et la beauté de la chorégraphie, quitte à imaginer le reste....Et j'aurai pu en rester à cette perception, sans les explications de Perrine. Mais cette pièce telle que je l'ai vue n'existe déja plus. Il est clair que Perrine- il s'agit de sa quatrième création je crois- se défie de plus en plus de tout exces d'esthétisme pour privilégier le sens. Je sais que la pièce va être améliorée, plus cohérente et plus forte, mais j'éprouve pourtant un dernier regret à l'idée de la clarification qui va être entreprise. La matière en tout cas est là- le sujet est ici la femme, et non la forêt-et il reste le temps nécéssaire à la chorégraphe pour ces ajustements, faire en sorte que le spectateur perçoive tout ce qui lui est proposé, tout en gardant sa part de liberté, sa respiration. Je suis curieux de bientôt découvrir le résultat final- en espérant retrouver ma spontanéité de spectateur- pense aussi à toutes les pièces prématurées qui n'ont pu à l'inverse de celle-ci murir fautes de regards, à ce que je n'ai pas vu et à leurs intentions perdues...

     

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    C'était une rencontre entre Saiso Shimada et Moeno wakamatsu à l' Espace culturel Bertin Poiré, et une étape de travail de "Je ne vois pas la femme caché dans la forêt" de Perrine Valli qui sera créé à Mains d'Oeuvres le 22 novembre.

    Guy

    Lire aussi: images de danse

    image: la mer par Saiso Shimada

  • Les Mystères de Montreuil

    Je n’irai pas cette année au Théâtre de la Ville, je préfère faire ma rentrée théâtrale à Montreuil : par un rendez vous à la sortie du métro. A cette sortie de la station Croix de Chauvaux, on devine presque à coup sûr qui vient pour la soirée de performances, ou qui simplement vit par ici. Le réseau, né à Montpellier, s’appelle hors-lits, essaime de ville en ville sans faire trop de bruit. J’en ai eu connaissance en découvrant la création de Thibaud Croisy. Ce soir, vingt-cinq arrivées plus tard, ensemble direction un appartement après l’autre pour dans chacun y retrouver un artiste. Les déambulations dans les rues de la ville rappellent d’agréables réminiscences d’école buissonnière. Ces incursions dans ces espaces privés, bulles invisibles dans la densité urbaine, semblent plus troublants que nos visites à force sans surprises dans les théâtres institutionnels. On rentre dans le secret des vieux immeubles ou des résidences, on suit les couloirs et on monte les escaliers, on franchit les portes, pour y envahir ensemble une chambre ou un salon.

    La danseuse Christina Towle nous accueille dans une pièce (un espace) remplie de ballons comme pour une fête d’anniversaire, pour une pièce (une proposition) qui se joue dans les rapports entre son corps et son souffle. Elle inspire et expire, avec le ballon à ses lèvres forme un nouveau système fait d’interdépendances, nous fait deviner dans l'équilibre de son corps les plus délicats ajustements, et peu à peu jusqu’aux plus spectaculaires. C’est harmonieux, sur le fil des nuances, et- pourquoi pas?- d’une candide sensualité. J'ai pourtant le sentiment que j’aurais pu apprécier exactement de la même façon cette proposition vue sur une scène, il y a en cet endroit sans doute juste un peu plus de présence.

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    Les deux performeurs visités avant elle, exploitent plus avant les ressources de ces lieux sans barrières, pour un soir à l’intersection de l’art et de la vie quotidienne. Gaspard Guibert nous fait un drôle d’escogriffe surexcité, et va vite au contact. Pas de quatrième mur (tout juste au plancher une bande adhésive): il en profite. Un coup de calva, la bise à l’une, à l'autre, et encore, puis à chacun d’entre nous jusqu’au dernier (il pique un peu), comme nous tous invités à une soirée entre potes. Avec des interpellations aussi déjantées et mécaniques que le pas de danse en rap à son entrée. Dans le semblant d’échange qu’il nous propose, il transforme en effets de style ses hésitations, rébondit sur nos timides réponses, les réitérations nerveuses tuent les significations, les récits loufoques et rébus fusent et se perdent en route pour faire monter la confusion, ses mots érratiques et sur son visage ses tics grossissent en miroir nos manies. Dans ses cinq mètres carrés ce garçon joue bien et à fond la situation, et avec une franche physicalité. Violentes gesticulations, imprévisibilité, espaces réduits, 25 spectateurs entassés: une piquante sensation de danger...

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    S’agissant de Nobody’s Home de Malena Beer, le titre annonce fidelement ce qui est tenté ici. Et abouti. Comment l’artiste peut elle devant nous, dans ce lieu privé, se montrer sans se montrer vraiment? Toujours présente mais en se cachant, elle et son corps à coté. Vu différemment. La danseuse joue avec nos perceptions, par légers décalages, surtout le visage toujours escamoté. Cela m’évoque par moment les travaux de Sofia Fitas, mais dans un contexte et sur un rythme bien différent. L’étrangeté nait de peu, d’une pomme de pin, du glissement de la robe et de pas en coté, de gestes différemment agencés… L’exercice est ardu dans la grande proximité avec nous que permet cette soirée, l’artiste n’élude pas la difficulté, vient errer dans nos rang. La semi-nudité n’y change rien: traits cachés et mouvements déformés son ensemble, son identité, continuent à nous échapper. Elle-même parait perdue, aveuglée, prisonnière, ne semble pas habiter dans cette pièce-même, ouvre la fenêtre en vain, échoue hagarde à s’évader contre les murs. Mais le titre peut signifier qu’elle ne s’habite pas elle-même non plus. L’exercice, étonnament, nous touche avec plus d'humour que de gravité, finit dans un beau paroxysme de courses, charges, chocs et chutes, aux limites du contrôle et de la raison.

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    C’était Horslits Montreuil, dans des appartements à Montreuil avec Sinon on fait comme ça(ou autrement) de Gaspard Guibert, Airtight de Christina Towle, Nobody’s home de Malena Beer. Et (non vu) Déconnexion d’Anne Donard et Aude Halary.

    Ce soir samedi encore, et complet je crois.

    Guy

    photo de Guillaume Bassinet, avec l'aimable autorisation de Christina Towles

  • Vu avant avignon: Charmatz et Balibar, la danse en rémission

    publié le 16/11/2008

    D'abord il leur faut arracher la peau qui colle sur le sol, à défaut de celle qui recouvre muscles et os. 

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    Il leur faut gratter cette glue, ce placenta, avec les doigts, découvrir ce qui est caché dessous, le mettre à jour, ce qui est dedans aussi. C'est Boris Charmatz qui est à l'intérieur du camion, enfermé dans la boite, caché et montré à la fois, en tous cas déséquilibré, en danger, secoué en tous sens à faire sortir de lui tous les mots vrais. Ces minutes exacerbées, à elles seules valent tout. Le camion est conduit par Jeanne Balibar, ce camion est massif et sourd. A l'arrêt pesant à pousser comme les souvenirs oubliés. Une fois emballé, comme un taureau mécanique, aux phares aveugles, hors de contrôle à effrayer le premier rang, à dessiner des cercles vains et une chorégraphie lourde. Au volant Balibar dit les textes d'Hijikata, des textes qui creusent les origines, celles de l'existence autant que de la danse. Des textes durs, concrets, couverts de boue. Qui évoquent des corps souffrants, des corps boiteux, mous, arqués, crottés, malades, douloureux, pas glorieux. Les corps de Charmatz et Balibar sont blanchis et un peu nus, seule concession visuelle au buto, s'affalent l'un sur l'autre. Bien vulnérables et chétifs, s'offrent à la massivité du camion. "Les gestes morts qui sont dans mon corps je veux les faire mourir encore": ces mots et certains des gestes, encore en gestation, Charmatz les chantait déjà il y a quelques semaines . Il s'agit toujours et encore ici de mémoire, de refus des formes trop usées- abolies en une introduction "Boris brûle-t-il"-, et de recréation du spectaculaire. Ce soir en hommage aux mots d'un danseur, un hommage humble peut-être. Le résultat peut ne ressembler à rien, ou sembler déséquilibré, ou par certains aspects insatisfaisant, c'est qu'il est, toujours et encore, inédit et urticant.

    C'était La Danseuse Malade, chorégraphie de Boris Charmatz, avec Jeanne Balibar et Boris Charmatz, sur des textes de Tatsumi Hijikata, au théatre de la ville, avec le festival d'automne à Paris. C'était fini samedi.

    Guy

    A lire: bien culturel, et un témoignage décontenancé, Et (enfin!): Le Tadorne et Images de danse.

    photo par Fred Khim, avec l'aimable autorisation du festival d'automne à Paris.

  • Si j'étais en Avignon...

    ...j'irais, surement, revoir Jesus Sevari.

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    Jesus Sevari / Absolutamente
    chorégraphie-interprétation: Jesus Sevari
    Scénographie-lumières: Yann Le Bras

    Un an avec Berlioz. 45' de danse.
    CREATION 2010 Du 8 au 14 juillet à 10h
    FESTIVAL AVIGNON OFF - Théâtre de la Condition des Soies
    13, rue de la Croix  - Avignon - 04 32 74 16 49

    CHILDE
    essai chorégraphique sur une symphonie de Berlioz

    Jesus Sevari cherche une porte pour entrer en communication avec des temps anciens, à la racine de nos identités. Archéologue du sensible elle fouille avec ses os, ses muscles, sa posture au fil de la symphonie Harold en Italie: cette musique qui a « quelque chose de primitif sinon d'antédiluvien » selon Heine, porte ici dans sa quête initiatique un corps en constante métamorphose qui déforme l'espace autour de lui comme une matière élastique. Pour la composer, Berlioz s'est inspiré des pérégrinations du héros romantique Childe Harold de Lord Byron. « Childe », c'est-à- dire « destiné à être chevalier ».

    "Une féminité solide et chaleureuse qui séduit, parfois dérange. Terrienne et sereine"
    Guy Degeorges, Un Soir ou Un Autre
  • Talk Show

    Trois blogueurs dialoguent suite à la pièce du chorégraphe Jérôme Bel, « The Show Must go on ».  Jérôme Delatour d'Images de Danse et Guy Degeorges d'Un soir ou un Autre assistèrent à la représentation au Théâtre de la Ville à Paris en mai 2010, Pascal Bély du Tadorne au Théâtre des Salins de Martigues en février 2005. Avec un étrange dénouement pour ce dernier...


    Jérôme Delatour : « The Show Must go on », de Jérôme Bel, est une pièce créée en 2001 que je devais avoir vue et qui, en effet, est importante. On l'associe à la "non-danse", un hypothétique courant de la danse contemporaine qui fait crier certains. Et encore plus quand la chose est interprétée, comme depuis 2007, par les danseurs du ballet de l'Opéra de Lyon !
    Aucune importance.

    Pascal Bély : C'était important. Le 4 février 2005, au Théâtre des Salins de Martigues, la salle est clairsemée. Dès les premières minutes du spectacle, la tension est palpable, alors que nous sommes plongés dans le noir, pour une attente interminable. A cette époque-là, je vais au spectacle pour me divertir et je ne saisis pas encore que la danse est un acte politique. Quand au courant de la « non-danse », j'en ignore son existence...

    Jérôme Delatour : Que voit-on ? Sur un plateau nu, 30 jeunes gens en habit de ville, dont seize garçons, debout face à nous, les bras ballants. Quand une chanson survient, ils dansent, quand elle s'arrête ils s'arrêtent. Les chansons se succèdent jusqu'à la fin, à la manière d'un jukebox.
    Les spectateurs qui s'en tiennent à ce premier degré de lecture sont évidemment déçus. Ceux qui admettent qu'un spectacle puisse être politique y voient une métaphore ; une métaphore du totalitarisme moderne, du fascisme libéral planétaire. Voilà des individus sans volonté qui obéissent au doigt et à l'oeil. C'est glaçant, parce qu'ils nous ressemblent trait pour trait. Oh ! plus d'uniformes ni de canons, plus de morts ni de larmes ; plus que jamais, l'horreur se joue en coulisses, à l'insu de notre plein gré.

    Guy Degeorges : Tu métaphorise, et c'est symptomatique. Tu réagis à ta façon. Tu n'as pas le choix.
    Plutot que de manipulation, je parlerai ici de provocation. Dans une logique de performance. Tu interprète à un niveau politique D'autres spectateurs du théâtre réagissaient selon leurs moyens propres: à voix haute, en chantant, riant, en écrivant des sms, etc... L'intérêt de cette proposition  est de créer une relation inhabituelle entre spectacles et spectateurs. Comme l'on dit souvent "le spectacle était dans la salle". Puisque Jérôme Bel prenait le parti de ne pas présenter de danse "dansée", ni signifiante, que de l'absence d'action ou de la danse pauvre et de refusait de répondre à toutes nos habituelles attentes. Je ne vais pas jouer le rôle du râleur ou du reac' de service. Il se passait des choses intéressantes. Une dame chantait très bien. Mais, à la vérité, je me suis ennuyé. Car la situation pouvait paraitre libératrice dans un premier mouvement, mais devenait au fond manipulatrice et enfermante. Nous perdons la possibilité de critiquer car nous sommes devenus partie prenante du spectacle. Il devient impossible de se situer "à l'extérieur" 

    Pascal Bély : Oui, pour la première fois, j'étais dedans. Et c'était là le plus extraordinaire. Pour la première fois, un chorégraphe m'interpellait : « tu fais partie du jeu ». Non que je puisse monter sur scène, mais que la danse était une interaction entre le spectateur et le danseur où circule ...le désir. Quelle découverte ! Je me souviens encore de la salle : des sifflets, des hurlements, des cris de joie. Je  m'enfonçais dans mon fauteuil, intimidé, joyeux, apeuré, ...Pour la première fois, je me sentais exister comme spectateur parce que j'étais TOUCHE et qu'un artiste venait chercher le « ça », le « surmoi » et tout le « tralala ».


    Jérôme Delatour : Jérôme Bel se livre à un exercice de manipulation malicieux. Il opère un choix ouvertement tendancieux dans l'immense réservoir des tubes planétaires, les détourne avec ironie. Chaque refrain devient un slogan, une injonction à faire, à être, à rêver, pense à notre place, nous berce, nous tue. La pop héritière de la fanfare militaire, et nous bons petits soldats de la consommation, marionnettes marchant au doigt et à l'oeil, le doigt sur la couture d'un jeans Diesel. Et post musicam, animal triste.

    Guy Degeorges : C'est cet aspect qui est douteux, jusqu'à toucher au procédé. Je cite la feuille de salle (complaisante comme toutes les feuilles de salle) "Le DJ enchaine les rengaines des quinze dernière années qui soudain se répandent en effluves de souvenirs et picotent au coin du cœur" Autrement dit, l'effet "radio nostalgie"?

    Pascal Bély : Il fallait ce procédé pour travailler la posture du spectateur. Qui n'a pas dansé sur ces tubes ? Qui n'a pas désiré en écoutant ces ritournelles ? Oui, cela picotait mais au-delà de cette sensation, il y a avait cette question : « que fais-tu là dans cette salle de spectacle ? ». C'est à partir de ce processus, que les spectateurs ont commencés à s'engueler dans la salle. « Mais ce n'est pas de la danse » me lance une femme furieuse ! Et moi, de lui répondre : « mais madame, la danse ce n'est pas que du mouvement ». Je me souviens encore de cette réponse ! Mais où étais-je allé chercher ça ?!

    Jérôme Delatour : Evidemment, la musique n'est pas en cause. Ni John Lennon ni Céline Dion, dont le crime essentiel serait la mièvrerie ou le bon sentiment (et la compatibilité totale avec la société mercantile), ne sont des dictateurs en puissance, mais celui qui exploite, organise, systémise, transforme leurs fleurs en pilules et en munitions. Qui est-il ? Où se cache-t-il ? C'est alors seulement qu'on le remarque, tapi dans la fosse d'orchestre. Une espèce d'Ubu de l'ombre qui passe les disques. Nous ne tenons qu'à un disque. Le DJ est un dieu, "Killing me softly with his song". Dieu est un DJ. A ce point de sa démonstration, Jérôme Bel lâche un peu les danseurs et se met à jouer insidieusement avec les nerfs du public.

    Guy Degeorges : Ca faisait un bout de temps qu'il jouait avec les nerfs...dépuis le début

    Jérôme Delatour : Oui, c'est bien de nous dont il s'agit dans cette pièce, au cas où nous ne voudrions pas l'avoir remarqué. Dès le début, histoire de nous conditionner, il nous avait plongés dans le noir en nous distillant des chansons entraînantes ou niaises. Soudain, lumière rouge et Piaf. Puis retour au noir complet avec "The Sounds of Silence" ("Hello, darkness my old friend...").

    Guy Degeorges : Avoue que les ficelles sont un peu grosses, et les jeux de mots faciles! "let the sun-shine": et la lumière monte, "Yellow Submarine": les danseurs disparaissent dans les cintres sous une lumière jaune, tout à l'avenant. On serait plus sévère en écoutant ça sur une scène de café-théâtre. Mais une fois de plus, on se situe hors tout jugement esthétique possible, hors de l'esthétique.   

    Pascal Bély : Oui, on est hors de l'esthétique. C'est au niveau du processus que l'on peut lire cette pièce, sinon c'est l'ennui assuré (quoique s'ennuyer est aussi un positionnement défensif). Bel ne vient chercher aucun savoir, mais intranquilise une posture, celle du spectateur, que bien des programmateurs ont confortablement installé dans un fauteuil moelleux. C'était la première fois que le public de Martigues vociférait de la sorte et ses cris étaient un acte politique. Je me souviens avoir fait le lien avec les protestations du public quand, en 2003 en Avignon, il n'avait pas eu ce qu'il voulait....

    Jérôme Delatour : Et rebelote. Chanson. Lumière. Silence. Noir. Chanson. Silence. Lumière. Ces méthodes ne vous rappellent rien ? Le public est électrique, désarçonné. Il voudrait maîtriser la chose, mais il est pris au piège. Alors ça trépigne, ça crie des bêtises, ça pianote sur les portables, ça prend des photos... Le premier qui publie sur Facebook a un prix !

    Guy Degeorges : Je l'ai fait, je l'ai fait! J'ai posté 50 commentaire sur facebook en direct et qu'ai je gagné? Rien du tout. A part avoir faire rire Pascal peut-être. Et ça m'occupait les doigts. Cette tentative pour me situer hors du jeu et inventer une nouvelle réaction était vouée à l'échec. J'étais manipulé; Dans ce contexte, tout comportement inhabituel devient légitime, récupéré, partie intégrante du système spectaculaire. Sur le coup cela m'irrite; mon premier réflexe est de dire "on m'a déjà fait le coup" du non-spectacle. J'ai eu la même réaction face à certaines propositions performatives (cf. les gens d'Uterpan). Sans que cela n'explique les raisons de mon irritation car je peux réagir favorablement à la répétition d'autres procédés spectaculaires...  

    Pascal Bély : En 2005, il n'y avait pas de Smartphone...

    Guy Degeorges: En refléchissant à ta réaction, lorsque que tu étais un "jeune" spectateur, cela n'implique-t-il pas que cette proposition n'a d'intérêt que pour un public relativement vierge, habitué à des codes de représentation plus conventionnel? Pourrais tu revoir cette piece?

    Pascal Bély : Encore aujourd'hui, en écrivant sur ce « show », l'émotion me submerge car c'est mon acte de naissance de « spect'acteur ». La revoir, serait de vivre un « dedans-dehors » jubilatoire.

    Jérôme Delatour : Ca reprend les refrains en cœur, ça sa dandine un peu, ça agite son portable à défaut de briquet (jamais vu autant de portables allumés), histoire de ne pas perdre la face.
    L'apprenti tortionnaire poursuit ses expérimentations. Que se passe-t-il si chacun emporte sa musique avec soi, casque aux oreilles ? Jérôme Bel a prévu le coup. Hé bien il ne se passe rien de plus.

    Guy Degeorges : Non il ne se passe jamais sur scène- c'est fait exprès, c'est le concept. Il se passe des choses dans le système salle-scène.

    Jérôme Delatour : Les individus ne sont pas libérés, juste isolés, en prise directe avec des pensées préfabriquées, emmurés dans le paradis artificiel des égos hypertrophiés. "Should I stay or should I go? » "I'm bad". "Je ne suis pas un héro". "J'adore". "I'm gonna live forever". "I've got the power".
    Entretemps, le DJ aura dansé lui aussi. Finalement, ce n'était qu'un sous-fifre. Mais alors, qui est le grand manipulateur ? Allons allons, nous nageons en pleine théorie du complot. Nous ne sommes manipulés que parce que nous le voulons bien. The Show must go on, sinon il nous faudrait regarder la réalité en face, avoir du courage, la volonté d'être et de faire quelque chose.
    Et si on essayait ? Ne serait-il pas grand temps de nous secouer, plutôt que de bouger notre anatomie ? 

    Guy Degeorges : You've got to move it, move it? C'est le mot de la fin, façon dessin animé ?

    Pascal Bély: « You've got to move it, move it ». En quittant le théâtre, je chante points serrés. « Mais pourquoi vas-tu au spectacle ? Pourquoi gueulaient-ils ? Je suis un spectateur. Je suis un spectateur ». Emancipé ? Le 22 mai 2005, je créais le Tadorne. Jérôme Bel, sans rien savoir de mon histoire, fut le premier chorégraphe à mettre le lien du blog sur son site.