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Danse - Page 13

  • Just a Dream

    Dans la performance de ce soir c'est à notre tour de trouver notre position, d'en changer au gré des stimulations. Etre où il faut, discretement  empressés, hésiter, attirés entre différents pôles d'attraction, placer et déplacer nos regards dans ce cadre qui nous attend, beau et étrange, pour s'animer.

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    Ensemble, les uns par les autres dans ces mouvements influencés, mais sans pourtant entre nous vraiment communiquer, pour aussi y imaginer ce qui lie ces artistes pour un soir rassemblés, nous penétrons la pénombre. D'un quasi conte de fées, dans la profondeur d'un rêve. Les formes immobiles sont autant d'énigmes. Au mur de la lumière et l'eau, des sons sous-marins. Une femme est allongée. Figée, sauf sa voix: en blanc c'est une femme clinique, aux angles aigus. Son recit fuit, elle plonge au mur, se noie, les voix, elles aussi, se noient dans la confusion. Quelque chose émerge de l'inanimé, d'un amas de papiers, c'est un personnage emballé et maladroit, un objet télécommandé qui répond à des instructions tranchées, suivi par nos mouvements de foule. Nous l'entourons. Il obéit d'avant en arrière, dans ce cocon le désir est enveloppé, et cette enveloppe gonflée par une respiration. Tout est caché. Des sons viennent de partout, et des images, qui sur le blanc s'impriment. Puis le rouge gagne, pour une naissance lente, déchirée. Elle est noire dedans, cheveux argent. Son double la rejoint. Cela pourrait être de la danse ou le début d'une histoire. L'espace est ouaté.

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    Eveillée par notre attente, une femme sort du sommeil, défait l'infini echeveau de ses cheveux, soyeux, oeuvre sans se piquer le doigt, caresse un impossible instrument de musique. C'est une harpe à lames, aquatique, aux sons qui nous entourent, flous. Une femme miroir aux gestes peut-être buto nous renvoie d'autres images oniriques. Le rêve s'enfuit, dehors à Gentilly il fait nuit.

    C'était Killing the flirt, performance gestuelle et multimedia d'Anna Ventura: collaborations avec Serge Courtinat (No swimming pool), Camille Benecci (Isi et C in the box), Karinn Helbert (Poupée Kantor) au Générateur, dans le cadre du festival Frasq

    Guy

    photos (Droits réservés) avec l'aimable autorisation d'Anna Ventura

    ici le blog de Frasq

  • Tout et l'inverse

    Vite tout s'inverse, il faut un beau moment pour comprendre qu'ils sont à l'envers, devant - derrière, marionnettes sans fils, mannequins grotesques et masqués, épouvantails aux drôles de sexes postiches et volontaristes. Les danseurs s'agitent égarés et frénétiques, n'ont plus de l'existence que les attitudes, inattendus, les postures épuisées de signification. On entend des voix superposées et donc inintelligibles, qui se perdent dans des considérations introverties, tandis que les trois danseurs se bousculent sans/sens dessus dessous, partent vers nulle - part au coup de pistolet pour une course improbable. Les gestes de frimes, ou de sociabilité, survivent à peine, simulacres, s'éffrondent, ont besoin d'être étayés. Je vois l'absurde à l'oeuvre. Puis les habillages et déshabillages s'embrouillent, quand tous les vêtements sont tombé la vérité se perd en route. Tout se complique et vite entre homme et femme, haut et bas, devant et derrière, en jeux de miroir entre être nu et être civilisé. On est gagné par une drôle de confusion.

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    Reste enfin un couple, sur les peaux nues s'échangent les images de l'un et l'autre. Les projections de seins, de sexes, de visages typés, se posent sur les corps hospitaliers et sur les sexes opposés, les attributs nouvellement attribués, les genres interchangés, à la rencontre de principes jusqu'alors bien séparés... en pleine réconciliation. Les corps se trompent, ou se rêvent, ou se révèlent enfin, hybrides, hermaphrodites. Les nudités virtuelles et vraies se combinent, c'est-à-dire que le nu ne révèle plus rien, sinon des potentialités profondes, en une régression hypnotique vers l'indifférenciation. C'est troublant et souriant: en beauté, ces danseurs nous titillent l'identité.

    C'était Bonnes Nouvelles de Matthieu Hocquemiller , avec Evguénia Chtchelkova, Ludovic Lézin, Léonardo Montecchia, au Théatre de L'étoile du nord, dans le cadre du festival Avis de Turbulences # 5

    Guy

    Photo de Jérome Delatour avec l'aimable autorisation de Matthieu Hocqemiller

    Ici les photos de Vincent Jeannot, et celles d'Images de Danse.

  • Muets

    Une voix tente de témoigner, dans l'obscurité. Sans qu'aucune image ne vienne distraire notre écoute: c'est de la part du chorégraphe une première marque de respect. Mais cette voix ne peut exprimer que l'impuissance. Le récit n'est ni daté, ni situé, il ne fait pourtant aucun doute qu'il est vrai. Les évenements se devinent seulement, en douloureux évitements, on ne sait dans quel continent, par des visions situées au bord du champ de vision, l'indicible invisible. C'est une église qui brûle au loin, les réfugiés qui fuient, les corps au bord de la route, aprés. La barbarie abolit le sens, fige les mots, neutralisés, blancs, sans sens. L'irréalité le dispute à l'horreur quand la vie ne tient à plus rien, privée de sa valeur. Au hasard d'un barrage sur la route la survie elle-même échappe à toutes explications. Le crime contre l'humanité est un crime non seulement contre la chair, mais aussi contre l'esprit et la raison. Dans le prolongement de loin, le sujet auquel Rachid Ouramdane s'attaque n'est pas la violence politique en elle-même, mais l'incommunicabilité de cette expérience par ceux qui l'ont vécu.

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    Les mots sont empéchés: la danse prend le relais. Essaie. Ici est évité tout ce qui pourrait ressembler à du voyeurisme. Cette démarche va à contre courant du sensationnalisme ambiant. Au rebours de l'urgence de tout montrer sans réflexion ni distance. Se dresse un mur de lumière, dirigé contre nous. On voit des ombres qui errent dans l'entre-deux. Des êtres sans direction, sans visage. Il n'y a plus de sens. Ces déambulations déreglées durent longtemps. Notre attention est éprouvée, à raison. Les corps se désarticulent, lentement se renversent. Sans résilience ni remission? On ressent que ces contorsions renvoient par échos aux séquelles de la violence, évoquée par ses conséquences, jamais exposée. La compréhension ne se satisfait pas simplement de bons sentiments: des danseurs fléchissent, s'effondrent et se laissent glisser au sol, froudroyés par le passé. D'autres s'efforcent de les soutenir mais en vain, ils échappent à leur soutien. C'est que notre empathie ne va pas de soi: cette mémoire de l'indicible semble impossible à transmettre, à porter. D'autres témoignages d'autres pays reviennent suspendre le mouvement. Une femme tourne sur elle même, ne peut s'arrêter, emportée par ce dont elle ne peut se libérer, jusqu'à l'insoutenable, s'enflamme. L'oeuvre est difficile, dérangeante. Attachée justement à nous faire ressentir qu'en ce domaine nous ne pourrons jamais tout à fait comprendre. La violence ici la plus évidente est faite par la lumière, insupportable et aveuglante: tel est aussi l'effet des vérités que nous préférons éviter. Partout la barbarie avance, écrase tout sur son passage. Le geste est quant à lui fragile, pudique, il survit par notre seule attention, nous devons continuer à le regarder.

    C'était Des Témoins Ordinaires, de Rachid Ouramdane, au Théatre de Gennevilliers, avec le Festival d'Automne à Paris. Jusqu'au 18 octobre.

    Guy

    Lire aussi le Tadorne, bientôt Marsupilamia, et Loin.

    Photo d'Erell Melscoet avec l'aimable autorisation du Théatre de Genevilliers

  • 25 minutes

    Le danseur prend le temps du silence, invente une ligne dans le noir, déroule une bande. Il attend là longtemps, installé dans ce cadre minimal: on est souvent ainsi dans la vie, dans ces moments où l'on s'oublie, soi-même et sa place dans le monde. Et aux autres. Dans la salle il fait noir aussi.

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    Cette image aurait pu être empruntée à tant d'autres chorégraphies: un homme seul, de la pénombre, deux néons. Pourtant, ici plus qu'ailleurs, quelque chose convainc, cela ressemble plus à de l'apaisement qu'à de l'ennui. Le danseur avance dans la conscience de cet espace. Il en prend possession, mais comme à l'envers, démarche cassée, balloté par des hésitations, mu par quelque chose d'extérieur, d'autre. Puis tout devient plus physique, le garçon se lance dans l'action, cri raide comme un I, court, tombe, se couche. La musique se superpose aux mêmes mouvements. C'est tout, à peu prêt. Et donc trés peu réductible au récit. (Le coup du ruban, qui peut à peu envahit l'espace de la scéne: c'est trop vu, on oublie.) Mais le tout est bien comme cela, sans le besoin d'en tirer des conclusions, et l'inventaire des impressions. Bien en soi, en 25 minutes, point.

    C'était Ouvert de Samuel Mathieu avec Christophe Le Goff. Au Théatre de L'Etoile du Nord.

    Guy

    Avis de turbulences # 5 se poursuit du 15 au 17 octobre avec Philippe Ménard, Christian Ubl, Matthieu Hocquemiller.

    photo (droits réservés) avec l'aimable autorisation de l'Etoile du Nord

     

  • A propos d'Erika Zueneli

    Noon, Day-Break ou In-Contro: les intitulés allusifs, nous emmènent loin par des chemins détournés. Vers là où le mouvement fait sens. Pour percevoir l'indécision d'un tableau d'Hooper, matérialisée. Ou un corps inventaire, qui se décline en images de ciné, drôle et léger. Ou deux femmes qui se font face, attablées. Ce qu'elles dansent alors, en tensions et arrières pensées, c'est le sensible dévoilé, l'invisible mis à portée. Je vois ces deux femmes face à face se jauger, s'aimer et s'affronter, l'une après l'autre gagner et perdre, articuler leur gestes avec âpreté, je vois cela, et j'ai soudain le sentiment de saisir vraiment ce qui entre deux êtres se joue et se tend. Voire, grâce à cette silencieuse métaphore, je crois mieux comprendre ce que me montre cette danse, mais partout et ailleurs, hors de la scène, dans la rue, dans la vie, dans ce café, là où deux êtres parmi d'autres, avec leurs pensées et leurs gestes, se retrouvent face à face attablés.

     

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    Erika Zueneli remet la danse à sa place, au centre. Il n'y a peut-être que deux manières de danser. Soit à l'écoute d'un absolu qui surgirait de dedans, provenant de mystérieuses profondeurs. Soit en écho de notre rapport aux autres, de notre rapport au monde, ouvert à ce qui nous lie, ouvert sur le dehors. Cette seconde voie est périlleuse, tant elle peut mener au bavardage, aux évidences appuyées, au psychologisme, à la trivialité. Erika évite tous ces pièges, emprunte des sens interdits, des doubles sens, casse les évidences, met en œuvre sous la danse de redoutables énergies, de troublantes ironies. Sans toc ni pathos, ni aridité ni mièvrerie. Cet art sans révèle, comme rarement, sans qu'il soit jamais besoin d'expliquer.

    Les deux femmes attablées se sont levées, le terrain s'élargit, d'autres êtres rentrent dans le jeu, dans de nouveaux conflits. J'attends Tournois, impatient.

    Guy

    Texte écrit à l'occasion de l'ouverture de saison du Théatre Paul Eluard de Bezon où sera créé Tournois (titre provisoire) en avril 2010

    photo (In-Contro) de Vincent Jeannot-Photodanse avec l'aimable autorisation d'Erika Zueneli.

  • Peut être Maxence Rey

    Il y a ce que les chorégraphes écrivent, et ce qu'ils dansent, et ce que l'on voit, et ce que l'on pense. Et entre, des espaces délicieusement flous.... Avant de voir Maxence Rey danser son solo, je lis la présentation de la pièce - ce qu'on appelle les intentions- mais vite j'oublie tout, tant la piece s'impose, s'interpose.

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    D'abord la présence de l'interprête- c'est un fait: on oublie pas Maxence- en longueurs et étrangeté, l'attraction du visage, des yeux. Tous les mouvements partent de ces yeux. La théatralité nait en cet endroit, sans vains bavardage. Rien n'est prononcé à voix haute (et c'est heureux), mais dans le texte- quand même je m'en souviens- il était question de vulnérabilté. Je m'en souviens, car si je ne l'avais pas lu je l'aurais sans doute de moi même formulé: le personnage se débat de quelque chose, femme muette et sidérée. L'interêt, c'est que cette lutte se laisse tout juste deviner, sans l'applatissement de l'évidence, pourtant l'action confinée dans l'espace de cette chaise, ses stricts alentours. Dans cet espace contraint: des éclats de paniques, des éclosions empéchées, des gestes échappés, des impressions renversées, bouleversées. Ce qui ne revient à ne rien dire sans évoquer la manière dont celà s'incarne: l'interprête semble éminemment extensible, élastique à tâtons, noire gainée, danse tout en lignes, se transforme, lance des ombres, en surprises et lenteur ménage des accélérations. Entre jambes et bras qui n'en finissent pas de s'allonger, le corps disparaît, les sensations fusent et s'évadent, et bizarrement c'est drôle, souvent. C'est du moins tout ce que je vois, mis à l'aise pour voir à un point que les interruptions et transitions encore à régler-il s'agit d'un filage- ne me troublent pas. J'en déduis que la composition est aboutie et concise (pas si évident pour un premier solo), bien équilibrée avec lumière et musique. Mais il y a aussi le costume et ce chapeau trés étrange. Les accessoires s'imposent pour déterminer une temporalité...ambiguë. Ici c'est le concret qui crée l'inexpliqué, conjugué à la force d'évocation du corps, nous renvoie à réver à des multiples et possibles références auxquelles le texte ne nous a pas préparé.

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    J'ai la chance de pouvoir discuter avec Maxence et ses invités autour d'un verre et de crocodiles en gélatine. Comme je peux lui dire que j'ai aimé ce que j'ai vu, la discussion est agréable. Pour autant, ce dont Maxence parle ne ressemble pas tout à fait au spectacle auquel j'ai pensé assister. Jérome, en bon classique, a reconnu des dieux et déesses antiques, aussi et malgré cela des images d'élégantes des années 20. Moi-même, j'évoque des références à l'esthétique publicitaire de la fin du XX°. Mais ce que l'auteur redit de son solo: des expressions sous-jacentes d'angoisses, de morts et de décomposition... je me trouve plus à l'aise pour qualifier ainsi son travail d'interprète dans les pieces d'Isabelle Esposito, qui d'ailleurs est présente durant cette discussion! Tout est pour le mieux: la piéce commence à vivre et échapper à tout le monde (à la créatrice en premier). Je reverrai, bientôt, Les Bois de L'Ombre, pour surement y revoir du nouveau.

    C'était une étape de travail des Bois de l'Ombre, de et par Maxence Rey, avec Cyril Leclerc (lumière) et Vincent Brédif (création sonore), en résidence à Mains d'Oeuvres. La piéce sera présentée aux professionnels le 25 septembre, dans le cadre des plateaux de la Biennale de Danse du Val de Marne.

    Guy

    Lire aussi Jerome Delatour

    photo de Jérome Delatour- Images de danse

  • Identités

    Il n'y a pas l'ombre d'un garçon dans le studio de danse de Mains d'Oeuvres; il y a toutes ces filles qui mangent des chips, rentrent et sortent par deux ou trois, complotent, papotent, en groupes qui se font et se défont. Qui saturent le lieu de leurs petites voix aigues, qui trompent le trac qui monte avec les apparences de l'insouciance et des pointes d'excitation. Les plus grandes parmi ces jeunes pousses- de 12 à 14 ans- ne sont pas les moins dissipées. D'autres- mais qui se font moins remarquer- maintiennent intacte leur concentration. Réfugié sur les gradins, j'observe à bonne distance ces vagues juvéniles qui vont et viennent, débordent de tout cotés le sérieux des adultes. Une accompagnatrice du collège, à intervalles réguliers, hausse fort le ton avec une inefficacité flagrante.

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    Photos de Jean Marie Legros, avec l'aimable autorisation de la compagnie Absolumente et des parents des girls.

    Au milieu de tout, d'humeur un peu forcée, Jesus Sevari poursuit les préparatifs. Cet après midi est remplie à 80 % de temps d'attente: le réglage des lumières, des placements, les accessoires égarés, les incidents de sonorisation... Yann Le Bras porte et supporte l'ensemble de ces problèmes avec une étonnante patience, jusqu'à la répétition, qui finit par commencer... Malgré la propension des filles à se disperser et disparaître dans un espace pourtant limité, avec pour ultime excuse de se précipiter aux toilettes. Le moment du filage enfin venu, on entend soudain plus un mot, juste encore des maladresses et des oublis. Mais bouches cousues, partagé par toutes un silence religieux. Sans trop intervenir désormais, Jesus recommande aux filles de prendre leur temps sur scène, ne pas se précipiter. La chorégraphe a déjà animé ici et au collège de Saint Ouen une dizaine de séances de répétitions. Je m'amuse à retrouver déclinés par les filles certains gestes du solo en cours de création, « Accumulation#1 », on croirait parfois reconnaître parmi elles des Jesus miniatures en action. Certaines d'entre elles semblent très assurées, l'autorité du professeur et modèle bien assimilé, reprise à leur compte.

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    Puis Jesus à son tour répète, ondule et fascine, fait la belle, la bête, la star et le soldat. Depuis ma dernière visite, la pièce s'est de plus en plus déterminée. Jesus appréhende toujours la réaction des parents qui viendront ce soir, lors de ce court moment au court duquel elle brandira contre ses reins le pouce géant créé par Yann, à la manière d'un phallus postiche. Quoiqu'il en soit, à ce moment du filage, loin de paraître choquées, les filles pouffent discretement. Il en faut sûrement bien plus pour traumatiser des collégiennes en 2009. A la fin du solo de Jesus, toutes les stagiaires applaudissent.

    Bien des préparatifs plus tard, l'heure est arrivée. Les filles ressurgissent des loges, vêtues superbes de rose et mauve, des étoiles dans les yeux, maquillées. Se regroupent main dans la main sur la scène pour un dernier encouragement, toutes ensemble mais contre personne. Ravies de répéter « merde » pour se souhaiter bonne chance, en toute impunité. Le temps de s'inquiéter que les parents trouvent le chemin du studio de danse, la salle est comble. D'abord Jesus danse son « accumulation#1 » tel qu'en cours à ce jour. Les filles sont admiratives et complices, du premier rang n'en finissent pas de se retourner pour guetter derrière elles la surprise et l'approbation dans les yeux des parents. Puis les girls osent, à leur tour y vont.
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    A quatorze investissent l'espace, courent sans se heurter, se portent les unes les autres, solidaires et affirmées, se supportent. Même les plus frondeuses durant l'après midi jouent le jeu. La lenteur est assumée, en humour et équilibre, même une pomme sur la tête. Les gestes de Jesus sont par toutes appropriés, les individualités surgissent. Non pas en exploits physiques ou virtuosité- il n'y a rien ici de d'extrêmement technique- mais par l'audace et l'intégrité. Ainsi elles désarment mes exigences. Ce ne sont pas des nouvelles stars, ce ne sont pas des petits rats, elles n'iront pas à Avignon, ne discourent pas sur la démocratisation culturelle, elles dansent simplement. L'identité reste au cœur des gestes, exprimé à l'aide d'un langage loin du quotidien, avec des outils pour se dire autrement, par des jeux mystérieux et émancipateurs. Pour affirmer une identité plus vraie que la diversité des origines et des particularités, dans le mouvement inexorable qui les éloigne de l'enfance. Chacune se découvre à se montrer, chaque corps affirmé loin de ses repères habituels, certaines encore l'air de s'étonner elles-mêmes, toutes attentives aux autres pourtant. Une petite fille noire, toute menue, prend la parole avec une autorité sans appel. C'est un moment surprenant, mais la chorégraphie de Jesus ne laisse nulle d'entre elles de coté, quitte à mettre parfois en évidence les fragilités, mais désamorce la compétition entre elles.

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    Au moment des applaudissements de leurs familles les girls ont bien du mal, après des saluts répétés, à se décider à quitter la scène, trouvent le moyen d'y revenir pour de nouveaux remerciements, et remettre à Jesus un diplôme de leur cru. Refusent de laisser au passé ce moment, éphémère mais important, pour elles évidement, aussi pour nous montrer pourquoi, comment existe la danse.

    C'était « Accumulation#1 », solo en cours de création par Jesus Sevari, et « Girls », pièce pour 14 filles de 12 à 14 ans du collège Michelet de Saint Ouen.  Le 2 juillet, à Mains d'œuvres.

  • Dave St Pierre: enfin un peu de genérosité...

    Vu avant Avignon: texte pour la première fois mis en ligne le 31 décembre 2008

    La vraie question, c'est d'oser ou non y aller à fond. Vite, Dave St pierre y répond. Plein les yeux. D'abord en installant la confusion, jusqu’au fond de la salle, et même de la convivialité. Retard, public électrique et jauge saturée, les sièges disputés au public par les danseurs: quinze gars et filles, tous drôles et gentils même quand ils vous escaladent pour se frayer un chemin. Seul sur scène pendant ce temps un gars à poil vocalise dans les aigus, façon bambin. La glace est rompue, mais ce n'était pour nous juste qu’un échauffement. Un peu plus tard les hommes s'habilleront de perruques blondes- et de rien d'autre- pour partir à l'assaut de la salle. Pour grimper les rangs et investir les genoux des spectateurs en poussant des cris de barbies surexitées. Sans que quiconque ne se sente agressé, en apparence. Tandis que sur scène les filles se poursuivre et s'empoignent, se crêpent le chignon, s'arrachent quelques sous-vêtements en piaillant. Rangs et scène sans dessus dessous, il devient de plus en plus difficile de prendre des notes dans ces conditions. Il fait déjà plus que chaud, on est en condition. Assez pour recevoir un morceau de danse à l'uppercut: d'une femme aux gestes déçus, échouant à susciter la tendresse d'un partenaire impassible. La solitude est entêtante. C'est bref et d'une douloureuse intensité, aussitôt rompue par l'arrivée d'une entertainer qui vient railler la danseuse et brocarder un tel étalage de pathos, si déplacé. Pas le moment de faire sa crise. L'hôtesse se propose de présenter à l'anglo-saxonne, avec toutes les bonnes vieilles ficelles, la suite du show, se traduisant elle même en un français à bas budget. Bien sûr les mots n’apprendront rien.

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    Photos par Dave St Pierre, avec l'aimable autorisation d'Artdanthé.

    Toute la dynamique du spectacle se tend sur ces allers-retours, entre séquences muettes et poignantes, et scènes bouffonnes quand la pudeur dénudée se réfugie derrière des pieds de nez. A l’indicible d'indispensables diversions, quitte à parfois charrier temps morts et mauvais goût. Mais même alors, la provocation reste généreuse, toujours débordée. S'agissant de danse les effets sont directs, les mouvements y vont franco, avec choc, chutes et fracas. Rien de délicat. Gestes à vif et vigoureux, engagés dans l'émotion. On repense aux propositions si physiques de T.R.A.S.H. vues ici même, mais qui auraient pris sens. Ici, plus lentement, une fille esseulée danse comme une noyée, court d’homme en homme sans qu’aucun ne sache l'aider. Là les couples pathétiques peinent à se rejoindre, tentent des compromis contrariés, se replient. Chacun perd espoir et équilibre, retourne la violence contre soi-même, avant de partir rejoindre les foules sentimentales. Avec régularité, la présentatrice revient soulager la tension en un déferlement de gags ouvertement bon marché, manipule le public consentant. Mais dérape cul nu dans le gâteau d'anniversaire, montre par son triste acharnement à s'y vautrer que sa propre distance ne tient qu'un temps. Le cynisme noyé dans le ridicule et l’obscène. Et les garçons reviennent à poil et en perruque, minaudent à plaisir, régressent et font les folles: c’est que la tendresse n'ose s'afficher que dans le travestissement. Une fois rhabillés, les hommes retrouvent voix graves et grave virilité, dans les gestes guerriers d'une danse de rugbymen. Finie l'empathie. Puis, alignés, se giflent eux-mêmes, encore et encore, sans s'épargner, nous laissant pétrifiés, jusqu'à ce qu'un spectateur ose protester. Stop. C'était juste le signal qu'ils attendaient pour mettre fin à la flagellation…. Fallait-il que la pitié vienne de nous? La tendresse se résout entre artistes et public. Le soulagement arrive enfin en conclusion… Mais il y a pourtant quelque chose de tout aussi funèbre qu'érotique dans ce moment splendide, où garçons et filles s'abandonnent ensemble à des glissades nues sur sol huilé, sensualité offerte jusqu'au sommeil apaisé. Les êtres innocents et renoncés, se blottissent à la fin les uns contre les autres. Ce dérapage final est tout aussi poignant et incontrôlé que le reste. Place à la paix et la pénombre.

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    Heureuse façon, réconciliée après quelques semaines énervées, d'en finir avec 2008...Bonne Année à tous !

    C'était Un peu de tendresse bordel de merde! de Dave St-Pierre, avec 15 interprètes, au Théâtre de Vanves , dans le cadre du festival Artdanthé.

    Guy

    Quelques échos outre atlantique et domestiques: ici et là.

  • Jan Fabre peine à jouir.

    Vu avant avignon...article mis en ligne le 4 avril 2009

     

    C’est à se demander pourquoi on s’entête à en écrire quelques lignes: avec cette Orgie tout le monde semble plus que tolérant: carrément content. Complet le Théâtre de la Ville, hilare le public, unanime la critique… A rebours du contentement général, juste la voix divergente du voisin de gauche, et c’est tout pour le moment….

     

    La proposition plaît, c’est un fait. Soit vue au ras du cul, soit déchiffrée avec des grilles de lecture plus sophistiquées. Mais plait dés la première scène, d’interminables simulations de masturbation. Les rires fusent: c'est gagné! Malgré la tyrannie des rires, on tente de s’accrocher. Sans trop d'illusions, et bientôt même sans trop l’envie de s’insurger. A quoi bon? Vient-on se mêler de donner des leçons aux amateurs de comique troupier, de films de bidasse, d’Hara-Kiri, au pire de Canal +, aux inconditionnels de Bigard et Gerra ?

    Mais en rester là c’est un peu court. Et plutôt condescendant vis-à-vis des amis qui semblent avoir aimé. Qui peut être diront que Jan Fabre n’est pas vulgaire: qu’il faut plutôt comprendre qu’il dénonce la vulgarité. Pourtant…De la critique à la reproduction, le trait est mince.

    Alors on cherche un cran plus haut. On lit Le Monde. Un papier d’une remarquable ambiguïté, aux conclusions laudatives, mais dont chaque ligne semble plutôt dénoncer… C’est très fin et très écrit, on dirait un article de maitre-chanteur. En revanche, pas surprenant qu’à Libé on ait aimé. Dans les deux quotidiens on décrit les outrances sur un mode épaté, mais on s’attarde moins sur le faire que sur les intentions. C’est que Jan Fabre dénonce: attention message!

     

     

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    Que dénonce-t-il au juste? Un peu de tout, et rien vraiment, justement. C’est là que le bât blesse. A la manière d’un Rodrigo Garcia en équilibe entre progressisme et réaction, haro sur le racisme et la pornographie, la mode et le consumérisme, l’argent et Abou Grhaid, les beaufs et le Klu Klux Klan, le nez dans la coke et l’impérialisme, et tout à l’avenant. Problème: à force d’arroser tous azimuth, cette indignation nous semble suspecte.

    Mais enthousiasme plus d'un, et c’est là sûrement une première explication du succès: beaucoup auront retenu de ce tir de barrage de l’audace et de l’engagement. On s'interrogera en vain sur la sincérité de l'artiste, impasse!

     

    Seconde source de malaise: l’exécution. Pas de doute, Jan Fabre sait y faire. On le ressent en particulier quand la danse s’échappe de la prison du discours. Respiration, l’instant d’un beau chorus de soprano, ou lors un moment de pure chorégraphie: un final furieux qui met à mal les canapés. La pièce est travaillée, très appliquée. Quitte à convoquer- comme on dit aujourd’hui- tout les trucs, les codes et les styles. Tous les incontournables y sont. Jeux de mots connivents (entre « jouir » et « come », pour finir avec « Come Together »), ambiance cabaret et déchaînement punk rock, valse rétro et comédie musicale décadente, scénettes trash obligatoires: culottes sur les genoux, fusil dans l’anus et zizi dans les rayons de la roue du vélo. Beaucoup d’images semblent empruntées à droite et à gauche, des accouchements vus au Théâtre de la Mezzanine, des scènes d'humiliations dans les prisons irakiennes déja théatralisées ailleurs..., autant d'images que le chorégraphe sans doute n'a pas copiées, mais que surement d'autre déja ont montrées. Ce soir Jan Fabre suit la tendance plutôt que de la créer. Une suprême subtilité: le Christ en croix est traité avec plus bienveillance que d’acharnement: c’est bien joué. Il y a plus d’audace aujourd’hui à jouer le Soulier de Satin qu’une Orgie. Tout cela est impeccablement enchaîné, sonorisé, éclairé, chorégraphié, scénographié. Donc plébiscité… Une deuxième explication pour ce succés?

     

    Mais comment ne pas voir que cette orgie sent la lassitude, du premier au dernier instant. Ce projet ne jouit jamais, ne fait jamais jouir, malgré le simulacre en ouverture, ne fait que semblant de s’exciter en effets appuyés et faux semblants, joue l’accumulation des images, épuise toutes les positions, en vain. Débande, obsédé par le pessimisme de son propos, l’omniprésence de la désillusion. Et les engagements contractuels de Jan Fabre vis-à-vis du lieu, rien qu’un peu ? La provocation tourne à vide, n’y croit plus, s’égare dans le désert idéologique du post-tout et du nihilisme.

    La démonstration en est faite à la fin sur le mode de l’auto –dérision, les performers proclament « Fuck Jan Fabre » en aveu pour couper l’herbe sous le pied des critiques.

     

    Jan Fabre est…. « peut être » un génie, hésitait devant nous il y a peu un(e) responsable de lieu. Il y a ce soir plus qu'un doute. Il y a quelques semaines, on écoutait des anciens performers de sa troupe affirmer que la radicalité de ses méthodes vis à vis de ses interprêtes était justifiée par la beauté de ses productions : on en est encore moins persuadé. Mais qui s’en soucie? Jan Fabre continuera longtemps à faire les beaux jours du Théatre de la ville, du Musée du Louvre, du Festival d’Avignon... (On y trouvera plus de générosité cette année en allant voir Dave Saint Pierre ou Ouramdane ). Où il dira sans doute la prochaine fois encore plus franchement qu’il n’a plus rien à dire, et ce sera encore un événement.

    La presse toujours laissera passer, le bobo s’y payera encore à bon prix l’illusion d’un peu de rébellion, de liberté d’esprit. Circulez !

     
    C'était L'Orgie de la tolérance, de Jan Fabre, au Théâtre de la Ville du 31 mars jusqu'à ce soir.

     

    Guy

    Photo avec l'aimable autorisation de Laurent Pailler (Allez voir ses galeries!) :-)

    P.S. encore un article mi figue,mi raisin, dans libération., ...mais Le Tadorne ecrit ce qu'il pense!

  • Sauvages

    Céline Gayon, en grande carcasse joue l'ingrate qui se rêve une vamp', devant sa glace avantages en avants, s'assure l'être de gestes appuyés et trouve ses apparences, développe une drôlerie touchante. Mais c'est peut-être plus sérieux qu'il n'y parait. Pierre-Yves AubinAls das Kind Kind War – Interactions, s'éveille en culottes courtes, grandit trés vite. Il lui manque du temps pour nous faire comprendre son histoire, installer des reveries. Mais il réussit- c'est inattendu- à nous faire parler, presque ainsi évoquer des souvenirs que tous partageraient. Karima El Amrani et Joachim Maudet  font jeux de mains, jeux de vilains; jeux de pieds, jeux de..., avec l'injuste fraîcheur de la jeunesse. C'est un pas de deux léger et mutin, relevé de vacheries et d'élégances, pour jouer chien et chat, frêre et soeur. Pas de répit: Nina Dipla court sans arrêts, obéit à une attraction invisible sême tissus et rubans, les rattrape au prochain tour comme les enfants font au manège avec les chiffons, se recompose en mauve, rouge, orange. Elle instille par ces petites métamorphoses, curiosité, inquiétude, et malaise,  inévitablement, l'espace se clôt soudain. Puis à bout de souffle sombre, dévoilée, semble régresser vers l'animalité: stupeur et tremblements, perte de soi? Sauvage également, Maki Watanabe, qui dit: un chat mort me nourrit. Flash-back, quelques semaines auparavant, dans un appartement: Maki Wanatabe improvise pour quelques dizaines de spectateurs. Plus un dernier, plus discret, installé dans l'antichambre, pupilles en amandes, qui semble de tous le moins surpris. Le chat est mon meilleur professeur, avoua-t-elle encore avant. Pour le moment elle grogne, miaule avec cette sauvagerie première et grotesque, qui semble toujours rendre le buto déplacé, inconvenant, juste toléré en marge de la danse contemporaine. Mais ici heureusement tout est permis, pour cinq brêves parenthèses dans l'actualité vaine.

    C'étaient les spectacles sauvages, au Studio du Regard du Cygne.

    Guy