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Danse - Page 16

  • UBL: sous vos applaudissements!

    Ubl ose. Et pose des questions, qui ouvrent, béantes, troublent. En sautant sans précautions aux conclusions: saluts, applaudissements. Le grand moment de rencontre, l'offrande obligée, le pic d'émotion. Sauf qu'ici hors contexte. Evidé du contenu: sans rien avant.

    © Matthieu Barret-_DSC0125.jpg

     

    Alors, que valent ces gestes encore? Les causes de la relation perdues, le phénomène nu, que voit-on ? Il y a t il encore une rencontre? Est ce nous- les spectateurs- projetés en image de synthèse, reduits aux postures, aux gestes mécaniques des applaudissements. Est-ce eux les artistes, qui n'offrent plus qu'eux-même? Reduits aux seuls saluts, à leur soif de reconnaissance, éperdue. Ivres de cette émotion et fragiles à se briser. La situation se décline, jouée, dansée, en nuances, du factice au paroxysme. Compris les efforts attendus du chauffeur du salle aux accroches éculées, là une demonstration d'une triste normalité. Tout s'emballe sans complaisances jusqu'au vacarme qui assourdit le sens. La répétition accélérée jusqu'à l'épuisement, l'artiste s'affaisse. Que reste-t-il, de ce qui se passe entre nous et eux ? Nous sommes déchargés de la mission d'applaudir nous mêmes les artistes tournés vers d'autres publics aux quatre coins de la scène. Nous considérons ces publics virtuels, renvoyés à une reflexion sur notre propre fonction de spectateurs. Sans réponses proposées: il n'y a d'autres commentaires que ceux dans les gestes et les mots de circonstances. Avec ironie et connivence. La performance est réduite jusqu'à l'os. Décapée, le resultat est décapant. Avec un goût amer, provoquant. Salutaire?

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    C'était Klap ! Klap ! de Christian Ubl, avec Fabrice Cattalono, Marion Mangin, Christian Ubl. Texte, scénario, et film de François Tessier, musique de Fabrice Cattalano. A Micadances, avec Faits d'hivers.

    Guy 

    Photos par Matthieu Barret avec l'aimable autorisation de la compagnie Cube.

    A lire: le tardorne, avec lequel cette piece entretient une relation particulière...

  • Carlotta Ikeda: trop

    Les images font profusion en un défilé grotesque. Bariolées et somptueuses, monstrueuses.

     

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    En une débauche d'extravagances baroques, qui se succédent à la manière de numéros de cabaret: humanités caricaturées qui s'agitent à terre, excroissances sophistiqués, féminités débordantes, sumos à mamelles, fleurs animales et sensualités vénéneuses, troupeau de poules reniflantes et enervées, jeunesses nippones essouflées ou danseuses de french cancan encanaillées....C'est virtuose, mordant et drôle, d'une approche singulière, ebouriffant, et trop. Il suffit que Carlotta Ikeda revienne, quelques minutes, seule en toile kaki, pour faire beaucoup avec peu. Pour évoquer le comos avec un simple ballon. Magnifique. Puis ne laisse que des regrets. La suite sature, le trop plein accouche de la vacuité. 

    Deux troupes issues du mouvement Buto remplissent encore les salles en France: Sankai Juku  d'Ushio Amagatsu et Ariadone de Carlotta Ikeda Dirigées par deux chorégraphes de la même génération, la première des deux compagnies étant exclusivement masculine, la seconde exclusivement féminine. Mais Ariadone semble s'orienter vers la théatralité et le grotesque, Sankai Juku se concentrant en une danse empreinte de mysticisme. Les deux tendances agitent depuis le début le mouvement buto, et cette ambivalence s'affiche dans le titre de cette piece: Uchuu (univers en japonais) Cabaret. Mais ce soir la balance penche trop lourdement du coté du second terme.

    C'était donc Uchuu-Cabaret de Carlotta Ikeda , au théatre Silvia Monfort, avec le festival faits d'hiver.

    Guy

    photo par "Lot" avec l'aimable autorisation de Faits d'Hiver

    Lire aussi: Paris Art

  • In-Contro d'Erika Zueneli: Duel et gestes

    Mère et fille ? Sœurs ? Amies ? Amantes ? Quoiqu’il en soit, assises en chien de faïence, et bien des comptes à régler, de toute évidence. Campés des deux cotés de la table, les regards d’abord s’affrontent, couteaux dans les yeux.

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    En silence la tension glisse vers la danse, encore retenue, vite en vivacité. Les deux elles ne vont pas abattre toutes leurs cartes d’emblée. Les visages restent impassibles et les bouches closes, les corps dialoguent et s’affrontent à coups de messages connivents. Avec des gestes articulés autour de la table et des deux chaises, pour qu'elles en glissent parfois, s’en éloignent souvent, toujours pour y revenir, comme pour se disputer le seul territoire qui soit synonyme de pouvoir. Les victoires sont précaires et les situations s’inversent, le duo passe en revue toute la gamme de la relation, en complémentarité ou domination, positions up et down, escalades et dérobades, élans ou indifférence, réconciliations et coups fourrés, dépendance ou affectivité étouffante, abandon ou regrets, tendresse ou cruauté. Sans que rien ne soit appuyé, tout en subtilité et tout en gestes, sans un mot ou presque.

     

    C’est acide et drôle, c’est surprenant, c'est stimulant, c’est créatif, c’est de la danse contemporaine. 

     

    C’était In-Contro d’  Erika Zueneli, avec Erika Zueneli et Kataline Patkai, au théâtre de l'étoile du nord, avec le festival Faits d’Hiver.

     

    Guy

     

    Photo par Vincent Jeannot, avec l'aimable autorisation d'Erika Zueneli

     

    P.S. : le même soir, autour d'une autre table, il y avait Solides Lisboa

  • Pina Bausch: light et bio

    On va présenter le flanc pour se faire lapider par les sectateurs de la grande prêtresse de Wuppertal, et Dieu sait s'ils sont nombreux.... Mais allons y quand même- et ce n'est pas pour le plaisir sacrilège de dénigrer la demi-déesse. Juste par dépit, par ennui...

    Il est tout beau et tout propre, euphorisant, le monde de Pina Baush. Suspendu en douceur dans une ère new age, avec un défilé de jeunes gens souriants et bien faits, c'est presque un défilé de mode. En horizon un mur végétal et une cascade d'eau- l'eau va beaucoup servir. Les belles robes aussi, assorties, pour bercer des nostalgies pastels. Donc les robes sur les danseuses sont bien vite mouillées, ensuite on aspergera les robes, plus tard on versera de l'eau dessus, pour suggérer de belles formes. Et oser une audace inoffensive. Toujours en douceur, et en rythme. Rien ne s'arrête jamais. Dans le flux continu de la musique, aussi ommniprésente que dans un centre commercial, non stop, equalisée dans les tons medium de l'easy listening. On a jamais le temps de s'ennuyer ni de s'interroger d'ailleurs, les interpretes rentrent et sortent en zapping, courent sans drames, voyagent valises à la main, on voyage avec eux du regard comme dans les rues d'un village Potemkine. Les corps sont harmonieux, tout sauf furieux. Chacun y va de son solo en joliesse, sourires obligatoires et imperturbés. A force, l'on sourit aussi, bercé par la musique. Tout est agréable, rien ne surprend vraiment, rien ne peut fâcher. Tout varie pour ne jamais lasser: flirts, clins d'oeil appuyés, beaux portés, déjeuner sur l'herbe, numéro de cirque avec les chaises, courses poursuites burlesques, et encore des robes mouillées...Tout s'évapore comme la fumée des cigarettes. On peut se laisser aller à passer une bonne soirée. Belles et radieuse, les femmes tournent comme des poupée, puis dansent dans les champs (de l'utopie?), comme le commente non sans auto-dérision une interprète. La pub a la vie dure, on a le sentiment de voir un interminable spot pour protections périodiques. 

    La feuille de salle entreprend de nous conforter en un modèle de tautologie satisfaite: le Théatre de la Ville invite Pina Bausch depuis des décénnies parce qu'elle est toujours venue, on a une chance comme nulle part ailleurs au monde, merci pour sa générosité, CQFD. Pina: c'est Pina. Et, toujours, tout Paris cherche des places. Mais le temps des rentiers est derrière nous. Ce spectacle date de 2000. Ou date-t-il de cette année? Ou de 90? Ou de 2015? Soyons juste: on croit souvent reconnaître des gestes mille fois samplés ensuite par des générations de chorégraphes. Pour celà, merci à elle. Mais ici, maintenant, le savoir faire ne finit par accoucher que de la joliesse et de la vacuité.

     C'était Wiesenland de Pina Bausch, avec beaucoup de danseurs et de danseuses, au Théatre de la Ville, jusqu'à bientôt.

    Guy

  • Self & others: Cecilia, Alain, François, Matthieu, Hanna et les autres...

    C'est foutraque et déroutant. Chacun des quatre danseurs à son tour a son moment, et tous à la fin rassemblés pour un défilé fait de bric et de broc (qui n'est pas sans évoquer dans le détournement celui de parades & changes). Oui: la succession de ces numéros agace jusqu'à la fascination. Mais cette dispersion est sans doute consubstantielle au projet, d'autoportraits. Ceux ci d'autant plus détournés que floutés derrière le voile qui sépare salle et scène. Ces personnages sont surtout ce qu'ils font. Se définissent par ce avec quoi ils jouent: des matériaux déglingués et disparates: musicaux, gestuels, textuel, scéniques... Les résultats ne sont pas tristes. Et les portraits surprenant, irrévérencieux, provocateurs forcement, allusifs, comme pour travestir d'inavouables aveux.

    C'est donc gonflé, toujours au bord d'être gonflant. Mais l'esthétique fait le liant, une touche Buffard dans le tout et dans les petits riens. A savoir, à travers ces errances dans un décor de lendemain de fête: des postures de dandy décadent, un pessimisme drôle et pudique, jusque même dans l'exhibitionnisme. Tous semblent en sursis. Mais tenus par une cohérence souterraine, un mouvement qui nous fait aimer ici ce qu'on rejetait chez Laâbissi. François Chaignaud ouvre les festivités en faune écossais, préside une veillée aux bougies comme un Barry Lydon du pauvre, prodigue des fellations et d'autres outrages à des poupées barbie. Il fait son effet, entonnant une chanson libertine d'une voix de tête et tête en bas. Toutes bornes dépassées, on sait où on se situe. Cecilia Bengolea s'engouffre dans la brèche, et s'enfourne des petits chevaux dans le décolleté et dans des culottes gigognes, crie "vanité", entame un dialogue- qui semble furieusement extrait d'un film français des années 70- avec Hanna Hedman. Qui blanchit sa peau noire de pâte à pain en lisant Marx, tandis que Cecilia se noircit. Mathieu Doze se fait désirer en statue et rentre tard dans le jeu, hiératique. Tout ce qu’on tente de décrire ne constituant qu'un échantillon des actions vues ce contexte, dans une ambiance à la fois bordélique et empreinte de préciosité. Avec nombre de références, et des saillies surréalistes pince sans rire, on est plus prêt de Bunuel que de Dali. Ou de Copi. Les excentriques finissent par se rassembler, en un drôle d'équipage, pour un boléro de gargouillis qui mène droit au fou rire, un défilé en rideaux de douche ou cuvette de chiottes, et un hommage final à Michael Jackson. Paradoxe: ce sont dans ces efforts collectifs, assez éloignés du thème du départ, que l'on goûte au plus jubilatoire du projet.

    C'était Self & Others, d'Alain Buffard, avec Cecilia Bengolea, Mattthieu Doze, Francois Chaignaud, Hanna Hedman. Dans le cadre du festival innacoutumés, à la ménagerie de verre.

    Guy

    Lire aussi Libération, Spectateur turbulent, paris-art, Le beau vice. Et plus tard, le Tadorne.

    Pas de photos pour le moment, peut être un peu plus tard.

     

  • Latifa Laabissi à l'âge de pierre

    C'est le spectacle de trop, après deux ou trois dans le même sens, à la fin d'une année qui n'en finit jamais. On a pas vraiment envie d'en dire du mal, tellement c'est désarmant. Dans un sens, bon enfant.

    Latifa Laâbissi par Laurent Paillier.jpg

     

    Mais si vain, pourtant. Question cohérence, rien à dire non plus: des variations surtout sur le même thème: celui des origines. Donc la préhistoire, le commencement, la genèse, etc... sous divers angles fictionnels: l'obscurité originelle puis habitée par le verbe (des cris primaux plutôt), une Eve nue à la pomme, les jeux innocents d'un enfant  sur la scène, les hommes préhistoriques dans leurs oeuvres, en peaux de bête façon "Les trois Ages" de Buster Keaton (référence revendiquée)...et quelques digressions (La marseillaise, une histoire de chevalier...) dont le rapport avec le reste est moins évident. Tout est parlé, posé, mimé. Pourquoi s'ennuie-t-on? Paradoxalement, ce n'est peut-être pas durant le premier quart d'heure, qui s'installe sans complexes dans le noir le plus complet, que l'on s'ennuie vraiment. Cette situation nous suggère au moins une réponse acceptable à la question de Saint Augustin (qui était africain): que faisait Dieu avant la création du monde?  Rien. Pas de réaction officielle de la part des deux religieuses assises au dernier rang (Leur présence constituant l'évènement le plus surprenant de la soirée). On entend dans le noir de la scène des cris qui amusent un peu, intriguent surtout. La lumière se fait brusquement...sur un plateau déserté. Pied de nez! 

    Mais dans la salle l'impatience est palpable, bien que retenue. On s'en voudrait de punir les audaces trop hâtivement. N'empêche. De scénettes en scénettes, l'intérêt se transforme en indulgence, l'ennui en attente. On en arrive, soulagé, jusqu'à rire ensuite avec des histoires d'accent belge ou nord-africain, de pipi et de poils sous les bras- l'humour heureusement joue plus fin par moments. On se console avec celà, faute de mieux, et avec un peu de fantaisie bienvenue. Car la construction est hachée, faite de juxtapositions. Laisse une impression laborieuse, heurtée. Cela ne tient pas à un manque de moyens, à un temps insuffisant qui aurait été consacré au travail- bien que l'absence d'Yves-Noël Genod, qui était annoncé, laisse supposer que le projet a connu des contrariétés.... Les élements paraissent achevés: L'installation de Nadia Lauro est pensée-une forêt de bandes de papier qui tombent du plafond. Le travail vocal est abouti.

    Ce qui nous gêne tient au parti pris (et pris par beaucoup d'autres) de la chorégraphe: montrer des situations, bout à bout, et faire du tout une proposition. Pour quelle demonstration? Latifa Laâbissi n'est pas plus sociologue que ne l'est Marcela Levi. A quoi tient au fond notre insatisfaction? C'est que la danse, en tant que mouvement, fait ici défaut, cruellement. Le moment où l'enfant vient danser, maladroitement, est le plus touchant. Il vient comme un soulagement. La danse nous manque, en ce qu'elle nous permettrait de nous abandonner entier, sans précautions, à l'abstrait, pour revenir nourrir d'intensité le concret. Quelque soit le sujet abordé. On ne veut pas parler par là de joliesse de ballet classique, mais de gestes justes simplement, et inutiles absolument. Même si l'on doit avouer que c'est ainsi en donner une définition très lache. Ne reste ici, à l'inverse, qu'une proposition apte à ravir les critiques, les commentateurs. Une proposition dont les matériaux anecdotiques peuvent se prêter à tous les développements et constructions. Une proposition qui est d'autant moins faite pour les spectateurs. 

    C'était Histoire par celui qui la raconte , par Latifa Laâbissi, avec Latifa Laâbissi, Jessica Batut, Siméon, Fouassier, Robert Steijn, scénographie de Nadia Lauro, travail vocal de Dalila Khatir. Au Centre Georges Pompidou, avec le Festival d'Automne à Paris.

    Guy

    Lire aussi Le tadorne, et Libération.

    Photo par Laurent Paillier, avec son aimable autorisation.

  • Marcela Levi: Pour ou contre In-Organic

    Marcela Levi crédit Claudia Garcia.jpg

    Contre

    C’est de la danse contemporaine, c’est aussi une conférence, presque. A la place des mots: des poses, et des objets chargés de signification. Voire saturés. Marcela Levi met à contribution les signes masculins et féminins. A commencer par sa propre nudité, et des talons aiguilles, des barrettes à cheveux, un interminable collier de perles qui s’enroule en robe avant de se transformer en lasso. Et face mâle, une virile tête de taureau, bien lourde à porter, mise en mouvements par coups de reins vigoureux.

    D’une certaine manière, Macela Levi se place en dehors de sa propre performance. Abuse des effets de lenteur et de répétition pour mieux la démonter. Et dénoncer ainsi toute la violence sociale qui au Brésil est associée aux rôles sexuels, le discours aidant: «He likes it, she likes it, and that how it is ». Le discours se fait féministe et militant. Evident. Il se trouve que c’est la journée mondiale contre les violences faites aux femmes, on se sentirait coupable de ne pas acquiescer.

    Il n’empêche. Si c’est de la danse, celle-ci manque de force et de générosité. Si c’est une leçon de sociologie, celle-ci manque de subtilité. Trop appuyée et laborieuse. La lenteur souligne les actions, sans pour autant plus les éclairer. Quasi- minéralisées. Il est symptomatique que l’on puisse, ainsi que Jérôme le fait, raconter à peu prés tout ce qui est donné à voir. Mais tout est dit quand tout est montré, imaginaire bloqué. Pour surtout mettre en évidence les pièges d’une danse contemporaine où toute danse est évacuée, au profit de situations imposées, de messages univoques, symbôles trop dévoilés. Il se trouve que c’est aussi aujourd’hui le centenaire de Claude Levi Strauss, c’est d’une pensée, complexe, puissante, ouverte, dont nous avons besoin.
    .
    Pour
    In-organic. Il bien est entendu, et le trait d'union l'assure, qu'il n'est pas question d'inorganique. Car il n'y a rien de minéral là-dedans. Il s'agit de ce qui est organique au dedans, je dirais viscéral.
    Marcela Levi, ce frêle petit bout de femme nue, à peine plus haut sur ses talons presque aiguille, produit en solo des miniatures, des petits bijoux de précision. Chez elle toujours les mêmes quatre couleurs : blanc, rouge, noir, peau. On se doute que Marcela Levi n'est pas une fille facile. Elle tisse et défait dextrement les symboles. Un filet de colliers de perles raboutés d'un coup devient fil, comme un jet séminal ; s'enroule en corset puis, dévalant ses courbes d'une caresse, vient enserrer ses chevilles comme un lasso séquestre une vache. Des épingles à cheveux peuvent aussi figer une bouche. Ce qu'il y a de viscéral en Marcela Levi, c'est sans doute son énergie mâle, le désir de cette énergie, d'allier force mentale féminine et force physique masculine.
    Elle aime affronter le public qu'elle regarde (ou couvre) avec une placide assurance. Comme symbole de son désir et de sa force, une tête de taureau qu'elle porte à bouts de bras comme un trophée, ou contre ses reins aux va-et-vient vigoureux pour mieux la posséder tout en possédant les autres. Nue ou soudain rhabillée - comme domestiquée -, génisse et taureau, dominatrice et dominée, elle-même trophée quand son profil se fige, bouche ouverte, elle admet et affronte les fatalités de son espèce, violentes et ancestrales. Car elle raconte aussi des histoires. L'histoire des vachers machos du village d'à-côté, ou quelque chose comme cela ; d'une belle voix brésilienne si caressante, comme un baume sur la dureté de son pays. L'histoire aussi d'un photojournaliste qui fait carrière sur la misère du monde. "C'est ainsi, il aime ça, elle aime ça. Yeah !" Ce leitmotiv rêveur, répété avec un petit sourire entendu et satisfait, presque gourmand, alterne avec un refrain bruyant, de sabat, d'obscène obsessionnel par sa mécanique.
    L'exact objet de la démonstration nous échappe, mais on comprend tout de suite de quoi Marcela parle. Mettant à profit la sensualité de son corps pour mieux subvertir les représentations machistes, elle emploie un procédé classique de la performance féministe. Pour autant, son féminisme est d'aujourd'hui ; il n'est plus question de seulement présenter l'homme comme un bourreau et la femme comme une victime. Entre domination et séduction, acceptation et révolte, Marcela Levi sème le trouble et produit de ce fait, sans doute, la performance la plus érotique des Inaccoutumés.

    C'était In- Organic de Marcela Levi, à la Ménagerie de Verre.
    Photographie par Claudia Garcia, avec l'aimable autorisation de la Ménagerie de Verre

     Lire ausi Paris Art et les coupures de presses sur le site de Marcela Levi

  • Regine Chopinot: cacher

    Ca nous dit quoi, cette non-danse sourde et délavée...? Rien qui nous rapproche.

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    Tout est en dedans, rien pour nous, tout s'engourdit: sons, sensations, dans un ralenti post apocalyptique. Danseurs pelles devant la gueule, engoncés en doudounes, la nudité des pieds pour seul message d'humanité. On regrette vite Paquerette. Le message quant à la perte de l'identité est aussi vite éventé que le gag de l'indifférenciation des zèbres dans Madagascar2. On agonise d'indifférence comme le cheval crevé, avec seule satisfaction de n'avoir rien de commun avec ce qui bouge sur scène. Les pantins n'en finissent pas d'explorer la lune, prennent la pose flags of our fathers, s'enculent en procession, hurlent en tribune et organisent des défilés, aussi flippant qu'une manif. de profs coincés sur un slogan. Chopinot se place hors jugement, nous dit merde, avec froideur, sophistication et plasticité. Avec une intrangisance quasi suicidaire, une indéniable violence. Les spectateurs se défendent, votent avec leurs pieds. Citation : "Notre défiguration n'est plus de l'ordre de la menace. Elle est là, quotidienne, insidieusement infiltrée en nous". Au contraire, les spectateurs ont des visages, sont vivants. On sort, il fait plus chaud dehors.

    C'était Cornucopiae de Régine Chopinot au Centre Georges Pompidou avec le Festival d'automne à Paris

    A lire: Clochettes et Spectateur turbulent, Danse à Montpellier, et Images de danse.

    photo de Jérome Delatour- Images de danse

    un reportage ici, sur la culturebox de France 3

  • Cecilia Bengolea et François Chaignaud : montrer.

    Peut on essayer d’oublier tout ce qu’avant on a lu à propos de Pâquerette, toutes attentes tues, curiosité remise à neuf?

     

    pâquerette par Alain monot.jpg

     

    Cecilia Bengolea et François Chaignaud doivent être satisfaits du buzz, et de la salle pleine à craquer. Avertis des risques aussi. Déjà présents sur la scène à notre arrivée, ils désamorcent. Familiers, chuchotent entre eux sourire aux lèvres, lancent un clin d’œil aux copines du premier rang. Parés de robes chatoyantes, elle yeux de biche, lui blond angélique, les genres sexuels convergent.
     

    Quand les deux danseurs glissent enfin dans le jeu, c’est par délicates suggestions: yeux vagues, râles étouffés, expressions de doigts de pied. Ces manifestations finissent vite par déraper, en sifflements de cocotte minute, interactions nerveuses et tremblements pâmés. Déjà on ne peut plus feindre d’ignorer ce que l’on sait: on sait qu’ils savent qu’on sait ce qui les tend. L’obscène- à la lettre- est hors de vue. La performance se concentre dans cette connivence. Avec des sensations sans sensationnalisme: le public est bon enfant, quelques rires réprimés. C’est joyeux et libérateur. Le spectacle pourrait tout autant se refermer sur cette première partie, homogène et bien maîtrisée, symptômes en pleine lumière et causes occultées.

     

    Puis les robes tombent, et les enjeux se déplacent.

    On savait: maintenant on voit. Constat immédiat : ils sont mignons, pas scandaleux. On consacre un instant à apprécier l’audace de la démarche: aucune raison que la danse s'interdise de telles explorations. L’instant suivant on admet que montrer c’est dédramatiser. Voire desérotiser. Par cette simple démonstration le projet se justifie. La suite, c’est de la danse. Sous contrainte: les deux danseurs s’efforcent de conserver inchangée leur relation avec les objets, quitte à ce que l’équilibrisme fasse passer au second plan l'expression du plaisir. C’est une danse honnête, à tous points de vues, d’une poésie fraîche. Qui n'ouvre pas sur de grandes révélations, chacun jugera selon ses attentes. Ils sont beaux et fragiles, généreux et drôles, des statues nues dans un jardin d’hiver, avec quelque chose en plus.

    Mais après Pâquerette, que peuvent ils bien faire ? Sans doute tout autre chose…

     

    C'était Pâquerette, de et avec Cecilia Bengolea et François Chaignaud, dans le cadre du festival innacoutumés à la Ménagerie de Verre.

     

    A lire: le Tadorne, et bientôt Images de danse.

    Et un point de vue moraliste, dans Le Monde.

     

    Guy

     

    photo par Alain Monot, avec l'aimable autorisation de la Ménagerie de Verre.

     

    Paquerette fleurit au Dansoir mercredi 4 fevrier, et à Ardanthé le vendredi 20 fevrier

  • Slat: Maki Watanabe indomptée

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    Au début c'est confus. A travers une bâche, à peine vu. Nous, tout contre la bâche, à guetter. Dans l'obscurité. Des bruits par attaques, des ombres qui passent. Des menaces percussives et diffuses. Une forme à quatre pattes. Animal et femme, enfant sauvage. Tunique et hirsute. Juste éclairé par la lumière balancée d'une lampe tempête. Paniqué. Bondit, gratte le sol des mains, des pieds. Rejette l'écuelle. Gestes de chat hérissé. Autour des hommes passent. Fouets. Tout est aussi menaçant que vu à travers les yeux de l'enfant. Puis avec toute la mauvaise conscience de visiteurs d'un zoo humain, fascinés, quand nous montons au premier étage de l'échafaudage pour découvrir la scène d'en haut. Qui a changée. Lumière. Le silence se fait et elle se lève, femme désormais. Un éveil. Sur ses deux pieds. Le visage noyé de cheveux et de larmes. Toujours plus vers le haut. D'une beauté première. Des cloches sonnent, pour marquer le début de la conscience, le commencement du temps. Les hommes eux se sont courbés. Elle se redresse encore. Elle monte plus haut, grimpe l'échafaudage. Jusqu'à nous toucher. Pour aprés retomber. Dans une animalité dansée qui nous stupéfie. Elle emportée sans retour par les pulsations des percussions. Tout autour d'elle et hors d'atteinte, des manifestations dérisoires de civilisations: une femme sophistiquée qui vocalise et babille. Drôle et voué à l'inintelligibilité. Des parades et fanfares, tambours et accordéons, qui se mélangent dans notre esprit, et celui de l'enfant sauvage, jusqu'à se décomposer.

    C'était Slat, créé par Tevor Knight, chorégraphie de Gyohei Zaitsu, lumières et installation de Paul Keogan et Alice Maher, dansé par Maki Watanabe, joué par Rebecca Collins, Robbie Harris, Julie Feeney et Trevor Knight, au Centre Culturel Irlandais. Encore ce soir, vendredi.

    Guy

    P.S. : Claude Parle était là (en spectateur), nous a posté ses impressions:

    Victor–Maki ou de l’Aveyron à l’Irlande …

     

    Tout d'abord, ce qui force le regard, c'est l'évidence qu'il ne nous sera rien donné ni épargné ! ! ... à travers un plastique perforé, sans doute eu égard à ceux qu'un oubli fâcheux à privé de lunettes ! ! ...à travers ce plastique blanc opaque et indifférent, les “auditeurs“, parqués dans un étroit couloir , entre bêtes à l'abattoir et voyeurs prévoyeurs d'un de ces attractifs spectacles de foire où patientait une foule excitée et bruyante dans l'attente du "monstre" piaffant tandis que se vidait le précédent troupeau ...

    A force ...on finit par coller presque sans répugnance au plastique pervers pers-foré ...

    On découvre avec malaise un de ces cas d'animalité...mi fauve mi humain ...

    comme les sombres ménageries les jours d'été où l'orage menace ...

    Le sol est ocre, manque juste la poussière et l'odeur ...les fouets, les claquements étranges, les ombres furtives tout y est ...rhombes, tuyaux, wood blocks  et autres bruissements percussifs ...La bête captive d'une pauvre lampe à filament oscillante mue d'un vent fou ou bien d'un improbable tangage ....Quelquefois, un garde s'en empare puis la relance l'abandonnant au délire de la bête ...bête ruante, gémissante, courante animalité entée sur un torse humanoïde ...

     

    Enfin les portes s'ouvrent ...ou plutôt les escaliers ! ! ...

     

    On monte sur la plateforme d'un praticable qui entoure et autorise une vue plongeante sur la fosse où croupit la créature ...

    Des sonorités plus prégnantes apparaissent, voix, nappes de synthés, polyrythmies ...peu à peu, les percussions se font plus pressantes, plus incisives ...

    La performance, de fait repose presque entièrement sur les épaules de la danseuse ...

    Il faut tenir ...le rythme se noue, s'intensifie jusqu'au paroxysme ...

    Apparaissent trois doctes personnages, ithyphalliques, inertes, jaugeant, consignant ...

    N’oublions jamais l'irruption de la norme dans le pathologique mes frères ! ! ...mais, quand donc au juste tout cela a t-il bien pu commencer ? ...

    La danseuse progresse vers la verticalité jusqu'à l'exaspération ...

    Finit par se hisser à la hauteur des voyeurs ...qui ne la voient cependant pas ...plus qu'elle ne les voit ...

    En bas, les manifestations se succèdent dans un mélange de grotesque et de représentation, apparaît aussi un personnage de femme vocalisant puis se déréglant peu à peu, masque déformé par l'émotion, la violence, les glossolalies virant à l'imprécation, rires virant au grotesque, succédant aux pleurs soudains, ravagés à leur tour par quelque éructation suivie, je veux dire poussée par un babil se muant en rage ...Images, clichés de la folie, de l'hors norme, ou jeux de la vie sur fond d'obscénité ?

     

    Maki, en bas finit par s'immobiliser ...

    Finit par se baptiser elle-même de son propre amnion ...

    Finit par s'assoupir centrée sur elle même ...

    Finit par absorber la lumière ...

     

    Dans l'obscure itée ..(“ita est“ ! ) les spectateurs ont décidé de la fin et tapent des mains bruyamment !

    Tout le monde se salue ...dans la lumière revenue tout cela descend les marches ...

    Tout cela se retrouve donc en bas ... "Le voyageur épris au piège" ...

    Jean Pierre* ? tu nous attendais là ? ! avec Victor ? ! …

    ...

     

    CP

     

    * = J.P Duprey