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Danse - Page 18

  • Clara Cornil: Métaphysique de la Casserole

    Tout commence sans heurts et hors champ, notre regard déplacé. Les bruits d'eau, de pas, de conversations ont une étonnante consistance, mais laissée à notre imagination. Sur la scène préservée du quotidien, que de l'apaisement. A voir tout au plus une ombre. Et d'autant plus éclairée qu'ironiquement dénuée de sens: une casserole blanche.

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    Sur l'écran l'eau bout et le temps se dissout. Par contraste devant se définit la présence humaine, en mouvement. Ce n'est pas tant sa lente danse qui capte notre attention, mais les rapports qui demandent à naitre entre tous ces objets. Pas de chronologie ni déroulement, plutôt des états qui frémissent en suspens. En un fragile équilibre, que ne rompt pas l'éclatement des bulles. On flotte, amusé ou hypnotisé. Tout autant, voire plus que So Long, vu juste avant, cette proposition se prête à vivre une expérience étrange du temps. Puis-évenement- c'est la casserole qui bout, c'est la fumée qui se trouve comme aspirée par une colonne de lumière, alors que le corps plonge dans l'image projetée sur l'écran. Avant que tout ne s'efface pour se laisser entendre ailleurs et autrement . En vingt minutes d'incrédulité, c'est d'un laconisme réjouissant, qui nous ouvre le regard sur un univers de possibilités

    C'était Pose # 1, par Clara Cornil (chorégraphie et interprétation) et Bertrand Schacre (installation visuelle et sonore), au Théâtre de l'Etoile du Nord, dans le cadre du cycle "avis de turbulence #3. Jusqu'à samedi.

    Guy

    Photo avec l'aimable autorisation de Bertrand Schacre 

  • Charmatz et Collignon surchauffent la Villette

    Il y aurait sur scène deux fous furieux, on aurait vite oublié qui serait censé faire le danseur et qui le musicien, et il y aurait des fils et des machines, des histoires de poulets et de camions poussés avec les fesses, d’hommes peints de blanc dans le noir et leurs corps entremêlés, à cause de ces textes échappés d'un happening dada, on pensera très fort au Be-bop Tango de Franck Zappa ("Jazz is not dead...but it just smells funny") on croirait même reconnaître une ou deux mesures de Dog Breath, les deux individus joueraient à se faire peur tels un savant fou et sa créature déjantée, le second luttant comme un dément pour prendre le contrôle de la console de son, on serait éclaboussé par les débordements suraigus d'un be-bop mutant et orgasmique, par des coïts bruyants de trompette naine et des voix de dessin animé doublés en H.P., des aveux régressifs, drôles, poétiques et douloureux, abandonnés au cours de l'exploration d'une jungle techno pullulante d’animaux bariolés, encombrée de bruitages effleurés et stridents, de bruits venus d'ailleurs, car tout pourrait arriver, des séquences de danses bras croisées ou renversées sur les épaules, des rafales d'onomatopées surchauffées, Colllignon entreprendrait de dresser le fil du micro, laisserait s’échapper des notes dans le micro pour qu'enregistrées elles se battent en boucle, ressusciterait le son d'Herbie Hancock lorsque durant les seventies il se figurait l'an 2000, ou quelque chose apparentée à une World music qui ressemblerait un peu à du Weather Report déglingué, funk, free et suraigu, comme des pièces de beauté tranchée à vif par deux garçons turbulents, d'éternels adolescents, facétieux et excités à s’escalader l’un l'autre, Charmatz disparaîtrait derrière l'écran et les pieds de son corps remueraient encore, il y aurait des gestes morts qui ne voudraient pas mourir vraiment, et des mots toujours dits avant, on se sentirait libre absolument à les voir se refuser toute limite, à nous laisser ressentir quelque chose d’essentiel sur ce que c’est de créer, on serait mort de rire d'un bout à l'autre, émus également, cela pourrait durer longtemps et tant pis pour le spectacle d'après, ils pourraient simplement improviser, ce serait beau, ce serait fou, tendre, et souvent de mauvais goût, et après à jamais disparu.

    C'était Boris Charmatz et Médéric Collignon, à la Grande Halle de la Villette, avec Jazz à la Villette 

  • Archie Shepp et A.T. de Keersmaeker: 44 ans aprés J.C.

    La rencontre que suggère l'affiche n'aura pas lieu, au sens strict, entre le saxophoniste Archie Shepp et la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker. Il importe peu, ce sont d'autres fils qui tout au long de la soirée se tissent, plus subtilement, entre les gestes et les musiques, les époques, les cultures, les continents.

    C'est un vieil homme noir et élégant, borsalino et soprano, qui n'a plus rien à prouver, et tout à explorer encore. A ses cotés deux musiciens indiens rompent l'immobilité à sons de clochettes. Archie Shepp regarde un temps, écoute. Puis le souffle nait avant la note. C'est un gage d'humanité avant que la beauté ne devienne abstraite. Un son clair et brillant. Aérien. D'un lyrisme tranquille. Sans effets. Détaché de tous les genres. Le danseur Salva Sanchis cherche des yeux la musique. Sa danse se developpe, droite, pivote. Humble sous le regard du saxophoniste, attentif. Qui quant à lui va à l'essentiel, phrase des séquences courtes et repétées, s'élance vers l'épure, tend vers une transe apaisée. Pas loin du rève offert par Coltrane dans A Love Supreme. L'Inde et le Continent Afro-américain se rapprochent. Nous sommes entrainés dans ce mouvement, d'où que l'on vienne. Le muicien indien chante, authentique, mais avec l'énergie et les intonations d'un blues shouter. Ses doigts arrachent des cordes d'un instrument traditionnel des riffs de guitare funky. Le dialogue continue dans des langages inédits, Archie Shepp, attentif au danseur comme aux instrumentistes, sait s'interrompre, reprendre, répondre, essayer, prendre tous les risques. Salva Sanchis, félin (dit ma voisine), ouvre les bras pour offrir aussi, et gagne sa liberté, bondit.

    Aprés se présente Anne Teresa de Keersmaeker. Seule. Qui dicte d'abord les gestes d'une grammaire austère, d'un bras tendu, d'une jambe pliée. La musique l'environne, indienne et inconnue, le rythme incertain à nos oreilles. La chorégraphe fait le choix heureux de ne pas danser le rythme, danse l'harmonie plutôt. Semble sans cesse balancer entre abandon et retenue, toujours au bord de l'ivresse, sans jamais s'y livrer. Blanche immaculée, ose un sourire, juste esquissé. La danse part des bras, tourne et semble vouloir se saisir de volutes de fumées ou d'instants de bonheur. Reste aussi sobre, mesurée, que Salva Sanchis. Entre Archie Shepp et John Coltrane, mais sans jamais les citer, A.T. de K. fait le trait d'union.

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    Quatre, ensuite. Les 4 lettres du mot LOVE. Les 4 instrumentistes d'un quatuor (de Jazz encore ?). Les 4 danseurs sur la scène. Les 4 mouvements du disque enregistré... fin 1964. A love Supreme: L'oeuvre de Coltrane est si célébrée que le seul fait de l'adapter constitue une gageure, pour le moins indimiante. La réponse d'A.T de K. et de Salva Sachis à cette presque impossibilité se déploie en toute simplicité, pourtant. Sur un mode spirituel forcement, mais enjoué, ce qui est moins evident.

    Acknowledgement:  au comencement l'appel à la prière lancé par le saxophone, puis s'installe l'obstinato de 4 notes à la contrebasse. C'est un mantra qu'aprés son solo Coltrane reprend sur son instrument à différentes hauteurs de ton. Jusqu'à ce qu'il soit temps qu'il y renonce, pour juste chantonner les 4 syllabes de sa voix nue. La danse ne copie pas, exprime plutôt ce cheminement vers la simplicité. Les exposés et reprises des thèmes sont dansés en ensembles, de même que les musiciens sont à l'unisson. Le reste est libéré, on devine une grand part d'improvisation dans cette transposition du moment de l'histoire où le jazz change de nature. Avant que le saxophoniste ne s'aventure vers d'autres territoires, où il sera moins suivi. Pour l'Ascension de Coltrane qui viendra ensuite, où l'accompagnera Archie Shepp, il y aura moins de disciples à ses cotés. Dans l'adaptation de A Love Supreme, d'une forme artistique à l'autre, A.T. de K. échappe au risque de trop de gravité. L'enjeu ne se pose pas en terme de modernisme ou de classicisme de la danse, mais dans ses relations à sa source d'inspiration. Déja les danseurs sont délivrés de la mesure: 3 ou 4 rythmes se superposent dans le drumming d'Elvin Jones, pour ouvrir bien des possibles. Resolution: il y dans les mouvements, même exacerbés, beaucoup de joie et de la légereté. Les corps courent et se rencontrent, se portent dans des élans de sensualité. Dans cette sincérité, plaisir et spiritualité se rejoignent sans se contredire. Des souvenirs reviennent des deux performances précedentes, à nos oreilles l'Inde est présente, comme souvent chez Coltrane. Mais entremélée avec d'autres influences, dans un syncrétisme musical et religieux. Pursuance  s'ouvre sur un chorus de batterie. Un grand jeune homme offre un solo spectaculaire et eclaboussé de sueur, à la mesure de la performance physique que la musique suggère. Là comme lors d'autres échappées instrumentales, les individualités des danseurs reprennent leurs droits. Parenthèses individuelles, émouvantes et nécéssaires. Avec autant d'énergie que de tension. Psalm:  dernière prière crépusculaire et funêbre. Rassemblement sur un tempo lent. C'est le temps du don et du renoncement, de la Passion. Une danseuse s'effondre, les autres la soutiennent. Quatre font un. Sur le mur les ombres s'allongent. La suite fait écho dans les âmes, pour ceux pour qui tout s'est arreté le 17 juillet 1967, pour les plus fervents à la Saint John Coltrane Church de San Francisco.

    Epilogue: Archie Shepp revient saluer avec A.T. de K. et les danseurs. Pour retisser avec eux les fils du temps, lui qui en 1964 participa, même si le vinyle n'en conserva pas le témoignage, aux sessions d'enregistrement de A love Supreme.

    Guy

    C'étaient les improvisations de Salva Sanchis et Archie Shepp, accompagnés par Mimlu Sen et Paban das Baul. Raag Khamaj dansé par Anna Teresa De Keermaeker  et co-chorégraphié par Salva SanchisA Love Supreme, chorégraphié par Anna Teresa De Keermaeker et Salva Sanchis, avec Salva Sanchis, Cynthia Loemij, Moya Michael, Igor Shyshko, sur la musique originale de John Coltrane,  interprétée par John Coltrane (Saxophone ténor), Elvin Jones(Drums), Mac Coy Tyner (Piano), Jimmy Garrison(Bass). 

    A la Grande Halle de la Villette, avec Jazz à la Villette.

    photo par Hermann Sorgelos avec l'aimable autorisation de la Cité de la Musique

    A lire: Native Dancer

  • Un Conte de Fée à Bertin Poirée

    Il était une fois, dans un tout petit royaume nippon mais pas si lointain que cela, une belle princesse butô. Mais qui était condamnée par quelque méchante fée à passer courbée et fourbue la serpillière sur le sol poussiéreux d'une cave. Devant une assemblée de spectateurs silencieux, mystérieusement pétrifiés comme par magie eux aussi.

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    Peut être même, victime d'un sort, la princesse avait-elle oublié jusqu'à qui elle était. Méconnaissable, en effet, cheveux en bataille, à faire peur, le visage noirci d'une folle, douce cependant. S'effondrant à terre sans raison, membres mus par de mystérieuses pensées, se mourant de solitude ou de la douleur d'un amour perdu. Comme égarée dans une noire forêt, elle étreignait contre son sein une lourde bûche, à l'écorce rugueuse. Ses souvenirs de bonheur pourtant l'agitaient, elle dansait en rêvant de valse et de bal dans une grande salle illuminée, jusqu'à ce que résonnent les douze coups.

    Elle s'effaça dans l'ombre lorsqu'un prince apparu. C'était certes un prince mais on eut dit un enfant. Ou un fou; il en portait les habits. Un fou qui croyait chevaucher une monture. Ses pas imprévisibles et irraisonnés changeaient autour de lui la réalité, ou plutôt il croyait voir un monde qui n'était pas. Ce prince, donc, méprenait la bûche pour une femme, puis se l'appropriait en un prolongement démesuré de lui-même. 

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    Ses gestes étaient d'une grâce crue. C'était bien un prince improvisé, drôle et effrayant, et jamais un roi, tant mieux. Un prince fou qui ne ressemblait à rien sauf à l'innocence, lisse, glabre, cruelle, blanche. Il aperçut une pantoufle, en huma le parfum. Ivre, il fit essayer la pantoufle à toutes les belles dames dans la cave, à la recherche de sa bien aimée. Jusqu'à retrouver la princesse, au terme d'une longue quête. C'était très beau, à pleurer. Ils furent heureux, et ils dansèrent longtemps.

    C'était Ciel de Cendre et Emerveillement et Ciel de Cendre, de Gyohei Zaitsu, avec Gyohei Zaitsu et Maki Watanabe, au butô festival, à l'Espace Culturel Bertin Poirée.

    En Juin dernier.

    Guy

    photos sans rapport direct avec la performance, mais avec l'aimable autorisation de Gyohei Zaitsu 

  • 13 août 2008 - Rue du docteur Leray

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    C'était Gyohei Zaitsu.

    Guy

    P.S. du 2/9: les photos par Jerome Delatour du 15 août sont ici son chronique est là, et le récit de la performance du 23/8 sur Neigeatoyko

     

  • Etcha Dvornik, matérialisée.

    Résolue et corporelle, sans rien s'épargner. Acharnée. Seule contre elle même, Etcha Dvornik  fait le choix du solo, juste soutenu d’extraits vidéo. Quoiqu’on puisse après en penser, on doit reconnaître qu'à la différence de l’épisode précédent et autour des mêmes thèmes, son propos s’en retrouve méchamment concentré. L'étrangère, déplacée. Aveugle pour commencer, puis qui existe à force d'une répétition obstinée des mêmes gestes, frottements névrotiques ou mouvements amples à respirer, entre grâce et grotesque. Quelques moments d'absence succombent à une sur-présence charnelle, qui touche à l’obscénité gesticulatoire, obsessionnelle. Pendant ce temps sur l'écran du fond, irréelle et éthérée, la jeune Daphnée Favreliere parle en images comme dans un film français des années 70. C'est délicieusement désuet et ça sonne justement faux. Sur scène Etcha Dvornik en rajoute à l'inverse dans le trivial et le vrai, manie les bottes de paille, bêle à s'humilier, casse assiettes et oeufs crus, et re-danse du début. Toujours encore pourtant en code de représentation. Le corps est à la fois cruellement concret et cruement incorrect, matière vive frottée d'oignons, jusqu’à l'exposition cynique. Pour un résultat embarrassant et singulier.

     

    C'était, en juillet dernier,  Alpe! Alpe ! ou le cri du cochon dans la nuit d'hiver III: l'absence, de et avec Etcha Dvornik, Daphné Favreliere et vidéo, à Gare au théatre, pour Nous n'irons pas à Avignon.

    Guy

  • Aatt enen tionon à Boris Charmatz

    Représentons-nous un immeuble dont on aurait enlevé la façade, mais où à chaque étage les habitants continueraient à se livrer à leurs activités quotidiennes, comme si de rien n'était. De telle sorte qu'un spectateur au dehors pourrait observer tous ces personnages simultanément, alors même que ceux ci seraient dans l'impossibilité de se voir les uns les autres. Partant de cela, on pourrait comme Perec en écrire un roman(s), ou le danser comme Charmatz. Dans les deux cas on obéirait à un système de contraintes, qui permettrait de mieux libérer la création.

    Dans la cour de l'Ecole des Beaux Arts, cette tour n'a que trois niveaux, et le ciel au dessus. Boris Charmatz au rez-de-chaussé, Fabrice Ramalingon au 1er étage, dans le rôle central- pourtant ingrat- du benjamin. Et, 4 ou 5 mêtres au sommet: Anna Mac Rae. A la disposition de chacun, quelques mètres carrés seulement pour terrain de jeu. La proximité du vide semble reduire plus encore l'espace tout en haut. Toutes ces contraintes posées, on croit d'abord comprendre qu' Aatt enen tionon, à l'instar d' Herses, est une pièce "contre". La verticalité s'oppose à l'habituelle horizontalité de l'espace scénique. Le silence tient lieu de non accompagnement musical- les chansons de P.J. Harvey ne se font entendre que le temps des échauffements des danseurs et de l'installation des spectateurs, c'est un temps pré-spectaculaire et ambiguë. L'isolement des danseurs dans ce dispositif aveugle fait obstacle aux interactions entre eux. La demi-nudité spartiate -T shirt blanc et culs nus- consacre le renoncement au costume... 

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    Boris Charmatz écrit qu'en proie au vertige, il dut prendre le parti d'occuper la place la plus basse. Et en quelque sorte renoncer à maîtriser ce que ce passait au dessus. Doit-on le croire? La performance n'est pas tout à fait ce qu'elle semble. Malgré les choix radicaux, le désordre n'est qu'apparent. Les danseurs ne se voient pas, mais dansent en intelligence. Le déroulement est strictement structuré, borné par deux garde-à-vous pudiques, avec des moments d'errances, de recherches d'équilibres, de fulgurantes chutes et accélérations. Et de beaux instants de stupéfactions. Trois lunes suspendues délivrent la lumière, par épisodes de sur-exposition et de semi-obscurité. Entre les trois interprètes, il y a des appels et des réponses, d'invisibles communications, de surprenant mouvements ensembles. Chacun tient un rôle, une position. Anna Mac Rae est libre, au dessus de sa tête le ciel et l'infini, tout au loin autour d'elle la nuit et la ville. Elle s'envole dès le début sur la pointe des pieds. Lance haut la jambe, joliment, naturellement aérienne. Fabrice Ramalingon touche son plafond de la main pour éprouver les limites de sa cage. Boris Charmatz, à la base semble comme écrasé, au sol souvent. Jusqu'à ce qu'on constate que, d'un étage à l'autre, les gestes se partagent et s'échangent... mais qu'en raison des positions respectives des interprètes, nous sommes peut être dans l'impossibilité de percevoir ces mouvements en ce qu'ils ont de commun. Pourtant tout est à vue, pas de trucage ni de diversion, nous nous sommes installés, assis, debout, tout autour de la tour dans cette cour, dos aux vieilles pierres, les danseurs ainsi encerclés. Chacun a trouvé sa place, nul n'ose bouger. Toute l'attention est suspendue sur les corps, eux- mêmes contraints par ce dispositif extrême dans leurs derniers retranchements. Archarnés à danser quand même. Jusqu'à l'expression d'une beauté austère et brute. La vraie dance peut exister, en toute sincéré. Abrupte mais rigoureuse. Vive et âpre, mais pourtant exempte de violence: la charge de la nudité s'évapore dans la nuit, et nous ne ressentons aucune crainte de voir l'un de ces acrobates tomber de si haut. Les vulnérabilités s'exposent, mais restent inattaquées. On se sent plus détaché que devant Herses, plus serein, moins en tension, libéré, on renonce aux explications. Ouverts aux espaces dansés où s'engouffre l'imagination.

    C'était Aatt enen tionon crée en 1996, de et avec Boris Charmatz, avec aussi Fabrice Ramalingon et Anna Mac Rae , dans le cadre de Paris Quartier d'été.

    Encore ce soir vers la Grande Bibliothèque, et samedi devant le Théatre de Vanves

    Guy

    Photo par Cathy Peylan d'une représentation passée, avec l'aimable autorisation de Paris Quartier d'Eté

    ....et de jeudi dernier il y a les photos d'Agathe Poupeney... vues du ciel ?

    P.S. : pour faire suite au commentaire sévère du Tadorne plus bas, ci aprés une autre photo, plus dynamique mais sur un plan, toujours par Cathy Peylan :

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    La verticalité doit etre délicate à capter. A regarder les photos prises par Agathe Poupeney jeudi, on suppose que celle ci devait être postée à une fenêtre assez loin: l'inverse du point de vue du spectateur, qui regardait la performance d'en bas, à un tel point qu'Anna Mac Rae sur la plateforme du haut disparaissait parfois de son point de vue.  
  • Silenda entre les rives

    Nous ne sommes pas encore le 14 juillet et ce n'est pas un feu d'artifice pour commencer. Ni un âne bientôt, dans le rôle du maître de cérémonies, pas plus après des lapins ambigus. Cela ne ressemble à rien de bien défini- tant mieux- femmes de cuirs, animaux ou présences nip08pontspetite.jpgentre les deux, qui bougent comme dans un rêve, toujours éveillé, même souvent agité, avec ses surprises, ses petites angoisses et ses stridences, entendues et dansées. Des séquences d'abord tête basse et bras ballants, puis inquiètes et saccadées, ensuite qui se prolongent en duos monstrueux, courses et poursuites, en rondes endiablées, vers plus de fluidité. Dans cet exercice il y a bien des pieges, mais qui sont évités. La charpente ne se laisse pas deviner, et l'interdit n'est pas dit. L'important est qu'on ne se réveille jamais vraiment, plongé dans l'onirique. Ce n'est plus toujours de la danse et ni du théâtre, non plus. En tout cas d'un humour cru et d'une belle énergie. Pas loin du meilleur de ce qui se situe aux croisements flous d'un voyage halluciné qui dure, dure, de rencontres en rencontres. Les paysages défilent sur l'écran comme les transparences derrière les acteurs des films d'avant, avant qu'y soient proposés des échos du mouvement.

     C'était (la semaine dernière) Pont Courants de Laura Simi et Damiano Foa- Compagnie Silenda, dans le cadre du festival, "Nous n'irons pas à Avignon", à Gare au Théatre.

    Guy

    visuel: site Gare Au Théatre

  • Haïm Adri, une Danse à Entendre

    Ici la danse est méchante, décousue en apparences, c'est la musique qui fait tenir ensemble tous ses morceaux. Une musique si étonnante-aux couleurs si concrètes-, qu'on croirait pouvoir la toucher: grattements et grincements, roulements de tambour, confusion de papier-journaux froissés, glissando de contrebasse, discours inintelligibles et éructés, chants patriotiques jusqu'à l'insoutenable, claquettes et a-capella de rythm's & blues, claquement du mêtre-mesureur, rythmes folkloriques, gloussements et déglutitions qui dégénèrent en cris d'animaux.

    Cela pourrait être le sujet de la pièce: d'inévitables décadences qui détruisent individus et troupeau, jusqu'à une conclusion portée au paroxysme du pessimisme: fleurs foulées sans jamais avoir été offertes et ballons blancs que l'on fait éclater avant la fête, bouteilles vides projetées par une catapulte pour couvrir la scène de déchets: civilisation en phase finale. Il y beaucoup de talent dans cette froide entreprise de saccage. Une rare violence à l'oeuvre, impitoyable et clandestine. Auparavant l'existence du groupe aurait été de bien courte durée, du heurt des couples jusqu'à une communion de tous ensembles sur un mode folklorique grinçant, comme une codification des nevroses. Le lien reste tissé un instant, mais pour le pire peut-être, pour des hurlements patriotiques. Bien évidemment, la danse est tendue, dense et oppressante, comme des corps les expulsions de tics et pulsions opprimées, ou des exercices égocentriques jusqu'à la démence. Ici la noirceur se supporte, et plus encore, tant elle est intelligement dosée.

    C'était Fronts de Haïm Adri - compagnie Sisyphe Heureux, avec des sons de Benoit Gazzal.

    A Gare Au Théatre, encore dimanche avec le festival "Nous n'irons pas à Avignon".

    Guy

  • Faut-il brûler Pina Baush?

    Bien que sûr que non, on ne va pas la brûler, c'était juste pour faire un titre. N'empêche que depuis quelques jours des voix se font entendre,  ouvertement agacées, et c'est nouveau. En premier lieu Rosita Boisseau qui y va de son solo dans Le Monde pour dénoncer les répétitions et les complaisance d'un système. Mais si essoufflement il y a, c'est avant tout celui du Théâtre de la Ville, sclérosé dans un système auto-référentiel, présentant essentiellement les mêmes chorégraphes années après années. Discours officiel: on est bien obligé d'inviter toujours les mêmes puisque forcement ce sont les meilleurs. Et cela tombe bien, puisque que le simple fait de passer au Théâtre de la Ville finit par valoir brevet d'excellence aux yeux du petit milieu parisien. D'autant plus pour des dates réservées un an à l'avance et devant des spectateurs prêts à s'entre-tuer pour récupérer un billet, pour voir ce qu'il y a de meilleur puisque c'est complet. C.Q.F.D.. Mais c'est la 26 eme année consécutive ou à peu prés que la grande dame de Wuppertal- ou la grande prêtresse de la danse occidentale ?-ou la star de Solingen ?- se présente dans ce lieu. C'est assez long pour que s'émoussent bien des passions. Pour une époque infidèle, la déesse est restée trés longtemps sur le piedestal. Lassitudes et agacements semblent se liberer d'un coup et sans complaisance, à la mesure de l'admiration quasi groupiesque qui jusqu'alors prévalait.

    Si tout dans le jugement tient aux attentes, décues ou non, il y a en tout cas dans Bamboo Blues de quoi se laisser charmer, pour peu qu'on reçoive la pièce candide, désarmé. Voire, en ayant gardé une âme d'enfant. Ce carnet de voyage en Inde prend les couleurs chromo des anciens illustrés pour la jeunesse, ou d'une brochure de voyage un peu retro. Au commencement il y a le vent, fraiche invitation au voyage. Avant de faire place à des assaults de nonchalances et de féminités, auxquels on ne tarde pas à succomber. L'exotisme est bon enfant, dans les yeux et sourires de ce groupe de tigresses indolentes qui ne montrent pas les crocs. La déesse aux nombreux bras- est ce bien Khali? -semble pareillement inoffensive. Paix et amour: au premier rang on se voit invité à laisser filer entre ses doigts un ruban parfumé, à se laisser poser sur le front un point rouge. Danseurs et danseuses paradent en sari, un peu plus second degré mais tout autant policés que dans un défilé de mode. Les bandes musicales s'enchaînent comme entre deux escalators. Les duos, plus que les groupes, jouent ensuite les utopies de l'harmonie. Les rapprochements se concluent en jeux, en orgies de tissus colorés, glissades d'amour et démonstrations de sensualité, mais idéalisés pour une représentation tous publics. Ce qui se passe- ou devrait se passer- entre les hommes et les femmes à ce stade intéresse manifestement avant toutes choses la chorégraphe, on en oublie par longs moments le décor et le continent.

    Pourtant, quelques notes de violoncelle plus tard, on plonge dans la passion bollywood: robe rouge, courses aveugles, polyphonie de querelles. De manière toujours trop distanciée pour permettre à quoi que ce soit de violent de nous surprendre. Histoire quand même de faire actuel, les tableaux se permettent des oeillades vers la modernité: courses en roller, angoisses de la mondialisation, danse du télétravailleur.... Il semble même suggéré qu'on ne dépeint pas ici un paradis terrestre, et ce jusque dans ce qui concerne les rapports entre les sexes. Mais après un passage par des ablutions intemporelles, on en revient aux exactes répétition de séquences de la première partie....éternel recommencement de l'éternel féminin dans l'orient éternel? Les danseurs courent sans se heurter, sinon du regard, sur leur chemin nul obstacle. Même quand il y a exubérance et vivacité, les mouvements recherchent harmonies, évidences, et fluidités. Sans s'attarder dans des originalités trop ostensibles. Il plane plus de sérénité et de rêverie que de blues dans tout cela. Mais le tragique n'est pas une obligation. C'est même, trop souvent, une facilité. On aurait même tout autant aimé Bamboo Blues, et ses rêves de bonheur, si Pina Baush avait été une débutante.

    C'était Bamboo Blues, de Pina Bausch, au Théâtre de la Ville, jusqu'à mercredi encore.

    Guy