La Place Saint Michel est toujours au même endroit, et ce depuis pas mal de temps, déja à cet endroit même du temps où les téléphones
portables n'existaient pas. Alors, tout ce que la rive gauche comptait comme lycéens et étudiants devait s'accorder à l'avance sur des lieux de rendez-vous. C'était donc toujours à la sortie du métro Odéon, ou place Saint-Michel. Au choix. Ou on y traînait à tout hasard, pour rencontrer ceux qui avaient oublié de prendre rendez vous. Ou rencontrer celles à qui d'autres avaient posé là un lapin. Bien plus tard, en 2007, ce soir, la place Saint Michel est toujours là, froide, humide et fébrile comme un 31 décembre, et encore à jamais autant entourée. Mais plus de touristes que d'étudiants qu'avant peut-être, qui s'arrêtent quelques instant pour photographier à coups de téléphones la fontaine, les dragons qui ce soir ne crachent plus d'eau, la statue aux grandes ailes et à l'épée, alors même que Gyohei Zaitsu n'y est pas encore perché.
Ce soir on est pas là par hasard: on attend Gyohei Zaitsu, qui a e-mailé rendez vous. D'autres disséminés dans la foule l'attendent aussi mais dont beaucoup d'entre eux qui ne se connaissent pas. Juste discrètement rassemblés par des indices de jubilation anticipés. On reconnaît Maki derrière un arbre. Gyohei Zaitsu, enfin, se matérialise, non devant la fontaine, mais sur le trottoir (ouest) opposé. Comme échappé d'autre part. Maquillé de blanc et d'un filet de sang, avec le sourire béat d'être en liberté. Court vetu, jambes nues, manifestement venu d'un pays où il fait plus chaud les 31 décembre. Mine de rien, il danse. Tombe à terre, se tend, bondit, bras au ciel. Deux, trois allées-retours vers la statue, pour que tout l'espace soit conquis, l'étrangeté installée entre deux passage de bus. Faire démentir que dans la rue rien ne peut plus surprendre, ni un fou, ni un artiste. Gyohei danse et la place change. Peu à peu l'attroupement s'est formé, plus dense que justifierait une affluence ordinaire. Constitué par ceux qui étaient venu le voir, et parmi ceux qu'il prend par surprise, ceux qu'il arrive à retenir. En tout, déjà plus de publics qu'habituellement à Bertin Poiré. Le buto doit il pour de bon s'aventurer hors des caves, continuer à plus se montrer dans la rue? Deux touristes italiennes, jeunes et enthousiastes, le photographient. Sans doute jamais ne sauront elles qui il était. Un policier vient évaluer la situation d'un oeil blasé, deux dames agées sont captivées. Alors que Gyohei Zaitsu plonge dans les eaux mortes de la fontaine, elles spéculent sur la pneumonie qui le guette. S'interrogent sur la réalité du filet de sang. Surtout restent là, regarder. Un jeune homme sûrement venu exprès tente de convaincre avec de doctes explications sa compagne plutôt réservée qu'il y aurait un rapport entre Hiroshima et le buto.
Comme depuis 150 ans, l'archange sculpté par Francisque-Joseph Duret brandit son épée, toujours prête à s'abattre, figé pour l'éternité. Gyohei s'élance à sa rencontre, part à l'escalade du socle, toujours l'air d'un bienheureux, mais plus aventureux. Se balance d'une main, joue l'équilibre en danseur. Parvient en haut, soudain très grand, dressé avec superbe, pour un instant héroïque, suspendu entre ciel et terre, dans le rôle de l'idiot magnifique. Plus proche de l'esprit et de la pierre que Billy T. Jones de toutes les statues du Louvre. Se laisse retombe en quelques bonds, plus bas, dans l'eau glacée, toujours innocent, joyeux.
La place Saint Michel est toujours là, au même endroit, mais son souvenir transformé. Applaudissements, dans quelques heures, c'est le réveillon. Et après, de nouvelles résolutions.
Très bonne année à tous.
C'était Gyohei Zaitsu, place Saint Michel (Paris, V° arrondissement), à 17H le 31 décembre 2007.
1ere photo, en haut à gauche, avec l'aimable autorisation de Ralph Louzon , d'autres sont à voir ici
2nd photo, en bas à droite, avec l'aimable autorisation de Kaori Isogai.
P.S. du 15 mai: la suite à la République, c'est ici
la hanche battant la cadence avec tant d'élégance. On est-pire!- obligé de leur pardonner d'être intelligents. Pas de doute à ce sujet, à constater comme ils manient à coups de reins et sans sourciller un humour incisif et distancié. Les corps des deux s'exposent et triomphent de santé sur le mode de l'hédonisme, fonctionnels, performants, auto-centrés sous le prétexte d'une séance de remise en forme. Pour que le ridicule éclate avec une rare cocasserie. Le vrai faux duo réussit à être à la fois à être acteur et commentateur de la situation- et nous mêmes complices- lorsque que l'exposé évolue vers d'autres genres, du disco au contemporain. Réussit à se jouer avec finesse des codes de la représentation. Mais, sublimant la satire, les corps échappent aux normes et scénarii. Avec la charge sexuelle qui s'impose et se superpose à la vision des poses de salle de gym, exécutées avec une candeur feinte, impossible. Avec aussi une soudaine étrangeté, lorsque Nadine Fuchs à terre ne semble plus savoir que faire de ses interminables jambes. Avec une indéniable cruauté, lorsque Marco Delgado est graduellement transformé par sa partenaire en un patin animé. Une petite musique bat en arrière fond, sardonique, et l'habit fait le stéréotype, toujours rose-fille et bleu-garçon. En costumes, en vêtements de gym forcement moulants, voire nus sans être nus pourtant, c'est une performance hilarante, tout autant que le bel escamotage en conclusion. Il est permis, il est bienvenu, de produire du rire avec de la danse.
branché technologie. Et à l'entrée fait distribuer des I-Pods au public, c'est la grande affaire de la soirée. On abandonne au guichet sa pièce d'identité- on a failli écrire qu'on abandonne son identité- en échange du petit appareil blanc immaculé et avec si peu de touches. On a fort à faire à procéder au premiers essais écouteurs aux oreilles, et déja s'est ouvert avec la fosse d'orchestre un gouffre entre les spectateurs et la scène, pour ne jamais par la suite être comblé.
C'est entendu. Mais le poids de l'histoire culturelle se fait vite oublier. Une fois assis sur les marches pour regarder 
