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theatre - Page 2

  • Le général et le particulier

    A voir trop souvent de la danse, surtout des courtes pièces, je me suis peut-être déshabitué du théâtre caractérisé. Soudain voilà John & Mary- 2 heures 30 ininterrompu, du texte dense, dru. Le choc est rude. Le texte de Pascal Rambert est très « écrit », éloigné de l’évidence musicale et légère du début de l’A , avec des allures d’exercice de style bizarroïde. Le projet est-il de refonder la forme d’un drame antique postmoderne? On retrouve de nombreux personnages aux relations entremêlées, des dilemmes et conflits, un chœur antique, des allusions aux rois et aux dieux. Le thème de l’amour reste classique, celui de ses relations avec l’argent plus moderne. De l’auteur on retrouve les procédés de répétition, et un mélange déconcertant de trivial et d’emphase. C’est tout sauf clair, mais mon attention s’aiguise plutôt que se lasser. Je crois en comprendre les raisons, mais plus tard. Ce qui m’a troublé dans ce vocabulaire, c’est l’indéfinition, l’espace en confusion entre général et particulier. Pas de noms propres, et des termes génériques : l’amour, le mari, le frère, la sœur, la femme, l’étranger, l’argent, l’événement, partir, rester… Même le titre ne ment pas. John & Mary peuvent être n’importe qui. Je n’en finis pas d’essayer de me repérer dans cette irréalité.

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    Je comprends mieux maintenant la mise en scène, d'abord élégante avant que l’on sache qu’elle est intelligente. Une scénographie de larmes et d’eau: la surface liquide sur laquelle évoluent les acteurs, les miroirs en fond de scène brouillent les repères, du point particulier vers l’infini. Les costumes irréels semblent glacés et ténébreux, sans étoile et noir de bible. Les postures se figent en de pures figures, les acteurs dialoguent mais tous face à la scène, dans une géométrie glacée. Sans au début se toucher. Ils s’adressent les uns aux autres dans le texte, au monde entier dans le geste, comme par monologues alternés. Un personnage apparait en contraste, blanc comme un danseur de buto. Les mouvements sont progressivement autorisés entre eux, en une lente progression vers l’émotion, au millimètre. A cette sobriété en noir et blanc, le chœur à chaque acte fait diversion en couleur: deux filles aux formes juste voilées de bleu léger, narquoises et familières, cigarette au lèvres.  

    Et c’est surement réac d’avouer que cette élégance dans l’esthétique de la mise en scène me plait même avant que je n’y cherche une logique. Tant pis !

    C’était John & Mary de Pascal Rambert, m.e.s par Thomas Bouvet, encore quelques jours au Théâtre de Vanves.  

    photo avec l'aimable autorisation du Théatre de Vanves

  • Les forces de l'esprit

    Vraie – fausse conférence ou tours de passe-passe? Tout est ce soir joué, décontracté, mais tout est pourtant vrai. Laurent Bazin et ses complices nous ramènent image par image dans le Paris de 1870, alors que l’art de la photographie est jeune encore et que le spiritisme fait fureur. De là à croire que le « dégagement moléculaire » du « fluide » des médiums puisse faire une forte impression sur les plaques photographiques, et que s’y fixent les images fantomatiques de nos chers disparus…. Un certain Edouard Buguet excelle alors dans ces exercices d’apparitions-souvenirs, pour le grand réconfort des inconsolables. Mais que se passe-t-il vraiment dans sa chambre noire? On le saura à son procès…ou non.

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    On n’en croit pas ses yeux… pour autant les acteurs-performeurs-conférenciers nous dissuadent à raison de trop rire de la crédulité de nos aïeux. A chaque époque ses pièges à illusions. Notre ère du vertige numérique nous sature de nouvelles images, manipulations, hoax et théories de conspiration plus vite que nous apprenons à les décrypter. En pleine campagne électorale, c’est une leçon qui tombe à pic. Mais en politique comme au théâtre, nous venons avec un peu d’esprit critique mais surtout beaucoup l’envie de croire. Le spectacle a l’intelligence et la sensibilité de laisser la voie libre à l’onirisme, laisser les fantômes revenir par surprise. il y gagne profondeur et sens. Il y a plus ce soir que de la démystification. A force de danse, d’ombres et de lumières la magie revient par l’autre porte, pour prendre la place que nous décidons de lui laisser. Invités à participer aux expériences, nous rentrons dans l’image, l’imaginaire libéré de la superstition.

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    Enfant, je croyais dur comme fer aux monstres de Jason et les Argonautes. Bien des années plus tard je vois Ray Harryhausen sortir sur scène d’une petite valise ses créatures… le charme  reste intact pourtant. Les hasards de la vie professionnelle me font dans le même temps apprendre que près de 100 milliards de photos argentiques resteraient encore prisonnières dans nos boites à chaussures et nos greniers, pour être un jour peut-être numérisées….Si autant d’âmes et d’émotions sont captives dans ces images, il y a beaucoup de fantômes qui viendront encore nous surprendre.

    C’était Préface à la Venue des esprits, mis en scène par Laurent Bazin, encore ce jeudi à la Loge.

    Guy

    Images avec l'aimable autorisation de la compagnie

     

     

  • Hors les murs

    Est-il parfois à l’étroit entre 3 murs? Le spectacle s’évade alors en sortant dans les rues, en s’invitant dans les lieux publics, les appartements, pour retourner à la vie. Le rituel théâtral y est allégé au profit d’un rapport plus troublant entre artiste et spectateur, pour un coup de jeune et d’imprévu. Les limites entre représentation et réel deviennent floues. On assiste ainsi aux errances du fou dans la ville avec Goyhei Zaitsu, aux parcours dans la ville de performance en performance avec hors-lits.

    Ce soir on a trouvé le porche, tapé le digicode, sonné à la porte avec sous le bras une bouteille ou un plat. Dans l’appartement inconnu, l’une des pièces est devenue une salle, avec chaises et tabourets. On vient chercher l’amour. L’amour auquel les écrivains nous ont initiés tout autant que nos propres expériences. Mais ces livres sont devenus secs à force d’être restés fermés depuis; il faut à nouveau les enflammer. L’actrice Marie Delmares-qui est une amie- a pour celà en elle l'étincelle. Avec ses histoires d'amour elle redonne voix, vie et corps aux personnages de J.D Salinger, Albert Cohen, Marguerite Duras... ainsi qu’à ceux d'auteurs contemporains (telle la non moins amie et non moins talentueuse Géraldine Barbe). A fond sans hésitation... Tour à tour homme, femme, jeune, vieux, Marie devient médium, corps jeté en avant, ses yeux dans nos yeux, incarne les avatars du sentiment amoureux, toute la gamme de l’innocence à la rupture en passant par l’extase… et par des épisodes plus burlesques. Si vous voulez inviter Marie chez vous pour faire rêver vos amis, écrivez-lui de ma part.

    Marie n’est pas la seule à célébrer Belle du Seigneur: la suisse Aline Papin souvent devient Ariane dans son bain. Le temps de s’entasser à cinq ou six spectateurs dans la petite salle de bain d’un appartement sous les combles, et la tête d’Ariane émerge de l’eau tiède de la baignoire. Elle attend Solal, son amant, elle se raconte, nous sommes d’invisibles témoins. Le corps se cache pudique sous la mousse, parfois surgit un pied, mutin. Ses pensées se livrent intimes, délicieusement balancées entre audace gourmande et prude naïveté, et maintenant la volupté de soi et de l’attente. Aucun regard pour nous, elle est présente et inaccessible, entière avec Solal en ses parôles et pensées. Je pourrais tendre la main pour refaire couler un peu d’eau chaude, mais le quatrième mur est bien là, infranchissable. Dans une ambiance d’étuve et un parfum de mousse, on a très chaud bien sûr. Soudain le visage d’Ariane replonge dans l’eau du bain, elle disparait dans le livre, et nous de la salle de bain.

    Loin de la salle de bain, il y a des lieux qui ne ressemblent à rien: froide signalétique, portes battantes, linoléum, couloirs sans fin et couleur d’hôpital. C’est le soir et toute activité a déserté cet édifice public, en cet instant fade et inutile. La représentation à venir va-t-elle animer ce lieu d'une nouvelle fonction, de nouveaux enjeux? C’est Thibaud Croisy qui nous a invités là, après nous avoir fait pénétrer pour sa dernière création dans l’espace privé –mais devenu fictionnel- de son appartement. C’est donc- dans la continuité- un grand écart. En suivant le regard de Thibaud Croisy, impavide, jusqu’au bout d’une perspective sans fin, on devine à nouveau Sophie Demeyer à sa posture. Alors elle vient lente, elle hante… Et je resterai évasif quant à la suite, cette performance qui existe de part notre attention à de micros événements, à la qualité de présence de l’interprète mais à son inaccessibilité aussi, à sa rencontre possible de ses mouvement avec le texte que l’on entend aux suggestions sensuelles, aux échos de la proposition précédente. Peut-être s'agit-il, avec cette Soustraction du monde d'une expérience limite sur la représentation, un traité d’effacement.

    Et il y a une proposition dont je ne pourrai pas parler: Leila Gaudin dansant en appartement avec Mains d'Oeuvres... j’ai loupé le coche, une autre année peut-être.

    C’était Histoires d’amour texte de plusieurs écrivains interprétés par Marie Delmares vus dans un appartement, Ariane dans son bain texte d'Albert Cohen mis en scène par Denis Maillefer avec Aline Papin, vu dans un logement dans le cadre du festival Extra ball du centre culturel suisse, Soustraction du Monde de Thibaud Croisy avec Sophie Demeyer vu dans un lieu public parisien et programmé par le Studio Théâtre de Vitry.

    Guy

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    je pensais vierge mais en fait non de Thibaud Croisy

    Goyhei Zatsu rue Caulincourt

    hors-lits à Montreuil.

  • Tout sauf Robert

    Rediffusion dutexte du 8 janvier 2011: Robert Plankett revient au théatre de la ville jusqu'au 11 mai.


    Les accidents du deuil viennent surprendre les visages et les gestes des amis qui restent. Le disparu- Robert Plankett -ne décide pas à s’effacer tout à fait, et revient, tel un fantôme, débriefer posément son A.V.C. .  Les objets orphelins, dispersés, attendent leur vain partage entre les vivants, il y a surtout l’absence, tout cet espace vide sur le plateau, tel celui qui s’étend entre la densité inexpliquée des faits et le flou des sentiments.

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    L’improvisation est laissée grande ouverte dans le jeu des acteurs pour tenter de combler ce vide, sans peur de la liberté. C'est-à-dire avec des impasses et quelques faiblesses, aussi de vraies beautés. Surtout, cette narration volontairement éclatée est terriblement honnête avec le sujet, avec ces souvenirs en miettes et la réalité à recomposer, avec ce qui fait toute la vraie vie vite fait, loin des grands sentiments qui n’existent que dans les grands romans. Ce groupe que le deuil peine à rassembler a le besoin de parler même sans cohérence, juste pour tenter de comprendre, réinventer -c’est une belle scène- sur un corps métaphorique et émouvant une carte du tendre, se disputer, pleurer et rire un peu, résilier les abonnements pour cause de décès, finir ensemble le poulet, s’interroger sans possibilité de réponses sur Dieu et la migration des saumons. Tout les petits rien qui,littéralement, crèvent l’écran.

    C'était Robert Plankett, par le collectif La Vie Brève, m.e.s. de Jeanne Candel, au Théatre de la Cité Internationale jusqu'au 29 janvier, puis au théatre de Vanves les 4 et 5 février.

    Guy

    photo de Charlotte Corman avec l'aimable autorisation du T.C.I.

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  • Tombée en enfance

    La Confusion, pièce de Marie Nimier mise en scène par Karelle Prugnaud, au Théatre du Rond Point jusqu'au 7 avril.

    C’est l’histoire d’une femme, mais dont l’identité se brouille, dont la voix se module, d’une jeune fille, d’une vieille femme. Qui parle à son chien crevé dans un appartement reclu où s’accumulent des souvenirs piégés dans les objets du quotidien: le fer à repasser, la tringle à rideaux, la machine à laver. Une enfant qui ressasse ces souvenirs d’une vieille voix mais qui retombe en enfance, une vieille fillette manga aux cheveux bleus noyée dans un cimetière de peluches.

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    L'actrice- Hélène Patarot- joue à nous perdre. On est pris dans ce trouble, dans cette confusion. Il est question d’elle-Sandra- et de son compagnon Simon, de jeux d’enfant, de jeux d’inceste, d’enjeux lourds et déçus. Il est question de tout cela, et d’une maison disparue. Puis volent les peluches, et les lambeaux de l’enfance comme des feuilles mortes, le temps d’un autre trouble. A la mise en scène, Karelle Prugnaud a le sens du cérémonial, de l’inquiétant et de l’inattendu. Tout au long les trouvailles visuelles fusent, denses comme rarement, oniriques, s’accumulent. Ceci force la beauté de la pièce, peut-être aussi la limite. L’histoire en est floue, les mots de Marie Nimier émergent comme des piques. Dans des cages, les mannequins immobiles se transforment en loups ou en hommes, et quand les masques commencent à tomber, en personnages indéfinis qui lui ressemblent et en musiciens qui jouent punk.

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    Les rôles flottent. Au premier plan le solo s’invite en duo, par la visite- rêvée ? -de Simon l’ami, l’amant, de l’amour d’enfance. Les rites et souvenirs se rejouent une fois de plus encore entre eux deux comme la répétition infinie d’un vieux jeu. Mais l’heure tourne comme le tambour de la machine à laver, comme le temps qui décaperait sans pitié corps, illusions, masques et vieux vêtements pour ne laisser survivre que la vérité nue. C'est beau et fort, peut-être en manque d'économie.

    C'était La Confusion, pièce de Marie Nimier mise en scène par Karelle Prugnaud, au Théatre du  Rond Point jusqu'au 7 avril.

    Guy

    photo par Giovanni Cittadini Cesi avec l'aimable autorisation du théâtre du rond point

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  • La caravane passe

    Dommage que je ne puisse pas découvrir les Chiens de Navarre avec cette pièce-Nous avons les machines- ,j’ai déjà vécu le choc d’ une Raclette, et de l’Autruche … Arrivé vierge, je ressortirais sans doute enthousiaste. De ce théâtre drôle et iconoclaste, débridé et créatif, qui dynamite ses propres limites. Mais voila, ayant vu les deux autres pièces, j’ai le sentiment de retrouver ce soir un peu trop vite mes repères. Voire de regretter des redites. Sans déflorer ce que l’on voit dans la pièce, j’y vois beaucoup de similitudes- d’approche et de structures- par rapport aux deux précédentes: à comment par l’accueil hors codes du public par les performeurs, une mise hors situation. Puis, à nouveau, la représentation satirique d’un débat joué autour d’une table mais tranché net par des happenings absurdes. La répétition de cette scène, déclinée dans d’autres conditions. L’épuisement progressif de l’énergie du jeu. Une conclusion costumée et portes ouvertes sur le dehors, là où le théâtre s’arrête, ou rejoint la vie. S’expriment toujours ici de la férocité, de l’obscénité et du grotesque, des débordements. Une dynamique qui nous permet de jeter un regard décalé, surpris, acide, non seulement sur des faits sociaux, mais sur la manière même dont le théâtre contemporain en rend compte. Mais ce soir tout cela me semble un ton en dessous, assagi, et un peu prévisible dans les rôles adoptés par les acteurs respectifs. Dans la répétition de la méthode, l’audace se dilue, plutôt s’use. Je ne suis pas déstabilisé. Sans vouloir ouvrir de compétition, je vois ce soir moins de prise de risque et de distance par rapport aux conventions de la scène, qu’en une heure de Laetitia Dosch….

    Pourquoi alors en rendre compte, alors que j’éprouve en général de moins en moins d‘intérêt à écrire sur ce qui m’a laissé tiède ? Parce que je lis tant de réactions si sérieusement enthousiastes, d’exégèses très développées  de cette pièce, où la moindre plaisanterie ou effet visuel donne lieu à des lignes d’interprétation, que je m’en étonne!

    Tout de même… presque résigné ne  passer qu’un bon moment, je dois attendre les dernières vingt minutes pour  voir ce que j’attendais vraiment: justement quelque chose que je n’attendais pas du tout. Un moment où les personnages trop familiers se taisent et disparaissent, et les codes visuels se télescopent dans l’ambigüité: poncifs réjouissants du cinéma gore populaire… et du théâtre visuel. On ne sait s’il s’agit d’une charge ou d’un hommage aux tendances les plus physiques et sanguinolentes du théatre contemporain, c’est cette indétermination qui rend ce moment fort et subversif. Rendez-moi les chiens, j’en ai besoin !  

    C’était Nous avons les machines des chiens de navarre , mis en scène par Jean Christophe Meurisse vu au théâtre de Vanves dans le cadre d’Artdanthé.

    Guy

    Lire aussi les réactions de Mari Mai Corbel , Mélanie Chéreau

    Et à propos de la Raclette,  et de l’autruche

  • Les cinq premières minutes

    C’est la fin d’un monde… ou la fin des études.

    Dans un cas ou dans l’autre, une mutation, vers autre chose? Que faire des cinq dernières minutes? Se jeter dans un défi, rechercher ses limites? Accomplir un acte de foi ou de désespoir, d’amour, de solidarité... voire de rigolade? Ce soir, les jeunes circassiens de la 23° promotion du Centre National des Arts du Cirque proposent leurs réponses en spectacle. En paroles, et en se donnant à voir chacun dans l’exercice de son art: corde, mat, tremplin, acrobaties au sol….  C’est une contrainte lourde à respecter pour le metteur en scène David Bobée (lui juste d’une dizaine d’année moins jeune que les interprètes), de lier tous ces « numéros » autour du thème central. Musique omniprésente, belles lumières, scénographie étudiée: il fait le choix clair de la théâtralité. Quitte à s’approcher- il me semble- de la surcharge sentimentale dans le spectaculaire.


     

    Il réussit pourtant à révéler par mots et gestes une part de la personnalité de chaque interprète, de leur vérité. Je ressens toujours de l'émerveillement devant les prouesses. Mais m’intéresserais-je vraiment aux évolutions de cette jeune femme sur cette corde verticale, si je n’avais prêté avant attention aux doutes qu'elle dit à l’heure du saut vers l’inconnu, à sa fragilité? Elle s’élève, tente d’échapper à la pesanteur, à cette fatalité, glisse tout le long comme s’étant abandonnée, laisse deviner que la chute pourrait être désirée. Le risque prend un autre sens. Apprécierais- je l’énergie et la jovialité de ces deux acrobates au sol, l’un bavard, l’autre sourd-muet, s’ils n’avaient d’abord manifesté d’un geste éloquent que la fin du monde, ils n’en ont vraiment rien à taper! Une autre jeune femme éperdue demande à haute voix: «si j’étais la dernière femme et tu étais le dernier homme, que me ferais tu maintenant ?». Avant de s’envoyer ensemble en l’air, sur le tremplin. Les artistes viennent des quatre coins d’un monde, qui comme le plateau semble tourner trop vite, les projette au bord du déséquilibre. Le temps, inversé et angoissé, passe en compte à rebours, avant une possible catastrophe, qui mettrait tout sans dessus-dessous. Ce plateau ressemble aux pièces d’un appartement, lieu de vie sans cesse bouleversé mais qui permet à tous de se réunir pour dessiner en collectif le portrait d’une jeunesse inquiète et fragmentée, avec ses rencontres, ses foules sentimentales et ses solitudes: des amis autour d’une table, un couple qui s’enlace, se dispute… Sur cette planète Mélancolie, l’avenir est leur mais tout à inventer.   

     

    Même sujet, mis en scène à l’opposé. Michel Schweitzer, 53 ans, donne le plateau et la parole à des jeunes amateurs autour de 18 ans, dans leurs derniers temps du passage de l’adolescence à l’âge de jeune adulte. Schweitzer assisté d’un comparse et D.J., se place dans la posture d’un animateur bienveillant et paternaliste. Pour aussitôt mettre en scène l’ambigüité manipulatoire de sa propre position. Il propose aux interprètes de structurer leur spectacle autour d’un abécédaire rédigé par un philosophe. L’un des jeunes refuse aussitôt ce cadre imposé, préfère donner la priorité à ce que lui suggèrent ses propres intuitions, même confuses. Ce qui suit prend dés lors l’apparence d’une prise de pouvoir improvisé, d’un  dialogue en forme de rapport de force permanent entre les générations pour la maîtrise de l’expression. Sur deux pendules les minutes s’écoulent  à des vitesses différentes, suggérant un fossé qui se creuse. Au prix de longueurs et de fluctuations de notre attention, sur scène tout semble possible.

    Le groupe, avant toute véritable prise de parole, préfère chercher énergie et cohésion dans un temps de danse techno, se rassemble en une grappe dense et hédoniste, quitte à laisser le public de coté. La scène est foutraque, lumières allumées dans la salle, conventions spectaculaires refusées. Les jeunes tiennent l’espace du plateau par le nombre, le dj propose et négocie, Michel Schweitzer garde le contrôle des écrans pour délivrer suggestions et messages. Les jeunes s’expriment quant à leurs préoccupations, alternent sujets pratiques et existentiels, abordent questions sentimentales et sexuelles avec un mélange de franchise et de pudeur. De l’effronterie et de l’inquiétude, un maintenant crâneur et des lendemains incertains. La prise de parole est collective, bousculée, en jeu de ping-pong, sans complaisance, souvent sur un mode de dérision. Les antagonismes et manifestations d’incompréhension s’expriment tout autant entre eux qu’avec les vieux. Ils se rassemblent par la musique, la danse et la chanson, mettant en pratique les « talents particuliers » pour lesquels ils ont été sélectionnés. Par transitions en demi-teinte, l’effet Starac’ est évité. Leurs performances sont encore jeunes, mais émouvantes dans ce contexte, par ce qu’elles disent de leur devenir. Leur prise de risque trouve son écho dans les discussions, et l’urgence qu’ils expriment de trouver leurs les limites. Cette proposition surprenante s’achève par l’expression du dilemme qui résume leur difficulté à être au monde: le choix entre un cynisme prématuré, et un enthousiasme idéaliste. Je suis alors interpellé par la posture de Miche Schweitzer, plus proche de ma génération, qui feint alors un attendrissement détaché l’impuissance à se souvenir de sa propre jeunesse.

    C’était This is the End, spectacle de fin d’études des élèves de la 23° promotion du Centre National des arts du Cirque, mis en scène par David Bobée jusqu’au  12 février à l’espace chapiteaux de la Villette


    Et Fauves mis en scène par Michel Schweitzer au théâtre de la cité internationale jusqu’au 31 janvier dans le cadre de Faits d’Hiver.

    Guy

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    à propos de David Bobée

    A propos de cirque

  • 5 fois Hamlet

    Que faire d’Hamlet, encore, un soir de plus ? Saisir l'occasion pour « exploser Shakespeare » selon la promesse faite par le festival. Éclater la narration selon les visions de cinq metteurs en scène, soit un par acte. C’est pour une fois une vraie bonne idée, de montrer cinq visages de la folie, la forme rejoint le fond, l'instabilité et ce vertige qui entraine jusqu'au bout les personnages. S’il y a un fil rouge ce soir, c’est celui de la démence. Mais dans une confusion qui me libère, de  l’univoque. Comme un spectateur qui pourrait diviser pour régner. La dynamique de la pièce échappe à chacun des metteurs en scène, aux 26 acteurs qui permutent, pour proposer des perspectives, qui les dépassent, plus riches. Pas de temps faible en cinq mouvements, L’effet de lassitude est évité, on connait assez le texte pour jouir sans s’y perdre, au travers des ruptures de ton, cassures de rythmes, chocs des esthétiques…

     

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    Le Premier Acte nous plonge dans un cauchemar distancié, souligné d’ombres et lumières rouges, une ambiance surnaturelle alourdie par une bande son d’épouvante. L'impression est aussi froide et graphique que du bob Wilson. Les silhouettes alignées sont stylisées à l’essentiel. Le fantôme du père assassiné écrase Hamlet de l’obligation de le venger, aussi lourde qu’une malédiction, laisse tomber une chape de plomb. Cohérent.

    L’Acte Deux, lorsqu’Hamlet simule la folie, se joue au paradoxe plus proche et direct. Le jeu turbulent et hurlé, le texte mis en pièce, l’accompagnement rock’ roll, l’humour bouffon, les acteurs travestis et une scénographie abrupte et aussi bricolée que celles de Gwenaël Morin. Une transition, une évasion, une respiration?

    L’Acte Trois, au cœur de l’histoire, me replonge pour de bon dans le tragique, sous une lumière accablante. La pièce de la troupe ambulante se joue dans la pièce, accusatrice et démonstrative. Hamlet assassine  Polonius. Hamlet est il gagné pour de bon par la folie? Incarnation de la terrible dictature de la vertu, avec la violence pour corolaire, au mépris de l’amour. Le sang coule pour tous.

    L’ Acte Quatre a peut-être ma préférence. Il se nomme Ophelie, m’entraine à nouveau dans un rêve onirique , une ambiance verdâtre, au son des cris d’Ophélie  et de son double blanc, fantomatique qui erre poursuivie par le projecteur. Jusqu’au suicide, la vie est impossible.

    L’Acte Cinq, malgré la physicalité du duel et la féminisation d’Hamlet, me semble marqué d’apaisement résigné, d’un retour à la normalité. L'empathie redevient possible. La drame va vers sa résolution après tant d’excès. Sur le plateau la terre renversée figure le cimetière, son odeur nous gagne. Tout est dit, le monologue aussi, déjà mort. Le reste est silence evidemment.

    C’était Hamlet, de Shakespeare, par la compagnie Estarre, mis en scéne (dans l’ordre) par Stéphane Auvray-Nauroy, Vincent Brunol, Sophie Mourousi, Michèle Harfaut, Eram Sobhani, au théatre de l’étoile du nord dans le cadre  de « A court de forme explose Shakespeare » jusqu’au 14 janvier.

    Guy

    photo avec l'aimable autorisation de la compagnie

  • So sad about us

    Pourquoi est-ce si triste? Avec le champagne- quelques larmes- à l’entracte, tant d’émotions éparses, comme des lambeaux de brume sortis de la machine à fumée. Un collage de textes et d’images, comme sur un placard d’affiches jaunies et déchirées d’où des éclats vifs se détacheraient. Yves Noël Genod cette fois s’efface, laisse fuir le théâtre de peur qu’il ne se sauve, ouvre les fenêtres sur cet après midi d'hiver pour laisser passer air et lumière de l’extérieur. Nos portables laissés allumés dans cette salle de répétition-plutôt qu’un lieu attendu pour une représentation. Le théâtre revient par les portes, en souvenirs, incarné en ces corps dans un espace scénique indéfini, mais on dirait des fantômes, sinon des survivants. La grâce d’un enfant aux cheveux verts, l’effronterie d’un adolescent. Deux femmes pour bouffonneries  ou charme. Les vaines exhortations  au public d’un vieil acteur au public, comme un baroud d’honneur. Sous les auspices d’Emily Dickinson, des textes poétiques et des corps qui se refusent, des jeux et poursuites  aux répliques de boulevard sauvées de l’amnésie. Ils saluent en plein milieu de la piece, comme pour déja disparaitre. Celeste Alberet raconte les derniers jours de Proust, le mot « Fin » posé sur son œuvre, et cette mélancolie ressemble à celle où nous plongerait la mort du théâtre.

    C'était Je Peux d'Yves Noël Genod au théatre de la cité internationale.

    Je Peux (la pratique) est suivi de Oui (la théorie) encore ce dimanche à 14H30 pour la dernière au T.C.I.

    Guy

  • Jeux dangereux

    C’est une tradition de théâtre bien ancrée, que de jouer avec les échanges de rôles entre maitres et valets, les faux semblants, des écarts étourdissants entre apparences et motivations des personnages, quiproquos et renversements de situation…. Mais dans cette intrigue éclairée à la bougie, Marivaux pousse ce principe jusqu’à un rare niveau de sophistication. Surtout de cruauté. Tentons de résumer l’argument de l’épreuve: le riche-et si trouble- Lucidor tire toutes les ficelles de la pièce pour éprouver Angélique, sa bien-aimée. Il manipule avec force billets de faux et vrais soupirants afin de savoir si la jeune femme va leur résister ou non, sans se déclarer lui-même, quitte à la désespérer. La société ici représentée est moralement désespérante, l’argent mène le jeu de l’amour jusqu’à le vider de sa substance avec/malgré tout le brillant de la langue, chaque personnage agit et parle à rebours de ses propres sentiments, jusqu’à l’intolérable et la perte de soit. Il faut donc beaucoup d’habileté à la mise en scène, aux comédiens pour nous en faire rire, malgré tout. Par le rythme, ils y parviennent. Par une mise en abyme très perverse, les masques des acteurs de cette pièce dans la pièce finissent par leur coller autant à la peau que dans la pièce suivante: les acteurs de bonne foi (celle-là tout à fait irracontable).

     

    marivaux,atalante


    Il est d’autant plus réjouissant de découvrir, à la fin de l’épreuve, l’ingénue se rebeller, délicieusement physique, envoyer tout balancer dans le décor, et siffler la fin du jeu, quitter le rôle de victime. Le corps reprend alors ses droits, fait danser Marivaux. C’est un beau moment de pure vérité, le corps ment moins que les mots.

    C’était L’Épreuve de Marivaux, mise en scène par Agathe Alexis, avec Robert Bouvier, Marie Delmarès, Nathalie Jeannet, Guillaume Marquet, Franck Michaux, Maria Verdi, suivi de Les Acteurs de bonne foi (Mise en scène - Robert Bouvier)

    A l’Atalante jusqu’au 29 décembre.

    photo de Fabien Queloz avec l'aimable autorisation de la compagnie