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Theatre - Page 2

  • Ni ancien ni moderne

    On aimerait pouvoir un jour en finir, avec l'éternelle querelle des anciens et des modernes. Ne plus lire dans le journal que c'est Shakespeare qu'on assassine, ou voir des metteurs en scène écrire leur nom en plus gros que celui de Molière. La proposition de Damien Chardonnet-Darmaillacq redonne de l'espoir. Le texte d''Andromaque de Racine est respecté, les alexandrins-implacables- avançant sur tous leurs pieds : c'est un signe de respect envers le spectateur contemporain, supposé assez curieux et intelligent pour l'entendre tel quel. Pour autant le metteur en scène relit la pièce à la l'aune de préoccupations contemporaines. Ne pas le faire serait utopique, sauf à ce que les spectateurs viennent assister au spectacle en perruque. La pièce est une séquelle, située après la guerre de Troie, les personnages n'en sont pas les héros mais leurs héritiers. Le temps est celui d'un après, chacun confronté aux écrasantes responsabilités du pouvoir, aux choix. Les logiques amoureuses cèdent le pas au politique. Dans cette guerre froide aux décors durs et métalliques, chaque personnage-Andromaque, Pyrrhus, Hermione, Oreste- est associé à une cité. Dictées par ces logiques de diplomatie sentimentale, les alliances se renversent, engagements reniés, et les corps jaloux, passionnés, se jaugent et s'attirent sans réussir à se toucher. La tension monte ainsi sans jamais se résoudre, exacerbée par les jeux de lumière, de son, de vidéo. Les erreurs ne seront pas réparées. Que pouvons-nous faire de la paix qui nous a été léguée ?

    Andromaque, de Racine, mis en scène, par Damien Chardonnet-Darmaillacq, vu au théâtre de la cité internationale, le 5 février 2018

    Guy

  • Un banquet

    Ce serait comme l'un de ces repas de famille élargi à l'occasion par exemple d'un mariage, ou celui de la fête annuelle au bureau, ou le repas d'une association, du quartier... Autrefois, on disait un banquet. Il y aurait les gens que l'on connait, ceux que l'on ne connait que de vue, et ceux que l'on connait pas du tout. Ce soir dans la salle de la Loge on s'attable, spectateurs et acteurs. On se passe les plats, c'est une première occasion pour que les langues se délient, dans une réserve bienveillante, polie. Dans tous ces repas, il y a ceux qui restent discrets, et ceux-toujours les mêmes- qui à voix haute prennent la parole. Ici les acteurs. Comme il se doit, ceux-ci portent des toasts, mais qui glissent peu à peu du domaine des remerciements et banalités à des matières plus étranges, plus intimes. Peu importe le sujet- mais peut-être n'il y a-t'il ici un seul sujet possible: le rapport de soi aux autres, à la société- ce qui est immédiatement troublant est la manière dont nous recevons ces paroles dans un entre-deux entre fiction et vérité. Le décalage crée une qualité particulière. Une communauté de plein pied s'est créé ipso facto autour de cette grande table, en confiance et empathie, et ce que nous entendons de la bouche de ces filles et garçons prend valeur de confidences, de témoignages authentiques, de choses vues et entendues. Ainsi ce premier récit- mais trop construit pour être vrai- qui porte justement sur la perte du langage. C'est qu'il s'agit ici surtout de dérèglements, de lassitudes sociales, d'inaptitudes à s'adapter à un contexte professionnel, de tentatives de reprise du contrôle par le sabotage. De ces constats, dits avec une amère drôlerie, passe-t-on à la construction d'une utopie? Et les spectateurs peuvent-il participer à celle ci? Des pauses nous sont réservées, pour savourer les plats, pour discuter. Ce qui déjà est inhabituel et intéressant. Ma voisine de gauche est une professionnelle de la programmation, elle garde-je crois- une distance analytique. Ma voisine de droite (sans doute de gauche, sans doute dans la vie une actrice) réagit et s'indigne, semble parfois au bord d'intervenir. Une chose est sure: nous ne nous ne levons pas à l'invitation d'un des orateurs de nous approprier les marchandises de la supérette d'à coté. L'expérience-même singulière, même politique- reste une expérience théâtrale.

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    C'était Petits effondrements du monde libre- repas utopique, écrit et mis en scène par Guillaume Lambert, vu à la Loge le 10 janvier. Jusqu'au 18 janvier

    Guy

    photo- GD

  • La rave est finie

    Fascination et malaise... C'est au moment où nous est furieusement décrit le portait d'un nouvel américain moyen, sous pression économique dans une entreprise de la nouvelle économie, drogué à la soif de réussite et de reconnaissance sur les réseaux sociaux, frustré, au bord de craquer et d'aller faire un carton sur la foule à l'arme automatique, qu'éclate la tragique actualité du texte de William T. Vollmann.

    On ne subit pas ici, comme souvent sur nos scènes, un florilège de poncifs anticapitalistes primaires. L'adaptation de Thierry Jolivet est construite, bien construite: une démonstration à charge d'un seul souffle, fresque accusatrice des U.S.A. modernes en dictature numérique et consumériste, toutes structures mises à mal par la compétition, la violence et l'individualisme.

    On pense au théâtre politique de Brecht, à un opéra de 4 US$ actualisé, avec les mêmes plongées dans les bas fonds, la musique d'un groupe rock sur scène à la place de celle de Kurt Weill. Ou à Angels in America de Tony Kuschner, dans ses perspectives religieuses et historiques. L'Amérique ici est double. Incarnée par deux frères, John et Tyler tels Caïn et Abel. Le décor mobile ne cesse de se retourner pour montrer les deux faces d'une même pièce: d'un coté l'image de la réussite clinquante comme dans un casino, lisse et design, virtuelle comme les flux financiers et les images de mode ou autres photos people, de l'autre son revers de misère: rues hyper-réalistes et chambres sordides peuplées de drogués et prostitués. Mais des deux cotés de ce même système à l'œuvre la même violence, la même exploitation sociale et sexuelle. Viols, bagarres, meurtres... sont représentés ici avec crudité, sans gratuité. Les démonstrations de violence verbale ne sont pas les moins saisissantes. 

    Alimenté par les ambitions du sujet, ce torrent théâtral et immersif déferle durant presque 4 heures. Donc c'est long. Excessif, hystérique, bavard, halluciné, ivre, obscur parfois... mais fort, en cohérence avec l'œuvre. Et les moyens de mise en scène, avec les changements de perspective, les ponctuations du groupe rock, l'engagement des acteurs, la tension des lumières... maintiennent un haut niveau d'énergie et préviennent notre attention de trop se disperser. Au cœur de cette tempête, pourtant, d'inattendues accalmies de poésie et de tendresse.

     

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    La Famille royale, d’après William T. Vollmann mis en scène par Thierry Jolivet, vu au théâtre de la cité internationale le 5 octobre 2017.
    Jusqu'au 10 octobre
     
    Guy
     
    photo d'Anne Sophie Grac avec l'aimable autorisation du théâtre
  • Pas froid aux yeux

    Tirée à quatre épingles, on lui donnerait le bon Dieu sans confession... avant qu'elle ne déchaine toute la force de ce monologue frénétique et sacrilège, à classer triple X. L'affaire a commencé en douceur. Le phrasé de Stéphanie Aflalo est millimétré. Fausses hésitations et silences calculés qui sèment le trouble, petites ambiguïtés, légers abandons. Il faut cela: le texte de Georges Bataille est à contenir avant de le libérer, un torrent à canaliser pour en garder tout le débit. Et il arrivera un beau moment où la comédienne se laissera de tout son corps chavirer, portée par la violence érotique ainsi libérée. Maitrise de la distance dans le jeu, ce sera drôle aussi: tout le joyeux et le grotesque de ce récit obscène, et donc aveuglant, est mis à nu, par les excès mêmes de ses transgressions. Stefanie Aflalo remet du beau désordre dans Bataille.
     

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    Histoire de l'œil d'après Georges Bataille par Stéphanie Aflalo, vu à la Loge le vendredi 19 mai 2017.
     
    Guy
     
    photo (droits réservés) avec l'aimable autorisation de la Loge
  • Dissociée

    Elle est là, sans vouloir, sans pouvoir y être. Ce soir le personnage féminin, de retour dans une maison de son passé, est en fuite, dissocié, lesté par des secrets douloureux qui ne seront pas révélés. Ses lèvres semblent suivre une voix off, comme pour se faire l'écho d'une intériorité à vif qui ne peut s'incarner ici ni communiquer avec les autres. Avec rigueur et cohérence, la mise en scène est sans pitié, le jeu engagé, le texte tranchant et blême. Les décors de banlieue grise me piègent dans une impression de réalité poisseuse, images d'une vie triste figée dans un passé à l'arrêt. Tempête, accident, rupture. Le récit bascule. Nous nous échappons avec elle vers vers la possibilité d'un ailleurs, une remise à zéro, une autre réalité. Dans un no man's land nocturne, la sensation fugace de la présence de l'océan, de la liberté. La pièce reste douloureuse et ouverte, sans résolution quant à la réconciliation entre l'esprit et le corps blessés, à nu.
     

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    Anticorps, adapté et mise en scène par Maxime Contrepois, d'après Dina de Magali Mougel, vu au Colombier le 25 janvier.
    jusqu'au 29 janvier.
     
     Guy
     
    Photo de Nocolas Joubert avec l'aimable autorisation de la compagnie
  • Après la sidération

    L'état de suspension entre le désir et sa réalisation, l'impossibilité d'agir, voila où errent ces 3 sœurs, lointaines héritières de celles de Tchekhov. Parviendront-elles à s'accorder sur le devenir de la maison bretonne dont elles héritent, pourront-elles construire quelque chose sur ses ruines? Du psychologique, le sujet s'étend au politique. Au prologue, les 3 femmes se voient chacune assigner en monologue un point de vue à incarner, une attitude, face à la vie. Le procédé est classique, mais ici asséné radicalement. Les personnages et situations peinent ensuite à prendre vie, à échapper au piège de la dialectique, malgré le feu du jeu d'acteur, en un contraste bizarre avec un beau décor de ruines très construit et si réaliste. Mon attention peine à résister à un texte roboratif avec d'étranges embardées vers le drame familial. Ou suis-je rétif par principe à ces variations noires sur l'agonie des utopies, préférant croire aux minutes de danses qui peuvent sauver le monde? Je goute pourtant ensuite à une heureuse surprise: voir la pièce se saborder elle-même par des crises de folie, des brusques et brillantes saillies d'humour qui la rendent plus attachante, le texte moins prévisible. Et je pars sur une bonne impression, celles des dernières minutes, quand tout est sauvé par une belle litanie des envies. un feu d'artifice des désirs en une scène libératrice. Cette année allons voter.
     

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    Sidérées, écrit par Antonin Fadinard, mis en scène par Lena Paugam, vu au théâtre de Gennevilliers le 20 janvier.
     
    Guy
     
    Photo de Christian Berthelot
  • Faut-il brûler Edmonde?

    Pas de mystères: la pièce de Christine Armanger est assez chargée d'images fortes, assez subtile et intelligente dans sa construction pour fâcher tout le monde. Des cathos chatouilleux qui apprécieront modérément de se faire accueillir par Ève maniant l'encensoir, aux anticléricaux militants qui lui reprocheront de ne pas clairement bouffer du curé, et trouveront suspect qu'elle connaisse son missel jusqu'au bout des doigts. Ou certains, par miracle, plutôt que de faire la queue pour en lapider l'auteur, recevront la pièce sans y plaquer leurs attentes et là où elle peut les mener: vers des territoires qui dérangent, et de libres interprétations.
     

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    Cette vie des martyrs à rebrousse poils déroute, sa construction à double niveau n'y est pas pour rien. Un étage pédagogique vidéo, animé sur un ton badin mais avec érudition, pour instruire sur la vie des saints. Et une évocation en direct par l’interprète, sensible, plastique et charnelle, des tourments de Saint Sébastien, Sainte Agathe, sainte Lucie... D'un coté un humour féroce et isolent, de la distanciation, de l'autre la fusion entre le sacré et l'érotisme. Sur scène s'incarne en extases ou souffrances le corps de Christine Armanger. Sur l'écran, son avatar virtuel- Edmonde Gogotte- déroule des tutoriels You Tube d'imitation des martyrs en Do-It-Yourself. L'une est sainte... mais l'autre ne l'est pas moins. Là, précisément, s'articule la pièce. En faisant dialoguer, en réponses aux mêmes aspirations à la transcendance, les figures passées de la tradition chrétienne, et les nouvelles idoles virtuelles pour qui les like tiennent lieu d'adoration. Nos doubles imaginaires d'hier et d'aujourd'hui. Avec une égale acuité et cruauté: en explorant chez les figures d'hier les ambiguïtés entre douleur et extase, le sort réservé au corps des femmes... En montrant aujourd'hui le martyr numérique subi par l'avatar, d'autant plus injurié et "bashé" dès qu'il dérange qu'il a été porté aux nues auparavant. C'est le sort virtuel que dans la pièce subit Edmonde. J'ose une prière pour que l'œuvre de Christine Armanger soit mieux reçue malgré sa radicalité.
     

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    Edmonde et autres saint(e)s - partie 1, de Christine Armanger, vu le 22 septembre à Micadanses dans le cadre de Bien faits!.
     
    Guy
     
    photos de Salim Santa Lucia avec l'aimable autorisation de la compagnie Louve

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  • A la folie

    Il y a ici une qualité rare: la lisibilité. Sensible, dans le voisinage paradoxal du foisonnement, de la complexité. Wajdi Mouawad creuse à la source de la tragédie relit l'Iliade, et Sophocle. Avant que le verbe soit, un homme et chien aboie, animal de rage et de douleur. La parole peut il le libérer de la folie? Peut-elle réparer les déracinements, les humiliations et les injustices, telles celles faites à Ajax? Les médias, en quatre déclinaisons parodiques, commentent en bruit de fond ce cabaret poétique, mais c'est à nous d'en tirer le sens. Interrogés par la voix insolente et libre de cet exilé du Liban, de la France et du Québec, par des images grotesques et épiques, sur l'identité qui doute, sur les retours au pays, de Thèbes à l'Algérie. 
     

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    Ajax Cabaret de Wajdi Mouawad au théâtre de Chaillot le 27 mai 2016.
     
    Guy
     
    Photo de Pascal Gely avec l'aimable autorisation du Théâtre de Chaillot
  • Trouble à l'usine

    Cécile Volange travaille à la chaine, Madame Merteuil dirige l'usine. "Je suis une force de travail", dit l'ouvrière... Dans une pièce "politique", les personnages se reduisent-ils que des concepts distanciés? Par leur voix le texte pose lourds les enjeux, texte cadencé comme le bruit lancinant de la chaine de montage de Volange, texte martelé en redites. Mais les mots imposés d'ailleurs se perdent, restent les corps dépossédés, leurs contradictions et leurs troubles, ici incarnés avec un bel engagement. Ce qui m'intéresse ici, ce n'est pas tant l'économique dénoncé- rendements et délocalisation- que l'exposition des rapports inévitables et invisibles entre travail et intime. Avec rigueur et cruauté, la pièce porte les "rôles" professionnels jusqu'aux points d'exacerbation du pouvoir et du désir. Les références aux liaisons dangereuses prennent alors tout leur sens. La scénographie froide campe l'espace personnel et familial de Volange comme un champ de gravas et ruines. Comme les autres personnages réduits par cette aliénation à leurs mécanismes, elle offre sa dévotion comme ses gestes et son corps à l'usine.
     
    Erwin Motors, Devotion de Magalie Mougel mis en scène par Maxime Contrepois, vu à la Loge le 26 avril 2016
     
    Guy

  • Faisons-nous peur

    A-t-on vraiment eu peur, comme il était promis sur l'affiche? On a en tout cas beaucoup rit, ce qui revient un peu au même. Stéphane Azzopardi ne lésine sur rien, avec le même abattage que dans le trépidant Tour du monde en 80 jours. Il pose une intrigue archétypale qui rassure (légende, adultère, accident, culpabilité, malédiction, folie, sacrifice, rédemption) et secoue avec le rythme, les effets et les retournements de situation. 4eme mur explosé, spectateurs figurants, accident de voiture, tour de magie, accessoires qui prennent vie, apparitions et disparitions.... tout y est, et en 3 D. En bicyclette, si on s'arrête de rouler, on tombe: donc ici jamais de décélération, les personnages bondissent de lieu en lieu et de scène en scène en traversant les éléments du décor tournant. C'est la grande réussite de ce théâtre d'emmener en instantané et en toute lisibilité les spectateurs enthousiastes dans ces imaginaires en mouvement.

     

    Dame blanche.JPG

    La dame blanche de de Sébastien Azzopardi Et Sacha Danino , mise en scène : Sébastien Azzopardi  vu le 1er mars au théâtre du Palais Royal.

    Guy