Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Blind Boys of Alabama: Jesus hits like an atom bomb

    Il suffit d’écouter les enregistrements que les Blind Boys of Alabama  ont gravés dans les années (mille neuf cent) 7341a75a873819274c168ec3c3ab9af0.jpgquarante et cinquante pour qu’il n’y ait plus de place pour le doute: c’est dans le feu du gospel tel qu’alors le vivaient à haute voix ces garçons issus de l’Alabama Institute for the negro blind in Talladga, que James Brown, Ray Charles et leurs suiveurs sont venus chercher 90% de leur inspiration. Le Genius et le Godfather of Soul ont depuis peu cassé leur micro, mais les Blind Boys chantent toujours présent, et assez fort pour encore donner en 2007 des leçons d’âmes à de nouvelles générations.

    Les vieux garçons cheminent vers la scène, lunettes noires, chic désuet, costumes lavande et chemises vertes, en file indienne, le bras gauche posé sur l’épaule droite de celui de devant. L'équipage est guidé par les yeux du guitariste Caleb Butler. Avec  l'abandon que la foi permet. Depuis 2001, le temps s’est peu soucié de s’arrêter. Survivaient alors encore trois grand pères aveugles. Ils avaient attendu 60 ans de scène pour miraculeusement se faire connaître au delà des circuits spécialisés du negro spiritual, en tournant dans le monde entier avec Peter Gabriel. Qui les avait engagés sur son label world music . Ne reste ce soir d’origine garantie 1939 que Jimmy Carter (mais ce Jimmy là n’a jamais été président des U .S.A.). Exit le ténor Georges Scott, qui scandait « Jesus hits like an atom bomb » sur l’album éponyme, parti chanter avec les anges. Le leader Clarence Foutain est restéce458ceadb76bd486f751657a00f84be.jpg chez lui soigner son diabète. Tant pis. La présence du dernier des vétérans suffit pour garantir le frisson de l’authenticité. Un lien humain, palpable vers les origines, vers une foi solidement enracinée. Quand bien même: dès qu’« un soldat de l’armée du seigneur » tombe, aussitôt un autre se lève pour le remplacer: assis aux cotés de Jimmy Carter deux nouveaux mais qui n’ont rien de jeunes débutants: Bishop Billy Bowers surprenant colosse sphérique, et Ben Moore, solide et modeste dans le rôle râpeux du baryton. Tous deux sous leurs lunettes noires manifestement aussi aveugles et aussi rocailleux de la corde vocale que leurs prédécesseurs: mais où vont-ils les chercher?

    Les Blind Boys ne sont venus pas venu ce soir pour proposer un divertissement.  C’est tout le contraire. Ils sont venus ramener l’assemblée vers l’essentiel. Vers Dieu, évidemment. Avec amour et fermeté. Comme ils parleraient à des enfants. Leur arme est la musique, puisée dans le pot commun et bouillant du patrimoine afro-américain. Blues, Rythm & blues, gospel, jazz, funk, soul, c’est toujours la même énergie, portée par des voix différentes, mais avec les mêmes harmonies, que celles-ci résonnent dans un bar plutôt canaille ou à l’église baptiste.

    Premières chansons: les voix se chauffent sur un « Down The Riverside » encore raffiné, encore sans trop de surprises. Derrière les trois chanteurs solistes, trois plus jeunes musiciens et choristes, eux bien voyants mais avec juste des lunettes de soleil: les guitaristes 611e15d1c4dbd3e0449aebf9751b896f.jpgJoe Williams et Caleb Butler, et le bassiste Tracy Pierce. A la batterie Rickie Mac Kinnie, lui de la confrérie des cannes blanches. Dès les premières mesures, le dispositif musical se met en place, d’une simplicité biblique: une rythmique discrète et carrée, les voix rassemblées en harmonies viriles et tout en âpretés, l’ensemble au service des prêches énergiques des solistes. Pas de place pour des contre-chants trop policés à la Golden Gate Quartet, ou des surabondances de choeurs en robes façon église surpeuplée. Juste du robuste, du brut, de l'authentique, sur une trame blues qui s'impose avec l'évidence des vérités révélées. Premières notes tenues, aussitôt applaudies, encore avec mesure, premières mises sous tensions, premières prières intempestives, premiers déferlements d’exhortations soutenues à coups de cymbales en crescendo. Les arguments commencent à porter: au premier rang, on tape du pied. Des chorus robustes de guitare bleue électrique font jeu égal avec les couplets des solistes. Quelques pauses, Jimmy Carter économise ccfa4704d1903010ebbda49dc1d5a2f5.jpgencore sa voix de septuagénaire, laisse Rickie chanter un morceau en solo derrière sa batterie, puis les quatre instrumentistes oser un joli a capella façon barbershop quartet. Une petite fille noire somnole au premier rang. Le leader introduit les morceaux avec les plaisanteries un peu éculées, à un public respectueux mais réservé. Puis se rassoit impassible. Il semble presque chercher à gagner du temps, comme incertain, un peu fatigué.

    Le vieil homme a bien caché son jeu: au détour d’un standard, il se permet enfin la coquetterie d’un premier hurlement arraché à sa carcasse fluette. Une note détimbrée, mais maîtrisée et volontaire, qui tient, tient, et tient encore plus que de raison. A la juste limite du faux, à bonne distance du joli, tout prêt de la beauté. Il en sourit d’aise aussitôt après en tendant le micro vers le public incrédule, content de son tour. Et la salle estomaquée répond, un peu plus fort enfin. Soudain en un cri tout a été dit: l’âme est toujours bien accrochée au corps. Même si le corps est fragile, diminué, l’âme n’est rien sans le corps tant que celui ci reste vivant. C’est le corps et la voix que l’âme doit porter aux limites pour se laisser entrevoir. Le gospel ne serait rien sans ce spectaculaire quasi miraculeux qui met l'héroïsme en scène, fait presque oublier tout le métier derrière.

    Jimmy se décide à passer aux choses sérieuses: il pousse «The devil Way Down The Hole » de Tom Waits, comme un manifeste, avec autorité, seul au micro d’un bout à l’autre. Puis laisse ses compagnons enchaîner d’autres morceaux de bravoure, pour les rejoindre dans les choeurs. Billy Bowers soudain s’envole en scats cassants d’une voix flûtée, agite son quintal dans des soubresauts de midinette en transe, puis retombe d’un coup dans un état semi comateux sur sa chaise. Ben Moore proclame « I’m a soldier in the army of the lord »  ce qui en dit plus long que toutes les présentations. Dans l’assistance, nos voix profanes se risquent de plus en plus à répondre à ces injonctions, nos voix commencent tout juste à s’érailler. La grande salle de la Cité de la Musique apparaît déjà moins froide qu’on aurait pu le redouter. Le public semble être le même celui qui fréquente les salles de jazz, juste un peu noir, mais surtout blanc, averti mais bon enfant, prêt à retomber en enfance, en état d'innocence, prêt à se laisser entraîner. Dans ses rangs: Thélonius, lui encore 10 ans, synthétise comme toujours admirablement la situation: «Papa, j’avais déjà vu un concert de Gospel, 1f74a2991542081db73b19652e01eb5c.jpgmais là ce sont les vrais!», avant d’oser être le premier à s’éloigner un tout peu de son fauteuil pour danser. Laissez venir à moi les petits enfants. Même l’ado sort de sa réserve dédaigneuse, pour frapper dans ses mains: c’est le premier vrai miracle de la soirée. Les Blind Boys montent en puissance, sans ne laisser rien retomber de la ferveur ambiante. Certaines chansons viennent de très loin, voire d'avant le déluge, telle l’inusable «Amazing Grace » (plus archi-connu en France sous son dernier avatar: "Les Portes du Pénitencier…"). D’autres morceaux empruntent à l’intensité appuyée de la Soul: « People Get Ready » de Curtis Mayfield , ou ceux, tel « There will be a light »  extraits de l’album live à l’Apollo enregistré avec Ben Harper, blind boy honoraire, dont Joey Williams, reprend sans les perdre en route les parties vocales haut perchées. Autant d’incursions vers un public plus large et hors du strict gospel, mais toujours respectueuses du cahier des charges spirituelles. Et dans la voix d'hommes qui ont fait le chemin de l'Alabama des années quarante jusqu'à aujourd'hui, un tribut aux luttes pour les droits civiques portées par tant d'hommes d'église, le pasteur Martin luther King en tête.

    L’heure est déjà bien avancée, et à ce stade une fois les lumières rallumées, ne resterait que le souvenir d’un très bon concert. Mais l’essentiel reste à venir. L'orchestre met en place la phrase hypnotique de « Look where he brought me from »  en tempo acceléré, prete à se répéter à l’infini et monter jusqu'aux cieux. 3 ou 4 secondes obstinées scandées en récitatif par Jimmy et conclues par un "Yeah" des autres garçons. Le gospel train est en marche, lancé sur les rails, à pleine vitesse. Numéro bien réglé et complice, chacun des vétérans fait mine de se lever à son tour de sa chaise, emporté par le rythme et la foi, avant d'être rappelé à la raison et la station assise par la main de Joe Williams posée sur l’épaule. Avant que le guitariste ne sache plus où donner de la tête et s’avoue vaincu. Les aveugles ne voient pas encore, mais les paralytiques se sont levés. Dans la salle les spectateurs plus valides qu'eux ont aussi quitté leur siège, sautent et s’époumonent, sans que personne ne soucie de les faire rasseoir. Sur scène, le péril vient maintenant de Jimmy Carter, qui entreprend une improbable pirouette, réussit son ascension: dans les airs un demi tour presque complet, sans tomber. L'Esprit Saint a fait son oeuvre. Enfin l'aveugle s’aventure aux limites de la scène, un monumental roadie le prend dans ses bras de géant pour le descendre dans la salle. Porté ainsi par ce Saint Christophe, le vieillard semble frêle comme un enfant. Retombé sur ces pied le prophète vient micro en main à la rencontre de son peuple prêcher la bonne parole. Un message simplissime: Do you fell god? Difficile de ne pas hurler 8003f50ec3b762be0dae5c6278e296f8.jpgyeah en réponse. Il y aura demain beaucoup d'extinctions de voix. Tout le monde est sur ses pieds, voire plus haut. Sans remords, sans arrières pensées. Tout le monde chante ou à peu prés. Jimmy Carter, bras tendus vers le ciel, arpente les travées, soutenu de loin par l'orchestre, suivi de près par Caleb Butler. Il se retourne, saute sur place, ré-exhorte au micro, revient au trot sur ses pas, sourit, aux anges. Il passe non loin de nous et nous lui répondont très fort, pour qu'à défaut de nous voir il puisse nous entendre. Pendant tout ce temps l’orchestre n’a pas dévié d'une croche de la phrase musicale entétante. Jimmy Carter fait mine de s’écrouler après avoir tenu un râle prolongé, Caleb fait mine de le relever, Jimmy ressuscité lui échappe, tourne les talons et repart à l'aveuglette chanter dans la salle, marche à travers la foule comme sur les eaux, fait à chaque passage se soulever des vagues de spectateurs. Cela continue encore et encore à ne jamais s'arrêter, enfin dix ou quinze minutes ou moins. Depuis combien d'année le chanteur se prête-t-il à cet exploit unique chaque fois, mais répété chaque soir de tournée. Depuis 10 ans, 20 ans, ou 50? S'écroulera-t-il un soir ainsi pour de vrai? Pourtant rien n'est faux. Ni simulé. Toute l’essence du show est là. Une alliance de ferveur, d’entertaiment, de prosélistime, de rourerie et d'absolue sincérité.

    Jimmy a du enfin remonter sur scène. Conclusion endiablée en tempo accéléré sur le Higher Ground de Stevie Wonder, sous un deluge de guitare wah-wah et de hurlements: Preacher kep' on preaching....Ce qui est une dernière occasion sur scène et dans la salle de sauter toujours plus haut sur ses pieds. Fin? Pas tout à fait. Les lumières rallumées, les Blind Boys restent s'assoir au bord de la scène, accueillant les spectateurs qui viennent les remercier, dire adieu peut être. It may be the last time we ever sing together. C'est une cohue bon enfant, les éclairs des portables crépitent, Jimmy et les vieux garçons serrent les mains tendues avec ferveur, précieux instants de contact véritable, font la bise à quelques minettes ravies: « God Bless You » ! Avec les autres, on va serrer la poigne de Jimmy, malgré tout ému. Qu'il nous voit avec la main, qu'il sache qu'on a été là, pour de vrai. Provoquent–ils ainsi des miracles, des guérisons spontannées? Et est on reparti converti? Ce n’est pas sur. Mais en tous cas rechargé à plein d'amour et de générosité.

    C'était The Blind Boys of Alabama, à la Cité de la musique

    Guy 

  • Xavier Le Roy n'est pas un chef d'orchestre

    Depuis un peu trop longtemps on n'avait pas réussi à sourire devant une scène, à force de toujours y voir souffrir de la danse contemporaine. Merci à Xavier Le Roy d'entrouvrir un espace au comique, dans cette étude sur les rapports entre gestes et musique. En incarnant ce soir un chef d'orchestre, qui de son corps dirige le Sacre du Printemps. Bonne idée: les musiciens en action sont des acteurs à part entière (On se souvient de Jean Pierre Robert!). Si beaucoup de danseurs (Patkai, Ingvartsen, La Zampa, ...) s'emparent de la gestuelle des rockers, il y a aussi de la matière à développer du coté des classiqueux. Mais se faire un Sacre, c'est une prise de risque, tant la pièce de Stravinsky (1882-1971) est, chaque saison, vue, revue et réentendue. Rien que le printemps dernier Daniel Leveillé exhumait sa version, plus tard on applaudissait Ferron et Unger pour avoir détourné le thème. Et c'est loin d'être fini, ce printemps va refleurir par soudaines embellies jusqu'à l'été prochain, il faut pour commencer qu'on pense à réserver Emmanuel Gat au CND (avec JD s'il n'a pas oublié).

    Leveillé nous avait un peu déçu, c'est que le Sacre est si fort musicalement qu'on parait souvent faible à juste l'accompagner: il faut s'y opposer pour s'imposer et marquer sa différence. Ou bien prendre cette musique à bras le corps. C'est le choix de Le Roy, et cet homme, dégingandé, a des bras démesurés. La musique est le sujet central, l'enjeu obsédant, dans une démarche toute contraire à celle entreprise dans Lointain où la musique se situait à coté de la danse, créait une distance. Le chef d'orchestre est seul ce soir, pour incarner la musique, avec elle ne faire qu'un, seul face à d'invisibles musiciens. Mais face à nous en vérité: c'est donc nous qu'il interpelle de la main, de la tête, du pied. Pour un étrange jeu à trois, où nous spectateurs sommes deux à la fois, vrais spectateurs et faux musiciens. Et il devient vite évident que ce chef n'en en pas un et ne cherche même pas à faire semblant. Les soit-disant gestes de direction d'orchestre s'extrapolent bientôt en danse, en un code élaboré. Le processus est inversé car c'est la musique qui produit ce mouvement. 

    Le comique jaillit vite d'une expressivité exagéré. Quitte à frôler parfois Fantasio version Mickey. Les enfants sont d'ailleurs ce soir inhabituellement nombreux dans la salle du Centre Pompidou. Pourtant ils semblent peu concernés, somnolent un peu. C'est peut-être typiquement la catégorie de spectacles dont les parents branchés imaginent qu'ils passionneront leurs enfants si éveillés. Délicat pour ces derniers d'apprécier ces jeux de miroirs et de connivences. On regarde Xavier Le Roy, qui s'offre toujours entier, le corps commandé par les asymétries rythmiques de Stravinsky, tout en toujours affectant de les apprivoiser de la main. On songe qu'un authentique chef d'orchestre serait tout autant mu de l'intérieur par une musique pré-existante avant d'aider l'oeuvre à accoucher au jour. On se surprend marquer du pied la mesure, anticiper les notes et les accents à venir, imaginer les mouvements qui vont suivre, spectateurs et virtuels musiciens dirigés à notre tour. Par Le Roy, medium expressif, qui réussit à nous animer, la boucle est bouclée.

    C'était Le Sacre du Printemps ♥♥♥♥ dansé par Xavier Le Roy, au Centre Georges Pompidou, avec le Festival d'Automne à Paris.

    Guy 

  • Timon-Macbeth: 34-10

    Le match est disputé sur un terrain qui n'est pas neutre. Sur lequel les deux équipes se sont entraînées: la salle Laborey du T.N.O.. Mais chaque camp joue seul et en alternance, devant un public silencieux, ni cornes de brumes ni sifflet. Quand à f661ae2a6ca0d7997ec45348352e1e30.jpgl'arbitre, c'est le grand Will en personne. Dans les ceux équipes, pas de stars internationale, mais des talents déjà remarqués. A noter, au nombre des transferts, Audrey Sourdive, déjà remarquée en pilier dans la mêlée des religieuses de Port Royal, ici talentueuse dans le rôle de la Lady. Macbeth part favori, avec l'avantage de la notoriété, un public presque acquis, plus exigeant aussi? Timon d'Athenes du même Shakespeare est un outsider, quasi inconnu, mal aimé des critiques, qui vont même jusqu'à douter de la paternité de la pièce.

    Las, Macbeth peine à marquer, un peu joué ras le texte. Beaucoup de passes manquées entre les acteurs, pas tous du même niveau. Jouent ils trop perso? Déception, on se souvenait de l'entraîneuse plus inspirée par Montherlant. ll y a des beaux moments de jeu, pourtant, mais trop de démonstrations inutiles, de longueurs plombés d'emphase. On se disperse, sans rentrer dans nos 22 mètres. La sorcière marque un essai, mais pas pas vraiment transformé. Trop de pression? Manque d'entraînement ?

    Timon fait vite la différence, d'une élégance intemporelle, en habit chic colonial. On se souvient de la performance de l'équipe sous la bannière de Jeanne d'Arc. Le terrain dramatique est ce soir43fb9e1190dd68ce707aa010afb73124.jpg bien occupé, dominé d'un bout à l'autre. L'avantage est assuré par un jeu de haut niveau dés le début de partie, sur les thèmes de la prodigalité de Timon et de l'hypocrisie de ses invités. Jerome Keen marque l'essai. Actions d'équipes brillantes à la mi temps, alors que Timon est ruiné, la scène du banquet d'eau chaude servi aux convives avides est d'une précision et d'une énergie à couper le souffle. Dans un même mouvement, l'aisance et l'efficacité. La transformation est réussie, lors d'une belle malédiction jetée à la face d'Athènes, par un Timon amer. Le choc: on est plaqué. Fin de partie un peu moins vive, plus défensive, avec Timon l'ermite.

    C'était Macbeth, mis en scène par Damiane Goudet, et Timon d'Athènes (traduit par Jean-Claude Carrière) mis en scène par Cyril Le Grix - La Torche Ardente,  au T.N.O. en alternance jusqu'à début mars, dans le cadre de 'intégrale Shakespeare.

    Guy

    P.S. : des photos de Timon, ici

  • Alban Richard, loin du monde

    S'entétera jusqu'au bout la répétition, toujours, encore, des mêmes gestes- quarante gestes- par les deux danseurs. D'une beauté sèche, entêtante. D'un lyrisme minimal, subliminal, géométrique. Mais c'est d'abord la lumière qui surprend. Car au début absente, ou presque. Il y a alors peu à deviner des mouvements répétés dans l'obscurité, mais 5040268c034953ebdea870a55468211f.jpgce peu suffit pour déjà exister. L'intensité de la lumière occille ensuite, trompe un peu cette répétition. Avec de brusques surexpositions, elles-mêmes aveuglantes. Seules ces variations éclairées, et les accélérations soudaines du métronome qui commandent aux deux corps donnent la mesure de l'écoulement du temps. De même que les entrées ou sorties, dans As far As. Troisième composante: la musique: un extrait de Tristan et Isolde de Richard Wagner (1813-1883). Mais une musique mise à distance, avec un rien de crachotis. On entend non pas de la musique, ni même un orchestre qui la jouerait. On entend, joué très fort, un vieux disque, un vinyle, tout l'effet EMI. Un disque amplifié par des énormes baffles installées sur la scène comme un personnage, un élément de décor. Tout du pathos wagnérien s'impose, exagéré. Mais posé à coté du reste. Déphasé des quarante gestes.

    Deux danseurs-un homme et une femme, en costumes sophistiqués, et quarante gestes répétés. Comme l'écho de situations oubliées dans un espace disparu. Un Tristan, une Isolde peut-être, mais qui ne se touchent jamais. S'exposent et se frôlent, sans jamais se toucher. Mus. La rencontre n'aura pas lieu, c'est un faux suspense. Rien ne s'accompli, sinon le manque, la disparition. Il y a d'évidence dans cette danse, dans cet art, une sourde et pudique obstination à s'imposer de terribles contraintes. Rien ne peut donc surprendre car tout encore se répète, toujours ces quarante gestes, et à coté Wagner tonitruant, il faut patienter. Comprendre?

    Ainsi que vu dans As far as, la danse peut être une prison qui libère la beauté. Les deux de ce faux duo ne se regardent ni nous ni l'autre, c'est toute l'utopie de la passion qui s'en retrouve annulée. Les quarante gestes se répètent, il n'y a plus rien à comprendre, rien ou très peu à se mettre sous la dent, ou à interpréter. Cette danse ne donne pas prise au sens, ou à sa reconstruction, même plus d'émotion dans l'exagéré, la grandiloquence ou la trivialité des poses, entre chutes et offrandes. Ils répètent, et on s'interdit d'entrer en empathie avec eux, ou d'admirer la performance.

    Il n'y a ici, ni facilité, ni spectaculaire, ni recherche d'une connivence politique, ni surenchère dans quelque provocation. Pourtant, ainsi, c'est un art qui nous emmène un peu plus loin du monde. Vers des choses enfouies dans le soi, vues enfin à force de se répéter, de même que lors d'une expérience religieuse peut-être. Quarante gestes répétés, l'art se recentre sur le corps, sans personnages, libéré de tout contexte. Quarante gestes se répètent vers l'épuisement, mais à un moment ou un autre il faut bien s'arrêter pour retourner au monde, en pleine lumière ou en pleine obscurité: on achève bien les Isoldes.

    C'était la création de Lointain♥♥♥♥♥, d'Alban Richard- Ensemble L'Abrupt , avec Melanie Cholet et Max Fossati, au Forum Culturel du Blanc Mesnil 

     Guy

  • L'Idiot: quand Lev Nikolaïevitch Mychkine rencontre Nastassia Philippovna Barachkova...

    Pour ceux qui auraient évité jusqu'à ce soir le beau pavé de Dostoievki (1821-1881), le Prince Michkine (l'Idiot du titre) c'est un peu Forrest Gump dans la Russie des tsars. Une belle âme, d'une simple clairvoyance, dans sa propre logique pas si stupide que cela, projetée dans une société hypocrite. Ceci expliquant pourquoi l'interprétation de ce rôle par Alexandre Ruby bien que remarquable peut au début déconcerter: le prince Michkine est le seul des personnages de la pièce qui ne joue pas. Michkine ne ment jamais, devant chacun déroule le fil de ses pensées, au fur et à mesure que celles ci lui viennent. Une figure quasi christique, d'une franchise aux conséquences souvent catastrophiques. Contrairement à chacun, il n'use jamais du discours comme d'une arme pour protéger ses intérêts, et ses amours.

    D'amour ce soir il est surtout question, de ce qu'il reste du roman passé par le filtre d'une adaptation inévitablement réductrice. Un intermède religieux orthodoxe tombe d'ailleurs à plat. Au moins ces feux de l'amour brûlent-ils pour de vrai: c'est fort, c'est tourmenté, c'est excessif, c'est agité, c'est introspectif, c'est compliqué. Bref c'est russe. Et un brin pré-psychanalytique. Placée frémissante au centre de l'intrigue, Nastassia Philippovna est une femme très convoitée, au passé douleureusement scandaleux, qui pour tuer le temps jette les liasses de 100 000 roubles au feu. Histoire aussi de suciter un beau climax, de voir si son soupirant Gania Gavrila Ardalionovitch se montrera assez vil pour s'y jetter les récupérer. Comme elle n'aime que Michkine, elle le lui dit puis elle fuit, part plutôt avec le Moujik Rogojine. Sans oublier de jeter Michkine dans les bras de la jeune Aglaïa Ivanovna. Vilaine Nastassia Philippovna Barachkova! Oui vilaine, car l'important pour notre Nastassia Philipovna est de montrer à quelle point elle est vile, très vile, vraiment très vile, tout à fait indigne du bon prince Michkine, même pas digne de lui laver les pieds, tout juste bonne à rendre son pauvre Parfione Rogojine fou, de rendre très jaloux ce malheureux Rgojine de son ami à la vie et la mort le prince Michkine. L'important c'est qu'elle même, Nastassia, puisse souffrir excessivement d'être si vile, avec intensité, bruyamment, pas discrètement du tout, pour evidemment rendre la vie impossible au prince Michkine, jusqu'à la crise d'épilepsie, et par ricochet de rendre la vie impossible à Aglaïa Ivanovna aussi, qui, quand à elle, envoie tous les  jours des billets à Michkine pour lui rappeller qu'elle lui interdit de la courtiser: sublime!

    Comment montrer cela et tous les à-cotés sans trop donner mal à la tête? Antoine Bourseiller, aidé d'une belle troupe, y parvient, d'une mise en scène presque invisible derrière les éclats de jeu. Avec le bon goût de ne pas (trop) en rajouter dans l'agitation et les crises d'épilepsie. De ménager des accalmies pour respirer un peu. Enfin c'est assez agité bien sur, mais aurait pu l'être beaucoup plus. Non?

    C'était l'Idiot de Fédor DOSTOÏEVSKI, traduit par André Markowicz, adapté et mis en scène par Antoine Bourseiller , au Théatre Mouffetard. Jusqu'à fin octobre.

    Guy

    Et c'est en images, ici

    P.S. : et l'on découvre qu'en 2005 le Tadorne vit la piece, à relire ici 

  • Nightshade de 6 à 7

    On est plus trés loin d'avoir dévoilé tout Nightshade. Plus que deux propositions, après cinq essais non transformés, cinq effeuillages un peu vains, nous laissant jusqu’ici sur notre faim. Ne restent plus à enlever que les deux derniers des sept voiles de Salomé. Deux mystères, on espère. Que l'on promet de révéler.

    Mais voici qu’une pin-up, regard baissé ou perdu ailleurs, laisse lentement glisser sur sa peau un peu de soie. De quoi nous réconcilier: Alain Platel a eu assez d’humilité pour travailler dans le cadre du concept, tout en faisant qu’émerge du spectacle une réflexion sur 1e53dd1b7e71e8d89055ebe2f3a33450.jpgla nature de ce cadre même. Le fait est que le numéro de Platel, créé dans des lieux cultureux, pourrait trouver sa place dans un cabaret haut de gamme, sans étonner, sans détonner. Danse ou strip-tease, danse et strip-tease à la fois, selon le regard que l’on porte sur l’objet. Les fondamentaux sont respectés, et la température peut s’élever rapidement: pour commencer Caroline Lemaire est absolument bien faite, les dessous sont chics, le déshabillé noir transparent, les talons aiguilles rouge vifs, les gestes negligement balancés au rythme d’une innocence feinte, l’orchestre souffle à nos oreilles une scie de Gainsbourg, manière assez cynique mais efficace de nous emmener complices.

    Mais tout cela ne resterait que joliment anecdotique, sans le petit coup de génie de ces rideaux mouvants. A à chaque étape du dénudement, ils cadrent et redéfinissent notre champ de vision. Et nous donnent ainsi à penser sur ce que notre regard guette. A chaque abandon de vêtement le champ se rétrécit, nos yeux sont fermement dirigés, recadrés en gros plans sur le corps dévoilé. Le corps dont dans le même temps l’escamotage est annoncé. La danseuse participe négligemment et ambiguë à ce  jeu, accompagne ou freine-on ne sait- le mouvement des rideaux qui peu à peu la dérobent. Par le mouvement du cadre tout est déjà dit, ironiquement, que ne pourra jamais s'assouvir le désir qui poursuit des yeux cette Eurydice fractionnée. L’effeuillage ne mène jamais nulle part, sinon à un tour de passe-passe, ne tient jamais les promesses auxquelles personne n’a cru vraiment. Le mécanisme paradoxal du strip-tease est intelligemment mis à nu. Et en conclusion, le sexe de la danseuse également…mais, comme il se doit, hors champ!

    On est encore emballé, émoustillé, frustré forcement et déjà consolé, avec le sentiment d'avoir fait le tour de la 8e40bfefda63c5e8adaac070f55a1133.jpgquestion. Coup de théâtre: Caterina Sagna nous prend par surprise, pour déconstruire sans ménagement tout ce que nous avons vu, tout ce que nous avons accepté trop facilement. La chorégraphe, à l'exact inverse d'Alain Platel, refuse de rentrer dans le jeu. Elle entreprend de démonstrer par l'absurde tout ce ce que le concept peut porter en lui de révoltant. La performance de Sky van der Hoek est - ce n'est pas un hasard- de toutes celles de ce soir la plus nue, la plus crue, la plus cruelle. Pour montrer comment la danse contemporaine peut être- sans s'épuiser en mots- dérangeante, assez intelligente pour à la fois être spectacle et dénoncer. Pourquoi et comment? On ne le dévoilera pas ici, le découvrir est peut être la meilleure raison d'aller voir Nightshade....

     

     

    C'était Caroline Lemaire ♥♥♥♥♥ dirigée par Alain Platel, et Sky Van Der Hoek ♥♥♥♥♥ dirigée par Caterina Sagna dans le cadre de Nightshade, à la grande Halle de la Villette, jusqu'au 13 octobre.

    Guy