Dora dérange. Idiote et sexuée. En cela libre, confiante. Confiante en les mots, en tous les mots qu'elle croit, trop crus quand elle les repête, ne sachant comment les digérer. Ces mots, Dora les renvoie tels quels aux autres autour d'elle, s'y engageant entière corps et gestes. Ébranlant les hypocrisies de tous. Nature contre culture (second round)? Dora montre ce qu'il est convenable de cacher. Sans le savoir ainsi se conduit comme quand aux spectateurs l'on montre du théatre...
Dora est simple. Le "monsieur délicat" en abuse. De cet abus même, Dora jouit, se construit. D'où nait la pire des violences? De cet acte, ou dans la prison de bonnes intentions qu'autour de Dora ses protecteurs construisent? Sur le chemin de la mise en scène qui mène des personnages aux spectateurs, de cette violence l'insupportable nous est atténué. En clin d'oeils et sourires entendus, par un jeu à la fois chaud et léger, remarquable de subtilité. Cette violence est abritée par un humour froid, détourné sur des mannequins, qui prennent les coups en corps muets, mais sa portée n'est éludée en rien. Sans tapage ni facilité, sans tomber dans le piège de la dramatisation, malgré tout ce qui pourrait s'y préter: viol, avortement, médicalisation... L'approche est paradoxale,mais d'une troublante efficacité, jusqu'à susciter un rire blanc. Dora en ange passe, une case en moins. Autour d'elle, les trois acteurs s'échangent les rôles et les costumes, comme si le monde entier à ses yeux était flou. Tous les hommes- père, patron,médecin,amant..- interchangeables et objets égaux de son désir incorrect. Mais tous se defient de ces élans, tous d'une gentillesse presque jamais prise en défaut, d'une implacable tolérance. Laissant à Dora le choix, mais dans les apparences. La condammant à décider ce qu'elle ne peut comprendre. Et ne font pas de Dora une simple victime, ce qui serait trop caricatural. Dans ce jeu de société les bornes sont invisibles, le contrôle mou. Qu'y vaut la liberté, la différence? Encore par éclats, avant d'être castrée, Dora baise et danse, exulte déglinguée. Mais incertaine. La douleur cachée en dedans, qui déborde par instants. Les mannequins autour d'elle évoquent alors des corps morts, et les boites des cercueils. C'est fort, posé, acide, émouvant.
C'était Les Névroses sexuelles de nos Parents de Lukas Barfuss, mis en scène par Hauke Lanz, avec Frédéric Leidgens, Pierre Maillet, Murielle Martinelli, Laure Wolf. Au Théatre Paris Villette.
Jusqu'au 14 mars.
Tous les jeudis, à 21H, les internautes interagissent avec le metteur en scène et les comédiens, pour un jeu dramaturgique sur scène et en ligne, sur http://www.lesnevrosessexuellesdenosparents-etvous.fr/
Photos par Fred Khin, avec l'aimable autorisation du théatre Paris Villette