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theatre - Page 7

  • Antigon

    Ce soir Antigone respire en plein air, sans barrières, scène ouverte sur la cité d'Aubervilliers. Où le théâtre entend ne pas rester une affaire d'initiés. Sur des panneaux, des plans et repères: l'arbre généalogique de la famille d'Oedipe, plus loin le résumé détaillé de l'intrigue, sur le trône affichée la liste des souverains qui se sont succédés à Thèbes ...plus d"excuses pour ne pas suivre. Et tout est fait pour mettre la pièce à proximité, dans l'immédiateté d'une esthétique désarmante, faite de scotch et cartons.

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    Le savoir-faire théâtral s'exposant à vue, avec humilité, on ressent un instant l'illusion d'un texte nu. Un classique vierge, d'autant plus audible et intelligible que détaché des conventions. Antigone est interprété par un homme- qui joue aussi Hémon- et Créon par une comédienne. Est-ce pour faire dire à Créon: "Je ne suis pas un homme, c'est toi l'homme Antigone". Cela appelle aussi dans le jeu nuances et fragilités, de nouvelles épaisseurs. Respectant les entrées et sorties de la piece de Sophocle, trois comédiens interprètent tous les personnages (jusqu'à l'intervention de l'oracle, mais lui venant du dehors), trois autres font le chœur, exacerbé, tonitruant: grosse caisse, cris, porte-voix, scansions... C'est qu'avec cette désincarnation initiale on risquerait de rester à distance, ne serait-ce cette énergie palpable en permanence, cette brusque vitalité. Eclats, humour, mouvements sans repos, danses dionysiaques, courses, décors bousculés, comme autant de manifestations d'honnêteté. Toutes les ressources et l'espace de ce terrain vague sont généreusement exploités. Thèbes devant nous, à droite décalé le champ de la bataille passée jonché de treillis comme autant de cadavres. Au loin, en image dans une nuée de corbeaux le corps de Polynice, c'est dans la vraie terre que la tombe est creusée. Entre ces lieux à ciel ouvert une perpétuelle circulation, pour faire vivre une profusion de sens.

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    Comme selon l'ambition déclarée de ce théâtre permanent, le travail semble toujours en train de se faire, au bord de basculer, même la période initiale de travaux et répétitions achevée. Ainsi les interprétations semblent toutes laissées ouvertes, la richesse du texte de Sophocle n'est pas étouffée. Interprétations plutôt contemporaines, si l'on suit les intentions détaillées en toute transparence dans le journal des laboratoires, insistant sur l'opportunisme politique de Créon ? Ou l'éloge de l'insoumission au politique? Ou une lecture mythique, le drame de l'enchaînement d'une violence inextinguible? Antigone tendant dans ce sens vers la fonction de bouc émissaire-« les dieux ne veulent plus de sacrifices », figure quasi-christique l'instant d'une scène de passion. Créon alors intégre mais victime de son hubris, de sa désobéissance aux règles édictés par les dieux. Peut-être, ce théâtre enthousiaste et généreux laisse libre de regarder où l'on veut... et même invite le spectateur, à échanger en atelier avec les acteurs, pour les inviter à explorer d'autres voies pour les représentations à venir!

    C'était Antigone d'aprés Antigone de Sophocle (basé sur la traduction de I. Bonnaud & M. Hammou), mis en scène par Gwénaël Morin, au théatre permanent des Laboratoires d'Aubervilliers. Gratuit, jusqu'à fin septembre.

    Guy

     Lire le blog d'Armelle Héliot

    Et ici, une autre Antigone

    lire Bérénice, au même endroit.

    photos (Julie Pagnier) avec l'aimable autorisation des laboratoires d'Aubervilliers

  • L'envers du corps

    D'abord elle nous rassure en toute banalité, familière, en bleu de travail passe la serpillière sur le tapis de danse. L'odeur citronnée du détergent ne nous surprend pas.

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    photo par Denis Arlot avec l'aimable autorisation de la compagnie Rabeux

    Puis, elle se lave d'un gant, nue comme un ver, d'un nu clinique, blanc. C'est pour mieux nous déciller: nous inviter à lire sur la surface du corps non les prémisses de l'amour mais ceux de la mort, toujours à l'affût. Alors l'étrangère s'adresse à nous, avec les maladresses volontaires de l'accent, nous emmène voir de l'autre coté, nous attire d'un ton plat, par confidences. Jusqu'à nous perdre dans de troubles souvenirs d'enfance, peu à peu le malaise nous y surprend. De l'être c'est le plus sensible et éphémère qui est dévoilé, retourné à vif, ouvert par ses mortels déchirements: corps maladifs, accidentés, souffrants, diminués, mutilés. Corps désirés pourtant, toujours à deux doigts de la mort. Ainsi se révéle une beauté surprenante, aux frontières de vrais interdits, en ces endroits s'ose peut-être une véritable obscénité. L'entreprise est d'une audace entêtante, sans le besoin de la charger d'effets, de montrer à tout prix. La voix reste lente et mesurée, le cœur bat de coups sourds et amplifiés, le sang impose sa présence, d'une lourde et noire consistance, presque figé, coule, teinte la chair, trouble le blanc. Le texte est dur et tendu, les mots choisis au scalpel nous font une violence sans appel, nous font glisser sans heurts vers l'insoutenable, presque jusqu'à l'étouffement.

    Dehors au grand jour on revit, on respire. L'averse n'a tempéré que pour quelques heures les chaleurs de l'été. Dans le quartier de la Bastille  sourires et peaux halées s'exposent en grand pour s'ouvrir aux rencontres, ou pour leur propre contentement, avec une innocente impudence: corps aveugles, vivants, en sursis et joyeux.

    C'éait Les Charmilles, d’après Les Charmilles de Jean-Michel Rabeux, adaptation et mise en scène Cédric Orain, avec Eline Holbø Wendelbo, au théatre de la Bastille, avec Trans.

    Guy

    lire Neigeatoyko

  • Le retour du kitsch ?

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  • Blanche Neige: la psychanalyse aprés les contes de fées

    C'est lorsque que le conte de fée s'achève que commencent les ennuis, pour de vrai.

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    Dans son cercueil de verre rempli de pommes Blanche Neige recrache celle qu'elle avait coincée dans la gorge, revient à la vie dans la douceur d'un décor enneigé. Mais bientôt obligée de se formuler cette triste évidence: "Belle-Maman, tu m'as tuer (sic) !" Il faut vivre avec, continuer à vivre ensemble tous les quatre, en famille recomposée: la Méchante Reine, Blanche Neige, le Chasseur, le Prince étranger (Le roi compte pour du beurre, aveugle aux enjeux, réduit à quelques images inoffensives sur la toile de fond). Survivre avec l'innommable. Cette séance de psychothérapie familiale est loin d'être gagnée d'avance. Autant pour la  résilience, malgré tout le talent de la reine pour la manipulation, et la bonne volonté de Blanche Neige pour nier les évidences et innoncenter sa belle mère de tous les forfaits... 

    (Mais écrire tout cela ne rend en rien compte de l'expérience de la pièce: ce drâme est drôlement mené, la mise en scene à l'image du beau texte de Walser: poétique et cynique, naive et cruelle, en appuyant sur le kitsh avec de douces outrances visuelles, rose et nudité. Tous déclament et cabotinent, en premier lieu Claude Degliame (La Reine) irrestistible, et Aurélia Arto (Blanche Neige) hébétée.)

    ...Donc rien n'est soldé, car les vrais conflits restent ouverts. On retrouve ici les principaux motifs qui seront plus tard developpé par Howard Barker (Le Cas Blanche Neige): l'angoissante rivalité sexuelle qui oppose blanche neige et la reine, quasi mère et fille, les difficultés qu'éprouve la jeune fille à exister et se débarrasser de sa virginité. Comme chez Barker, la Reine baise le Chasseur, et comme un aimant attire sur sa personne les élans du (pourtant peu viril) prince étranger... Mais que reste-t-il à Blanche Neige?

    C'était Blanche Neige de Robert Walser, mise en scène Sylvie Reteuna, avec Aurélia Arto, Olav Benestvedt, Claude Degliame, Eram Sobhani, et la participation de Marc Mérigot, au théatre de la bastille, dans le cadre de trans, qui continue jusqu'à samedi avec Les Charmilles et Le Corps Furieux. Blanche Neige reviendra en juillet, à L'étoile du nord.

    A lire: Neige à Tokyo, Allegro théatre et Fluctuat

    A lire: Le Roi Lear par Sylvie Reteuna

    A lire: aussi: Blanche Neige selon Howard Barker et Frederic Maragnani

    ... et pour ceux qui seraient vraiment trés curieux: Blanche Neige selon Ann Liv Young

    photos (DR) avec l'aimable autorisation de la compagnie J.M. Rabeux 

  • Enfer et Damnation

    Trop c'est trop! 

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    C'est irréprochable pourtant à tous les niveaux, mais qui se superposent jusqu'à complête saturation. Mon premier est le sujet, tout sauf leger: l'Homme et Dieu, la mort, la damnation. Mon second est le texte de Goethe, dense et métaphysique, roboratif, intimidant, jamais apprivoisé. Mon troisième est un phrasé lituanien, tout en éclats et grondements. Mon quatrième est un sur titrage à attraper des torticolli. Mon cinquième est une gestuelle en rebus, surprenante et symbolique, déphasée du texte, quasi chorégraphique. Mon sixième est un décor eisenteinien, noir et ocre, funêbre et géométrique, Mon septième est une musique ommiprésente, lancinante et mélodramatique, qui ne ménage pas un instant de repos. Mon huitième accessoire tombe à grand fracas du plafond, pas dans la discrétion. Mon neuvième est le temps suspendu, 4 heures d'un entracte à l'autre, sur scène représenté obsessionnellement: un verre qui se vide et la vie qui s'enfuit. 

    Mon tout est un monstre de somptuosité et d'ennui. Pris au piège du risque de l'esthétique?

    Guy

    C'était Faust d’après JOHANN WOLFGANG VON GOETHE, mise en scène EIMUNTAS NEKROSIUS, à L'Odéon.

    photo par Ormitrii Matvejev avec l'aimable autorisation du théatre de l'Odéon

     

  • Feydeau, panique

    Trop crevante la Môme Crevette, et toujours increvable le Feydeau, encore aujourd'hui à la rescousse des billetteries. Bien plus fort que la recession, valeur refuge dans l'économie de la scène. Pour paradoxalement y représenter paroxysmes, crises, et déreglements. Comme par catharsis? Ici le trou noir né d'une soirée trop arrosée dans la vie paisible du bourgeois Petypon, susceptible par inflation d'emporter l'univers entier.

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    Dans le lit de Petypon le lendemain matin de migraine la môme crevette- danseuse au moulin rouge- matérialisation de désirs refoulés ou témoignage invavouable d'une autre vie qui aurait du rester cachée. Le bordel fait irruption au foyer...rien ne va plus. Sous les quiproquos c'est la réalité qui pans aprés pans s'altère. Les voiles qui font le décor se retournent pour ne plus rien cacher, les portes suspendues à de fragiles conventions s'envolent et les limites n'en finissent plus de s'effacer. Rien ne tient en place. Difficille de contenir chacun dans son espace réservé: la domestique à l'office, La môme dans le lit, les visiteurs au salon, le vieil oncle en Afrique... Petypon aux abois tente de gagner quelques minutes en pétrifiant les protagonistes sur un fauteuil extatique reduit à sa plus simple expression. Peine perdue: on ne ralenti pas l'entropie. Le langage n'arrange rien, embrouille: "les parôles ne signifient rien, c'est l'intonation qui fait le sens". La Môme Crévette-d'un naturel inaltérable- fait irruption dans ce monde bien reglé comme un élement perturbant que chacun choisit de voir comme il l'entend: ange venu du ciel, bonne nièce, femme honnête, élégante parisienne ou putain... Son langage leste et ses gestes osés donnent le la aux rombières de province, qui avalent tout et de concert remuent de la croupe et des seins par mimétisme parisien. Ou écoutent religieusement cinquante manières imagées de dire comment on se fait plaisir. C'est alors le paroxysme, tout cul par dessus tête, durant cette fête de sous-prefecture soudain onirique, où notables, dames, militaires et curé dansent en arrière fond une bacchanalle libératrice. Sydavier pousse cet exercice de metaboulevard jusqu'à ses limites, drôle et distancié à la fois. Le désordre est parfait, les comédiens "épatants" investissent dans le désordre et jusque dans la salle le cadre si précieux et surchargé de l'Odéon. Entre deux spectateurs, comme par contagion, une breve altercation. Aprés l'orgie, le dernier acte prend des allures de gueule de bois. Pas de salut possible sinon par une résolution bien factice, jusqu'au bout Mr Petypon aussi secoué que l'intrigue, Mme Petypon aveugle et pathétique, réfugiée dans la religion. Pas de fin possible, ni de retablissement de l'ordre sauf dans l'épuisement. 

    C'était La Dame de chez Maxim de GEORGES FEYDEAU
    mise en scène JEAN-FRANCOIS SIVADIER, collaboration artistique : Nicolas Bouchaud, Véronique Timsit, Nadia Vonderheyden
    scénographie : Daniel Jeanneteau, Jean-François Sivadier, Christian Tirole, lumière : Philippe Berthomé assisté de Jean-Jacques Beaudouin, costumes : Virginie Gervaise, décor : Amélia Holland, maquillage, perruques : Arnaud Ventura, son : Cédric Alaïs, Jean-Louis Imbert, chant : Pierre-Michel Sivadier, travail sensible : Vincent Rouche et Anne , assistante à la mise en scène : Véronique Timsit, régisseur général : Dominique Brillault, avec Nicolas Bouchaud, Cécile Bouillot, Stephen Butel, Raoul Fernandez, Corinne Fischer, Norah Krief, Nicolas Lê Quang, Catherine Morlot, Gilles Privat, Anne de Queiroz, Nadia Vonderheyden, Rachid Zanouda et Jean-Jacques Beaudouin, Christian Tirole.

    A l'Odéon, jusqu'au 25 juin.

    Guy

    Photo par Brigitte Enguérand avec l'aimable autorisation du théatre de l'Odéon

    Prochain Feydeau: Le Didon à L'étoile du nord! 

  • Juste un E-mail à Y.N.G.

    Cher Yves-Noël Genod...

    (Car par où commencer pour raconter le spectacle « Yves-Noël Genod » proposé à Chaillot ? Alors on tâtonne en s'adressant à « Yves-Noël Genod » le metteur en scène).... Donc vous êtes le metteur en scène, mais aussi l'hôte qui tous nous accueille en souriant, coiffure en côte de mailles et bottes emplumées, très content de sa plaisanterie, et vous êtes spectateur aussi, qui s'assoit au premier rang, à égalité avec nous, réjoui de ce que font les interprètes. Une chose au moins est évidente, ces interprètes font sous votre regard ce qu'ailleurs ils ne feraient pas, ou rarement. Est ce pour cela que Kataline Patkai tenait tant, et depuis si longtemps, à travailler avec vous?

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    De même l'expérience de spectateur est avec vous tout spécialement singulière. Vous nous laissez du champ. Votre Hamlet  m'avait excédé une fois pour toute... me laissant libre de m'ouvrir à tout ce qui pourrait suivre. De là à comprendre le comment, le pourquoi... Au moins on se risque à deviner que vous avez travaillé comme certains chorégraphes, exploitant la matière apportée par les interprètes pour la ré agencer en un flux. Pour le reste... Je lis, relis votre blog, votre quotidienne autofiction, mais pour constater que plus vous dévoilez en chair et en verbe, et plus tout cela s'embrouille finalement, comme vu à travers la fumée qui envahit « Yves Noël Genod » (la pièce !). Dans cette pièce, vous faites un peu défaut. Tout juste présent dans le titre, et même plus commentateur détaché comme pour les « Cochons ».  J'avais vu le Feydeau de Sivadier à l'Odéon la veille, et il m'a semblé ce lendemain que votre spectacle commençait là où le Feydeau s'était achevé, la mécanique théâtrale désormais déréglée, tout par terre. Il y a eu un déluge et des morceaux reviennent à la surface. Des visions, des souvenirs, des idées. Par milliers. Dont du Baudelaire, une chanson populaire, un sexe, un dictateur...mais énumérer, ce serait tromper, ou pire, ennuyer. C'est cela: on voit ce qui émerge. Ces acteurs sont comme des naufragés sur la plage entourés de débris (culturels). Libres et nus- plus ou moins- pour jouer une certaine vérité....En tout cas libérés du social et du sacro saint sujet. Dans un lieu à la fois vrai et caché, de béton rugueux et canalisations apparentes, dans l'envers des escaliers du Trocadéro...Puis à la lumière, à la bande son, à la connivence joyeuse d'une pluie de neige factice, à la vue de tous ces artifices complices on comprend que la probable impréparation initiale a accouché d'une grande précision! Je suppose que comme tout un chacun vous avez horreur des comparaisons, mais on pense aussi à la démarche de Rabeux avec son Corps Furieux: peu de mots et le regard tout prés du corps, d'un corps pas forcement glorieux. Mais peut-être l'important n'est il pas ce que vous montrez, mais ce que cela fait de nous...légers ? C'est que l'on se sent très à l'aise, pour juste saisir ce qui est donné- doux, cru et tendre- et même libéré de l'obsession de tout interpréter... . C'est donc irracontable, comme je disais au début, et tant pis. Pendant ce temps l'on renonce même au temps, prêt à accepter les attentes, la fumée et le silence, que tout cela reste éphémère, qu'aprés l'on puisse bientôt même l'oublier, et apprendre à accepter la mort peut-être. En attendant continuez !

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    @ bientôt

    Guy

    C'était Yves Noël Genod, d'Yves Noël Genod, avec Mohand Azzoug, Kate Moran, Yvonnick Muller, Felix M. Ott, Marlène Saldana, installation lumière Sylvie Mélis, installation son Erik Billabert, musique originale et interprétation au piano Pierre Courcelle à Chaillot jusqu'au 6 juin.

    P.S: Cela n'expliquera rien de plus à mes lecteurs, mais puis-je utiliser quelques photos de votre blog?

    photos de Patrick Berger avec l'aimable autorisation d'Y.N.G.

    Lire aussi Télérama, le magazine, tadorne 1 et 2

  • Lectures, poètes, dictateurs.

    C'est le 23 avril et nous apprenons que ce soir se fête l'anniversaire (1) de William Shakespeare. Dans l'enchantement de la salle circulaire et superbement délabrée des Bouffes du Nord, on pourrait se rêver au théatre du Globe. Mais le temps engourdit. La voix du poète nous parait hélas bien distante, étouffée. Les mots dits ce soir ne nous viennent pas des pièces de théâtre, mais des sonnets. Ce choix est audacieux, l'audace s'arrête là. Les deux interprètes lisent, notes en main, assis sur des tabourets. Et bien sûr impeccablement, avec une sensibilité et une rigueur au dessus de toute reproche. Avec trop de précautions? Ces textes sont doux-amers, pétris d'humanité et de nostalgie, évoquent la fuite du temps, les désillusions amoureuses. Mais on peine à les comprendre, ainsi lus en v.o. et sur-titrés, et plus encore à s'y intéresser. Le parti pris de cette mise en lecture ressemble plus à du manque d'imagination qu'à du respect. Peter Brook étant Peter Brook, on hésite à en rester à ce constat. On tend l'oreille avec plus d'efforts pour saisir des subtilités cachées. On ne parvient qu'à se confronter à un exercice élitiste, manièré et précieux, renfermé sur lui-même, acteurs tournés vers l'auteur, n'incarnant que du bout des lèvres. Quand Shakespeare évoque le feu de la jalousie, les comédiens tentent vers l'un vers l'autre quelques mouvements et fâcheries: rien de plus que des connivences polies. Une occasion perdue.

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    Ecrites sous le règne rigoureux d'Elisabeth 1er, alors que les audaces littéraires et théâtrales pouvaient coûter la liberté ou la vie aux artistes, les oeuvres de Shakespeare ont survécu aux années jusqu'à fonder le théâtre moderne. Sous la dictature de Staline, Nadejda Iakovlevna Mandelstam dut apprendre par coeur les poèmes de son mari, Ossip Emilievitch Mandelstam (1891-1938) afin que son oeuvre survive à la censure. Mandelstam,  quant à lui, mourut, déporté, insoumis. (Ce qui remet, mais on va trop hors-sujet, les trangressions artistiques d'aujourd'hui à leur juste place). C'est l'histoire de Mandelstam que Robert Littell  raconte dans son roman (2), c'est cette histoire que les acteurs lisent. Une vraie lecture, celle-ci annoncée comme telle, assumée, et toute proche de l'improvisation. Au point que l'interprête-telle Irene Jacob- puisse parfois se perdre un peu dans le texte: c'est la contrepartie de la prise de risque qui permet à l'ensemble de prendre vie, avec une tension et une inquiétude à la mesure des situations sans retour qui sont revécues. Laurence Roy incarne Nadejda Iakovlevna avec élégance et intensité retenue, le drame progresse avec une cruelle ironie jusqu'au surprenant face à face entre Mandelstam et Staline. Antonio Interlandi est "le montagnard du Kremlin", déja dans le jeu, effrayant, et sans besoin de fausse moustache... Littell n'est pas Shakespeare, evidemment, mais se consacre avec force à ce sujet poignant, cet engagement est repris par les acteurs, intact et vivant. Robert Litell vient raconter en quelques mots sa rencontre d'il y a 30 ans avec Nadejda Iakovlevna. A nos cotés deux amies polonaises, admiratrices du poète, nées de l'autre coté du rideau de fer, le passé est palpable.

    C'était Love is my Sin, sonnets de William Shakespeare adaptés par Peter Brook, interprétés par Natasha Parry, Bruce Myers, Franck Krawczyk (musicien), au Théatre des Bouffes du Nord, jusqu'au 9 mai. Et la lecture d'extraits de "L'hirondelle avant l'orage" de Robert Littel, par Irene Jacob, Laurence Roy, Antonio Interlandi et André Oumansky à l'hotel Lutétia, dans le cadre des samedis littéraires

    Guy

    (1) Si l'on en croit la tradition, le seul fait vraiment établi est que W.S. fût baptisé le 26 avril 1564. (lire absolument "Shakespeare" de Peter Ackroyd, points, ISBN 978.2.7578.05556.5)

    (2) "L'hirondelle avant l'orage" de Robert Littell, aux éditions Backerstreet.

    Concernant les sonnets, à lire l'article de ma voisine, tout aussi ennuyée. Et un autre point de vue , et encore un autre.

    La photo est celle de Mandelstam à son arrestation.

    P.S.: le 5 mai prochain, l'écrivain Nedim Gûrsel sera jugé à Istanbul pour "atteinte aux valeurs religieuses "http://www.lemonde.fr/archives/article/2009/04/25/un-romancier-franco-turc-devant-les-juges_1185380_0.html

    PPS: Iouri Samodourov et Andrei Erofeiev sont présentés, le 29 mai, devant un tribunal moscovite à suite de leur exposition. Ils encourent une peine de prison ferme de cinq ans. Le procureur Taganki justifie les poursuites engagées par le fait que l’exposition litigieuse témoignerait « de manière tangible d’une attitude dégradante et insultante vis-à-vis de la religion chrétienne et plus spécifiquement de l’église orthodoxe ». Source : Mouvement http://www.mouvement.net/site.php?rub=2&id=11e9f05773e1e3bb

    PPPS: Bonne nouvelle, Nedim Gürsel est acquitté : http://bibliobs.nouvelobs.com/20090625/13472/nedim-gursel-acquitte.

    Pour la petite histoire, j'ai envoyé un mail fin mail à J.M. Adolphe (Mouvement) à propos de Gursel, resté sans réponse. Comme quoi certaine indignations sont selectives...

  • John Gabriel Madoff ?

    Des brumes, des douleurs, des regrets. L'action de la pièce d'Ibsen se situe après. Trop tard. En hiver. Les personnages engourdis par rancoeurs irrésolues. D'abord se heurtent les deux sœurs. Ella et Gunhild, rivales et jumelles. Qui se disputaient jadis John Gabriel Borkman, le banquier aujourd'hui ruiné et déchu. Qui chacune aujourd'hui revendiquent l'affection de son fils Erhart, l'une fît sa première mère, l'autre sa mère adoptive.

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    John Gabriel Borkman vit reclus dans le passé, orgueilleux, aveugle, furieux. Sous le regard complaisant d'un dernier ami se rêve encore un géant en exil, incompris dans un monde de nains. De sa chute on sait peu. On entend juste Borkman répéter avec morgue qu'il n'était coupable de rien, sûrement pas un escroc, seule vraie victime et nullement responsable du sort de tous ceux qu'il a ruiné. La faute en revenant aux médiocres et aux envieux qui l'ont empêché de mener ses entreprises à leur terme. Il se savait- se croit toujours- homme d'exception, quasi démiurge, doté d'assez de puissance et de volonté pour extraire du sol ses joyaux et créer la richesse, de même qu'un artiste crée son oeuvre. Ou était il secrètement possédé par l'ivresse de « voler en ballon au dessus d'une mer aux flots déchaînés », et fasciné par l'inéluctabilité de sa perte? Tout rapprochement entre la piece d'Ibsen (1828-1906) avec une éternelle actualité ne doit rien au hasard...

     

    Angela Winkler (Ella Rentheim) und Josef Bierbichler (Borkmann). Vorabfoto © Arno Declair.JPG

    Autour de John Borkman, tout de la vie et de l'amour a été sacrifié à ses ambitions. Ne restent que quelques heures avant le dernier engourdissement pour tenter de tout dénouer des conflits. Juste une nuit pour tout nous avouer mais ne rien résoudre, juste finir, en toute noirceur. Les personnages font peser leurs dernier espoirs sur le jeune Erhart, mais qui refuse et part au loin, choisit la vie, désireux de se soulager du fardeau des réparations dont veulent le charger ses aînés. John Gabriel Borkman meurt, sans dire « Rosebud ».

    Que dire du travail d'Ostermeier, sinon que celui ci évite tout hors-sujet, jusqu'à presque faire oublier sa mise en scène. Le regard est d'une ironie acerbe, aigue et assez délétère, soulignée par quelques accords cruels de bossa nova. Vis à vis des personnages: ni pitié ni acharnement, juste de la lucidité. Erhart peint trés falot n'est pas mieux traité que les autres. La distance est soulignée à nos oreilles par l'emploi de la langue germanique. Le mobilier semble effacé, la scène tourne sur elle-même, du salon de Gunhild à la retraite de John Gabriel sans vraiment changer. Un rideau translucide tombe sur les émotions, sur la distillation des secrets. Le jeu est réaliste mais en évitant tout pathos, trés justement dosé. C'est donc admirable, et de nature à terriblement ennuyer impatients et distraits.

    C'était John Gabriel Borkman, de Henrik Ibsen, mis en scène par Thomas Ostermeier, au Théatre de l'Odéon. C'est fini.

    Guy

    .Pour: Neige à Tokyo, contre: Les Trois coups

    Photo d'Arno Declair avec l'aimable autorisation du théatre de l'Odéon

     

  • Inusable Antigone

    Sophocle parle à 2 500 années de nous. D'un monde qui n'est plus, mais dont les tourments pourtant nous troublent, encore. Donc, est-on sensé jouer et voir jouer son Antigone comme de l'ancien ou du moderne? C'est un dilemme-piège: On doit surtout jouer Antigone tout court. Pourquoi pas de la manière dont Réné Loyon la met en scène: sobre et in extenso, sans coupes, ni facilités, ni gadgets. Scénographie minimale, costumes sobres, lumières concentrées. Denudée de repères temporels. De ce traitement la pièce ressort affutée, d'une beauté un peu séche. Qui s'impose à nous peu à peu, le temps que l'écoute se fasse à ces partis-pris. Des esprits routiniers pourront s'offusquer de la traduction vigoureuse et leste de Florence Dupont. Contresens. Le pire des anachronismes consisterait à faire parler Sophocle en français du XIX°. Quitte ne pas jouer Antigone en grec ancien comme devant des spectateurs d'époque ressucités, autant utiliser des mots contemporains et directs. Qui nous interpellent aujourd'hui, mais aussi d'une certaine manière comme si nous étions des contemporains de Sophocle. C'est que les acteurs jouent en proximité, le choeur nous prend à témoin, avec familiarité, s'adresse à nous en qualité de citoyens de Thèbes. Nous appelle à prendre position. Mais ce théatre, de quelle manière peut-on d'aujourd'hui l'écouter et le comprendre?

     

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    (Pour ceux qui ne seraient pas allés au théatre depuis 500 avant JC, il faut resumer l'intrigue: Créon, nouveau Roi de Thèbe, interdit qu'une sépulture soit donné à son neveu et traitre à la cité, Polynice. Ceci pour des motifs moraux et politiques mais à l'encontre de toutes les règles et traditions sacrées. Antigone, soeur de Polynice, désobeit, et accomplit les rites funéraires pour son frère. Créon condamne Antigone à mort, contre tous les avis persiste dans sa décision. Son obstination entraîne les évenements les plus funestes...)

    On peut donc écouter la pièce comme elle n'a pas été écrite, selon notre sensibilité contemporaine: comme un éloge de la révolte et de l'insoumission. Contre un ordre politique jugé arbitraire. Le monde est désacralisé, la légimité contestée, c'est morale contre morale désormais, Antigone se sacrifie pour une cause. On peut sinon considérer la pièce en puriste: ne reconnaitre que l'hubris de Créon, qui entend placer son propre jugement dessus des lois divines, qui rompt ainsi un ordre immuable, ouvre grandes les digues de la violence et des calamités- Malgré de dérisoires précautions: laisser Antigone mourir de faim plutôt que de la tuer, afin de ne pas être contaminé par le meutre. Et puis on peut ne pas choisir, et jouir de toutes les significations imbriquées. Ce théatre fondateur introduit sur la scène le dilemme moral, et ses affrontements en arguments et émotions. Le procédé donnera matière à des siècles de théatre dramatique. Et on peut regarder les personnages vivre dans leurs excès, douter et souffrir au delà de leurs principes. Tous, du roi au garde, sont vivants, Antigone et Créon dos à dos dans la folie, les autres entrainés dans la destruction, l'intensité du jeu confère à tous de la psychologie et de la profondeur. On peut prendre et comprendre cette  Antigone comme l'on veut, ce n'est pas la moindre des qualités de cette mise en scène.

    C'était Antigone de Sophocle, traduit par Florence Dupont, mis en scène par René Loyon avec Jacques Brucher, Marie Delmarès, Yedwart Ingey, René Loyon, Adrien Popineau, Claire Puygrenier. Au théatre de l'Atalante. Jusqu'au 31 mars.

    Guy

    photos de Laurencine Lot avec l'aimable autorisation de Marie Delmares