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theatre - Page 11

  • Allio-Weber: le Discours et la Méthode

    On ne sait vite plus où l'on est, d'où l'on regarde. Et, tout le long, quelle est la nature de ce qui est montré. Le couple d'acteurs s'enlace, en petite tenue, au milieu du public, la position est décalée par rapport à nous mais aussi l'un par rapport à l'autre. Ils se cherchent, empruntés, mais rien ne semble s'emboîter, ces deux là ne savent plus comment embrasser, voire simplement comment être. Forcement insatisfaits. Amputés de quelque chose? De quoi au juste? Mais on anticipe. Le plus déstabilisant est encore à venir, avec déja un discours de marketing humanitaire d'un saisissant réalisme. Êtes vous prêt à donner 35 €? Le rapport avec le public prend un tour on ne peut plus direct. Lui, a le ton adapté: sérieux, digne, compréhensif, un poil mouillé. Elle, vient nous chercher du regard au plus près sans s'être rhabillée- argument de vente basique. L'argumentaire est répété ad nauseam. Sur écrans vidéo les figurants apparaissent et se multiplient, pour reproduire et affadir à l'infini le discours, le vider de son contenu. Les intentions ont disparu, ne reste que la méthode. Mise en évidence, sans indulgence. Lessivé, on est prêt- mais sans plus savoir pourquoi- à mettre la main à la poche pour débourser les euros demandés. L'entreprise est en tout cas d'une provocation salutaire. Cela ne fait que commencer...

    Pourquoi se porte on candidat à l'amputation? L'actrice plantée au micro déroule son argumentaire. Un argumentaire on ne peut plus cartésien. Sans un mot plus haut que l'autre, sans effet choc, sans affect, et pourtant une implacable violence est à l'oeuvre. Il est question du corps et de son intégrité, mais le corps n'est pas utilisé pour le discours. Seuls les mots: froids, et forts. Plus efficace que les provocations visuelles d'un Rodrigo Garcia. Les figurants en video font fonction de spectateurs, de jury populaire, dédoublent en miroir nos interrogations. Puis désertent un à un l'écran pour nous rejoindre dans la réalité. Le spectaculaire est refusé. Le vrai public est interpellé: "Autoriseriez vous Mlle S. à se faire amputer?" On s'attendrait presque à pouvoir voter comme dans les vieux spectacles de Robert Hossein. On balance, à l'image des figurants sur le trampoline... On prend le plaidoyer au sérieux, ne se demandant même plus ce qui ne tourne plus rond pour en arriver à se poser de telles questions. La forme est quant même, surtout, d'une sécheresse extrême, sans concession. Au bord de la non -représentation. On est décontenancé, au bord de la frustration... Quelques incidents surgissent pour s'évader du réel: un geste, soudain une chanson. Mais on applaudit, convaincu par l'audace et l'intelligence du propos.

    On se dispute à la sortie pour maintenir que la pièce n'est pas manipulatrice. Notre interlocuteur nous soutient que tout est présenté de manière tendancieuse, pour amener à des conclusions préparées, et dans la direction du politiquement correct. De notre coté, on assure que la beauté de l'exercice est de remettre le dilemme moral à l'ordre du jour. Presque du Corneille post moderne. On loue le parti-pris de sobriété dépassionnée du plaidoyer de la volontaire pour l'amputation. La subtilité de ce beau texte. Deux jours plus tard, notre contradicteur prend un malin plaisir à nous faire partager sa découverte: la source internet  du texte qui a été repris quasi mot pour mot dans la bouche de l'actrice. Ce texte même qui avait suscité notre admiration. Malaise. Rien dans le programme ne renseignait sur les origines du discours. A-t-on été pour de bon manipulé? Ni plus ni moins que public cible du discours humanitaire incklu dans le spectacle?  Difficile à dire. On balance encore. A y repenser, le monologue n'a été présenté ni comme un témoignage, ni comme une fiction littéraire. Juste comme un matériau ambigue, laissé à notre interprétation. Mais on était plus à l'aise, avec les lettres authentiques de Samuel Daibler, présentées pour qu'elles étaient. Et libres aprés de s'intégrer dans le tout de la création. On est prévenu contre les discours. Mais quelle est la méthode?

    C'était Un inconvenient mineur sur l'échelle des valeurs de Patricia Allio et Eléonore Weber, avec Marc Bertin et Charline Grand, à la Grande Halle de la Villette, avec 100 Dessus Dessous.

    Guy

    P.S. : Réactions contrastées sur France Culture  http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/toutarrive/fiche.php?diffusion_id=63926

  • Neuer Tanz: Rien de Neuf

    Il y a de plus en plus d'artistes sur toujours les mêmes scènes pour à peine plus de spectateurs, chaque semaine une nouvelle chaîne de télévision pour diffuser des rediffusions, et jour et nuit du bruit partout, des dégueulis d'information en ligne pour copier/coller les mêmes rumeurs et/ou communiqués mille fois répétés et cent moins souvent vérifiés, des gratuits dans le métro avec des articles de cinq lignes et des journaux payants- au bord de la cessation de paiements- qui ressemblent de plus en plus à des gratuits, des contrôleurs de gestion qui formatent les f_239.jpgnouveaux produits culturels les yeux dans les yeux des hommes de marketing eux scrutant à coups de sondages quotidiens l’âme d'un public sous influence des publicitaires, et dans les librairies deux fois plus de nouveaux titres chaque année qu'il y a trois décennies et toujours un peu moins de livres vendus (sauf le goncourt qu'on achète pour ne pas le lire). On dit, en riant jaune, que les seuls encore à vivre décemment de leur metier dans le monde de l'édition sont les transporteurs, qui chaque semaine livrent aux libraires de pleins camions de nouveautés et en remballent autant d'invendus: c.a.d les nouveautés livrées le mois d'avant et à peine sorties des cartons.

    Pendant ce temps, les dix de Neuer Tanz déballent des centaines de livres pour les disposer sur le sol, jusqu’à pleine occupation du terrain. Avec méthode et frénésie. Pour dessiner au pied de la lettre le vide ou le trop plein d'un paysage culturel désespérant? Ou illustrer littéralement le dicton, selon lequel moins on a de culture plus on l'étale? C'est en tous cas rien de plus que cette activité qui est donnée à voir, ou- pire encore- ce qui en découle en terme de variations chorégraphiques, répétitives jusqu'à l'écoeurement. L’espace visuel est envahi de signes inintelligibles, livres qui jamais ne seront lus. L’espace sonore saturé d’une techno roborative, superposée sur dix platines. Les manutentionnaires y posent à tour de rôle une note de trompette, dos au public façon Miles Davis dernière manière, plus préoccupé de tendances que de musique. Les va-et-vient des personnages dépossédés, sourires figés, entre livres et cartons se transforme en pas de danse sans sens, qui gagnent leurs voisins par contagion. Ce qui est tristement posé est l’impossibilité de l'identité. "I don't want to be anybody" chante l'un avant de ressembler aux autres. La singularité est une maladie mortelle, qui lorsqu'elle fait à terre une victime fige un instant la communauté dans l'effroi et le silence. Mais une femme fatale agonise dans l’indifférence générale, le temps d'une pause sur un mode piano-bar.

    L'exposé est implacable, et tout autant indigeste. Ceux qui avaient trouvé le temps long durant la pièce d'Arco Renz tout à l'heure ne connaissaient alors pas leur bonheur. Arrive enfin le moment où tous les livres sont déballés, la scène entière envahie. Alors le vague espoir d’une sortie du purgatoire. Que quelque chose de vrai survienne. Un commencement. Mais les dix entreprennent aussitôt de tout remballer dans les cartons, tout aussi systématiquement: on prend la triste mesure du temps qui reste, autant qu'on a déja enduré. La démarche tient de l’acharnement. On repart comme aprés avoir subi la fastidueuse démonstration de faits dont on était d'avance convaincu.

    C'était Das Chrom + & Du, de VA Wôlfi (Collectif Neuer Tanz), à la MC93 de Bobigny, avec les Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine Saint Denis.

    Guy

    photo du site des rencontres chorégraphiques

  • sx.rx.Rx: Samuel Daiber nous a compris

    Ici la langue est une inconnue, intrigue. Contre le sens, bute. En exclamations, se musicalise. Tourne en rythmes. Sur la toile vidéo se dessine une ligne. Des signes. Un mur? Au milieu toutefois une porte ouverte. Là l’ombre, l’image, la place de Samuel Daibler. Dans un champ clos, toujours. Comme celui de la folie ?

    Bien qu’interné comme lui, Samuel Daiber n’est pas Antonin Artaud. Ce qu’on entend ici-des extraits de lettres authentiques- témoigne de l1327953100.jpga démarche introspective de cet homme, montre un langage en train de se construire, laisse une trace de sa lutte, perpétue son manifeste. Ni plus, ni moins. Ne prend pas valeur d’œuvre, à priori. Plutôt constitue un document. Mais Patricia Allio renverse joliment les postulats de l’intentionnalité poétique. Et fait jouer Didier Galas. Qui tient le rôle de Daiber, le rôle du Fou. C’est à dire qu’il marque l’hésitation, la perte des repères l’inquiétude…et la jubilation. Il joue le personnage, et non le texte. Mais le texte aurait il pu exister ici d'une autre façon?

    On l’écoute: Des phrases en cul de sac, et répétés: Sx.rx.Rx… Consonne, consonne, consonne, consonne, consonne, consonne…Peu de voyelles pour se rassurer. Fascinant, et difficile. Poésie sonore, d’accord. Mais comment l’écouter ? Poésie visuelle aussi. Sur l’écran, Daiber se considère, dans le champ clos se multiplie. Son errance se dédouble en vidéo. Nous plonge en rêve et vertige. On se dit que son langage est peut être vierge, ou amnésique. Non. Ce langage est construit. A l'extrême. Samuel Daibler aspire à un « logement officiel ». Il proteste… mais pour revendiquer la normalité. Une normalité, du moins. A l’inverse d’une position de révolte contre un ordre établi- tel qu’on le comprend ce soir et tel qu’on ne le lit pas dans les intentions de mise en scène…Samuel Daiber structure, d’une rigueur évidente, même dans l’inintelligible. « Je ne veux pas qu’on me rature. » Pour survivre, de mots et sons, il re-crée un ordre.

    Ses révélations énigmatiques nous portent au bord du fou rire, comme des équations illisibles au tableau noir, portées par une force de conviction irrésistible. Quelle distance subsiste-t-il, pourtant, entre lui et nous? Terriblement étranger, mais la situation spectaculaire nous invite à la rencontre avec cette grammaire hermétique. Qu'on aurait pu soi-même initier. Nous invite à pénétrer ce système clos et minutieusement organisé. La mise en scène crée ce désir. Rare rencontre. On comble les vides, on s’abandonne, on projette. De quoi nous libère-t-il? Il nous rend la parole en tous cas, nous provoque. Le lien se fait. Le lien ne se fait pas. Énervements. Fuites et claquement des dossiers. Ou de violentes révélations, comme celle qui emporta le Tadorne.

    A un moment: silence, danse, corps et images se tiennent en équilibre, sereins, au-delà de la raison. Samuel Daiber nous a compris.

    C'était sx.rx.Rx au lieu de garder silence j'ai voixé ♥♥♥♥♥, texte de Samuel Daibler, mise en scène de Patricia Allio. Avec Didier Galas.

    Au Théatre de la Bastille. Jusqu'au 30 mai. 

    Guy

    P.S. : On découvrira la nouvelle création de Patricia Allio, et Eléonore Weber: Un inconvénient mineur sur l'échelle des valeurs, à la Villette avec 100 dessus dessous, les 10, 11 et 12 juin. A en juger par ce qu'on en a entrevu de déja fort lors d'une ouverture de répétition au public, on s'attend à une perturbation majeure sur l'échelle de la réprésentation...

  • Avec Bertolt Brecht, le blogueur se dédouble

    Merci au Tadorne, c'est un animal d’une espèce très sociable, qui vous accueille volontiers sur ses territoires, qu’ils soient virtuels, ou bien terrestres. Comme ce soir à la Joliette, pour une fois l’air de Marseille y flotte aussi doux qu’à Lisbonne. Le long du port ont été abattus les taudis, et des tours surgissent de terre. La Minoterie résiste à la démolition pour perpétuer ici une mémoire de pierre, de bois aux couleurs chaudes et de théâtre populaire. Un lieu, forcement, pour jouer Brecht.

    Comme son titre ne l’indique pas, « La bonne âme du Se-Tchouan» est une pièce écrite en Finlande par un écrivain allemand en partance pour Hollywood. Et l e s chinois ont ce soir un accent provençal prononcé. On en conclut que la fable racontée ici a valeur universelle. Qu’en tous temps il est tout sauf évident de choisir entre le bien et le mal, lorsque l’on est d’abord contraint par la misère. Confrontée à ce problème, Shen Tsé, pauvre prostituée au bon cœur que les Dieux ont soudain gratifié d’un joli pécule, a trouvé une stratégie. Pour garder les moyens de faire un peu de bien, elle se dédouble en un cousin aussi imaginaire qu’impitoyables en affaires. Et lui cède la place, quand il s’agit d’assumer de dures positions à l’encontre de tous les miséreux qui s’abattent sur ses dollars comme une nuée de sauterelles.

    618037503.jpgCe dédoublement de personnalité, source d’inépuisables rebondissements, en évoque un autre: celui qui affecte le Maître Puntilla du même Brecht. Le meilleur des hommes quand il est ivre, le pire des patrons quand il est à jeun. Dans les deux pièces la leçon est la même: impossible de concilier morale humaine et propriété privée. Mais la comparaison entre la version qu’ Omar Porras avait donné de Puntilla en janvier dernier au théâtre de la ville, et la Belle Ame que l’on voit ce soir, embarrasse. Toute l’énergie semble ici se disperser dans les transformations successives du décor, un superbe ensemble de palissades de bois que les acteurs ré-agencent en de nouvelles combinaisons scène après scène. On est vite étourdi par cet incessant jeu de construction, sans réussir à comprendre ce qui est mis en place. Alors même que quelque chose ne semble pas décoller suffisament, dans l’interprétation. C'est que le catéchisme social du lauréat du prix Staline 1955 se fait pesant à la longue, il aurait fallu mettre en jeu beaucoup (et à la fois) de folie et de précision pour le faire passer en force. Et réussir un équilibre plutôt antinomique entre empathie et cynisme. Mais ici on décroche. Distancié pour de bon, trés loin. Et toujours le décor n’en finit pas de se transformer, en vain, fait écran. L’encombrement de l’espace visuel nous épuise les yeux, au détriment du reste. L’affaire dure quand même deux heures trente, et on sent le Tadorne –qui pourtant a couru de bien plus longs marathons- piquer du nez à nos cotés. Réveillé par des interludes dissonants façon Kurt Weil, joliment soufflés par un trio de cuivres (il faut bien un peu meubler pendant que les palissades sont démontées). On est surpris de sentir soulagé à la dernière scène, alors seulement quand le plateau est nu et l'esprit dégagé. On se lève, et –surprise ?- c’est à la pause que le meilleur théâtre fait irruption. D’un coup le Tadorne est bien reveillé. On lui rend la parôle...

    Je n’ai même pas le temps d’applaudir. La troupe démonte le décor, le plie, le case, le reconstruit. En un tour de magie (celui du théâtre !), les comédiens tombent leurs tuniques chinoises pour se vêtir de costumes de mariages. Alors que des salariés du Théâtre de la Minoterie apportent quelques friandises (savoureux sushis et autres combinaisons de fruits), nous voilà projetés dans l’opulence des bourgeois. Les artistes s’approchent pour nous parler et nous inclure dans un jeu de rôles étonnant où l’on couve le spectateur pour éviter qu’il ne se tire après les deux premières heures (décevantes) de la « Bonne ame du Se-Tchouan ». Le moment est délicieux, comme suspendu entre fiction et réalité. Après un quart d’heure, nous devons  redescendre sur la terre brechtienne pour « La noce chez les petits bourgeois ». Le théâtre n’attend pas.

    La table du banquet de mariage est immense. Seraient-ils treize que cela ne m’étonnerait pas. Les insultes volent haut et bas, tout dépend d’où l’on regarde. Les costumes en couleurs forment une mosaïque d’humeurs où je me surprends à faire des combinaisons parfois hilarantes pour ne pas perdre le sens. Cette pièce, écrite par Brecht avant l’arrivée du nazisme, transpire la déchéance à l’image de ces meubles de salon qui s’émiettent comme autant de valeurs qui finissent sous le tapis une fois fait le ménage des convenances. Je ris, mais le niveau de tension est paradoxalement assez bas et la mise en scène de Haïm Menahem met à distance le contexte de l’époque. Il n’en profite d’ailleurs pas pour actualiser le propos, préférant s’en tenir aux bruits, à la fureur, aux corps désarticulés comme langage d’un groupe social à la dérive. Certes, mais le tout me paraît distancié à l’image de cette table qui nous éloigne, comme si Haïm Menahem semblait gêné par toute cette opulence de mots et de corps et pour tout dire un peu dépassé par le chaos généré par sa mise en scène. Cette frénésie qui n’autorise aucun temps mort ouvre le champ aux comédiens pour déployer leur talent quitte à laisser le public sur le côté. Étrange paradoxe que d’assister à ce mariage en lointain spectateur.

    J’aurais bien aimé que l’on ne m’enlève pas le pain de la bouche

    C'était, de Bertolt Brecht et mis en scéne par Haïm Menahem: La Bonne Ame du Se-Tchouan (raconté par Guy) et La Noce chez les Petits Bourgeois (raconté par Pascal Bely).

    On peut tout relire, ici!

    Au Théatre de la Minoterie,  jusqu'au 17 mai.

  • Des courts encore en forme

    Prévenu depuis il y a deux ans déja, on est plus pris de court par ces formes courtes, qui se bousculent, audacieuses et abruptes. Avec des résultats contrastés- c'est forcé- mais sans jamais qu'on leur en veuille d'avoir tout essayé.

    L'exagération, pour commencer, avec la Sinistre Répétion. Pas si sinistre que celà: ça gueule trés fort maquillé blanc, dans une coméda dell arte d'un mauvais goût assumé. Le principe s'affirme ici d'étriller les codes de représentation. De l'acteur en cadavre las de rester allongé, aux lamentations de la veuve de théatre au delà du suraiguë, jusqu'au faux metteur en scène qui intervient à tout bout de champs. C'est une entreprise risquée, le rythme en est cassé. Mais à force d'excès et d'énergie, de grimaces, de boyaux brassés à pleines mains, on sourit, au moins.

    Pour continuer avec les codes à vue, il y a au début de Phèdre une accumulation telle que rarement osée de signes superposés sur les épaules d'un seul acteur: le récitatif, le travestissement en femme, le masque de clown, la gestuelle dansée, le tout sur une musique d'opéra...et c'est étonnant que le tout paraisse joliment cohérent! Quoiqu'à ce stade on ne fasse que sourire-encore!-, avant d'en revenir à une variation sur un spectacle en train de se faire. Ce qui laisse craindre un temps qu'on en revienne à une sinistre répétition de l'exercice précédent. Mais Eram Sobhani reste en juste équilibre, pince sans rire. Surtout Stéphane Auvray-Nauroy est tout Phèdre- généralisé en archétype de la passion amoureuse- digne et étonnant. Et finit par porter bien haut de beaux morceaux de texte, pour réhabiliter le sentimentalisme.

    C'était La Sinistre Répétition de la Dernière Scène de Florent Dorin, et Phedre, Pauvre Folle de Syvie Reteuna et Stéphane Auvray-Nauroy sur des textes de Racine et d'Eugène Durif, à L'Etoile du Nord.

    Deux des cinq propositions de cette semaine, dans le cadre d'A Court de Forme

    Guy

  • Toujours des formes en court

    Pour commencer par la fin de ces courts, Le Bruyant Cortège s'ébranle mais sans nous, laissés sur le coté du chemin. On sourit triste, une fois de plus, en le regardant défiler. La fête est désenchantée à dessein, l'agitation vaine. C'est forcé, vu le sujet: l'invocation moderne d'un Dyonisos libérateur, par des contemporains en mal de fantasmes. Mais le Dieu hermaphrodite n'apparaît en seins et postiche que pour aussitôt désintéresser ses adorateurs. Une allégorie trop parfaitement déprimante.

    Elle est plus drôle, paradoxalement, la proposition d'avant. Un chapitre des 120 journées de Sodome, sous la forme d'une lecture en costume et robe de soirée. Le phantasme est ici présenté d'une manière plus distancié: les recits de coprophilie sont articulés on ne peut plus chic. Mais le plat qui nous est proposé est quand même indigeste à force. Peut-on vite se blaser de tout, même de l'obscénité élégante? Une fois le premier effet de contraste amorti? Une fois le premier plaisir passé d'entendre le verbe "baiser" employé à l'imparfait du subjonctif? On re-decouvre que Sade écrit bien, mais on n'apprend rien de plus sur le texte, en fin de compte. C'est néanmoins grinçant et gonflé, et au moins de sentir le public ne pas trop savoir comment réagir. On aurait préféré cela plutôt que la voix d'Alain Delon en guise de bande son du dernier Piétragalla. On est en tous cas par principe rassuré de pouvoir entendre de telles choses sur une scène.

    Mais c'est avec Notre Père, que l'audace prend un vrai sens, au delà de l'exercice de style, et pour un résultat admirable. Les thèmes abordés sont des plus sombres, difficiles, dangereux: la mort et le deuil qui pourrit en plaie ouverte, les désirs tout autant lancinants, ambigus et inavoués, les liens qui se tissent entre toutes ces douleurs. Et quelque part, inommée, l'ombre de l'inceste. On pourrait être rebuté: on est pris à la gorge. Sans doute car, à l'inverse d'autres propositions de cette soirée, le choix est fait ici d'une intense sobriété, tous moyens concentrés sur l'obscurité et la lumière, sur la voix à vif et le corps exposé, épurés à l'extrème, de Celine Milliat Baumgartner, rejointe par  Marc Mérigot. Qui nous emmènent en direction du gouffre, avec le beau texte de Cédric Orain, toujours à la frontière de ce qui peut, de ce qu doit, ou non être dit, et une mise en scène d'une impitoyable précision.

    C'était Notre Père de Cédric Orain, avec  Céline Milliat-Baumgartner et  Marc Mérigot, Les 120 journées de Sodome de Sade adapté par Eram Sobhani, et Le Bruyant Cortège de Julien Kosellek, au Théatre de l'Etoile du nord.

    Jusqu'au 10 mai, avec chaque semaine deux autres nouvelles propositions, dans le cadre d'A court de forme.

    Guy

  • Manque: le principe d'incertitude

    Ce soir encore, Sarah Kane nous emmène jusqu'à un point de non-retour: discontinuité, renoncement à l'intrigue, à un lieu et à un temps determinés, dissolution des personnages... Juste quatre voix, quatre corps, quatre semblants de personnalités réduites à quatre intitulés: "C", "M","B","A". Quatre voix qui disent surtout ce qui fait mal. Il y a bien des pièges à éviter pour réussir à nous emmener jusque là, jusqu'à l'épure. Le danger de trop de pathos, ou trop d'abstraction.... 

    Mais ce soir on y arrive, et on y reste: sûrement question de rigueur, d'honnêteté dans la mise en scène. De musicalité aussi: cette musique est parfois aigre-douce, d'une ironie glacée. 259234562.jpgLe texte semble s'étonner lui même, violemment banal et toujours au bord de son abandon. "C", "M","B","A": les mots s'échappent, comme de situations devenues irréelles, nous frappent au coeur quelques instants et échouent à redéfinir ceux qui les prononcent. Pour nous ramener, à force de dialogues avortés, au coeur du sujet: la perte de l'identité, la perte du sens, l'incommunicabilité. Pourquoi va-t-on toujours voir du Sarah Kane? Et écouter cette obstination à toujours dire le presque insoutenable.... Mais plus les mots osent et avouent, se libèrent, moins ils construisent et signifient...  Au moins désormais savons-nous que nous ne sommes pas seulement ce que nous disons.

    Sur l'étroite estrade carrée au milieu de la scène, les personnages,-ou quoi d'autre que soient les corps que l'on voit- sont contraint à la proximité, à la redécouverte les uns des autres. En vain. Ils peinent à se toucher. Ils ne s'échappent de l'estrade qu'incomplètement, en tombent un peu au delà du bord dans quelques sobres tentatives d'extase ou de destruction. Se découvrent. Sans rien à perdre ni à cacher. Puis se dévoilent et se touchent enfin. Nous touchent peut être plus que les mots. Mais la chair est froide désormais, d'autant plus qu'exposée. Vulnérable et vraie. Que deviennent nos actes, nos paroles, quand s'évanouit ce qui les tient ensemble? La camarde, vêtue de noir, tourne autour de la scène pendant ce temps, commente de chansons. Tire les rideaux, règle son compte à cette pauvre humanité, dispense sans ciller terre, eau, sang.

    C'était CRAVE (MANQUE) ♥♥♥♥ de Sarah Kane, m.e.s. par Sophie Lagier, avec Vincent Bouyé, Corinne Cicolari, Nathalie Kousnetzoff, Magdalena Mathieu, Christophe Sauger, au Théatre du Chaudron (Cartoucherie). Jusqu'au 24 avril.

    Guy

    lire aussi : Neige à Tokyo

  • L jr ds meutr ds l'hist. d'Hmlt

    Paradoxe. La tragédie d'Hamlet en 1h20 et 4 protagonistes: c'est objectivement très court. Et en même temps c'est bien trop long d'y faire rentrer de force bien trop de choses. Effet d'un pêché de jeunesse, cette envie de tout essayer? Qui fait ressembler la proposition à un catalogue de procédés, même bien amenés, impression qu'on subit dès la première chute de projecteur (cardiaques s'abstenir). Singulièrement, toute la gamme des lumières y passe, de l'éclairage de la salle pleins-feux à la lampe-torche dans le noir, en passant par les néons clignotants. C'est la pièce à ne pas manquer pour tous les apprentis éclairagistes. Autant de prouesses qu'on remarque trop, au détriment du sens (à moins que le sens ne soit justement de mettre en évidence les artifices du théâtre?) De même pour tous les trucs à la mode-on se promet de hurler la prochaine fois qu'on voit une bicyclette sur scène. Phèdre, vue il y peu, osait beaucoup aussi, mais plus en cohérence. Dommage pour ce soir, car il y avait dans le jeu de quoi nous tenir toujours suspendu entre intérêt et agacement, en usant d'une désinvolture étudiée.

    Voire, l'exercice que s'était permis Koltes d'après Shakespeare n'était, de son vivant, destiné ni à la publication ni à la scène. Cet inédit aurait pu le rester, sauf à se passionner inconditionnellement pour l'auteur se découvrant auteur en disséquant l'oeuvre d'un auteur illustre. Pour autant la relecture d'Hamlet n'est pas impertinente, voire ne manque pas de pertinence. La langue accroche dans son rapport sec et âpre au modèle shakespearien. Mais- 1H20!- le résultat manque tout simplement d'espace et de respiration, de substance. Reste rétréci. Aussi squelettique que le crâne du bouffon. Le monologue passe tout prés de la trappe restée ouverte. A voir Hamlet en treillis, carabine à la main, avec l'accent chantant, on en reste au drame, mais familial et rural.

    C'était Le Jour des Meutres dans l'histoire d'Hamlet ♥♥ , de Bernard-Marie Koltes, m.e.s. par Thierry de Peretti, au Théatre de la Bastille, jusqu'au 20 avril

    Guy

  • Phèdre échauffée

    Mr Sarkosy, jusqu'à récemment, avait comme conseiller Mr BenamouNéron, il y a 20 siècles, avait Sénèque. Quand Néron signifiât sa disgrâce au philosophe, ce dernier se retira dans sa villa romaine, mais pour se donner la mort en se tranchant les veines. On ne souhaite pas un sort aussi extrème à Mr Benamou (qui semble avoir déja assez d'ennemis comme ça). Mais l'évenement illustre à quel point les temps ont 379373541.jpgchangé, et que les intellectuels ont perdu beaucoup de leur sérieux. Heureusement, avant de trépasser, le philosophe a eu le temps de nous transmettre, entre bien d'autres choses, sa version de Phèdre.

    Ce texte, échauffé par une mise en scène nerveuse et abrupte, on aime le recevoir comme un brûlot. L'auteur nous ramène jusqu'à une frontière. Artistique et idéologique. Il n'est pas indifférent que la vie de Sénèque commence à la fin de l'ère antique (vers 4 avant J.C.) et s'achève au début de l'ère chrétienne (65 après J.C.). On trouve les sources de ce Phèdre dans la mythologie, et chez Eurypide ou Sophocle. Mais Sénèque porte sur les dieux et les hommes un regard plus moderne que ses prédécesseurs, d'un point de vue moins religieux, plus critique. Reste encore dans la pièce toute la force sidérante des mythes, mais déja vis à vis d'eux la distance du moraliste stoicien. Qui met en scène et sous observation l'enchaînement fatal des passions humaines. Et le texte n'est en rien pollué par du sentimentalisme ou du psychologisme: merci pour ces quelques siècles de sursis. Uniquement de l'élévation, juste de la puissance, que de la dignité, et aucune familiarité avec le spectateur, aucune complaisance. On ne s'étonne pas que cet homme ait su se couper les veines.

    Question passions-puisque leur étude fait le sujet- il y a de la matière. Phèdre est fille de Minos et de Pasiphaé, lourde hérédité! Hérédité à laquelle- le texte est explicite- on ne saurait échapper. La Reine, délaissée par Thésée,  ne jette pas comme le fit sa maman son dévolu sur un taureau ("au moins lui il savait faire l'amour"), mais sur son beau fils, Hippolyte. C'est plus fort qu'elle...(mais soyons moins sévère que Séneque: depuis Phèdre nous ne cessons nous même de perpétuer tout ce que nous avons reproché à nos parents, ou ce qu'il nous ont chargé de faire à leur place). Cette attirance pour le jeune homme est tout autant contre-nature, selon les standards de l'époque. On aurait alors mauvaise grâce à reprocher à la mise en scène de ce soir d'être excessive. Hurlements et calvacades, Phèdre part à l'assault d'Hippolytepour lui montrer d'une manière plus qu'explicite qu'elle le veut, sexuellement parlant. Voudrait-on qu'elle lui propose plutôt une tasse de thé? Qu'elle s'offre calmement? Nous ne sommes pas chez Marivaux! Thésée, à son retour des enfers, n'est pas en reste d'agitation, lamentable surhomme, possédé par l'orgueil et la colère, alors qu'il apprend les (fausses) accusations portées contre son fils par Phèdre éconduite. L'intrigue atteint un niveau d'énervement et de déraison qui place le sur-jeu et l'emphase comme une norme logique. Seul à l'écart de ces tempêtes, complice de notre regard détaché, le joli couple du choeur joue de la guitare et du micro. La scénographie est magnifique: comme ces acteurs (et seuls quatre se succèdent sur la scène) semblent petits! Ils courrent d'un bout à l'autre du plateau, perdus dans l'imaginaire du décor esquissé, écrasés par la fatalité! L'immensité du palais froid est installé par d'amples vases au sol, remplis de matières élémentaires, colonnes que les lumières prolongent vers le haut. Bien sur, tout sera saccagé, répandu, emporté par les passions et le désordre, les vases renversés. Au mur se défigure un portrait de famille. En écho de la décadence. Doit-on s'agacer de détails: décolletés et bicyclette? C'est bien peu et rien du texte, pourtant d'une rare densité, n'en est gâché ni obscurci. Ce texte de Sénèque, somptueux, parsemé de joyaux incandescents et poétiques, riche de mille thèmes: la nostalgie d'un ordre originel, les considérations morales et politiques, jusqu'à la description- très gore- de la mort d'Hippolyte poursuivi par la malédiction paternelle. La main de Neptune n'est pas guidée par la colère des Dieux, mais par la folie de l'homme, la victime est réduite à une triste bouillie humaine. L'eau tombera en déluge, funèbre, pour tout laver et emporter: ce théâtre sait aussi s'apaiser.

    C'était Phèdre ♥♥♥♥♥, de Sénèque, traduit par Florence Dupont, m.e.s par Julie Recoing, avec Thomas Blanchard, Marie Desgranges, Alexandra Castellon, Grétel Delattre, Anthony Paliotti, au Théatre Nanterre Amandiers, jusqu'au 17 avril.

    Guy

    P.S. : (de mémoire), une dernière citation du Phèdre de Sénéque, pour la route: les peuples élèvent à leurs têtes des va nus pied, les encensent, et bientôt les rejettent...

    et des images ici ...

     

  • Troilus et Cressida en V.O. (Director's cut)

    Merci à Declan Donnellan: il nous permet de découvrir enfin Troilus et Cressida in-extenso. Et du même coup, on comprend comment J.L. Jeener avait pu couper 70 % du texte dans la version vue au T.N.O.  C'est que la pièce est bizarrement construite. On est habitué à ce que Shakespeare 1709927291.jpgmène plusieurs intrigues de front. Mais ici il y a incontestablement deux pièces en une, et très peu d'interactions entre les deux: d'un coté l'histoire d'amour entre les deux personnages du titre, de l'autre tout un épisode de la Guerre de Troie. Ils sont venus, ils sont tous là: Agamemmon, Achille, Priam, Hector, Paris, Menelas, Helêne, Nestor, Ulysse, Patrocle, Ajax, Cassandre, Andromaque.... Donnellan  aurait pu couper exactement ce que Jeener avait gardé, et renommer "Hector et Achille" le résultat. Mais le metteur en scène a choisi l'intégrale, en anglais dans le texte, et en deux fois une heure-vingt mais qu'on ne voit pas vraiment passer.

    Car formellement, rien à redire: très beaux et drôles les troyens en dominante beige décontracté, impressionnants les grecs en noir martial et sévère. Le tempo est parfait, le phrasé Shakespearien impeccablement articulé en V.O., la tragédie mise à distance en comédie. Le dispositif bi-frontal autorise défilés de mode comme défilés militaires. Pourtant, à force de voir tout ce savoir-faire à l'oeuvre, on se demande si l'exercice ne tourne pas un peu vain. Coté coeur l'intrigue amoureuse parodiée atteint l'absurde, d'accord: Créssida blonde très blonde, carrement gourde, Troilus absolument gland. Jusqu'à la conclusion, les anti Roméo et Juliette. Coté épé l'histoire guerrière est menée et minée avec un art joyeux de la démystification, c'est entendu aussi. Tout le ridicule de l'honneur militaire cruellement mis en évidence. Nestor est une vieille baderne, Ulysse un politique pas franc du collier, Ajax un crétin authentique. Les autres ne valent pas mieux. Tous se prenant trés au sérieux dans cette histoire d'hommes avant tout, de vrais hommes, qui jouent du menton et jouent à la guerre comme on joue au polo, en compétitions cruelles puis embrassades dans les vestiaires, un univers masculin très british. Les femmes sont remises à leur place, sous contrôle. On se garde de toucher Cassandre, de peur de la contagion. De loin, comme un star, on admire Hélène. A la limite on préfère s'en passer, les relations entre Achille et Patrocle vont visiblement bien au delà de la simple camaraderie. Tout ça est réjouissant, mais les deux pièces tardent toujours à s'articuler.1391729653.jpg

    C'est durant la dernière demi-heure que les deux histoires se réconcilient, que le tout prend un sens, au delà de la simple valeur distractive. La traîtrise d'Achille, qui la trêve de la veille embrassait Hector à la loyale, fait écho à la trahison amoureuse de Créssida vis à vis de Troilus. Les scènes de mise à mort de Patrocle, puis d'Hector, sont montrées telle l'arrivée de Cressida dans le camp grec: à la manière d'un viol collectif. Sale guerre, sexe sale. Chacun pour soi: Cressida comme Achille défendent leur peau. La morale se charge brusquement d'un incurable pessimisme. Shakespeare ne semble plus rien pardonner. Les hommes ne sont qu'enfants cruels et les femmes marchandises, qui passent de camps en camps, parfois maman ou star toujours plus ou moins putains. On croit presque voir du Sarah Kane, Guerre et luxure à tout jamais, dans le lit au combat aucune place pour l'honneur ou la loyauté.

    C'était Troilus et Cressida ♥♥♥ de William Shakespeare, m.e.s par Declan Donnellan, au Théatre Les Gémeaux, à Sceaux. En anglais surtitré. Jusqu'au 30 mars.

    Guy