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Un Soir Ou Un Autre - Page 41

  • Portraits croisés

    C'était l'idée de cette été, au départ à l'occasion du débat au forum du off d'Avignon avec Pascal Bely: "Quels espaces de parole pour le spectacle vivant?".  Que quelques bloggeurs s'essaient à expliquer leur démarche, et tenter le portrait d'un autre blog... comme pour esquisser une cartographie des blogs consacrés au spectacle vivant.

    Ainsi ici la contribution de Martine Silber, à lire aussi sur son blog Marsupilamima, suivi de ma reaction, et de l'évocation du Blog de l'Athénée

    Martine Silber : D'abord merci pour la description du blog. Je l'ai démarré juste après avoir quitté le journal Le Monde, à l'automne 2008 et mes premiers billets font souvent part de ma découverte de la "blogosphère" et de mes interrogations. Bien entendu, cela est dépassé aujourd'hui. Mais l'objectif reste le même, un objectif principalement journalistique. Comment écrire et faire de la critique autrement que sur le papier?

     Le constat est assez  curieux: ne plus donner d'infos, c’est à dire ce qui fait l'essence même du journalisme. Pourquoi? Parce que ces infos sont sur les sites des théâtres, dans les dossiers de presse, sur d'autres blogs, dans les rubriques de la presse en ligne...Un exemple: pourquoi recopier le programme du festival d'Avignon puisqu'on peut le télécharger à partir du site du festival? Autre exemple, les infos pratiques (dates du spectacle, dates de tournée, adresse et téléphone des lieux, tarifs,  durée de la pièce, sa distribution...tout cela est en ligne, il suffit de mettre le lien. Autrement dit, c'est utiliser ce que l'on appelle  du journalisme de liens au sein du billet.

    Reste le reste...c’est à dire faire partager des plaisirs et des émotions. Pour l'avoir trop fait, je n'éprouve aucun plaisir à descendre un spectacle raté. Je le passe sous silence. Mon objectif est d'amener des lecteurs à ce partage du bonheur que donne le spectacle vivant. Partager est le mot le plus important, tout comme on partage des liens sur les réseaux sociaux, je cherche à  partager dans un billet un ressenti, une chaleur, une admiration.

    J'ai un peu tendance à "négliger" les grands spectacles des grands théâtres, parce que j'aime les petits lieux, la banlieue, les gens qui se donnent un mal immense pour faire vivre le théâtre et qui méritent toute notre reconnaissance...

    Mais je cherche aussi à soigner l'écriture, je me relis plusieurs fois, pas seulement pour éliminer les fautes de frappe, mais en travaillant  la construction du billet, passant un paragraphe plus haut ou plus bas, je cherche les mots, les formules, j'évite les métaphores etc...

    Je viens de passer un mois quasiment sans poster car j'ai été prise par d'autres activités puisque je viens d'animer plusieurs tables rondes (à Lyon pour les Archives Internationales du Roman, puis à paris Pour le festival Paris en toutes lettres) et j'ai lu une bonne vingtaine de bouquins pour les préparer ce qui prend du temps. Et mon blog me manque, je vais donc y revenir incessamment avant et pendant Avignon.

    J'ai connu Un soir ou un autre grâce à des discussions avec le Tadorne et je partage justement avec son auteur Guy Degeorges, cette curiosité pour les endroits peu connus, les spectacles un peu bizarres, et une certaine mansuétude à l'égard des ratages! En revanche, plaçant le texte au cœur de mes découvertes, il peut m'arriver de parler de littérature  mais l'éclectisme de Guy, toujours porté par sa curiosité, et qui se passionne pour toutes les formes de spectacle vivant  m'enchante. Nous devrions aller au cirque ensemble....

    Guy Degeorges : Merci à Martine pour ce passage de relais. Si elle revient assez tôt d'Avignon,  elle peut m'accompagner au cirque à la Villette ou au T.C.I. en juillet...

    Je ne parlerai pas plus avant d’Un Soir Ou Un Autre, sinon pour évoquer ma rencontre récente avec le sympathique Marc Molk.  Marc est peintre, son projet est donc de créer des œuvres destinées à durer. Marc a également écrit un livre- Pertes Humaines – dans lequel il s’efforce de fixer le souvenir de personnes qu’il a perdues de vue. Le soir de cette rencontre, nous avons parlé spectacle vivant.  Marc me confiait son trouble d’assister à la création d’œuvres qui, le temps de la représentation épuisé, ne pouvaient survivre que dans notre mémoire.  Il me semblait quant à moi que  beaucoup de l’intensité de ces rencontres artistiques se jouait dans cette éphémère même. Toutes les traces écrites tentées ensuite sur ce blog ou ailleurs, ne se résumant alors qu’à des échos déformés, juste des mercis, des adieux et des renoncements. C’est sans doute tout simplement de cela dont il s’agit ici.

    Parlons plutôt de Clémence Hérout. Clémence accomplit chaque matin, sinon l’impossible, du moins l’inattendu. Quand, il y a deux ans, Clémence a annoncé qu’elle créait le blog de l’Athénée, et qu’elle y écrirait un billet quotidien, je l’ai félicitée comme tout le monde et lui ai souhaité bonne chance. Comme beaucoup, j’étais persuadé que son entreprise était vouée à l’échec, c'est-à-dire qu’elle ne pourrait jamais trouver chaque matin quelque chose de nouveau et d’intéressant à écrire sur son sujet.

    Je me trompais.

    Car il suffit aujourd’hui de lire le blog de Clémence pour se rendre compte qu’aucun matin n’y ressemble au précédent. Mais que l’on peut chaque jour y partager sa passion méticuleuse pour les grandes et les petites choses qui font que le théâtre existe : les textes, les idées, les lieux, les textes, les objets, les enjeux, surtout les gens…  avec un regard qui  sans cesse se déplace, une curiosité qui ne s’épuise pas.  En évitant le piège de la critique de spectacle, mais en explorant tout ce qui rend le théâtre possible, bien au-delà de ce qui ce qui ne concernerait que le seul théâtre de l’Athénée.

    Ce faisant, Clémence a créé un nouveau métier (ce qui en revanche n’arrive pas tous les matins!) : celui de bloggeur d’une salle de théâtre, et a établi une distance et une indépendance originale vis-à-vis de son institution.

    Pour éviter d’embarrasser Clémence avec plus d’éloges, je vais donc conclure en exprimant un regret, ou du moins une frustration. Clémence écrit très bien. Elle est très jeune (c'est-à-dire qu’elle a bien moins de trente ans) donc est très sérieuse (à l’écrit du moins, mais il est vrai que sinon je la connais peu). Elle ne laisse dépasser aucune faute d’orthographe, emploie toujours des mots justes, et me vouvoie quand je laisse un commentaire sur son blog…. avec ce côté sciences-po-première-de-la-classe, toujours contrôlé et ne voulant à aucun prix être prise en faute, même si sous la pertinence pointe souvent l’impertinence. J’ai le sentiment de ne voir que la partie émergée de l’iceberg… quand lirai-je une Clémence réellement emportée?

    Lire la suite sur Le blog de l'Athénée...

  • Les Mystères de Montreuil

    Je n’irai pas cette année au Théâtre de la Ville, je préfère faire ma rentrée théâtrale à Montreuil : par un rendez vous à la sortie du métro. A cette sortie de la station Croix de Chauvaux, on devine presque à coup sûr qui vient pour la soirée de performances, ou qui simplement vit par ici. Le réseau, né à Montpellier, s’appelle hors-lits, essaime de ville en ville sans faire trop de bruit. J’en ai eu connaissance en découvrant la création de Thibaud Croisy. Ce soir, vingt-cinq arrivées plus tard, ensemble direction un appartement après l’autre pour dans chacun y retrouver un artiste. Les déambulations dans les rues de la ville rappellent d’agréables réminiscences d’école buissonnière. Ces incursions dans ces espaces privés, bulles invisibles dans la densité urbaine, semblent plus troublants que nos visites à force sans surprises dans les théâtres institutionnels. On rentre dans le secret des vieux immeubles ou des résidences, on suit les couloirs et on monte les escaliers, on franchit les portes, pour y envahir ensemble une chambre ou un salon.

    La danseuse Christina Towle nous accueille dans une pièce (un espace) remplie de ballons comme pour une fête d’anniversaire, pour une pièce (une proposition) qui se joue dans les rapports entre son corps et son souffle. Elle inspire et expire, avec le ballon à ses lèvres forme un nouveau système fait d’interdépendances, nous fait deviner dans l'équilibre de son corps les plus délicats ajustements, et peu à peu jusqu’aux plus spectaculaires. C’est harmonieux, sur le fil des nuances, et- pourquoi pas?- d’une candide sensualité. J'ai pourtant le sentiment que j’aurais pu apprécier exactement de la même façon cette proposition vue sur une scène, il y a en cet endroit sans doute juste un peu plus de présence.

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    Les deux performeurs visités avant elle, exploitent plus avant les ressources de ces lieux sans barrières, pour un soir à l’intersection de l’art et de la vie quotidienne. Gaspard Guibert nous fait un drôle d’escogriffe surexcité, et va vite au contact. Pas de quatrième mur (tout juste au plancher une bande adhésive): il en profite. Un coup de calva, la bise à l’une, à l'autre, et encore, puis à chacun d’entre nous jusqu’au dernier (il pique un peu), comme nous tous invités à une soirée entre potes. Avec des interpellations aussi déjantées et mécaniques que le pas de danse en rap à son entrée. Dans le semblant d’échange qu’il nous propose, il transforme en effets de style ses hésitations, rébondit sur nos timides réponses, les réitérations nerveuses tuent les significations, les récits loufoques et rébus fusent et se perdent en route pour faire monter la confusion, ses mots érratiques et sur son visage ses tics grossissent en miroir nos manies. Dans ses cinq mètres carrés ce garçon joue bien et à fond la situation, et avec une franche physicalité. Violentes gesticulations, imprévisibilité, espaces réduits, 25 spectateurs entassés: une piquante sensation de danger...

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    S’agissant de Nobody’s Home de Malena Beer, le titre annonce fidelement ce qui est tenté ici. Et abouti. Comment l’artiste peut elle devant nous, dans ce lieu privé, se montrer sans se montrer vraiment? Toujours présente mais en se cachant, elle et son corps à coté. Vu différemment. La danseuse joue avec nos perceptions, par légers décalages, surtout le visage toujours escamoté. Cela m’évoque par moment les travaux de Sofia Fitas, mais dans un contexte et sur un rythme bien différent. L’étrangeté nait de peu, d’une pomme de pin, du glissement de la robe et de pas en coté, de gestes différemment agencés… L’exercice est ardu dans la grande proximité avec nous que permet cette soirée, l’artiste n’élude pas la difficulté, vient errer dans nos rang. La semi-nudité n’y change rien: traits cachés et mouvements déformés son ensemble, son identité, continuent à nous échapper. Elle-même parait perdue, aveuglée, prisonnière, ne semble pas habiter dans cette pièce-même, ouvre la fenêtre en vain, échoue hagarde à s’évader contre les murs. Mais le titre peut signifier qu’elle ne s’habite pas elle-même non plus. L’exercice, étonnament, nous touche avec plus d'humour que de gravité, finit dans un beau paroxysme de courses, charges, chocs et chutes, aux limites du contrôle et de la raison.

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    C’était Horslits Montreuil, dans des appartements à Montreuil avec Sinon on fait comme ça(ou autrement) de Gaspard Guibert, Airtight de Christina Towle, Nobody’s home de Malena Beer. Et (non vu) Déconnexion d’Anne Donard et Aude Halary.

    Ce soir samedi encore, et complet je crois.

    Guy

    photo de Guillaume Bassinet, avec l'aimable autorisation de Christina Towles

  • Un Prophète

    Ce qui me fait venir à la Cartoucherie c’est la curiosité, le hasard d’avoir à la fois relu Jean Giraud, et vu « La Montagne Sacrée ». Pour une soirée à la croisée, où se rapprochent les disciplines dans une étrange promiscuité- danse, poésie, musique, peinture-autour de Jodorowsky, qui est un artiste indiscipliné. Quelqu’un à coté d’où on l’attend, surprenant dans la cohérence de ses œuvres et collaborations avec le Mime Marceau ou avec Moebius, de la poésie au cinéma et à la bande dessinée, de la psychanalyse à la magie et au tarot. L’homme charme dès l’entrée en scène, son essence même de charmer. Il parait ne pas avoir oublié d’avoir été un jour acteur, son pas insouciant des années, le sourire dévorant, la barbe enneigée de maitre et la voix rocailleuse, cabot et modeste. Ici sur scène pour bien plus que de lire des poèmes- mais au juste pourquoi faire ? - et l’air de pouvoir tout improviser, être aussi inattendu que notre attente même. Au cœur d’une profusion de sensations, le tout orchestré en liberté par Carolyn Carlson. Sur les tableaux partout les couleurs pleurent, gravitent autour de lui sept jeunesses dans une danse fluide, les musiciens font gémir des ombres. Le tout montre pour commencer plus de liberté que de profondeur, et les échanges d’abord par dessous. Jodorowsky lance des haikus, autant de traits qui touchent et s’évaporent, puis explore l’espace de tout autour, ceux qui partagent la scène. Carlson le tempère, son double sans un mot, moqueuse, son pôle opposé. De son bras elle dessine des réponses, d’un geste esquisse d’autres interrogations. Jodorowky délivre ses aphorismes, ni oracles ni vérités figées. En quelques mots sa voix enfle pour partager la condition humaine, le tragique, la violence et le sacré, le sacrifice de soi pour la quête de l’être. Alors des instants de tension, de gravité. Que soulignent les danses, les musiques et les tableaux en mouvement. Ou la voix s’apaise ironique, pour des instants de légèreté, tout renoncé. Mais aussitôt il renonce aux mots, reconnait leur vacuité pour aller toucher les corps, les corps d’abord et sa voix les caresse. Plus que lui c’est Carolyn Carlson qui semble être la sagesse même, la sagesse muette. Elle le suit, le défie, le cajole, le provoque, le taquine, le sublime et le démystifie. L’aide à rendre au public la sagesse que celui-ci lui prête, pour chacun puisse chercher son chemin. Tout ceci n’étant qu’un rêve, la peinture prête à se dissoudre et la danse oubliée, ni peur du vide, de la vie et de la mort, sans limites, jusqu’à un grand éclat de rire et un tendre pas de deux.

    C'était Poetry Event A partir des haïkus d’Alejandro Jodorowsky, tirés du recueil Les Pierres du Chemin. Danse: Carolyn Carlson, Interprétation Jacky Berger, Chinastu Kosakatani, Céline Maufroid Danseurs du Centre Chorégraphique National de Roubaix Nord-Pas de Calais Avec 7 danseuses du Conservatoire à Rayonnement Régional de la Ville de Paris
    Poèmes Alejandro Jodorowsky, Peintures Pascale Montandon. Au théatre du Soleil avec June Events.

    Guy

  • Autocensure

    Par respect envers la sensibilité de Gilles Jobin, je retire de la publication en ligne l'article du 19 janvier dernier concernant Black Swann vu au théatre de la ville.

    Guy

  • Pendant ce temps, à Paris...un communiqué du Théatre du Nord Ouest

    Labiche sauvera-t-il le Nord-Ouest de la faillite?

     

    Madame, Monsieur,

     

    Cette gazette est d’un ton inhabituel car les dernières semaines ont été mouvementées.

    Nous avons été fiers de notre intégrale Strindberg et de la saison Des Prisons et des Hommes qui s’est achevée le 20 juin. Mais les recettes ont été modestes. La petite subvention du Ministère de la Culture a encore diminué. Le loyer a encore augmenté du fait du jeu des indices. Bref, notre théâtre a failli mourir lors d’une audience le mois dernier au Tribunal de Commerce au cours de laquelle l’Urssaf a demandé la liquidation de la Compagnie de l’Elan et la fermeture du Nord-Ouest. Grâce à l'énergie d'un avocat merveilleux et de son équipe, le Tribunal de Commerce a accepté de ne pas nous « liquider », mais d’ouvrir une procédure de redressement judiciaire. Le Nord-Ouest est donc depuis le 1er juin sous la tutelle d'un administrateur judiciaire. Il fera un rapport au Tribunal cet automne ; au vu des recettes des prochains mois, il conseillera, nous l’espérons, la poursuite de notre activité. La bonne nouvelle a été la réaction de tous : metteurs en scène, comédiens et surtout de vous, fidèles spectateurs. Notre intégrale Labiche vient juste de démarrer et, preuve de votre soutien, vous êtes déjà nombreux à avoir acquis un passeport Labiche. Eugène Labiche n'est sans doute pas Auguste Strindberg, pourtant il faut aussi prendre ses pièces avec sérieux. Labiche s'amusait de ses contemporains ; il les peignait dans leur vérité. Il avait compris que les hommes n'écoutent qu'eux-mêmes. C'est le théâtre de l'égocentrisme. Il suffit d'accentuer un ou deux traits pour déchaîner les rires. Chacun est enfermé dans sa folie et elle est contagieuse. Et c'est cette folie qui nous fait tant rire ! 166 pièces ! Plus d'une soixantaine seront mises en scène ; les autres seront présentées en lecture. Pendant 9 mois, pas moins de 400 comédiens de 40 compagnies théâtrales vous feront partager ce rire. Espérons que cette nouvelle folie sauvera notre cher théâtre.

     Vous trouverez notre programmation détaillée sur la page Programmes de notre site : www.theatredunordouest.com

    – La Compagnie de l’Élan

  • Transparence

    Le rideau devant la scène est sans relache tiré, ouvert, fermé, mais, translucide, laisse presque tout deviner, autant que le déshabillé de Mme Ventroux. Qui elle ne se soucie pas de cacher quoi que se soit, surtout en cet été de canicule, toute en naturel et transparences alors que le député Ventroux s'attache maladivement aux bienséances, aux apparences. Lui plus soucieux d'escamoter toute suggestion de nudité que de dissimuler aux yeux du monde d'autres turpitudes, petits arrangements et trafic d'influences, enveloppes de billets glissées par son visiteur, l'infâme maire Hochepaix. Un leure? A notre place de spectateur est censée oppérer non pas le regard de l'opinion publique (déja désabusée), mais l'oeil acéré du redoutable Clemenceau, debout au balcon opposé. Quand enfin le journaliste du Figaro viendra enqueter, il n'aura d'yeux que pour madame et son fessier. Rappelons que nous sommes en 1911, evidemment, aucune actualité.

    Feydeau revient en ce mois de juillet 2010 plus féroce que jamais, mais sa pièce toute retournée, telle une longue scène de ménage qui échapperait aux protagonistes. En cent ans, on se lasserait de voir Mme Ventroux toujours déshabillée dans le même sens. Elle apparaît aujourd'hui plus logique qu'ecervelé dans son parti pris d'honneteté vestimentaire, d'une réthorique implacable et d'une présence débordante. Et le député Ventroux, éffrayé par la vie, pantin névrosé, agité comme un personnage de BD, dans ce combat vaincu d'avance. La victoire de madame est amère. Son mari ne la voit plus, qui se soucie seulement du regard des autres sur sa chair. Est ce pour celà qu'elle vient en avant-scène, en beauté dans la lumière, nous déclamer un pot pourri de chansons retros aux effets mélancoliques? Vue, entendue, émouvante. La mécanique de Feydeau s'enclenche implacablement, le temps se dilate dans l'absurdité logique des enchaînements, avec un parti pris ici moins comique que vertigineux, cruel et désabusé. La drôlerie est alors le dernier effet de l'effroi et de l'incontrolé. Au final, tous voiles tombés, la sereine nudité de Mme Ventroux (l'injonction-titre du député plus que jamais impuissante en matière de théatre contemporain), est moins violente que la folie indifférente du député.

    C'était Mais n'te promène donc pas toute nue de Georges Feydeau, mis en scène par Sandrine Lanno, avec Melanie MenuLoïc-Emmanuel Deneuvy, Joël Koné, Miglen Mirtchev, Sergueï Ryschenkow, lumières de Xavier Hollebecq.

    Au théatre de L'étoile du nord, jusqu'au 25 juillet.

    Guy

    lire aussi:  Cannibalisme tenace de Sandrine Lanno avec Mélanie Menu

  • Vu avant Avignon:Gertrude crie toujours deux fois

    mis en ligne le 20 juillet 2009

    S'il s'agissait d'un combat, ce serait celui de David contre Goliath: cette troupe venue d'Auvergne n'a sûrement pas disposé ne serait ce que du dixième des moyens dont avait bénéficié Giorgi Barberio Corsetti pour monter Gertrude (Le Cri), à l'Odéon.

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     photos par Dominique Jouvet avec l'aimable autorisation du Théatre du Corbeau Blanc

    Et pour nous c'est tant mieux: à voir cette mise en scène plutôt bas budget (qui d'ailleurs fût la toute première à être créé), on se dit rétrospectivement que la version parisienne s'égarait par trop de digressions, décors coulissants, déboités, renversés, effets et fumée... Ici nécéssité fait vertu, tous à vue et cadre unique, des tables, des verres et de la lumière, priorité aux corps et aux textes à cru, l'énergie bien focalisée. La pièce y retrouve une certaine clarté- même toute relative s'agissant d'Howard Barker, les dernières scènes posant toujours problême. Les personnages bien dessinés, impliqués, assumés: la vieille plus vieille, Cascan plus didactique et détaché-presque un choeur antique, Hamlet plus veule, Claudius plus accro à Gertrude, et Gertrude encore plus impudique, voire plus tragique... Bel équilibre: complexité et ambiguités du texte ne sont pas pour autant sacrifiés à ces caractérisations. Avec le teléscopage des niveaux de langage émergent de nouvelles significations, des oppositions plus marquées entre idéalisme et matérialisme, et ainsi dans le prolongement des entreprises d'Hamlet les périls d'une dictature misogyne et puritaine...

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    Ces beaux acteurs prennent tout les risques... le plus flagrant est de choquer, le plus essentiel est de jouer l'émotion et l'incarnation dans le cadre d'un théatre contemporain. Le personnage de Ragusa, par exemple, y gagne d'exister. Sous le trash et le rock 'n roll est posé un certain classicisme, de ces déclinaisons c'est avant tout Howard Barker qui ressort vainqueur.

    C'était Gertrude (Le cri), par le théatre du corbeau blanc: texte d'Howard Barker, mise en scène de Günther Leschnik, traduction de Jean-Michel Déprats et Elisabeth Angel-Perez, avec Sophie Millon en Gertrude (déja vue dans M.A.M.A.E.),Sébastien Saint-Martin, Denis Mathieu, Guillaume Caubel, Marie-Pascale Grenier, Véronika Faure, Thomas Roche.

    Dans le cadre du Festival "Nous n'irons pas à Avignon", à Gare au Théatre.

    Guy

    Lire Gertrude, version Odéon

    Le Théâtre: Entrepôt - Compagnie Mises en Scène

    1 ter Bd. Champfleury - derrière la Gare

    dates: du 9 au 18 Juillet 2010 à 17h30

    Spectacle de 2 heure - Réservation: 06 27 11 48 84

     

  • Vu avant avignon: Charmatz et Balibar, la danse en rémission

    publié le 16/11/2008

    D'abord il leur faut arracher la peau qui colle sur le sol, à défaut de celle qui recouvre muscles et os. 

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    Il leur faut gratter cette glue, ce placenta, avec les doigts, découvrir ce qui est caché dessous, le mettre à jour, ce qui est dedans aussi. C'est Boris Charmatz qui est à l'intérieur du camion, enfermé dans la boite, caché et montré à la fois, en tous cas déséquilibré, en danger, secoué en tous sens à faire sortir de lui tous les mots vrais. Ces minutes exacerbées, à elles seules valent tout. Le camion est conduit par Jeanne Balibar, ce camion est massif et sourd. A l'arrêt pesant à pousser comme les souvenirs oubliés. Une fois emballé, comme un taureau mécanique, aux phares aveugles, hors de contrôle à effrayer le premier rang, à dessiner des cercles vains et une chorégraphie lourde. Au volant Balibar dit les textes d'Hijikata, des textes qui creusent les origines, celles de l'existence autant que de la danse. Des textes durs, concrets, couverts de boue. Qui évoquent des corps souffrants, des corps boiteux, mous, arqués, crottés, malades, douloureux, pas glorieux. Les corps de Charmatz et Balibar sont blanchis et un peu nus, seule concession visuelle au buto, s'affalent l'un sur l'autre. Bien vulnérables et chétifs, s'offrent à la massivité du camion. "Les gestes morts qui sont dans mon corps je veux les faire mourir encore": ces mots et certains des gestes, encore en gestation, Charmatz les chantait déjà il y a quelques semaines . Il s'agit toujours et encore ici de mémoire, de refus des formes trop usées- abolies en une introduction "Boris brûle-t-il"-, et de recréation du spectaculaire. Ce soir en hommage aux mots d'un danseur, un hommage humble peut-être. Le résultat peut ne ressembler à rien, ou sembler déséquilibré, ou par certains aspects insatisfaisant, c'est qu'il est, toujours et encore, inédit et urticant.

    C'était La Danseuse Malade, chorégraphie de Boris Charmatz, avec Jeanne Balibar et Boris Charmatz, sur des textes de Tatsumi Hijikata, au théatre de la ville, avec le festival d'automne à Paris. C'était fini samedi.

    Guy

    A lire: bien culturel, et un témoignage décontenancé, Et (enfin!): Le Tadorne et Images de danse.

    photo par Fred Khim, avec l'aimable autorisation du festival d'automne à Paris.

  • Si j'étais en Avignon...

    ...j'irais, surement, revoir Jesus Sevari.

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    Jesus Sevari / Absolutamente
    chorégraphie-interprétation: Jesus Sevari
    Scénographie-lumières: Yann Le Bras

    Un an avec Berlioz. 45' de danse.
    CREATION 2010 Du 8 au 14 juillet à 10h
    FESTIVAL AVIGNON OFF - Théâtre de la Condition des Soies
    13, rue de la Croix  - Avignon - 04 32 74 16 49

    CHILDE
    essai chorégraphique sur une symphonie de Berlioz

    Jesus Sevari cherche une porte pour entrer en communication avec des temps anciens, à la racine de nos identités. Archéologue du sensible elle fouille avec ses os, ses muscles, sa posture au fil de la symphonie Harold en Italie: cette musique qui a « quelque chose de primitif sinon d'antédiluvien » selon Heine, porte ici dans sa quête initiatique un corps en constante métamorphose qui déforme l'espace autour de lui comme une matière élastique. Pour la composer, Berlioz s'est inspiré des pérégrinations du héros romantique Childe Harold de Lord Byron. « Childe », c'est-à- dire « destiné à être chevalier ».

    "Une féminité solide et chaleureuse qui séduit, parfois dérange. Terrienne et sereine"
    Guy Degeorges, Un Soir ou Un Autre
  • Magma hors du temps

    Je ne regrette pas cette première partie de soirée au Forum du Blanc Mesnil avec David Playe, qui installe en octet des paysages sonores lents, entêtants, saturés. Une synthèse, sans fausses notes ni incohérences, de jazz rock, de progressif, électronique, chants de dandys décadents, free jazz, fusion, métal... Ce qui situe très exactement la différence de nature entre ce projet et l'expérience que je vis ensuite: la musique de Magma en effet ne ressemble à rien d'autre qu’à elle-même.

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    J'attends ce moment depuis près de trente ans. Trop jeune pour avoir connu l'époque des grandes éruptions du milieu des 70's. Assez vieux pour un rendez vous manqué au début des années 80, lorsque que le groupe se recherchait lui-même en des territoires esthétiques où je ne le suivais plus.... Mais survivaient les éclats discographiques. Dont la fureur, la révolte et l’audace m'avaient laissé incrédule, bouleversé. Surtout cette absence de recherche de connivence avec l'auditeur, cette immédiateté dans l’impact émotionnel, en même temps cette radicalité qui contre toute attente transcendait la naïveté. Je réécoutais inlassablement ces cris incroyables, pour en comprendre les énigmes, et savoir à quel degré accepter cette mythologie. En vain, sur de fausses pistes. Je comprenais enfin que c’était cette sidération, indépassable, qui était elle-même source de jouissance. Depuis le volcan s'était endormi. Il s’est réveillé il y a 10 ans. Les musiciens ne sont plus les mêmes et Christian Vander- pour ceux qui l'ignoreraient: le créateur, leader, compositeur, batteur et chanteur de Magma- ressemble à un homme de son âge, et tout cela n'a aucune d'importance. Il ne s’agit ici pas de nostalgie, de revival. Cette musique existe au-delà du temps. Hors des modes et contingences. Colère et beauté toujours présentes. Mais le temps a fait sans doute qu’en l’espèce tout s'est épuré, qui ne serait pas musique, vers des aperçus d'absolu. Plus besoin de costumes extravagants- juste le sigle et de sobres et sombres vêtements. Pour toute mise en scène, la violence des lumières. Renoncées les tentations de "traduire" les paroles des chants en Kobaïen, de comprendre au delà de l'émotion. Finis les discours, et les provocations. Le mythe est installé, juste dissipés ses aspects les plus puérils, il reste l'ambition et le projet. Rien que la musique donc, mais dont les enregistrements ne peuvent jamais restituer qu'un écho. Il faut vivre l'expérience du déferlement de cette musique au moment même où elle se crée, où elle se manifeste. Voir alors les musiciens emportés dans un même mouvement, comme s'ils ne formaient qu'un seul corps traversé par quelque chose de plus important qu'eux. Ni soli, ni compromis, ni enjolivement. Hors de propos ici de mettre en valeur quelque individualité, les prouesses de tel ou tel instrumentiste, le leader y compris. No jazz. La virtuosité ici se fait humble. Les formules rythmiques sont proprement ahurissantes, mais cet exploit est collectif. L’épurement œuvre au cœur de la musique même. Les thèmes se concentrent à l'essentiel, s’étendent mais s’approfondissent en redondances, unissons et répétitions. Les variations se succédant imperceptibles, jusqu'à l'hypnose ou l'abandon. Jusqu’au franchissement de ce point où il parait impossible que la course de cette masse sonore ne puisse jamais s'interrompre. Une seconde pèse une heure, et inversement. Les constructions fractales se précipitent: des accélérations inhumaines qui me laissent bouche bée. Les instruments incarnent l'équilibre dynamique et  précaire des forces élémentaires, dans les extrêmes du grave et l'aigue. Voix et cymbales aériennes, basse qui gronde monstrueuse et terrienne, infatigable soutien rythmique et harmonique des claviers. Le vibraphone, aquatique, laisse suspendu des interrogations, des mystères. Le feu porte l’ensemble à blanc. Tout à la fois la batterie scande les chants, et d'éclats et roulements de caisse claire tente de casser le temps, comme, pour juste quelques fractions de secondes, révéler des reflets d'éternité. Ce suspend impossible, vers le temps zéro, se dérobe sans cesse. Spectateur, témoin de cette recherche utopique de l'accord parfait, je ne peux que m'abandonner à cette cérémonie, cette expérience presque mystique, sinon juger le tout ridicule et renoncer. La posture de Magma par rapport à son public, quoi que respectueuse- il n’est plus question d’exterminer les spectateurs, comme le suggérait autrefois une pochette de disque…-, reste singulière et intransigeante. La relation exigeante. En deux heures de concert, naissent, vivent et meurent trois morceaux seulement, dont deux inédits. Le second, aux accents folkloriques entre musiques celtes ou de l'Europe de l'Est  si l'on tient absolument à lui rechercher des ascendances, surprend par sa fraîcheur, et sa légèreté. Enfin la suite EMEHNTEHTT-RE, exhumée ou ré-agencée de sections déjà créées par le groupe au cours des années, et objet du dernier cd. Sans que cette démarche ne puissent être suspectée de commerciale ou d'opportuniste: le fan qui viendrait au Forum ce soir pour s’entendre servir des morceaux-relativement-plus populaires : Kobaïa, Mekanïk Dëstucktïw Kommandöh en serait pour ses frais. L’entreprise consiste plutôt à revenir sur cette œuvre inachevée, sans se soucier de l'historicité, pour l'amener vers une forme supérieure. Au cœur de cette pièce: HHaï m’emporte. C'est, je crois, la plus belle et incroyable chose offerte par Magma. Les parties instrumentales déferlent en un torrent irrépressible, le chant de Christian Vander concentre en sa voix toute l'ampleur et les contrastes de sa musique démesurée, dans ses gestes les manifestations de la transe transcendent le fait qu'il vienne se mettre au premier plan. En médium, simplement. L'histoire ne peut que finir tragiquement, par une lancinante répétition d’accords  sur coups de cymbales, une oraison funèbre, une descente au tombeau, pas de rappel ni résurrection. Cette musique pourrait représenter à l’instant précis de la mort l’écoulement de toute la vie. Maintenant il fait nuit.

    Guy

    C’était Magma, avec Christian Vander (Batterie, chant), Stella Vander, Isabelle Feuillebois et Hervé Aknin (chant), Bruno Ruder (piano Fender Rhodes), Philippe Bussonnet (basse), James Mac Gaw (guitare), Benoît Alziary (Vibraphone, claviers) au Forum du Blanc Mesnil , le 12 juin 2010.

     Magma joue du 23 au 26 juin, au Triton (Les lilas)