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Un Soir Ou Un Autre - Page 44

  • Des regrets: l'opéra de 4 sous

    Le drame se fige au ralenti en une construction géométrique, l'espace en lumières ostensibles, à-plats et ellipses, la chair des acteurs blanchie et figée, le jeu de même. Les personnages se meuvent grimaçants et poudrés, en caricatures grinçantes. Ce cabaret intemporel et de néons est épuré jusqu'à en devenir funêbre, en un mélange déconcertant de vulgarités étudiées et de raffinement formel. Je jouis des rengaines universelles de Weill et m'ennuie du texte de Brecht ainsi fossilisé. L'orchestre, d'une implacable précision, manque de mordant. Je suis fasciné par ces ensembles impeccables, ces lignes pures, ce défilé de fête foraine symbolisé en quelques roues lumineuses, par ces chorégraphies au millimêtre. Je me prends à rêver d'accidents, d'indeterminé, d'éclats et d'à peu pres. Deux heures aprés, je m'échappe à l'entracte, dehors la vie m'attend.

    C'était l'Opéra de 4 sous de Bertolt Brecht et Kurt Weill, par le Berliner Ensemble, mise en scène de robert Wilson, au théatre de la Ville.

    Guy

    lire aussi: les trois coups et webthea

  • Du jazz pour maintenant

    Les rythmes se bousculent et en triple file se dépassent, en fusion se rejoignent. Les harmonies entourent et s'étendent, généreusement. Les lignes serpentent sur un tapis boisé de contrebasse, d'accents de cymbales, de notes égrenées noires et blanches, impatientes. Les rôles s'échangent. L'œil danse sur la chorégraphies des mains et des instruments, ces vibrations qui se propagent aux épaules du contrebassiste, ce batteur qui bat de la tête, ce poignet droit du pianiste qui vers le bas s'échappe après l'attaque... Le trio s'est baptisé Sphère, j'entends plutôt un triangle aux angles impossibles qui se distendent jusqu'avant la rupture, se retournent en tout sens, jubilants. La musique est colorée, expressive et tendre, emporte dans l'émotion, et loin, sans faire violence.  

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    Je cherche les réminiscences de trios d'avant: ceux de Bill Evans, Keith Jarett... puis j'oublie, je jette. Pas besoin de références: ils sont eux, ils sont jeunes-bien que plus ou moins barbus pour donner le change- et en compositions toutes originales et aussi fraiches qu'une ballade matinale, un matin de printemps. Du jazz pour le troisième millénaire, qui, une fois la tradition assimilée, s'oublie et recommence, à neuf.

    C'était Sphère, avec Jean Kapsa (piano), Antoine Reininger (contrebasse), Maxime Fleau (batterie), vu et entendu au Sunside.

    Photos par Alice Rain avec l'aimable autorisation de Jean Kapsa

    Guy

  • Sous le voile

    Plein écran en fond de scène, en réponse à une requète google portant sur le niquab plane un nuage oppressant de mots et d'images, de non-dits et d'arrières pensées. En pleine confusion, le corps répond. En s'engageant résolument dans l'expérience de ce voyage dansé sous voile intégral. Héla Fattoumi se livre sans équivoque ici à un acte politique, dont on comprend vite le sens et les convictions. Peut-il s'agir dans le même temps un véritable acte artistique? Je le crois.

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    Pourtant un moment j'en doute, alors que nous sont lentement infligées, denoncées, ces sourates, reglements d'une étouffante précision, précis d'interdit et de contingentement du corps féminin. Mais j'en suis persuadé, quand ce corps lutte et s'exprime: une forme à deviner dans le tissu, qui joue avec ambiguité (des coudes, ou des fesses, ou des hanches ?) une danse du ventre invisible sur un air de disco arabisante. Une icone chrétienne. Un long moment de face à face impuissant avec un regard prisonnier, d'où rien ne s'échappe, que des larmes perlées. Ce visage confisqué. Un affaissement comme animal, effrayant, en tas destructuré. Une bouche qui se devine, s'asphyxiant lentement d'une respiration opressée. Une origine du monde fulgurante. Une main qui s'échappe, mutine, qui vers nous trouve son chemin. Toujours la révolte et l'impuissance. Clandestinement, la statue de la liberté. Une séance de pliage résigné de tissus sans sens. Surtout en toute beauté un corps féminin qui s'exacerbe en transparence, trouve malgré tout sa voie impudique et et souveraine rendue au soi. Un aveuglement soudain. Jusqu'au déchaînement, comme au sens premier du terme, jusqu'à l'épuisement alors, mais aussi la libération. Pour fionir avec ce chant d'hommage aux femmes qui se révoltent dans un monde d'hommes. Ces images fortes m'engagent, même si de tous ces tissus je perds parfois le fil.

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    Je vois et je ressens les beaux gestes engagées d'une femme libre. Je ne sais si elle pourra convaincre au delà d'évidences déja partagées par les uns, mais je sais que ses simples gestes sont courageux.

    C'était Manta, d'Héla Fattoumi et Eric Lamoureux, au Théatre de la Cité Internationale jusqu'au 16 avril.

    avec, samedi 10 avril, une table ronde avec Héla Fattoumi à 17H, et à 16H et 20H VIP défilé de Majida Khattari.

    Guy

    photos de L.Philippe avec l'aimable autorisation du TCI

    A lire: le tadorne , Le monde, critiphotodanse, lunettes rouges

  • Je baise les yeux (je n'ai pas trouvé de meilleur titre pour ce texte que celui de la pièce)

    Alors que s'installe l'assistance, les trois conférencières déja assises discutent à mi-voix, dénudées derrière la table, l'air de rien et seins à l'air... Cette entrée en matière nous place dans la perspective d'une pièce de danse contemporaine débribée, la feuille de salle suggère une performance aux développements plutôt intellectualisés, les premières minutes nous installent dans la fiction d'un talk show télévisé avec des professionnelles du strip-tease... Il s'agit un peu de tout cela à la fois, et aussi d'un drôle de canulard qui nous prend à contre-pied, comme l'annonce la barbe postiche de mlle Gaëlle Bourges et ce titre à retourner en tout sens: je baise les yeux.

    Au premier degré, on écoute les effeuilleuses invitées. Elles témoignent sur un mode documentaire auprés de l'animateur des réalités du théatre érotique. A savoir les conventions du strip tease en tant qu'acte spectaculaire, les conditions économiques de l'exercice de ce métier, les relations de travail et motivations personnelles des artistes, la sociologie et la psychologie du public, ainsi de suite... La bonne nouvelle, c'est que traités à juste distance, avec quelques ruptures déconcertantes, ces échanges sont décalés et hilarants, et les rôles savoureusement bien distribués. Gaspard Delanoë plus que parfait en interviewer pédant et féru de références culturelles hors de propos pour réhausser les évidences. Les trois performeuses se distribuent les rôles du jeu, de la généreuse candide à la contradictrice systématique. Le débat s'épice pince sans rire, et l'on se rend compte que les platitudes qui sont dites n'en sont pas moins des vérités. L'ironie n'est elle ici qu'un habile moyen pour y nous sensibiliser?

    L'exercice risquerait pourtant de lasser sans les travaux pratiques...Nous surprend alors un nouveau renversement: puisque que la conférence est nue, les strip-tease resteront habillés, les attentes du public déjouées. Chacune se révèle dans son style. Gaëlle Bourges dans une recréation effrénée de Saturday Night Fever en talons aiguilles, Marianne Chargois en contorsionniste à la fois poétique et provocatrice, Alice Roland en créature de cuir et de chaos.... Derrière les codes aguicheurs et les poses explicitement sexuées se profilent des imaginaires érotiques singuliers, et de fulgurantes affirmations chorégraphiques. La lecture à plusieurs niveaux de leurs paroles et de leurs gestes s'enrichit dans l'ambiguité lorsque l'on considère que les trois interpretes pratiquent professionellement le strip tease... Mais à l'issue de cette performance drôle et fine, focalisée sur l'ailleurs d'un théatre ouvertement libidineux, est paradoxalement occulté une interrogation inhérente à la situation qui vient d'être vécue: la place de l'érotisme dans le cadre d'une performance contemporaine.

    C'était Je baise les yeux, m.e.s. par Gaëlle Bourges, avec Alice Roland, Gaspard Delanoë, Marianne Chargois, Gaëlle Bourges, à la Ménagerie de Verre.

    Gaëlle Bourges est en résidence à Point Ephémère, et crée en mai La Belle Indifférence aux rencontres du 9-3

    lire aussi télérama et les trois coups

  • Performances ?

    Les performeurs de New York City débarquent ce soir à Vanves, sur une "plate-forme transatlantique de performances". En premier: Trajal Harrell. Je suis rebuté par la feuille de salle, hermétique et ultra-référencée: "Que se serait-il passé en 1963 si un participant de la scène voguing de Harlem s'était présenté dowton pour se produire aux côtés des premiers post-modernes du Judson?" Il est vrai que je ne m'étais jamais posé cette question avant. Je n'ai pas la réponse en regardant le performer se rhabiller 20 fois d'affilée pour se composer un nouveau look à chaque fois. Cela dure 50 minutes. Ce systématisme conceptuel me parait au début assommant. Las quand je constate que l'on en est qu'au 3° carton seulement. Mais je retrouve de l'intérêt à l'exercice au moment où Trajal Harell s'incarne dans ses rôles avec une intensité communicative: alors il joue, il mime, il danse....

    Milka Djordjevich  est sur scène dans le noir. Silhouette blanche et deviné, elle éclaire d'une lampe de poche des fragments de sa nudité. D'un bout à l'autre du plateau, arrétées, des poses minuscules. On s'habitue à l'obscurité. Puis la lumière se fait. Le plateau est nu, la performeuse est habillée. La suite, c'est de la danse (contemporaine). Et toujours bienvenue.

    Idem pour Liz santoro et Gilles Polet,  en un duo qui part d'un balancement lent pour aller crescendo, corps ondulant et regards fixes, et se poursuit sur un rythme déglingué à tenter de se faire tomber l'un l'autre....Mais je regarde et à chaque nouvelle proposition la question de la classification continue à me parasiter. C'est assez obligé, de la manière spécifique dont a été annoncée la soirée. Si on me demande ce qui caractérise une performance, je ne saurais pas l'expliquer rigoureusement. Les définitions, je les laisse à mes amis universitaires distingués. Ou à tout volontaire plus bas en commentaire. Cependant je pense pouvoir plus ou moins reconnaitre ce qu'est une performance, ou non. Quand Gaël Depauw fait maquiller son corps nu en huis clos par un spectateur à la fois, c'est de la performance. Quand Eléonore Didier danse deux heures (nue ou pas) pour un spectateur unique, c'est de la danse, je crois. Même si beaucoup s'appliquent encore à lui expliquer qu'elle fait des performances.

    Puis, comme par intrusion, un jeune homme se tord et chancèle, torse nu, bouche baillonnée, mains comme ensanglantées. Il tombe, éperdument. Sur son corps le rouge se répand, on entend des bruits de manifestation, de colère, de coups de feu, il s'obstine à se relever. Un appel à la prière et des sons de tambours: il tourne sur lui-même à l'infini, arrache son bâillon et crie "liberté". Afshin Ghaffarian, torturé là- bas et réfugié ici, vient d'Iran où il lui est interdit de danser. Une performance, je ne sais pas. C'est vie, la vraie.  

     

    Guy

    C'était la soirée Focus NY d'avalanche sur Pompéi d'Artdanthé, avec "twenty looks or Paris is burning at the Judson Church(s)" de Trajal Harrell dramaturgé par Gérard Mayen, Study N°1 (light), (kris kross) & (action) de Milka Djordjevich, En Dash de Liz Santoro & Gilles Polet, et Afshin Ghaffarian.

  • Faire part d'une agonie annoncée

    Dans le lit au centre: l'agonisante, ce lit posé dans cette chambre sombre et nue, dépouillée mais que l'on situe quand même au XIX° siècle, une époque où la mort (ainsi que la naissance) n'était pas encore sous-traitée par les familles aux hôpitaux.... LA MORT: le gros mot est prononcé, et dès le titre, sans plus de précautions. Avec Je suis morte  Isabelle Esposito poursuit avec courage ou inconscience son parcours artistique sur un chemin solitaire et escarpé. A l'accompagner on jouit pourtant de points de vue qui valent le déplacement. Mais pour cela il faut un peu oser: dans notre univers mental desacralisé, et borné par l'illusion du droit au bonheur et du risque zéro, l'obsénité artistique la plus impardonnable consiste bien à montrer la mort plutôt que le sexe. 

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    Tout bien pesé, on rit alors beaucoup, au moins en dedans. On rit en silence, la respiration en sursis de la mourante tenant lieu de bande son. Ce silence, on l'accepte aussi. Pâle et diaphane, yeux fiévreux, Maxence Reyest une impeccable agonisante, aux râles inguérissables et aux gestes finissants. En cet instant elle n'est pas seule, plutôt bien entourée, dans l'entre deux. Entourée de morts et vivants. Ce n'est au début pas si facile de distinguer les uns d'autres. De sa place, au milieu. Parmi tous ces personnages, lesquels sont donc les fantômes de ses rêves et regrets? Et parmi eux lesquels sont les derniers accompagnants- frère, soeur, docteur- ceux-là pas au mieux de leur forme, du moins dans le regard de la mourante. Les endeuillés surgissent d'une porte noire et béante, leurs gestes souffrent saccadés et leurs pas tremblent. Les fantômes nés de ses délires ultimes, sont quant à eux souvent des bons vivants, doubles bondissants, qui batifolent, se taquinent et se poursuivent dans le plus simple appareil. Dans ces deux mondes dont elle est le point de rencontre, et sous ces deux lumières, le malaise se dissipe par l'effet libérateur d'un burlesque grinçant. Cette dé-dramatisation ne tourne jamais au ridicule, pourtant. De temps en temps la presque morte s'extrait de sa situation, pour s'adresser à nous posément droit dans les yeux. Ces moments nous permettent de relâcher quelque peu la tension, et aussi de nous faire prendre conscience qu'il s'agit pour le reste d'un pur théatre sans texte. Muet mais jamais ennuyeux, parfaitement chorégraphié et joué avec jubilation- certains matérieux déja travaillés dans vieille nuit ici réordonnés. Le tout est d'une claire et irréprochable construction.

     

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    Sans ostentation, donc un beau pas vers la réalisation de l'idéal interdisciplinaire. Déja à ce stade, car je suis le témoin privilégié d'un premier filage, l'oeuvre a alors encore un mois devant elle pour s'affiner. Isabelle Esposito semble résolue à gommer de la pièce tout ce qui lui semble encore trop naturaliste en état... Pour ma part je suis heureux du premier résultat, les yeux ouvert sur l'insaissable qui se délite, l'âpre fugacité de souvenirs sitôt condamnés. Yeux ouvert sur la mort vue en face sans tricher ni happy end, mais avec lucidité et tendresse, pour exorciser les peurs et cicatriser les regrets. Elle est morte bientôt mais reste vivante... jusqu'au dernier instant.

    Ce sera Je suis morte, mise en scène, chorégraphie et texte d'Isabelle Esposito, artistes interprètes : Christophe Cuby, Thomas Laroppe, Anthony Moreau, Isabel Oed, Maxence Rey, Alexia Vidals, vu en filage le 26 février, créé à partir du 25 mars à l'Espace 1789 de Saint Ouen.

    Guy 

    lire aussi: vieille nuit 

    photos de Christophe Rivoiron avec l'aimable autorisation d'Isabelle Esposito

  • La soirée de la femme

    La femme porte des siecles en elle, la mémoire dans les gestes, tout le fardeau des archétypes du passée. Le corps de Naomi Muto se tord dans les affres d'un imaginaire moyenâgeux. Silhouette avortée, et doigts crochus, en forme d'araignée toute ramassée, un animal de vieilles dentelles. Avec entre ses jambes torves une boule de cristal: une vieille sorcière de Shakespeare telle que Kurosawa l'aurait réssucitée. Prête pourtant à se métamorphoser en belle, grâces déliées, jambes qui claquent, elle danse comme des vagues nées du vent. Vieille à nouveau, elle reste bouche bée, et nous également.

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    La femme est quotidienne, d'hier seulement: Maki Watanabe en paysanne, telle une vieille enfant à la robe fannée. Innocente, malhabile. En mouvements entravés. Surtout humaine: tout est là et tout est dit, émouvant. Puis elle parle, des mots simples. Cette terrible humanité rend superbe même l'idiotie. Et montre, poignant, ce déchirement entre la trivialité et des rêves étoilés.

    C'était " Persistance de la Mémoire " de et avec Naomi Muto, avec Laurent Paris (guitare) et "Coucou, je danse comme toi" de Maki Watanabé avec le soutien de Gyohei Zaitsu.

    A Bertin Poirée, Dans le cadre du festival Danse Box

    Guy

    photo (sauf rapport direct avec la performance): Maki Watanabe

    A venir à Bertin Poiré: Marguerite Papazoglou et Claude Parle " The breakfast of the sea-dragon " le 11 et 12 mars, Cie Patricia NOVOA
    " Médée " le 18 et 19 mars

  • Et pourtant elles causent

    Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on entend beaucoup parler sur les scènes de danse. A tort et à travers? D'aucuns jugeraient, mais jugeraient un peu vite, que le discours est la négation même de la danse, rien qu'un processus d'intellectualisation s'exerçant à rebours du corps. Les choses sont moins tranchées, heureusement, et les frontières d'un flou salutaire: il existe du théâtre sans texte également. N'empêche. Trans-discipliner n'est pas transcender. Qu'ils soient rangés dans la case «théâtre » ou la case « danse » telles que définies dans les programmes des lieux culturels, un Jan Fabre ou un Rodrigo Garcia se rencontrent au milieu du gué pour se noyer dans le même didactisme pesant. Les mots alors utilisés pour en remettre une couche à la destination de ceux pour qui l'image n'aura pas suffit pour comprendre.... D'autres chorégraphes considèrent le texte comme un moyen supplémentaire et expressif dont ils auraient tort de se priver. Mais sans toujours savoir le manier ; leurs pièces s'enrayent souvent en route d'une parole tentée au mauvais moment, mal maitrisée, et peinent à redémarrer. Là voix et gestes dissonent. Plus prudente, Maxence Rey (Les bois de l'ombre) choisit de parler... mais sans un son, lèvres ouvertes sur le mystère, offrant le sens à l'imagination... Ce qui semble nouveau dans des pièces tentées par quelques chorégraphes féminins vues ces derniers mois, c'est le parti pris de mettre paroles et gestes à égalité, assumés au service d'une narration organisée. Elles racontent des histoires...

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    Aude Lachaise ose quelque chose (Marlon)qui ressemble dangereusement de part ses codes à un One-woman show. Circonstances aggravantes: elle parle de cul et de cœur, d'elle et d'hommes. Avec le "je' de rigueur et l'apparence des confidences. Pire: elle est drôle. L'effet de surprise passé dans un contexte de lieu de danse, la tentative fonctionne tout à fait. Et ce qui passe inaperçue à la première vision au profit du récit c'est toute la précision du travail chorégraphique. Il faut sans doute revenir sur les photos pour mesurer à quel point le geste s'intègre au récit. Parler et bouger ainsi, c'est s'offrir deux fois.

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    Sophie Boquet(Golden Girl) raconte une histoire de blonde. Mais l'histoire d'une blonde triste. D'une fille simplette et aux rêves de star, qui va au devant d'inévitables désillusions. L'approche est inhabituellement sociologique, et la place de la danse singulière, puisque celle-ci intervient en complément du récit, selon les situations. Ainsi c'est bien le personnage et non l'interprète qui fait son numéro de danse disco ou de danse sexy dans une boite de nuit, etc.... La danse tient pour ainsi dire pour l'héroine le rôle de leurre, la fait exposer son corps en marchandise. Le récit est doux amer, sans qu'on ne sache toujours à quel degré le prendre, à quelle distance se situer, nous laisse entre tristesse et tendresse. 

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    A l'opposé, la narration de Viviana Moin est purement poétique. Cette femme peuple à elle seule la scène de personnages impossibles et drolatiques: Billy (l'escargot), Mme Gonsalvez (au piano)... Se dévoue corps et atours à un sens aiguisé du ridicule, de l'absurde et de l'autodérision. Avec la même beauté mélancolique qu'ont les magiciens qui ratent toujours leur tour. La parole, chargée d'accent outre atlantique, est hésitante forcement, vite hilarante, d'une maladresse calculée qui fait déraper le récit, et ose entraîner la danse vers des situations très incongrues.

     

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    Et pour finir il n'y a peut-être pas tant de différences que cela entre une danseuse qui parle et une actrice qui danse. Marie Delmares gravit son sentier de dépendance en tutu. Pour un monologue sentimental avec un sens de l'espace bien senti et une franchise crue.

    Guy

    En photos:  Aude Lachaise(par Jerome Delatour) dans Marlon vu à Point Eméphère, Sophie Boquet (par Gaëlle Maegder) dans Golden Girl vu à Artdanthé , Viviana Moin( ici par Jérome Delatour dans Mme Gonsalvez), encore ce soir à Artdanthé  avec Kataline Patkai et Marie Delmares (par Gérard Marché) dans Sentier de dépendance en ce moment au Lucernaire

     

  • Le code a changé

    Ils dansent et jouent, mais leur jeu obéit à des règles aléatoires. Sur un plateau noir, dont l'image est projetée au mur, sont à intervalles réguliers par les uns ou les autres posés des objets: lettres, bonshommes, canards, voitures... A ces consignes codées et inattendues obéissent les danseurs, les musiciens et l'éclairagiste. On revoit ainsi souvent de mêmes séquences revenir, réagencées différement. De tels procédés les oulipiens ont fait un usage jubilatoire en littérature. Ces derniers s'éfforçaient à partir de contraintes inextricables de restituer aux oeuvres ainsi produites mouvement et sens. Mais ce soir, le code m'est inintelligible. Je ne comprends rien aux symboles posés sur le plateau. Je ne comprends pas l'enjeu d'obéir à ces consignes, ou de les détourner, et rien non plus ou résultat. A la matière dansée, riches en frictions, je pourrais m'intéresser, mais le cadre me rebute. En matière de danse, je suis pourtant rarement en demande d'explications, ni rationaliste à tout prix. Mais ce soir il y a un sens caché à l'aide d'un procédé élaboré et j'y suis étranger. Je me sens franchement de trop, frustré de sens.

    C'était Sur Faces, de Julien Monty et Michaël Pomero, au Colombier de Bagnolet, dans le cadre du festival Jamai(s) Vu!s

    Guy

  • Des bêtes avec âmes

    Juste deux conférenciers aux allures de losers, elle hagarde, lui la barbiche assurée. Avec leur réserve d'images, et un retroprojecteur comme dans une salle de sciences nat' poussièreuse. S'y glissent d'improbables gravures enfuies d'un bestiaire de l'absurde et débodent sur le mur. 

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    Ce cours n'est pas magistral quand les professeurs se muent en sujets incertains, deviennent matière à pensée, spécimens de moins en moins sûrs d'eux-mêmes: "il y a une machine dans ma tête qui prend toute la place et je ne sais même pas comment elle marche". Le couple se chahute, s'invective avec une cocasse obscénité, et des noms d'animaux. Mais les mots se jouent d'eux. La science déraille et s'égare, poétique et brinquebalante, devient méthode à réver, à déclasser et à juxtaposer les opposés. Les images sortent de l'écran et de nos cadres mentaux: de drôles de bestioles inattendues, mutantes et merveilleuses, les points de vues renversés et les choses jamais ce qu'elles semblent. C'est poétique et un brin mélancolique, les enfants rient beaucoup. Les mots flous, sans dessus dessous, se dérobent, modelés d'une pâte pétillante et colorée. Ils nous font animaux libres et métaphysiques (comme la girafe: bien au dessus de la physique)!

    C'était le Bestiare Animé de Véronique Bellegarde, d'aprés des textes de Jacques Rebotier, au Théatre National de Chaillot dans le cadre du festival Anticodes.

    Guy

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