Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Un Soir Ou Un Autre - Page 46

  • Les cris des spectateurs

    Le public manifeste, désinhibé comme rarement. Il se partage par manifestations entre incompréhension, soutien, et hostilité. Certains crient, ou rient bruyamment (il me semble à contretemps). D'autres imitent jusqu'à plus soif les bêlements, aboiements, et autres cris bestiaux poussés à un moment par les danseurs. Une spectatrice glousse quand sur scène s'échappe un sein.

    Pororoca.jpg

    Une partie du public soutient les artistes en applaudissant ou réclamant le silence. Certains soupirent, discutent à mi-voix avec leurs voisins, ramenés à l'ordre par d'autres dont un Jérome outré. Un long moment d'immobilité- les danseurs face à nous- fait croire à un salut qui déclenche des applaudissements prématurés et autant d'huées. Je ne sais coment recevoir ces réactions du public. Comme une forme d'engagement, une révolte légitime, une prise de parole de spectateurs mécontents et lassés de ne jamais disposer d'un espace pour s'exprimer? Ou comme de la grossiereté brute, un chahut d'école maternelle? Je me sens en tous cas géné pour ces artistes qui ne peuvent s'exprimer pleinement, et en raison du manque de patience, de curiosité et d'écoute de la part du public de ce soir aux Abbesses. Et j'aimerais être persuadé que ce public est aussi indiscipliné lorsqu'il est confronté à des oeuvres indigentes de chorégraphes plus installés que Lia Rodrigues. Mais également, je comprends. Il y a dans cet entreprise quelque chose d'inachevé qui provoque. Qui appelle des interventions, comme un vide qu'il faudrait combler. La montée finale des danseurs dans les travées, prend l'allure d'une désertion de la scène, comme si le propos de la chorégraphe s'était trop tôt épuisé. "Tout le monde n'en profite pas" reproche alors un spectateur placé de l'autre coté N'ont-ils plus rien à dire, aprés à peine 50 minutes écoulées? Quant à leurs intentions, je cherche en vain à les comprendre sur la feuille de salle, et sans plus de succés dans Libération.

    Tout commence bien pourtant, sur un mode collectif et revigorant. Ces jeunes gens déterminés envoient en l'air tout balader, de toutes les couleurs. C'est un beau foutoir. Puis on saisit vite le propos de la pièce, qui n'est pas trés original en soi, mais mené avec énergie: ces filles et garçons entreprennent de vivre à deux, tous ensemble. Et dans la sensualité, objectif jouissance. Les corps se projettent hauts, les hanches roulent exagérées, les peaux se recherchent et se trouvent vite, les regards caressent sensuels et gourmands. Les manoeuvres s'effectuent par couples dans un ensemble tourbillonnant, au rythme des respirations. Cet ensemble prend une belle énergie, une cohérence ébouriffante. Les corps crânent, le mot clé est la physicalité, débridée. Un arrêt sur images inquiète soudain. Puis les manoeuvres recommencent, mais semblent déja patiner. Entre deux pauses, d'une section à l'autre on ne voit que des variations, juste un peu plus que des nuances. Le public commence à attendre quelque chose et ne sait pas ce qu'il attend. Les danseurs s'accordent le temps de savourer des oranges, comme pour gagner deux minutes. Puis reprennent. Les épisodes suivant apportent quelques nouveautés, déclinées sur le thème des relations amoureuses: orgasmes trés verticaux, approches et étreintes plus agressives et forcés, orgie généralisée, retours comiques vers la bestialité, seins qui sortent et culottes mi-baissées. Mais une bonne partie du public s'impatiente, pour ma part je me demande si les improvisations qui ont donné la matière de cette pièce ont été suffisamment canalisées. Je ne parviens pas à donner du sens au résultat, ni comprendre sa progression, malgré la beauté et la vitalité des mouvements. Il aurait pû s'agir de l'épuisement d'une utopie hédoniste, qui sait? Mon attention se détourne par à coups de la scéne vers la salle, se lasse, je suis gagné par la distraction des rieurs et des distraits. Si le sujet de la piece est le "vivre ensemble", avec nous il n'est pas partagé, ou alors de manière trés imprévue et dissipée.

    C'était Pororoca, de Lia Rodrigues, au Théatre de la Ville  avec le Festival d'automne à Paris. Jusqu'à ce soir samedi.

    Guy

    Photo de Vincent Jeannot-Photodanse avec son aimable autorisation.

    P.S. : il s'agissait de la représentation du vendredi (racontée aussi ici), pour lire le recit d'une soirée plus calme cliquer là. Vendredi : Jerome Delatour calme le jeu...a-t-on sifflé sur l'octuple sentier?

  • Soudain un secret

    Bonsoir Marie,

    Un grand merci pour ton incitation/invitation à découvir Soudain l'été dernier. Il me fallait bien ça: j'ai toujours un peu peur de Tennesse Williams. Il y a tout ce texte, si abondant, tellement qu'on a parfois l'impression que les acteurs en sont à se battre contre lui.

    Marie Igor.jpg

    A un point qu'on se doute vite que tous ces mots, ces redites, ces accumulations, ont pour fonction de cacher la vérité plutôt que d'expliquer des enjeux et des situations. Et évidemment, le sujet de la pièce, c'est le secret. Les secrets, au delà du seul mystère du meurtre de Sébastien. Catherine- ton personnage, le témoin du drame- finira par réveler contre tous ceux qui refusent d'entendre cette vérité et veulent la faire taire, jusqu'à envisager de la lobotomiser. Il y a d'ailleurs une belle trouvaille de mise en scéne: ce jardin (secret) de Sebastien, au coeur de la maison, que tous admirent sans le voir: il est représenté sur scéne par un mur de lumière de coté, l'inconscient aveuglant hors de portée... Et d'ailleurs à part cela il n'y a pas besoin de beaucoup de décors, tout en sobriété. La piece, cruelle et concentrique, est entière construite pour préparer la révelation finale délivrée par Catherine, elle se rassemble autour de cette attente. On se console de ce qu'il y a d'un peu pesant et pas coupé dans la première partie en se disant que cela est sans doute nécéssaire. Puis tout s'accélère, enfin il y a ton monologue, trés logiquement dans cette construction dramatique une belle récompense. D'autant plus qu'en toute sincérité (il y en aura pour me croire complaisant, tant pis pour eux!), tu y es excellente. Trés émouvante. Tu réussis à ne pas quitter la fragilité de Catherine, sa folie, tout en installant une autorité dans ce recit précis et halluciné. (Catherine est-elle folle en raison de ce traumatisme, ou à cause du déni qu'elle subit depuis? ...) La scène donc est intense et en même temps d'un calme immense, presque en suspension, dans l'oeil du cyclone. On entend les oiseaux, on devine une lumière aveuglante, on voit sur cette plage ces enfants nus, noirs et malingres, on assiste au drame qui se prépare, cet avenir écrit, soudain au passé. En même temps, dans ce terrible récit tout n'est pas nommé, l'indicible au centre, le récit prend une telle force que toutes les interprétations ne sont pas épuisées, et résonnent encore à travers nos préoccupations contemporaines, prés de la brûlure des tabous... Alors tout commence! Heureux que vous ayez déja pleins d'articles, ici, et là encore (ce dernier texte à déconseiller avant d'avoir vu la pièce:il en dit beaucoup trop), ma contribution est donc un peu décalée.

    Plein de bises, Isabelle t'embrasse aussi, qui de même a adoré comme tu jouais, et me souffle "que les fumées de cigarettes dessinent un ciel noir et blanc digne d'un film de la MGM". Dernière chose: si tu peux me trouver des photos libres de droit, je prends volontiers.

    Guy

    P.S. pour qui d'autre me lit, c'est mis en scène par René Loyon, au Théatre de la Tempête, jusqu'au 13 décembre.

    P.S. du 27/11 : photo d'Antonia Bozzi avec l'aimable autorisation de Marie D. , et à lire, l'article de Martine

  • Un Ange punk

    Elle surgit brute, regard baissé, indéfinie, perdue. A ses pieds laisse tomber son survet. Flotte un temps mal dégrossie, en pull informe et slip kangourou, les plis mous mais déjà dedans tendue, habitée d'énergie, à vue.

    Il lui suffit de lever un bras pour nous clouer. Le bras à sa suite la soulève et elle est comme mystique. Telle une Thérèse prête à léviter, déjà sur la pointe des pieds. D'un coup une décharge d'accordéon emplit tout, dans cette petite salle, devient les grandes orgues d'une cathédrale intérieure. Bave aux lèvres, son extase portée à deux doigts de l'idiotie. Son corps est superbe dans sa gaucherie retrouvée et offerte: bancale et poils aux pattes, l'air d'un garçon. Buté, osé. Sa passion déferle. La suite est déchaînée, soucis de soi rejeté aux orties. L'être libre s'extirpe par la musique: Parle attaque, fait fuir encore quelques oreilles, trop fragiles, vers la sortie, accompagnées d'yeux effarouchés. Elle: ses mouvements déraisonnés la font se perdre et s'écrouler, se tordre, se retourner, nous entraîner avec elle hors de contrôle, loin de la culture, s'abîmer contre les murs, les fenêtres et toutes les limites, contre le sol s'éprouver. Le pull y devient camisole, dont elle ne peut jamais tout à fait se libérer. Canette aux lèvres, l'ange ivre erre encore, se cogne la chair à se blesser, la bière gicle. Où va-t-elle ? Vers la douleur, la vérité ?

    Ce quart d'heure de dangers nous guérit d'éternités de théâtre poussif.

    C'était Avant que les brumes de l'automne se dissolvent de Marianela Léon (danse) et Claude Parle (Accordéon), à la Petite Rockette , 6 rue Saint Maur, Paris XI° dans le cadre des rencontres Butoh Ouvert. Prochaine date le 19 décembre.

    Guy

  • Nagège Prugnard: Femmes Fatales

    Si M.A.M.A.E était un morceau de jazz, il pourrait être signé Charles Mingus. Avec en fil rouge une pulsation obsédante et organique brisée par de e5e921eec1e6e9cff9c5c6bc3e220402.jpgsoudaines éruptions de stridences et de provocations, avec un humour féroce et politique, avec des impressions de sang, de larmes et de sueur, et d'un bout à l'autre, malgré des plages de réveries et de tendresse, un grondement de révolte et de colère. Un morceau hurlé à six solistes qui se soutiennent et se répondent. Un morceau traversé d'éclats modernistes et toujours techniquement maitrisé.

    La métaphore n'est pas gratuite: les mots s'installent et s'imposent d'abord par leur musicalité, portés par les six voix et à travers les six corps en soutien rythmique, pour six portraits de femmes dans tous leurs états d'urgences, d'excès et de dépendances. Sur tous les terrains de saturation des boulimies sexuelles, affectives, artistiques, consuméristes, politiques. Les six personnages, chacune différente incarnation de la femme portée à vif, recrachent par attaques verbales tout ce qui à l'intérieur fait mal, à en pétrifier d'effroi le mâle pris à témoin dans la salle. Le moment où est mise en évidence la violence que porte en lui le regard du spectateur-quand poussé à l'extrême de sa logique- n'est pas le moins dérangeant. L'exploit est qu'il y a ici toujours de l'audace, jusqu'au rire d'incrédulité, jusqu'à l'obscènité du verbe quand il le faut, mais sans jamais de vulgarités. Le mérite en revient à une écriture d'une belle pertinence, et à une réalisation sans gratuités. Qui s'allient pour mettre tout à bas de la convention théatrale, et reconstruire aussitôt.

    C'était M.A.M.A.E- Meurtre Artistique Munition Action Explosion   ♥♥♥♥  , de Nadège Prugnard, mis en scène par Marie-Do Fréval en collaboration avec Nadège Prugnard, avec Véronika Faure, Marie-Do Fréval, Sophie Million, Johanne Thibaut, Juliette Uebersfeld, Tessa Volkine, au Lavoir Moderne Parisien.

    Cet article  a été initialement mis en ligne le 18 janvier 2008, M.A.M.A.E. est présenté au théatre de la Bastille, aujourd'hui samedi à 18H00.

    Guy 

    P.S: Monoi est ici

     

  • La possibilité d'une pièce

    Est-ce trop? 

    Roboratif sûrement, compulsif, cabotiné, effusionnel, exagéré, long, trop plein même au point d'en écoeurer certains... Mais c'est qu'à la perfection, la forme répond au fond! En substance, au delà des histoires gigognes que l'on ne saurait résumer, la possibilité de la fiction est elle même dans cette pièce remise en question, crée la tension entre vide et accumulation. 

    La Paranoia 3@ Christian Berthelot.jpg

    Il y a pour commencer un prétexte narratif digne du scénario d'un vieux Star trek. Dans un futur lointain et amnésique, les "intelligences" extra-terrestres qui nous gouvernent, exigent de se nourrir de nos fictions. Il faut donc en inventer, sous pression, et à partir de là se téléscopent en un joyeux syncrétisme les références littéraires et artistiques (de Bosh à Philippe K. Dick) et les esthétiques populaires: série B et chinoiseries, burlesque et soap opéra, non-sens et science-fiction, pièges logiques et effets à sensations, sous-marins et détectives privés, miss Venezuela et télé-réalité. Entre les différents niveaux de récits, le jeu en direct et les scènes videos se répondent avec jubilation. Question de survie, les innombrables personnages courent et créent frénétiquement, quitte à en faire des tonnes-il faut lutter contre le vide-, toujours au bord de l'épuisement. On devine la création, celle de la piece, pas seulement celles des pièces dans la pièce, trés collective. Dans cette lutte les uns incarnent les artistes - cet écrivain à succés réduite à se plagier elle-même-, les autres de froids logiciens s'éfforçant d'inventer des fictions combinatoires nourris de modèles mathématiques. Si la parabole est évidente, lorgnant vers notre société en besoins contradictoires de sens et de divertissements, et évoquant les eternelles difficultés de la création, on attendrait en vain des réponses. Les évidences s'effrittent en exacte proportion de leur apparente solidité: ceci par exemple n'est pas une plante, mais juste son idée, et l'on ne peut plus se reposer sur le calendrier grégorien. Cette troupe joue Spregelburd comme elle joue Copi: hilarante, grinçante et travestie, au mépris du bon goût, avec toujours affleurant quelque chose d'inquiet, voire de desespéré. Drôle, virtuose et agaçant, le projet porte en lui même son propre épuisement.

    C'était La Paranoïa de Rafael Spregelburd, m.e.s. de Marcial Di Fonzo Bo et Elise Vigier, avec Marcial Di Fonzo Bo, Frédérique Loliée, Pierre Maillet, Clément Sibony, Rodolfo de Souza, Elise Vigier, Julien Villa. Et c'était au Thééatre de Chaillot.

    Guy

    Lire le Tadorne, et Froggy's Delight.

    photos de Christian Berthelot avec l'aimable autorisation du Théâtre de Chaillot.

  • Just a Dream

    Dans la performance de ce soir c'est à notre tour de trouver notre position, d'en changer au gré des stimulations. Etre où il faut, discretement  empressés, hésiter, attirés entre différents pôles d'attraction, placer et déplacer nos regards dans ce cadre qui nous attend, beau et étrange, pour s'animer.

    8 NO SWIMMINGPOOL (#1CD8E0.jpeg

    Ensemble, les uns par les autres dans ces mouvements influencés, mais sans pourtant entre nous vraiment communiquer, pour aussi y imaginer ce qui lie ces artistes pour un soir rassemblés, nous penétrons la pénombre. D'un quasi conte de fées, dans la profondeur d'un rêve. Les formes immobiles sont autant d'énigmes. Au mur de la lumière et l'eau, des sons sous-marins. Une femme est allongée. Figée, sauf sa voix: en blanc c'est une femme clinique, aux angles aigus. Son recit fuit, elle plonge au mur, se noie, les voix, elles aussi, se noient dans la confusion. Quelque chose émerge de l'inanimé, d'un amas de papiers, c'est un personnage emballé et maladroit, un objet télécommandé qui répond à des instructions tranchées, suivi par nos mouvements de foule. Nous l'entourons. Il obéit d'avant en arrière, dans ce cocon le désir est enveloppé, et cette enveloppe gonflée par une respiration. Tout est caché. Des sons viennent de partout, et des images, qui sur le blanc s'impriment. Puis le rouge gagne, pour une naissance lente, déchirée. Elle est noire dedans, cheveux argent. Son double la rejoint. Cela pourrait être de la danse ou le début d'une histoire. L'espace est ouaté.

    KtF KS 66 ok.jpeg

    Eveillée par notre attente, une femme sort du sommeil, défait l'infini echeveau de ses cheveux, soyeux, oeuvre sans se piquer le doigt, caresse un impossible instrument de musique. C'est une harpe à lames, aquatique, aux sons qui nous entourent, flous. Une femme miroir aux gestes peut-être buto nous renvoie d'autres images oniriques. Le rêve s'enfuit, dehors à Gentilly il fait nuit.

    C'était Killing the flirt, performance gestuelle et multimedia d'Anna Ventura: collaborations avec Serge Courtinat (No swimming pool), Camille Benecci (Isi et C in the box), Karinn Helbert (Poupée Kantor) au Générateur, dans le cadre du festival Frasq

    Guy

    photos (Droits réservés) avec l'aimable autorisation d'Anna Ventura

    ici le blog de Frasq

  • La Guerre et les Mots

    Le monde est blanc, flou, denudé: une prison matelassée en forme de cube, un no man's land, entre nous et la guerre une zone frontière. Elle est frêle, encore enfant, presque réduite à rien, survit debout, bras tombés le long du corps, pieds enfoncés comme dans la neige.

     

    chto nicolas Marie.jpg

    Ses phrases d'étrangère hésitent, évitent, les mots mutilés. Ils viennent conquerir notre attention, sans que ne puissent se dresser doutes ni resistance. Dans la bouche de ce temoin ordinaire, le plus horrible de la guerre reste indicible. ll lui faut se libérer des mots des autres, écrasants. Elle nous répete les ordres et les rires des policiers, les cris gutturaux: "CHTO". Dans sa conscience les langages s'effacent les uns les autres, s'embrument: le tchétchène natal, le russe des soldats, le français hospitalier. Les souvenirs reviennent et se répondent, obsédants, les temps et les lieux se confondent sur la route de son exil, au milieu seul son corps fragile, fouillé, humilié, et qui à tout cela ne peut rien comprendre, l'humanité là bas ramenée à néant, ici dans notre regard réhabilitée. En projections les paysages défilent, perdus et incertains, et le souvenir infiniment précis d'un motif de papier peint, dans la maison où peut-être elle ne retournera pas. Dans sa ville où dans la guerre plus rien n'existe. Elle ne dit rien, ne peut rien dire, du meurtre de son père, et d'autres massacres, souvenirs dits en ombres. La raison impuissante, elle répete la même phrase: "Je ne veux pas", jusqu'aux limites de notre endurance. Une épreuve que nous acceptons d'elle, ainsi que ce texte adapté de sources documentaires, dur et hors littérature appuyés sur la simplicité poétique des moyens scéniques, et sur une interprétation exceptionnelle, incarnation parfaite. Nos yeux s'ouvrent, l'espoir et l'avenir, une identité à reconstruire.

    C'était CHTO interdit aux moins de quinze ans, texte de Sonia Chiambretto, mis en scene d'Hubert Colas, avec Claire Delaporte. Jusqu'au 20 novembre au Théatre de la Cité Internationale, présenté avec CHTO Trilogie, en alternance avec Mon Kepi Blanc et 12 soeurs slovaques.

    Guy

    Lire le TadorneSitaudis.

    Lire aussi: des témoins ordinaires

    photo de Nicolas Marie avec l'aimable autorisation du Théatre de la Cité Internationale

  • In and Out

    Nous sommes déja entrés, assis, installés. C'est à elle d'y trouver sa place, dans ce lieu, s'y glisser et y être, dans cette espace imprimer une trajectoire, des impressions, des idées. Le contexte reste de pure réalité, en lumière neutre, non théatralisé. Elle propose à l'un d'entre nous de tenir une camera: devenir participant en restant spectateur. Puis crée sa performance à vue, sans plus de moyens que son corps et quelques accessoires, pour ainsi dire à mains nues. L'artiste se tient à la lisière des codes: la quarantaine pincée ne détonne pas dans cette galerie d'art. Ni ses vétements chics, mais ils sont lacérés, ouverts sur sa chair: une première brêche qui déchire la normalité.

    frasq23_GRAZ%20-%2006.jpg

    Sur son visage des peintures, aux murs des oeuvres furieuses, transgressives, crues. Au sol est construit un cercle, mais sans qu'elle y soit enfermée, et sur le coté des rideaux de couleurs. Elle les traverse aussi, y reste entre-deux comme retenue, encore, longtemps, y revient attirée. Tout notre plaisir se maintient et se tend à ne rien savoir, ne pas pouvoir anticiper ces actions qui semblent s'improviser dans la dynamique inconnue de celles de la veille et celles du lendemain. Puis on interprête, plus ou moins. En fond sonore un discours sur la performance, que l'on oublie d'écouter, comme pour ignorer une concession à cette auto-complaisance sans doute consubstantielle au genre. Notre incertitude est adoucie par sa danse, accroupie, à terre, allongée, de retour dans le cercle, puis au delà.

    frasq23_GRAZ%20-%2007.jpg

    Elle se rapproche parfois, trés près de nous, comme pour venir nous chercher, puis retourne interroger les limites d'à travers les rideaux. Peu à peu, sans se forcer, elle a changé, s'est défigurée, est passée de l'autre coté. Elle a rempli le cercle d'eau: il faudra qu'elle y retourne s'y plonger, mais que fera-t-elle (sur son corps) de ces bonshommes de papiers? Pour encore se transformer. De son corsage elle extrait une cigarette, en inspire-expire la fumée. Est-ce aujourd'hui cela se mettre en danger, s'engager? Sous la jupe elle est nue. Discretement (oserait-on écrire), mais nue et sans filet: ici mise en jeu aussi. Et celà abolit une autre frontière entre le regard public et le corps privé, entre le dedans et le dehors.

    frasq23_GRAZ%20-%2015.jpg

     

    A travers une large baie vitrée, la galerie elle-même est ouverte à la vue des passants: dehors le monde entier, ou sa possibilité. Elle change, et donc le monde juste un peu. Un moment, elle sort, dehors. Pas longtemps. Dedans, l'inconscient gagne du terrain, alors que dans le cercle inondé, elle se transforme en sirène aveuglée. Ou en tout autre chose, selon les imaginaires. Mais elle devient une figure héroïque, pour le moins.

    C'était une étape de Corps en Papouasie, serie de performances de Christine Renée Graz, à la galerie Deborah Zafman, dans le cadre du festival Frasq. Frasq se conclut ce dimanche au Générateur, avec la performance culinaire de Kataline Patkai, déja vue au Regard du Cygne.

    Guy

    images vidéo de Véronique Godé-Orevo, avec l'aimable autorisation de Christine Renée Graz

    Ici le blog de Frasq

  • Tout et l'inverse

    Vite tout s'inverse, il faut un beau moment pour comprendre qu'ils sont à l'envers, devant - derrière, marionnettes sans fils, mannequins grotesques et masqués, épouvantails aux drôles de sexes postiches et volontaristes. Les danseurs s'agitent égarés et frénétiques, n'ont plus de l'existence que les attitudes, inattendus, les postures épuisées de signification. On entend des voix superposées et donc inintelligibles, qui se perdent dans des considérations introverties, tandis que les trois danseurs se bousculent sans/sens dessus dessous, partent vers nulle - part au coup de pistolet pour une course improbable. Les gestes de frimes, ou de sociabilité, survivent à peine, simulacres, s'éffrondent, ont besoin d'être étayés. Je vois l'absurde à l'oeuvre. Puis les habillages et déshabillages s'embrouillent, quand tous les vêtements sont tombé la vérité se perd en route. Tout se complique et vite entre homme et femme, haut et bas, devant et derrière, en jeux de miroir entre être nu et être civilisé. On est gagné par une drôle de confusion.

    MH (Images de danse 1).jpg

    Reste enfin un couple, sur les peaux nues s'échangent les images de l'un et l'autre. Les projections de seins, de sexes, de visages typés, se posent sur les corps hospitaliers et sur les sexes opposés, les attributs nouvellement attribués, les genres interchangés, à la rencontre de principes jusqu'alors bien séparés... en pleine réconciliation. Les corps se trompent, ou se rêvent, ou se révèlent enfin, hybrides, hermaphrodites. Les nudités virtuelles et vraies se combinent, c'est-à-dire que le nu ne révèle plus rien, sinon des potentialités profondes, en une régression hypnotique vers l'indifférenciation. C'est troublant et souriant: en beauté, ces danseurs nous titillent l'identité.

    C'était Bonnes Nouvelles de Matthieu Hocquemiller , avec Evguénia Chtchelkova, Ludovic Lézin, Léonardo Montecchia, au Théatre de L'étoile du nord, dans le cadre du festival Avis de Turbulences # 5

    Guy

    Photo de Jérome Delatour avec l'aimable autorisation de Matthieu Hocqemiller

    Ici les photos de Vincent Jeannot, et celles d'Images de Danse.

  • Jon Hendricks en liberté

    Le premier bonheur que Jon Hendricks connu en France eu le goût d'une bouteille de calvados. Qu'un couple de paysans normands avait gardée enterrée à l'insu des «boches», pour l'offrir aux libérateurs de juin 1944, peu importe qu'ils soient blancs ou noirs. C'était le goût de la fraternité, Jon déserta bientôt de son armée où régnait le racisme organisé, mais il ne pu rester chez nous aussi longtemps qu'il l'aurait voulu. Pour le jazz ce fût tant mieux, quand plus tard un soir il rentra dans un club à New York, où Charlie Parker l'invita à venir chanter à ses cotés. Bien des années après, il nous rapporte en cadeau sur la scène du Balzac son « Now's The time » chanté d'une voix hors du temps, une voix aussi libre et rauque qu'avant, qui a vécu, aimé intensément. Et nous rend assez de bonheur pour qu'on s'en enivre immodérément. Il pétille, chaque instant. Sa vie d'homme et de musicien d'entre ces deux épisodes est amoureusement évoquée dans le beau documentaire d'Audrey Lasbleiz. Pas une année de perdue, de voyages en rencontres, à engendrer musicalement Bobby Mac Ferrin, Take Six, Al Jarreau..., et inventer le vocalese. Il ne s'agissait pas seulement d'une démonstration de virtuosité et de jubilation, d'ainsi chanter Count Basie ou John Coltrane à la note près, de devenir contrebasse, trompette ou saxophone. Il fallait aussi réinventer chacune des paroles des improvisations instrumentales originelles, avec amour et intelligence, chaque mot imaginé à partir d'émotions et d'intonations comme une joyeuse évidence. Il fallait raconter les histoires inédites de Moanin', Caravan, Freddie Freeloader..., sans trahir ces chansons. Donner de nouveaux sens au jazz, le garder populaire, en ne sacrifiant rien de sa liberté.

     

    Réunir le trio vocal interracial Lambert, Hendricks & Ross- lui le noir, l'anglaise rousse et le gars de Boston avec une tête de mormon-, c'était venu naturellement des la fin des années cinquante, par goût de la liberté et joie de jouer, comme le jour où à l'université il avait décidé de quitter le coin où les noirs se cantonnaient pour aller s'asseoir au milieu des blancs, refusant toute autosegrégation.. C'est un peu le cas ce soir avec le public du Balzac, à la grande différence de la reconnaissance, toute la salle debout pour l'acclamer. Il y a dans le documentaire un moment drôle et vache à la fois: Jon Hendricks se promène dans le quartier de Toledo de son enfance, et entonne un blues devant des jeunes gens à peu prés indifférents, et qui n'ont jamais entendu parler cet Art Tatum qui jouait du piano dans la maison du bout de la rue. Aujourd'hui Jon Hendricks enseigne encore, inlassablement, aux jeunes musiciens, donne des conférences, toujours indigné que le seul art vraiment original inventé dans son pays, et par les noirs, reste le plus dévalorisé. Son combat se livre tous les jours, ainsi que celui pour les droits civiques, dés le début le même. L'enthousiasme reste intact, et ce sens du bonheur se sent sur « In Summer ». Teinté en même temps d'une mélancolie qui nous laisse frissonnant, d'une voix brumeuse qui sait emporter, guérir, consoler.

    PHOTOS FAREWELL ETHENDRICKS 011.jpg

    « Mais alors de quoi se nourrissent les anges ? » lui demande une spectatrice... Jon nous confie son secret, un secret que Thélonius Monk lui avait transmis: rester à jamais un enfant de six ans. C'est toujours le cas de toute évidence, même avec un corps de 88 ans. Quand il n'est pas en colère (contre l'injustice, essentiellement), il rit tout le temps. Nous confie regretter ses parties de pétanque avec Henri Salvador. Jon Hendricks est un gosse assez coquet, casquette de yachtman, tiré à quatre épingles. Sous le regard indulgent de sa fille Michelle, avec qui il duette sur « Everybody's bopping », en tempo accéléré, comme on se renvoie la balle. Et la balle ne tombe pas, toujours rattrapée à temps. Jon a toujours un grain, dans la voix mais pas seulement. Pas assez raisonnable pour finir la soirée et aller se coucher, se prend le temps du rappel, des questions et traductions, d'un bain de foule, de rire encore, de serrer la main d'un enfant...

     C'était la soirée consacrée le 4 octobre par le cinéma Le Balzac à Jon Hendricks, avec la projection du documentaire qui lui est consacré : « Tell me the Truth » de d'Audrey Lasbleiz, un mini concert de Jon et Michelle Hendricks accompagné par deux musiciens, suivi d'un échange chaleureux avec le public.

    Guy

     Song List: Variations sur Lady Be Good, une bossa nova de Joa Gilberto, Now's the time, I fall in love so easily, Everybody's boping, Un petit blues..., In Summer

    Video réalisée lors de l'un des concerts les jours précedents, au Duc des Lombards. ...pas du vocalese, mais du scat!

    Photo avec l'aimable autorisation du cinéma Le Balzac