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Grande Halle de la villette

  • Et pourtant ils tournent

    Carlson/Bartabas: belle affiche. J’attends une rencontre, de la beauté et de l’animalité. Mais la pièce, pour commencer, joue des dualités: opposition entre hommes (très hommes)-ils sont farouches et bruts- et femmes (très femmes)- toutes en robes et cheveux longs. Chevaux et écuyères forment aussi des couples, plus unis. L’espace s’organise d’abord en deux zones, partagé entre danseurs parqués au terme de courses dans un cercle intérieur, et cavaliers et montures qui tournent autour d’eux. La musique tourne déja.

    Pas d’échanges d’emblée entre danseurs et cavaliers, si ce n’est appréhension ou méfiance, aux lisières des territoires ainsi délimités. A l’intérieur, si une histoire est racontée entre danseuses et danseurs, celle-ci est loin d’être tendre. Les distances sont gardées, les rencontres brèves et nerveuses. Les femmes en abandon se jettent d’un seul geste dans les bras de leurs partenaires, portées, repoussées. En tension, sans résolution, ces motifs se répètent.

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    J’en oublie les chevaux et cavalières, qui tournent sans se lasser, comme les danseurs aussi au milieu. La partition de Philippe Glass s’entête en masses sonores et répétitions circulaires, matière à hypnotisme et crescendo.

    Je me sens gagné par le même détachement qui m’anesthésie lorsque que les moyens utilisés tendent à exacerber le spectaculaire. C’était le cas avec Olivier Dubois. Tous les corps se fondent dans le même mouvement aux allures de cérémonial, un ensemble (trop) parfait, et je ne me sens intéressé par personne en particulier, et ni par les chevaux. Les gestes encore sont répétés, amplifiés de corps en corps, la partition à l’unisson. Tout de même me touchent des traces d’émotions, mais d’une nature esthétique, je ne peux m’attacher à des personnages ni à une réflexion.

    Plus tard et pour le meilleur, les territoires s’interpénètrent, des chevaux investissent l’espace intérieur, les danseuses se dispersent autour en de nouveaux cerces de lumières. Les rencontres se produisent enfin, au plus près avec une sensation de danger. La musique est toujours omniprésente, soutient des paroxysmes. Les danseurs forment une sculpture de groupe, bras tendus, répercutée d’échos équestres. Quand des amazones poursuivent à cheval de leurs piques des danseurs en fuite, on devine une revanche des femmes, on peut construire un sens.

    C'était we were horses de Bartabas et Carolyn Carlson, à la grande Halle de la Villette.

    Guy 

    Affiche du spectacle, photo d'Agathe Poupeney

     

     

  • Charmatz et Collignon surchauffent la Villette

    Il y aurait sur scène deux fous furieux, on aurait vite oublié qui serait censé faire le danseur et qui le musicien, et il y aurait des fils et des machines, des histoires de poulets et de camions poussés avec les fesses, d’hommes peints de blanc dans le noir et leurs corps entremêlés, à cause de ces textes échappés d'un happening dada, on pensera très fort au Be-bop Tango de Franck Zappa ("Jazz is not dead...but it just smells funny") on croirait même reconnaître une ou deux mesures de Dog Breath, les deux individus joueraient à se faire peur tels un savant fou et sa créature déjantée, le second luttant comme un dément pour prendre le contrôle de la console de son, on serait éclaboussé par les débordements suraigus d'un be-bop mutant et orgasmique, par des coïts bruyants de trompette naine et des voix de dessin animé doublés en H.P., des aveux régressifs, drôles, poétiques et douloureux, abandonnés au cours de l'exploration d'une jungle techno pullulante d’animaux bariolés, encombrée de bruitages effleurés et stridents, de bruits venus d'ailleurs, car tout pourrait arriver, des séquences de danses bras croisées ou renversées sur les épaules, des rafales d'onomatopées surchauffées, Colllignon entreprendrait de dresser le fil du micro, laisserait s’échapper des notes dans le micro pour qu'enregistrées elles se battent en boucle, ressusciterait le son d'Herbie Hancock lorsque durant les seventies il se figurait l'an 2000, ou quelque chose apparentée à une World music qui ressemblerait un peu à du Weather Report déglingué, funk, free et suraigu, comme des pièces de beauté tranchée à vif par deux garçons turbulents, d'éternels adolescents, facétieux et excités à s’escalader l’un l'autre, Charmatz disparaîtrait derrière l'écran et les pieds de son corps remueraient encore, il y aurait des gestes morts qui ne voudraient pas mourir vraiment, et des mots toujours dits avant, on se sentirait libre absolument à les voir se refuser toute limite, à nous laisser ressentir quelque chose d’essentiel sur ce que c’est de créer, on serait mort de rire d'un bout à l'autre, émus également, cela pourrait durer longtemps et tant pis pour le spectacle d'après, ils pourraient simplement improviser, ce serait beau, ce serait fou, tendre, et souvent de mauvais goût, et après à jamais disparu.

    C'était Boris Charmatz et Médéric Collignon, à la Grande Halle de la Villette, avec Jazz à la Villette 

  • Archie Shepp et A.T. de Keersmaeker: 44 ans aprés J.C.

    La rencontre que suggère l'affiche n'aura pas lieu, au sens strict, entre le saxophoniste Archie Shepp et la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker. Il importe peu, ce sont d'autres fils qui tout au long de la soirée se tissent, plus subtilement, entre les gestes et les musiques, les époques, les cultures, les continents.

    C'est un vieil homme noir et élégant, borsalino et soprano, qui n'a plus rien à prouver, et tout à explorer encore. A ses cotés deux musiciens indiens rompent l'immobilité à sons de clochettes. Archie Shepp regarde un temps, écoute. Puis le souffle nait avant la note. C'est un gage d'humanité avant que la beauté ne devienne abstraite. Un son clair et brillant. Aérien. D'un lyrisme tranquille. Sans effets. Détaché de tous les genres. Le danseur Salva Sanchis cherche des yeux la musique. Sa danse se developpe, droite, pivote. Humble sous le regard du saxophoniste, attentif. Qui quant à lui va à l'essentiel, phrase des séquences courtes et repétées, s'élance vers l'épure, tend vers une transe apaisée. Pas loin du rève offert par Coltrane dans A Love Supreme. L'Inde et le Continent Afro-américain se rapprochent. Nous sommes entrainés dans ce mouvement, d'où que l'on vienne. Le muicien indien chante, authentique, mais avec l'énergie et les intonations d'un blues shouter. Ses doigts arrachent des cordes d'un instrument traditionnel des riffs de guitare funky. Le dialogue continue dans des langages inédits, Archie Shepp, attentif au danseur comme aux instrumentistes, sait s'interrompre, reprendre, répondre, essayer, prendre tous les risques. Salva Sanchis, félin (dit ma voisine), ouvre les bras pour offrir aussi, et gagne sa liberté, bondit.

    Aprés se présente Anne Teresa de Keersmaeker. Seule. Qui dicte d'abord les gestes d'une grammaire austère, d'un bras tendu, d'une jambe pliée. La musique l'environne, indienne et inconnue, le rythme incertain à nos oreilles. La chorégraphe fait le choix heureux de ne pas danser le rythme, danse l'harmonie plutôt. Semble sans cesse balancer entre abandon et retenue, toujours au bord de l'ivresse, sans jamais s'y livrer. Blanche immaculée, ose un sourire, juste esquissé. La danse part des bras, tourne et semble vouloir se saisir de volutes de fumées ou d'instants de bonheur. Reste aussi sobre, mesurée, que Salva Sanchis. Entre Archie Shepp et John Coltrane, mais sans jamais les citer, A.T. de K. fait le trait d'union.

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    Quatre, ensuite. Les 4 lettres du mot LOVE. Les 4 instrumentistes d'un quatuor (de Jazz encore ?). Les 4 danseurs sur la scène. Les 4 mouvements du disque enregistré... fin 1964. A love Supreme: L'oeuvre de Coltrane est si célébrée que le seul fait de l'adapter constitue une gageure, pour le moins indimiante. La réponse d'A.T de K. et de Salva Sachis à cette presque impossibilité se déploie en toute simplicité, pourtant. Sur un mode spirituel forcement, mais enjoué, ce qui est moins evident.

    Acknowledgement:  au comencement l'appel à la prière lancé par le saxophone, puis s'installe l'obstinato de 4 notes à la contrebasse. C'est un mantra qu'aprés son solo Coltrane reprend sur son instrument à différentes hauteurs de ton. Jusqu'à ce qu'il soit temps qu'il y renonce, pour juste chantonner les 4 syllabes de sa voix nue. La danse ne copie pas, exprime plutôt ce cheminement vers la simplicité. Les exposés et reprises des thèmes sont dansés en ensembles, de même que les musiciens sont à l'unisson. Le reste est libéré, on devine une grand part d'improvisation dans cette transposition du moment de l'histoire où le jazz change de nature. Avant que le saxophoniste ne s'aventure vers d'autres territoires, où il sera moins suivi. Pour l'Ascension de Coltrane qui viendra ensuite, où l'accompagnera Archie Shepp, il y aura moins de disciples à ses cotés. Dans l'adaptation de A Love Supreme, d'une forme artistique à l'autre, A.T. de K. échappe au risque de trop de gravité. L'enjeu ne se pose pas en terme de modernisme ou de classicisme de la danse, mais dans ses relations à sa source d'inspiration. Déja les danseurs sont délivrés de la mesure: 3 ou 4 rythmes se superposent dans le drumming d'Elvin Jones, pour ouvrir bien des possibles. Resolution: il y dans les mouvements, même exacerbés, beaucoup de joie et de la légereté. Les corps courent et se rencontrent, se portent dans des élans de sensualité. Dans cette sincérité, plaisir et spiritualité se rejoignent sans se contredire. Des souvenirs reviennent des deux performances précedentes, à nos oreilles l'Inde est présente, comme souvent chez Coltrane. Mais entremélée avec d'autres influences, dans un syncrétisme musical et religieux. Pursuance  s'ouvre sur un chorus de batterie. Un grand jeune homme offre un solo spectaculaire et eclaboussé de sueur, à la mesure de la performance physique que la musique suggère. Là comme lors d'autres échappées instrumentales, les individualités des danseurs reprennent leurs droits. Parenthèses individuelles, émouvantes et nécéssaires. Avec autant d'énergie que de tension. Psalm:  dernière prière crépusculaire et funêbre. Rassemblement sur un tempo lent. C'est le temps du don et du renoncement, de la Passion. Une danseuse s'effondre, les autres la soutiennent. Quatre font un. Sur le mur les ombres s'allongent. La suite fait écho dans les âmes, pour ceux pour qui tout s'est arreté le 17 juillet 1967, pour les plus fervents à la Saint John Coltrane Church de San Francisco.

    Epilogue: Archie Shepp revient saluer avec A.T. de K. et les danseurs. Pour retisser avec eux les fils du temps, lui qui en 1964 participa, même si le vinyle n'en conserva pas le témoignage, aux sessions d'enregistrement de A love Supreme.

    Guy

    C'étaient les improvisations de Salva Sanchis et Archie Shepp, accompagnés par Mimlu Sen et Paban das Baul. Raag Khamaj dansé par Anna Teresa De Keermaeker  et co-chorégraphié par Salva SanchisA Love Supreme, chorégraphié par Anna Teresa De Keermaeker et Salva Sanchis, avec Salva Sanchis, Cynthia Loemij, Moya Michael, Igor Shyshko, sur la musique originale de John Coltrane,  interprétée par John Coltrane (Saxophone ténor), Elvin Jones(Drums), Mac Coy Tyner (Piano), Jimmy Garrison(Bass). 

    A la Grande Halle de la Villette, avec Jazz à la Villette.

    photo par Hermann Sorgelos avec l'aimable autorisation de la Cité de la Musique

    A lire: Native Dancer

  • Allio-Weber: le Discours et la Méthode

    On ne sait vite plus où l'on est, d'où l'on regarde. Et, tout le long, quelle est la nature de ce qui est montré. Le couple d'acteurs s'enlace, en petite tenue, au milieu du public, la position est décalée par rapport à nous mais aussi l'un par rapport à l'autre. Ils se cherchent, empruntés, mais rien ne semble s'emboîter, ces deux là ne savent plus comment embrasser, voire simplement comment être. Forcement insatisfaits. Amputés de quelque chose? De quoi au juste? Mais on anticipe. Le plus déstabilisant est encore à venir, avec déja un discours de marketing humanitaire d'un saisissant réalisme. Êtes vous prêt à donner 35 €? Le rapport avec le public prend un tour on ne peut plus direct. Lui, a le ton adapté: sérieux, digne, compréhensif, un poil mouillé. Elle, vient nous chercher du regard au plus près sans s'être rhabillée- argument de vente basique. L'argumentaire est répété ad nauseam. Sur écrans vidéo les figurants apparaissent et se multiplient, pour reproduire et affadir à l'infini le discours, le vider de son contenu. Les intentions ont disparu, ne reste que la méthode. Mise en évidence, sans indulgence. Lessivé, on est prêt- mais sans plus savoir pourquoi- à mettre la main à la poche pour débourser les euros demandés. L'entreprise est en tout cas d'une provocation salutaire. Cela ne fait que commencer...

    Pourquoi se porte on candidat à l'amputation? L'actrice plantée au micro déroule son argumentaire. Un argumentaire on ne peut plus cartésien. Sans un mot plus haut que l'autre, sans effet choc, sans affect, et pourtant une implacable violence est à l'oeuvre. Il est question du corps et de son intégrité, mais le corps n'est pas utilisé pour le discours. Seuls les mots: froids, et forts. Plus efficace que les provocations visuelles d'un Rodrigo Garcia. Les figurants en video font fonction de spectateurs, de jury populaire, dédoublent en miroir nos interrogations. Puis désertent un à un l'écran pour nous rejoindre dans la réalité. Le spectaculaire est refusé. Le vrai public est interpellé: "Autoriseriez vous Mlle S. à se faire amputer?" On s'attendrait presque à pouvoir voter comme dans les vieux spectacles de Robert Hossein. On balance, à l'image des figurants sur le trampoline... On prend le plaidoyer au sérieux, ne se demandant même plus ce qui ne tourne plus rond pour en arriver à se poser de telles questions. La forme est quant même, surtout, d'une sécheresse extrême, sans concession. Au bord de la non -représentation. On est décontenancé, au bord de la frustration... Quelques incidents surgissent pour s'évader du réel: un geste, soudain une chanson. Mais on applaudit, convaincu par l'audace et l'intelligence du propos.

    On se dispute à la sortie pour maintenir que la pièce n'est pas manipulatrice. Notre interlocuteur nous soutient que tout est présenté de manière tendancieuse, pour amener à des conclusions préparées, et dans la direction du politiquement correct. De notre coté, on assure que la beauté de l'exercice est de remettre le dilemme moral à l'ordre du jour. Presque du Corneille post moderne. On loue le parti-pris de sobriété dépassionnée du plaidoyer de la volontaire pour l'amputation. La subtilité de ce beau texte. Deux jours plus tard, notre contradicteur prend un malin plaisir à nous faire partager sa découverte: la source internet  du texte qui a été repris quasi mot pour mot dans la bouche de l'actrice. Ce texte même qui avait suscité notre admiration. Malaise. Rien dans le programme ne renseignait sur les origines du discours. A-t-on été pour de bon manipulé? Ni plus ni moins que public cible du discours humanitaire incklu dans le spectacle?  Difficile à dire. On balance encore. A y repenser, le monologue n'a été présenté ni comme un témoignage, ni comme une fiction littéraire. Juste comme un matériau ambigue, laissé à notre interprétation. Mais on était plus à l'aise, avec les lettres authentiques de Samuel Daibler, présentées pour qu'elles étaient. Et libres aprés de s'intégrer dans le tout de la création. On est prévenu contre les discours. Mais quelle est la méthode?

    C'était Un inconvenient mineur sur l'échelle des valeurs de Patricia Allio et Eléonore Weber, avec Marc Bertin et Charline Grand, à la Grande Halle de la Villette, avec 100 Dessus Dessous.

    Guy

    P.S. : Réactions contrastées sur France Culture  http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/toutarrive/fiche.php?diffusion_id=63926

  • Miet Warlop: la Halle aux Vêtements

    On a des scrupules, on se gratte la tête, on s'efforce, encore on cherche, bon public.

    L300xH225_jpg_Miet_Warlop_5bis-73b61.jpgDécidément, non. Sans appel. On ne trouve rien à voir, ni à ressentir, ni à comprendre. La semaine d'avant, on pouvait être éxcédé par la pièce de Neuer Tanz, avec les gars qui déballaient des cartons de livres, et pourtant concéder qu'il y avait matière à en parler. Mais là on voit une jeune femme qui sur scène étale des vêtements, et l'on arrive même pas à s'énerver. Ca fait deux ans et plus de deux cents billets que l'on cherche de soirs en soirs de l'émotion et du sens, ou que le sens et l'émotion s'imposent sans qu'on aie à chercher. On dit merci chaque soir, mais là donc on voit une jeune femme qui avec des fringues crée des personnages inexistants. Ne fait rien de plus que de jouer à la poupée, même s'il n'y a pas de poupée, juste au plus le concept de poupée avec des vetements autour. Cela reste trés personnel, evidemment. Ses amis imaginaires restent silencieux, les vrais gens qui la regardent coincés dans leurs propres vêtements sont quant à eux vivants, mais tout autant neutralisés. Elle remplit un sac, donne des envies de voyage et de ne plus être là, arpente la scène, s'arrête, ostensiblement concentrée, pour montrer qu'en ce moment même: elle crée. A le bon goût de mettre un terme à la performance sans utiliser la pile entière de vêtements. Fin, on va se rhabiller, cela ne dit strictement rien, sinon trés platement le pire de la contamination du spectacle vivant par l'art contemporain.

    C'était Grote Hoop/Berg: propositie 1: Reanimeren de Met Warlop dans la Grande Halle de la Villette, avec 100 Dessus Dessous.

    Guy

    photo tirée du site de 100 dessus dessous

    P.S. du 25/05: merci à 100 dessus dessous qui nous signale le podcast de France Culture qu'on peut écouter ici: http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/toutarrive/fiche.php?diffusion_id=63926 .

    Ce qui prouve qu'on peut trouver à parler de la performance de Miet Warlop pendant 3'20".

  • Aurelien Bory tisse Taoub

    Après avoir la veille éprouvé toute l'aridité de la danse de Merce Cunningham, on était assoiffé d'humanité. 9651f132449ea379043d6e5702c6857a.jpgEn manque de rencontres et de sens. Le salut est venu de la plage de Tanger, là où entre sables et eaux atlantiques s'entraînent les acrobates, entre amis et en famille, depuis toujours ou presque. Toujours est devenu aujourd'hui, Tanger s'est déplacé à Paris, la tradition s'est enrichie de modernité. Et les artistes marocains ont remis en question leur pratique, avec la complicité essentielle d'Aurelien Bory, qui emmène ces douze acrobates jusqu'à leurs plus belles limites poétiques. Il y a en effet ici bien plus à voir que des figures généreuses et héroïques, qui puiseraient dans le fond universel des arts du cirque. Il y a avant tout la manière dont les performances physiques placent et déplacent les corps- et les coeurs- les uns par rapport aux autres, et par rapport à l'espace du monde. Ainsi les redéfinissent. Il y a la manière dont rêves et souvenirs sont à peine montrés, entre passé et avenirs, sont plutôt suggérées.

    Tout est évoqué avec presque rien. Avec une remarquable modestie de moyens: ce grand tissu, quelques lumières, un peu de vidéo. Il suffit d'un déploiement et le tissu dessine un paysage infini, des dunes de sable jusqu'à l'horizon, ou une créature floue aux mouvements imprévisibles, un théâtre d'ombre ou de marionnettes, une robe démesurée jusqu'à un comique absurde, la toile où se projettent les images d'une ville marocaine. Car ces artistes ne viennent pas de nulle part: ils apportent avec eux sur scène les évocations de leur histoire familiale, sociale, régionale. Histoires en mutation: sur les vêtements blancs traditionnels sont projetés des habits occidentaux, comme autant d'interrogations. Les chants se teintent par moment de rythmes modernes, et les deux filles de la troupe occupent une position privilégiée, vers le haut, portées et soutenues par les garçons, en décalage avec la position de la femme dans la société marocaine

    Au fil des spectacles, Bory sait diriger notre regard, tout en nous ne faisant pas dupe, mais complices. Pour une nouvelle innocence, partagée. Les illusions d'optiques nous sont déja souvent connues, mais prennent sens dans l'histoire ici racontée: une fille portée dans les airs comme par un tapis volant, un corps séparé en deux qui cherche à se reconstituer, le dialogue entre un personnage et son ombre, les tentatives d'adaptation de deux garçons pour reproduire des figures renversées par les images vidéos. Toujours la difficulté d'exister, mais ici dans des contextes culturels particuliers. Et ces personnages-acrobates ne cessent jamais d'être eux-mêmes: les brefs instants d'attente, plein d'humilité et de vérité, ne sont pas les moins beaux .

    Tout parle ici, mais sans discours, de rencontres, de solidarités, de pudeur, de respect de l'autre. Quand les filles yeux bandées marchent en confiance dans les airs sur une forêt de mains tendues et d'épaules, quand tout le groupe s'unit pour faire s'envoler l'un et l'autre toujours plus haut, quand les corps fiers se croisent pour sauter sans se heurter. Tout parle de rencontre, de tissu (Taboub en v.o.) et de liens, de la rencontre entre Aurélien Bory et les artistes marocains, entre les hommes et les femmes, entre l'histoire et l'avenir, entre l'acrobatie traditionnelle et le cirque moderne, entre l'Europe et le Magreb. Pour un véritable idéal de fraternité humaine qui concilie rencontres et identités.

    C'était Taoub  ♥♥ , d'Aurélien Bory avec le Groupe Acrobatique de Tanger, à la Grande Halle de la Villette jusqu'à debut janvier, et en tournée aprés.

    Guy

    Et à lire aussi: Plus ou moins l'infini, ainsi qu' Erection chez Clochettes

  • Nightshade de 6 à 7

    On est plus trés loin d'avoir dévoilé tout Nightshade. Plus que deux propositions, après cinq essais non transformés, cinq effeuillages un peu vains, nous laissant jusqu’ici sur notre faim. Ne restent plus à enlever que les deux derniers des sept voiles de Salomé. Deux mystères, on espère. Que l'on promet de révéler.

    Mais voici qu’une pin-up, regard baissé ou perdu ailleurs, laisse lentement glisser sur sa peau un peu de soie. De quoi nous réconcilier: Alain Platel a eu assez d’humilité pour travailler dans le cadre du concept, tout en faisant qu’émerge du spectacle une réflexion sur 1e53dd1b7e71e8d89055ebe2f3a33450.jpgla nature de ce cadre même. Le fait est que le numéro de Platel, créé dans des lieux cultureux, pourrait trouver sa place dans un cabaret haut de gamme, sans étonner, sans détonner. Danse ou strip-tease, danse et strip-tease à la fois, selon le regard que l’on porte sur l’objet. Les fondamentaux sont respectés, et la température peut s’élever rapidement: pour commencer Caroline Lemaire est absolument bien faite, les dessous sont chics, le déshabillé noir transparent, les talons aiguilles rouge vifs, les gestes negligement balancés au rythme d’une innocence feinte, l’orchestre souffle à nos oreilles une scie de Gainsbourg, manière assez cynique mais efficace de nous emmener complices.

    Mais tout cela ne resterait que joliment anecdotique, sans le petit coup de génie de ces rideaux mouvants. A à chaque étape du dénudement, ils cadrent et redéfinissent notre champ de vision. Et nous donnent ainsi à penser sur ce que notre regard guette. A chaque abandon de vêtement le champ se rétrécit, nos yeux sont fermement dirigés, recadrés en gros plans sur le corps dévoilé. Le corps dont dans le même temps l’escamotage est annoncé. La danseuse participe négligemment et ambiguë à ce  jeu, accompagne ou freine-on ne sait- le mouvement des rideaux qui peu à peu la dérobent. Par le mouvement du cadre tout est déjà dit, ironiquement, que ne pourra jamais s'assouvir le désir qui poursuit des yeux cette Eurydice fractionnée. L’effeuillage ne mène jamais nulle part, sinon à un tour de passe-passe, ne tient jamais les promesses auxquelles personne n’a cru vraiment. Le mécanisme paradoxal du strip-tease est intelligemment mis à nu. Et en conclusion, le sexe de la danseuse également…mais, comme il se doit, hors champ!

    On est encore emballé, émoustillé, frustré forcement et déjà consolé, avec le sentiment d'avoir fait le tour de la 8e40bfefda63c5e8adaac070f55a1133.jpgquestion. Coup de théâtre: Caterina Sagna nous prend par surprise, pour déconstruire sans ménagement tout ce que nous avons vu, tout ce que nous avons accepté trop facilement. La chorégraphe, à l'exact inverse d'Alain Platel, refuse de rentrer dans le jeu. Elle entreprend de démonstrer par l'absurde tout ce ce que le concept peut porter en lui de révoltant. La performance de Sky van der Hoek est - ce n'est pas un hasard- de toutes celles de ce soir la plus nue, la plus crue, la plus cruelle. Pour montrer comment la danse contemporaine peut être- sans s'épuiser en mots- dérangeante, assez intelligente pour à la fois être spectacle et dénoncer. Pourquoi et comment? On ne le dévoilera pas ici, le découvrir est peut être la meilleure raison d'aller voir Nightshade....

     

     

    C'était Caroline Lemaire ♥♥♥♥♥ dirigée par Alain Platel, et Sky Van Der Hoek ♥♥♥♥♥ dirigée par Caterina Sagna dans le cadre de Nightshade, à la grande Halle de la Villette, jusqu'au 13 octobre.

    Guy

  • 2 fois Nightshade: du strip sans tease

    Les vetements tombent, Nightshade continue: quatre spectacles, quatre corps encore. Et oui, bien vu JD: la proposition de Claudia Triozzi, reproduit en plus court, et en modèle réduit, les procédés d'Up to Date. A moins que cette saynète, que vit déjà le Tadorne 41d49fe6a824eab279f0d6abc38d32bb.jpgà Marseille en janvier, ai été un brouillon de la plus longue pièce présentée en mai dernier aux RCIDSSD. Dans un cas ou dans l'autre, la chorégraphe semble utiliser le strip tease de ce soir comme un prétexte. Pour, plutôt que de profiter de la contrainte pour se remettre en question, tordre l'objet de force dans le sens de ses propres recherches... 

    Sans y arriver: Cécilia Bengolea ne trouve pas sa place dans le trop plein visuel qu'autour d'elle accumule Claudia Triozzi. Lors d' Up to date l'oeil perdait la danseuse, escamotée, plusieurs minutes presque invisible, dans un labyrinthe de formes et de couleurs. En dix minutes ici, impossible d'installer de tels effets. D'accoutumer le spectateur à l'ambiguité, puis de dérouler une narration. La contradiction ne se résout pas, entre l'obscurcissement qui est ici entrepris, et le dévoilement plus net qu'exigerait le genre. Le contraste n'apparait pas, le corps au départ habillé n'est jamais bien défini en tant qu'enjeu, ses avatars ensuite nous laissent à distance, étrangers. Perdu dans tout ce foisonnement, l'apparition finale et lumineuse d'un cul rond et nu, est juste incongrue.

    Pourtant la Halle de la Villette se dégèle peu à peu, et restent toujours trois numéros à dévoiler. Avant Cécilia Bengolea, s'était effeuillée Delphine Clairet. Mais qui a surtout beaucoup parlé, avec les mots de Vera Mantero.f45fcd5554349f0ee61ae250285e4b88.jpg Un commentaire bavard sur le strip tease, recherchant la connivence avec le spectateur, et c'est bien là où se situe le problème. Pour concilier dans le même espace-temps art et commentaire, il faudrait être aussi doué que Thierry Baé, le résultat est ce soir inévitablement aussi creux que la chose présentée par V.M. au Centre Pompidou l'automne dernier. Qu'elles soient entendues au premier, second ou trente-troisième degré, des inepties, enfilées comme des perles, restent des inepties. Pour ne prendre qu'un exemple, la supposée pudibonderie dont auraient été victimes nos ancêtres tient surtout du mythe qui a pour avantage de nous faire croire libérés nous mêmes. Il n'y a qu'à se souvenir de Zelda Fitzgerald plongeant à poil dans la fontaine de Washington Square durant les années 20 pour s'en persuader.

    Mais l'escroquerie consiste surtout à laisser exister, par une mise en scène bouffonne, une distance comique par rapport à ce qui est dit. Le spectateur, confronté à cette absence d'engagement, ne sait si ce discours aux implications artistiques et sociales est soutenu ou dénoncé. La seule victime de ce procédé un peu lâche est l'interprète Delphine Clairet, renvoyée à l'archétype de la grosse rigolote, à la tête creuse et aux avantages généreux. Dommage, car tout le beau potentiel de la strip teaseuse burlesque n'est pas exploité. Quand même, sauvée du gâchis, une belle et triste minute de poésie, quand pour sacrifier ses derniers vêtements à la nudité, c'est sur sa peau même que l'interprète doit les laver.

    Moralité: arrivé à ce stade, on a rien vu, malgré le nu. On a rien vu de nouveau en tout cas. Ou rien trouvé à comprendre. Peut être, pour arriver à nous surprendre un peu, aurait il fallu plutôt demander aux chorégraphes de se déshabiller, et aux strip teaseuses de leur expliquer comment procéder...

    Mais déjà montent sur scène Caroline Lemaire- avec Alain Platel- et Sky van der Hoek-avec Caterina Sagna, qui promettent, quoiqu'il en coûte, de nous montrer enfin toute la vérité... demain.

    C'était Cécilia Bengolea ♥♥♥  chorégraphiée par Claudia Triozzi. et Delphine Clairet ♥♥ sur un texte et une chorégraphie de Vera Mantero, dans le cadre de Nightshade, à la grande Halle de la Villette, jusqu'au 13 octobre.

    Guy

  • 7 essais pour Nightshade

    On arrive bon dernier pour découvrir Nightshade. Cent fois déja découvert, tout à fait plus que nu, strip-teasé lignes après lignes. Considéré avec soit tout l'enthousiasme du Tadorne, soit avec tout le recul de JD. Embarras. Les polémiques sur-exposent l'objet, éclairé sous tous les angles et par toutes les problématiques. En vrac: ambiguïtés des rencontres entre chorégraphes et professionnels et leurs risques de pudibonderie et condescendance, difficulté de situer la chose ou pas du tout dans le champ artistique, pression sur le spectateur renvoyé à un statut de voyeur,  banalisation de l'érotisme, etc..., etc..., etc...., etc.... On en tellement lu qu'il nous semble déjà avoir tout vu. Donc, 10c4f83ebee6d899441aab17f58e00a3.jpgon aborde l'expérience elle-même un peu collet monté, bras croisés, comme resté au vestiaire, sans avoir pu se dépouiller de toutes les idées déjà faites. Et puis on se gèle à la Villette.

    Mais après vingt minutes et deux numéros, ce constat s'impose: il y a ici nul concept, tout juste un fil rouge. Comme dans les vieux films à steckches: il y avait Louis Malle, puis Vadim, puis Fellini. Ou Woody Allen, puis Scorsese. Donc ce soir à la suite, bien rangées, hermétiques, 7 performances, mis en scène par 7 chorégraphes contemporains-et à chacun son style-, interprétés par 7 professionnel(le)s du strip tease. 7 projets et 7 approches. Seul l'orchestre reste le même. Ne cherchons pas à distinguer un tout, ne regardons que les parties. Aucune loi générale à en tirer.

    Préalable- puisque qu'il y a un point commun quand même- qu'est ce que le strip-tease? Relisons Barthes et Verrièle. Et rappelons juste que le contrat entre artiste et spectateur consiste implicitement en une promesse dont chacun sait qu'elle ne sera pas tenue: la danseuse/le danseur prendra tout son temps-utilisera beaucoup d'artifices- pour retarder le moment, où elle/il ne montrera que peu, et très brièvement.

    Sept spectacles à raconter, c'est beaucoup.

    Envoyons se rhabiller Eric de Volder (trop brumeux), Johanne Saunier(trop leger), Wim Vandekeybus (trop confus)...

    Ca fait trois de moins, en reste quatre à déshabiller. On monte la lumière, on enlève son blouson, mais jusque là on a rien montré... demain promis!

    Guy