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théatre - Page 15

  • Brecht avance masqué

    Peut on assister à une pièce de Brecht sans s'empoisonner d'avance l'esprit avec la sempiternelle question de la distanciation? Avec plus d'appréhension encore dés lors que l'on comprend que les comédiens porteront des masques.... 8f57b96b98c3895337088b19daab9011.jpgMais on oublie toutes inquiétudes dix minutes après le commencement, juste le temps de se souvenir que cette fameuse distanciation brechtienne ne fût sans doute à l'origine appliquée que relativement, même à en relire Roland Barthes. Qui voyait dans le théatre de Brecht un art permettant un certain recul permettant des prises de conscience, non un art froid et désincarné. Mais peut être ce débat est il oublié, et si les acteurs portent ce soir des masques, c'est qu'ils jouent une farce. Dans une tradition de comedia dell'arte. Avec un esprit de caricature, des voix déformées, des costumes bariolés, des accessoires loufoques, des courses, des chutes et des chansons.

    La farce est toute au service d'une morale sociale, on s'en serait douté. Le patron Puntilla, quand il est soul, est le meilleur des hommes. Quand il est saoul seulement. Car à jeun il redevient ce qu'il est simplement: un patron. Capable de tout, et seulement du pire évidemment. Le truc du personnage à la double personnalité, source de riches péripéties, ne devait pas être nouveau même len 1940 lorsque la pièce fût écrite. Mais il prend ici une signification trés politique: on aura beau être un homme bon, on sera toujours un mauvais patron. Le plus surprenant avec Omar Porras est que l'exposé de cette dialectique n'est jamais pesant ni ennuyeux. L'énergie tornadesque ici mise en oeuvre, avec une précision vocale et chorégraphique sans défauts, permet que les opposés se recontrent. Après 2H20 de beau spectacle, on est devenu marxiste à 100 %, et tout le peuple du Théâtre de La Ville à nos cotés. Quand bien même, on ne peut être insensible à l'éternelle actualité du texte. Le Valet Matti en conclusion appelle de ses voeux des temps heureux où chacun sera son propre maître. On peut attendre longtemps.

    C'était Maitre Puntila et son valet Matti de Bertold Brecht, mis en scène par Omar Porras, au Théâtre de la Ville.  Avec Jean-Luc Couchard (Puntilla) et Juliette Plumecocq-Mech (Matti), etc... Complet jusqu'au 26 janvier.

    Guy

  • Woody Allen: familles, je vous hais.

    Au Palais Royal, on redécouvre tout ce qui fait le charme discret du théâtre privé: les ouvreuses à pourboires et les grands d6596934e7a714158bd2fcbc5be90aef.jpgescaliers, les spectateurs bien habillés dont des dames à visons, les rideaux très rouges et les dorures au plafond, le sentiment de s'y glisser sur la pointe des pieds et les places à 46 € en orchestre. Et sur scène, des acteurs comme à la télé jouant très pros des pièces à texte, textes qui respectent la règle d'or selon laquelle il faudra tôt ou tard absolument tout expliquer au spectateur. Si l'on préfère un spectacle qui laisse un peu à imaginer, mieux vaut aller voir ailleurs des personnages se taire et danser.

    Ce qui n'empêche pas que l'intrigue- située au sein d'une famille américaine des fifties -emprunte maints détours narratifs, et ménage des révélations graduées: on ne va quand même non plus tout expliquer dés le début. Les flash-back et sauts en avant s'enchaînent habilement et on ne se lasse pas d'admirer le plateau qui tourne, les murs qui montent et descendent pour transporter l'action en flux tendus de Brooklyn à Hollywood. Il y a de l'argent sur scène, et intelligement utilisé. Du talent et du métier aussi, avec des rôles caractérisés sans équivoque, sans pour autant renoncer aux nuances du jeu. Gérard Lartigau s'aventure plus vers le boulevard que ses camarades, sans que le contraste ne gène pour autant. Ceux qui sont venus pour rire peuvent retourner chez eux et choisir dans leur intégrale Woody Allen pour une soirée dvd: ce Puzzle est aussi guilleret qu'une pièce d'Harold Pinter. Proposant une vision tout aussi noire et cynique de la nature humaine. La famille est un piège, les hommes suivent d'autres femmes que les leurs, les femmes suivent l'argent, l'argent sourit aux hommes qui ont su fuir la famille. Restent, amers, les femmes abandonnées ou les hommes qui n'ont pas eu le courage de les fuir, chacun replié sur ses misérables secrets et le deuil de ses rêves. Dans cette histoire rien ne surprend vraiment, mais tout fascine, assez méchamment. Vue par les yeux désabusés d'Alma, la fille intellectuelle et bohème, plus narratrice que véritable personnage de cet "second hand memory", celle qui a choisi de partir, et de vivre librement sa marginalité. Une rescapée.

    C'était (la centième) de Puzzle de Woody Allen, adapté par Stéphane Azzopardi, mis en scène par Annick Blancheteau et Jean Mouriere , avec Michel Aumont, Geneviève Fontanel, Gérard Lartigau, Julie de Bona, Anne Loiret, Sébastien Azzopardi, Marie Le Cam, au Théatre du Palais Royal

    Guy

  • Shakespeare: contes et songes

    Il est tout à fait possible d'emmener les petits découvrir Shakespeare, sans que le songe ne se transforme en f05fbe43deffc2465e3d973143a7a8b5.jpgcauchemard. Au Théatre Mouffetard, les sortilèges d'amours sont administrés à coups de piqûres par deux acteurs déguisés en moustiques géants, qui courent sur scène en bourdonnant. Dans ces conditions, le succès est assuré. Bien sur, les adultes vont sourciller en entendant les personnages être rebaptisés "Rillettes" ou "Pur Porc", en découvrant l'intrigue du Songe d'une nuit d'été  simplifiée de 3 à 2 actions simultanées. Tant pis pour eux, ce n'est pas aux adultes qu'ici on s'adresse. Pour le bonheur des vrais spectateurs, les cinq acteurs, et tous leurs masques et costumes, en font des tonnes, en couleurs et en chansons. Les enfants découvrent avec un effarement délicieux que sur scène, et peut être aussi dans la vie, on peut tomber amoureux n'importe quand, n'importe où et de n'importe qui.

    Approche tout à l'opposé, mais avec tout autant de réussite à l'arrivée, au T.N.O. : une voix, quelques 1c6e3715d6b5761733705651e53956b0.jpggestes, une percussion, c'est assez pour quitter la rive et que surgissent de l'obscurité les images du Songe, de la Tempête, de Roméo et Juliette. Le choix de la sobriété. Pour emmener par les détours du conte les enfants, bouches bées, bien plus loin dans la complexité des pièces qu'on aurait pu le penser.

    C'était le Petit songe d'une nuit d'été de Stéphanie Tesson d'aprés William Shakespeare, mis en scène par Antoine Chalard, au Théatre Mouffetard,  jusqu'au 5 janvier, et les Contes de Shakespeare, d'aprés Charles et Mary Lamb par Monique Lancel au Théatre du Nord Ouest, en alternance jusqu'au 9 mars dans le cadre de l'intégrale Shakespeare.

    Guy

  • Anne Hirth: en attente

    Les décors et costumes ont la patine d'un théâtre qu'on imagine d'avant la fin des années soixante. En route pour un voyage dans le temps, stricte cravate, robe à fleurs, papiers peints et toile cirée. Pour observer trois personnages, contraints dans le même espace, peu à leur aise, comme enfermés dans une salle d'attente. Trois personnages mutiques, dont les pré-relations resteront non définies, ce qui est délicieusement exaspérant. Oublié ce prologue qu'on a entrevu par une fenêtre du décor: un temps d'ivresse, de musique et de convivialité. La fête est bien finie, la fête entre eux trois n'a même sans doute jamais existé. La parole aussi s'est tarie, réduite au strict utilitaire. Ils ne parlent que pour demander du feu. Ce n'est pas que nos personnages ne veulent pas communiquer-chacun manifeste en permanence la conscience de la proximité de l'autre-, c'est plutôt que quelque chose les en empêche. Quelque chose d'indéterminé, quelque part entre le pathologique et le social. L'enfer, une fois de plus, c'est les autres, et le temps s'est arrêté. Résultat: sont en début seuls montrés ici les moments qui n'existent pas vraiment, du moins dramatiquement. Qui existent surtout par leur durée. Les moments insignifiants, les moments d'observation, les moments d'hésitation, les moments d'inaction. Les autres moments, les moments qui restent, entre les moments forts. Des moments non faits, ou faits plus de vraie vie que de théâtre. Mais c'est tout l'art d'Anne Hirth  de faire que l'exercice existe lui-même théâtralement, subtil et sarcastique, et que cet exercice soit tout sauf ennuyeux. 

    On ne peut pas ne pas communiquer, les personnages interagissent. Les gestes, devenu réflexes, hors contexte, perdent sens. Les frontières de la coexistence sociales se font poreuses. Dans cet espace aux règles sans raisons, les mouvements dérapent, imprévus, s'emballent peu à peu, jusqu'à la rudesse. Empoignades sans pitié dans la queue pour les toilettes. Au bord de la névrose, l'absurde s'insinue. Les enjeux se font flous. Les positions se renversent. La cabine de douche devient fumoir, et le fumeur cul par dessus tête. Coup de théâtre: une femme dans le placard. Rien de vaudevillesque, il s'agit plutôt une survivante. Une non vivante. Égarée. De quoi mettre en évidence l'incapacité des trois autres médusés de rassembler, de faire groupe, pour résoudre l'énigme. Mais tôt ou tard l'impossibilité d'être se résout par la danse, l'espace est reconquit poétiquement, comme en une évasion qui s'engourdirait en rêve. Autour de la femme sortie du placard, le groupe se fait. La parole réussit enfin à renaître, dans la bouche de cette femme, submergée par des souvenirs d'enfance, comme somnambule, qui avance ainsi dans la belle ivresse d'un mouvement continu, rhabillée à chaque pas d'une nouvelle robe par ses compagnons.

    C'était Wait Here for futher instructions ♥♥ d'Anne Hirth-Büro für Zeit + raum, avec Blandine Costaz, Daniel Bausch, Jürg Plüss, Ellen Schiess, à la Halle aux Cuirs de la Villette avec 100 dessus dessous.

    Guy

     

  • Yves Noël Genod: Aprés la chute.

    En colère. On lui en veut. A Yves-Noël Genod. D'être puni d'Hamlet. On lui avait rien fait pourtant à Y.N.G.. Parcequ'on se sent devenir plus que réac. A voir son Hamlet à lui. Dégoûté. Prêt à revenir au théâtre de papa. Plus conservateur que Alain-Gérard Slama. Avec tout le respect qu'on a pour Alain Gérard Slama. Qui lui au moins a une pensée qui se tient. Plus vitupérant que Jacques Julliard. Et ses conceptions bien arrêtées quant au texte et la diction. Pourtant on était arrivé idées ouvertes. Mais en premier il y a eu la fumée. Et après la fumée un grand n'importe quoi. Un indéchiffrable foutoir. Où des gars errent. On vitupère. Seul dans son coin. Avec les autres seuls eux aussi. On repense à la belle pièce d'Anne Hirth. On attend Miss Marion. Ou l'inverse. Peu importe. Et les gars sont à poil. Évidemment. On a déjà vu cent fois. Mais ça fait glousser les bourgeoises. Ce soir aussi. Les gars sont à poils. Ils errent. Et puis voilà. Ca nous énerve. On se s'élève pas vue sur le dépotoir. On s'emmerde. On déprime. On devient vide. On devient con. Une heure de punition. On tapote sur le fauteuil. On se penche en avant. On se tasse en arrière. On soupire. On entrouvre Le Monde sur les genoux. Froissements. Regards furieux de la voisine. On relit trois fois le programme. Cinq fois. Projet inspiré de la planète des singes? Pourquoi pas. Après le grand cataclysme, le défilé des primates. Qui foulent au pied les résidus culturels. Regard vers Jérome. Au premier rang. Dans la fumée. Trop de fumée alors Jérome a du halluciner. Et surinterpréter. Oui Jérome d'accord. Il y a avec plein de choses sur scène. Des bouquins. Des guitares. Des fringues. Des os. Le crâne évidemment. Des résidus de marché aux puces. Et après? Dans mon salon aussi il y a tout ça. Les mauvais jours. Au moins moi, je ne pisse pas dans les bassines. Et tout ces objets ne font pas sens. Sauf le sens qu'on finit par leur prêter. Comme lors d'un test de Rorschach. Ici pour tuer le temps. Pour éviter de trop s'emmerder. Inventaire après faillite. Au bout d'un temps, des acteurs parlent. Disent des morceaux de textes. Encore des débris. Decontextés. Y.N.G. montre qu'il a des lettres. Tant mieux pour lui. Dommage pour nous. Shakespeare. La Bible. Corneille. Montherlant. Bel alibi. Pour en faire quoi? Et Cabrel aussi. Et Eddy Mitchell. Pour tout mettre sur le même plan. Style cultures au pluriel. Symptomatique. Est ce la mort du théâtre? Mise en pratique? Tout balayer pour reconstruire à partir des débris? Mais pourquoi ? Le théâtre est bien vivant. Mais juste bien vivant ailleurs qu'ici. Audacieux. Inquiet. Travaillé. Fort. Avec des gars à poils, mais à poils intelligemment. Qui parlent à poils intelligement. Ici on ne voit que des débris. Ici, en trois mots: c'est bâclé. Improvisé ou préparé en l'état? Peu importe. C'est juste déplacer le problème. En amont. On applaudit pas.

    C'était Hamlet   , d'Yves-Noël Genod, avec Guillaume Allardi, Julien Gallée-Ferré, Frédéric Gustaedt, Yvonnick Muller, Marlène Saldana, Thomas Scimeca, la Halle aux Cuirs de la Villette, avec 100 dessus dessous.

    Guy

  • Marivaux: lettre à mon neveu qui n'a jamais mis les pieds à Nanterre Amandiers

    Mon cher B.

    Jette ta game-cube à la benne, arrache les fils du câble, revends ta carte UGC, éteins ton cellulaire 3-G, cours vite à Nanterre voir Marivaux, et tu verras tout à la fois: le théâtre est aujourd'hui comme de tous temps un art multimedia.

    fea5e111516ffeef2f9edfce3d6162df.jpgLe texte, d'abord, le texte et rien d'autre, le texte avant même que le reste ne commence à exister.... Je t'entends déjà me répondre que c'est une vue de l'esprit: que sur scène tout vient en même temps, le texte, la parole, la musique, le jeu des comédiens, etc... Tu as tout à fait raison. Je t'expose juste les choses de cette façon afin de te faire valoir que cette expérience théâtrale te permet de mettre en oeuvre différents niveaux de perception simultanés. Certes tous interdépendants mais chacun riche de sa valeur propre. Ce texte donc est signé Marivaux (1688-1763), Tu vas découvrir qu'on a encore le droit en 2007 d'employer l'imparfait du subjonctif, ou des mots comme "affliction". Qu'on peut entendre cela et y survivre. Et pour commencer être reconnaissant à Luc Bondy de nous juger assez adultes pour ne pas se sentir obligé d'adapter le texte. Le texte qui raconte une histoire. Et pire, une histoire d'amour. N'écoute pas tous ceux qui te diront que cela n'a dés lors aucun intérêt, car dépourvu de portée sociale ou politique. Dés qu'il s'agit de l'homme, il n'y a pas de petit sujet. Ces états d'âmes des deux jeunes personnages principaux-la comtesse et le chevalier-, chacun en deuil de son amour disparu, et qui n'osent s'engager à nouveau du coeur et du corps avant d'être sûr d'être récompensés en retour, touchent à quelque chose d'universel. Aujourd'hui, on parlerait de résilience. Aux billets plus ou moins doux du XVII° siècle pourraient répondre les SMS envoyés dans la cour de ton lycée. L'enchaînement des malentendus amoureux n'est qu'un prétexte pour mettre en évidence les difficultés qu'ils éprouvent à ajuster leurs sentiments- graves ou superficiels, quelle différence?- sentiments qui ressemblent plus à de l'amour propre et de l'orgueil qu'au don de soi à l'être aimé. Sur ce plan là, rien n'a changé. Et il y a chez Marivaux, sous des apparences inoffensives, une énergie presque hargneuse à remettre le sentiment au centre du jeu, aux dépens de l'intellectualisme, jusqu'à faire déchirer par le Chevalier des pages du philosophe Sénèque, faire congédier cruellement par la comtesse l'érudit Hortensius.

    En osmose avec le texte, écoute ces voix qui le portent. Sans amplification, ni équalisation numérique. En absolu direct, fidèles à 100%. Fidèles au texte, et en décalage à la fois: ces voix se permettent une juste distance par rapport à l'écrit. Nous permettent d'introduire intelligence critique tout en partagant ces émois. Comme nous ne sommes plus en 1727, les imparfaits du subjonctif sont delivrés avec un rien d'ironie. Les voix amoureuses empruntent à la fragilité adolescente, pour traduire interrogations et désarrois, avant de céder la place au bon sens gouailleux des serviteurs Lubin et Lisette. L'art du soupir est poussé jusqu'à son extrême raffinement, avec plus d'efficacité que des pleurs ou d'autres éclats pour rendre compte de la tristesse. Ambiguïté et faux semblants, le langage est un leurre, au maniement dangereux. Il s'agit le plus souvent de ne pas dire: le rival du chevalier, le vieux prétendant de la comtesse se disqualifie par l'aveu même de sa proposition de mariage, aux perspectives soudain insupportables parce qu'exprimées. Il flotte aussi quelque part autour des voix, de la musique, que tu ne remarqueras pas sans doute.

    Tu verras, cette pièce se joue en 3.D.. Dans un décor en relief, pensé comme une création d'art plastique. Au premier plan de la scène une sinueuse bande de sable, dessiné avec une élégance organique, mais cette figure est peu à peu foulée au pied par tous les déplacements impulsifs, comme troublée par le désordre des passions. Sur un plan horizontal au fond, de chaque coté une cabine noire de deuil qu'habite chacun des personnages principaux, et qu'une machinerie fait s'éloigner ou se rapprocher l'une de l'autre au gré du réchauffement ou du refroidissement de leurs inclinations. Tu découvre que le décor peut avoir pour fonction de commenter l'action. Sans te faire oublier que tu vis un artifice: un cadre définit cet espace théâtral...mais lui même est entouré de matière transparente, pour que l'ation puisse en déborder.

    Dans ce décor, la migration émotive des corps ne doit rien au hasard. Des corps réels, que tu pourrais toucher presque. Lupin, pour commencer, s'approprie l'espace sans hésitations, à vélo. Hortensius, insupportablement pédant, répand ses livres partout. Lisette est plutôt du genre à écouter aux portes. En ce qui concerne la Comtesse et le Chevalier, c'est une autre affaire. Ces deux là savent bien qu'aller l'un vers l'autre, revient à s'engager. Et pourtant les gestes sont là, avant la volonté, pour démentir ce que les mots ne veulent exprimer, ces personnages dessinent tous deux une subtile géographie de la pudeur et du désir. Je ne te donne pas cinq minutes avant de tomber amoureux de la comtesse, et de ses abandons millimétrés, la tête qui se laisse tomber sur l'épaule, mais juste un peu. Le Chevalier mélancolique a quant à lui des affalements extraordinaires. Je ne parlerai pas des autres acteurs, mais tout s'agence avec une précision quasi-chorégraphique. Tous les mouvements, tous les suspens enrichissent le récit. Tu vois qu'on peut montrer un corps qui souffre et s'interroge, sans avoir besoin de le tondre, ou de le dénuder et de le plonger dans le miel. Ne te méprend pas je te conseille d'aller voir une fois dans ta vie une pièce de Rodrigo Garcia pour en parler en société, mais il faut que tu sache qu'il existe aussi des moyens de représentation plus subtils, et dramatiquement plus efficaces.

    Revenons en à Marivaux. j'ai essayé de te faire valoir que le spectacle était total, mais cela va plus loin: le spectacle est intemporel et paradoxal. Tu es un spectateur du XXI° siècle confronté à une pièce du XVII°. A une pièce du XVII° interprétée par des artistes contemporains, qui s'inscrivent ou s'opposent à une certaine tradition, et à la fois espèrent innover. Tu ne peux donc comprendre la pièce comme la recevaient ses contemporains, c'est à dire qu'il y a une dimension qui t'échappe, forcement. Il y a aussi une dimension universelle, et d'autres aspects que tu peux percevoir avec recul: à la diférence de Marivaux tu as lu Freud, ou sinon Cyrulnik, ou au moins tu en as entendu parler. N'écoute pas les conservateurs qui ne jugent légitimes les pièces de Marivaux qu'en costumes d'époque, cela n'aurait de sens que s'ils venaient eux même les voir en perruques. Tu es confronté au seul art dont les oeuvres soient à la fois au fil du temps inaltérées et transformées.

    Mais surtout porte attention aux dernières secondes: les lumières se rallument avant la fin des dernières répliques, alors que l'amour s'est enfin avoué. Dans un soudain paradoxe, épuisées par deux heures d'hésitations amoureuses, les expressions se figent au bord du désenchantement. Sans qu'on n'ait su quand, la représentation s'est déjà effacée devant le retour du réel. La dernière surprise de l'amour, peut-être.

    J'en ai beaucoup trop dit, je te rappelle juste que c'était La Seconde Surprise de l'Amour ♥♥♥de Marivaux, mis en scène par Luc Bondy, décors et lumières de Karl Ernst Hermann, avec Pascal Bongard, Audrey Bonnet, Clotilde Hesme, Roger Jendly, Roch Leibovici, Micha Lescot, au Théatre Nanterre Amandiers avec le festival d'automne à Paris.

    Guy

    P.S.: Ecris moi quand tu l'auras vu, je suis vraiment impatient d'avoir ton avis. Et ne fais pas de soucis pour arriver jusqu'à Nanterre Amandiers: ils ont des navettes à la sortie du RER. La pièce joue jusqu'au 21 décembre.

  • Juste la fin du monde: l'éternelle famille

    Vient bientôt le temps des fêtes de fin d'année, le temps des réunions de famille. Les réunions des familles qui se réunissent encore, c'est à dire celles qui n'ont pas hérité. Pour se préparer à y survivre, il est bon d'aller voir "Juste la fin du monde" de Jean Luc Lagarce (1957-1995). Pour ne pas y retrouver Lagarce, qui depuis 12 ans est mort, mais pour découvrir ou retrouver son oeuvre, une oeuvre en bonne voie, semble-t-il, de lui survivre longtemps. Quitte à échapper à son auteur autant que nécessaire. Paul, le principal protagoniste, qui va bientôt mourir et veut revoir sa famille, n'est pas/n'est plus Jean Luc Lagarce, qui avait écrit la pièce se sachant condamné par le sida. Paul est Paul, simplement, avec les traits ronds et murs d'Hervé Pierre (sans la barbe de Coltrone), qui répète avec gourmandise et sans essayer de convaincre qu'il a trente-cinq ans. La mort est toujours présente, mais passe un peu au second plan.

    Paul revient dans sa famille, pour parler, dire la vérité (sur son état, seulement, ou sur lui, plus généralement?), et ne le peut, évidemment. Pas plus que Paul n'a pu, marchant une nuit sur un pont entre ciel et terre, gueuler un cri pour de bon. C'est l'un des puissants paradoxes de ce théâtre de nous montrer des personnages parler pendant une heure et demi pour démontrer qu'ils sont dans l'impossibilité de communiquer. Avec une langue très pure, un peu blanche, comme en perpétuelle recherche d'elle même, même si quelques effets de répétition résonnent parfois comme des exercices de conjugaison. On le pardonne volontiers, car ces répétitions font sens, témoignant de la difficulté qu'ont les personnages à se définir par les mots. Ce texte est porté avec énergie et intelligence, avec conviction. Il est vrai que les acteurs- Danielle Lebrunen tête- ont de sérieux états de service. On entend ici des phrases superbement impossibles mais jouées de manière réaliste, à rebours d'un certain théâtre contemporain qui se saisit souvent de textes classiques pour leur faire subir un traitement distancié.

    Car c'est peut être avant tout d'un théâtre de situation, un théâtre psychologique, dont il s'agit ici. Un théâtre moderne et adulte, pour tout dire. Le fils aîné revient, mais le retour est impossible pour qui un jour est parti. Ceux qui sont restés entre eux- la mère, le frère, la soeur- se sont renfermés ensemble sur les souvenirs des vieilles querelles, dans un inconfort qu'il est trop douloureux pour eux de remuer. La place de chacun est assignée, la scène est barrée de tout son long par le mur imposant d'une maison, par ses ouvertures apparait la vue d'un ciel tourmenté. Image d'une subjectivité vers laquelle chacun pourtant parvient à son tour à s'échapper, quand les névroses familiales éclatent brusquement en accès de violences, avant de s'éssouffler en renoncements, au goût doux amer du pardon.

    "Qui peut dire comment les choses disparaissent?"

    C'était Juste la fin du monde ♥♥♥ de Jean Luc Largarce, mis en scéne par François Berreur, avec Hervé-Pierre-de-la-comedie-française, Danièle Lebrun, Elizabeth Mazev, Clotilde Mollet, Bruno Wolkowitch, au Théatre de la Cité Internationale en partenariat avec le Théatre de la Ville.  Jusqu'au 25 novembre

    Guy

    P.S. du 25/11: quelques images ici  et quelques échanges, sur un air de théatre

     

  • Lost

    Les rescapés explorent l'île par petits groupes, veulent en percer les mystères, se retrouvent impuissants confrontés aux volontés des étranges habitants du lieu, sont terrorisés par des phénomènes inexpliqués, par les apparitions de monstres et créatures surnaturelles.

    Ce n'est pas la dernière saison d'une serie made in Los Angeles, c'est juste La Tempête, oeuvre tardive de Willy, son quasi testament. Une pièce étrange et onirique, presque ésotérique, de quoi occuper les fabricants d'exégèses fc017e753e191a7a214000796a70ca18.jpgpendant quelques siècles. En tous cas une pièce atypique dans la production shakespearienne: ici nulle passion qui menerait un Macbeth ou un Othello jusqu'à son propre anéantissement, ni intrigue à proprement parler qui nous tiendrait en haleine. Trahisons, luttes de pouvoir: toute l'action a eu lieu avant  la pièce, dans un temps ordinaire, suspendu par la tempête. Ensuite, comme dans les séries d'aujourd'hui, les naufragés rencontreront leur vérité à travers les épreuves. Mais c'est l'île elle même- et ses incarnations primitives: Ariel et Caliban- qui est le personnage principal de la pièce. Un lieu de magie, mais comme empreint d'une lassitude apaisée, où les passions se résolvent, où les fautes sont pardonnées.

    L'île est donc un lieu hors du monde et du temps, avec plus d'évidence encore que la forêt du Songe d'une nuit d'été, ou l'Illyrie de la Nuit des rois, une puissante métaphore de l'espace théâtral lui même. Il faut donc que soit imposé à nos esprits l'étrangeté de ce lieu: c'est chose faite dés l'entrée, avec, agitant quatre grandes voiles, une effrayante tempête, ensuite souvent le son des tambours, de beaux effets de lumière, et une juste part laissée au ténèbres. Le texte est ensuite joué avec humilité, mais avec intélligence. Dans cette troupe peuplée de têtes familières pour qui fréquente le T.N.O. François Paul Dubois en Prospero dégage une irrésistible mélancolie, tout autant que de l'autorité. Frédéric Touitou  surjoue un peu Caliban. Surtout, Carlos Ouedraogo campe un Ariel résolument, étonnement, delicieusement africain.

    Tous les mystères ne seront pas éclaircis, tant mieux. Mais qui est vraiment le magicien Prospero, un homme qui, fait extraordinaire, renonce de lui même à sa magie? Peut être ce Prospero est il déjà mort, nous suggère à l'oreille une voix perspicace.... 

    C'était la Tempête de William Shakespeare, mise en scène par Bernard Mallek et Paola Rizza dans le cadre de l'intégrale Shakespeare, au T.N.O.

    Guy

  • La grande parade de Rodrigo Garcia et Mickey au Théatre du Rond Point

    Le public rit franchement, la première fois qu'un comédien apparaît nu sur scène.

    Le public rit très rarement, lors des trois longs monologues anti-consuméristes en espagnol du début. 

    Le public rit quand même, quand on voit pour la première fois le mot "baiser" en sur-titres sur le grand écran.

    Le public rit, quand les comédiens s'enduisent de miel.

    Le public ne rit pas, quand rentre la figurante, encore chevelue.

    Le public rit un peu, quand un des comédiens tond les cheveux de la figurante, il rit mais sans doute en réaction à des textes en sur-titres, relatifs aux dirigeants politiques et aux grèves.

    Le public ne rit pas du tout, quand un comédien plonge des souris dans un aquarium (Il vaut mieux être escargot avec Jesus Sevari que souris avec Rodrigo Garcia), et les repêche avant la noyade.

    Le public rit un peu, quand cette scène est interrompue, pour cause de panne vidéo.

    Le public rit aux éclats, quand un comédien et une comédienne minent nus un coit crane contre sexe.

    Le public rit beaucoup, quand apparait ensuite une famille entière de figurants pour monter en voiture.

    Le public rit tout autant, quand les comédiens plongent dans la boue.

    Le public rit, mais moins fort, quand on accroche par des fils des grenouilles à un comédien.

    Le public baille, lors du long monologue final, et la projection de films de parachute.

    Le public applaudit.

    Le public sort du théatre, sur les Champs Elysées.

    C'était la premiere parisienne d'Arrojad mis Cenizas sobre Mickey / Et balancez mes cendres sur Mickey de Rodrigo Garcia, avec Jorge Horno, Nuria Lloansi, Juan Loriente, et à la figuration le 8 novembre, Laurie-Anne Ivol, qui fait ce qu'elle veut avec ses cheveux, au Théatre du Rond Point, avec le festival d'Automne à Paris.

    Guy

    P.S du 11/11: A lire, Le Tadorne, Scenes 2.0, un air de theatre

     

  • Timon-Macbeth: 34-10

    Le match est disputé sur un terrain qui n'est pas neutre. Sur lequel les deux équipes se sont entraînées: la salle Laborey du T.N.O.. Mais chaque camp joue seul et en alternance, devant un public silencieux, ni cornes de brumes ni sifflet. Quand à f661ae2a6ca0d7997ec45348352e1e30.jpgl'arbitre, c'est le grand Will en personne. Dans les ceux équipes, pas de stars internationale, mais des talents déjà remarqués. A noter, au nombre des transferts, Audrey Sourdive, déjà remarquée en pilier dans la mêlée des religieuses de Port Royal, ici talentueuse dans le rôle de la Lady. Macbeth part favori, avec l'avantage de la notoriété, un public presque acquis, plus exigeant aussi? Timon d'Athenes du même Shakespeare est un outsider, quasi inconnu, mal aimé des critiques, qui vont même jusqu'à douter de la paternité de la pièce.

    Las, Macbeth peine à marquer, un peu joué ras le texte. Beaucoup de passes manquées entre les acteurs, pas tous du même niveau. Jouent ils trop perso? Déception, on se souvenait de l'entraîneuse plus inspirée par Montherlant. ll y a des beaux moments de jeu, pourtant, mais trop de démonstrations inutiles, de longueurs plombés d'emphase. On se disperse, sans rentrer dans nos 22 mètres. La sorcière marque un essai, mais pas pas vraiment transformé. Trop de pression? Manque d'entraînement ?

    Timon fait vite la différence, d'une élégance intemporelle, en habit chic colonial. On se souvient de la performance de l'équipe sous la bannière de Jeanne d'Arc. Le terrain dramatique est ce soir43fb9e1190dd68ce707aa010afb73124.jpg bien occupé, dominé d'un bout à l'autre. L'avantage est assuré par un jeu de haut niveau dés le début de partie, sur les thèmes de la prodigalité de Timon et de l'hypocrisie de ses invités. Jerome Keen marque l'essai. Actions d'équipes brillantes à la mi temps, alors que Timon est ruiné, la scène du banquet d'eau chaude servi aux convives avides est d'une précision et d'une énergie à couper le souffle. Dans un même mouvement, l'aisance et l'efficacité. La transformation est réussie, lors d'une belle malédiction jetée à la face d'Athènes, par un Timon amer. Le choc: on est plaqué. Fin de partie un peu moins vive, plus défensive, avec Timon l'ermite.

    C'était Macbeth, mis en scène par Damiane Goudet, et Timon d'Athènes (traduit par Jean-Claude Carrière) mis en scène par Cyril Le Grix - La Torche Ardente,  au T.N.O. en alternance jusqu'à début mars, dans le cadre de 'intégrale Shakespeare.

    Guy

    P.S. : des photos de Timon, ici