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Un Soir Ou Un Autre - Page 30

  • Histoires de familles

    Est-ce politique? Oui, non, peut-être… (Moi je dis d’abord: et après ?) Mais la spectatrice avec qui nous discutons à la sortie de ce triptyque est dépitée, aurait voulu un théâtre plus proche de ses attentes (je comprends: de l’actualité). Certes, la troisième pièce, encore en construction, ramène l’héritage des acteurs de mai 68 à une affaire de famille. De même que les personnages de Brecht, auteur pourtant politique par excellence. Mais ne s’agit ‘il  pas ici d’une noce, avant tout? Quant aux personnages écrits par Largarce, tout à leurs relations sentimentales déçues, peut-on les faire vivre autrement?  

    Théâtre distancié ou incarné, mon propre plaisir est de recevoir le texte, d’abord celui de Brecht, vivant et de plein pied. Les acteurs s’agitent autour de la table de la Noce, avec un naturel aussi drôle et travaillé que celui des chiens de Navarre. L’énergie semble plus collective que dirigée, comme dans la confusion du quotidien. On rit, on danse, on boit, on fume. On s’aime ou l’inverse. On vit, au premier degré. C’est la fête, alors il faut s’amuser. Mais que peut-on bien faire, quand on est fatigué de danser, ou d’écouter les anecdotes éculées du père? Ce ne sera pas le plus beau jour de la vie de la mariée, bien sûr. Plus les bouteilles se vident, et plus les jalousies, haines, concupiscences et mépris percent sous les convenances. Les meubles de l’appartement du jeune couple se cassent les uns après les autres sous les assauts des invités, comme pour dénoncer la fragilité de leur union et des apparences qu’ils voudraient sauvegarder. Autant pour la recherche du bonheur. Au moins les mariés prennent-ils une (brève) revanche sur la société dans la réconciliation des corps…

     

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    L’étude de caractère de Brecht est recadrée sans distorsion dans les seventies, avec E.L.P. sur la platine et fringues de rigueur. Mais l’action des Derniers remords avant l’oubli (1987) de Lagarce semble se dérouler un siècle plus tard. Plus question de se marier en robe comprimant une maternité honteuse, l’heure est déjà à la recomposition. Drôlement, les mêmes acteurs et actrices jouent les mêmes couples mais de personnages différents, qui ne souffrent plus de la même naïveté. Ou qui, sous notre regard, sont naïfs bien différemment même s’ils sont conscients d’eux-mêmes. L’énergie du jeu reste présente, en est tempérée. Pèse sur la pièce le poids insupportable d’évènements passés. Les années d’amour et d’amitié partagées autrefois dans cette maison de campagne par trois personnages, depuis séparés, maintenant inconciliables, entre indifférence et inimité. Pour des histoires d’argent et pour quelques heures, ils doivent se supporter. Mission impossible, ils gâchent le temps à ne pas dire, tenter de définir et dépasser leurs relations, seulement  pour prouver aux autres qu’ils sont incapables de changer, sous le regard impuissant des pièces rapportés, de facto hors du jeu. Mon plaisir là est surtout est de ressentir toute la force du théâtre pour montrer avec évidence des gens qui disent une chose et en pensent une autre…

     

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    La famille en action dans la troisième pièce, une création collective en cours, trouve son ascendance en Mai 68. Le langage est plus contemporain, les liens familiaux plus complexes, la dynamique semble être portée par les retournements entre conservatisme et libéralisme… et le reste est venir.

    Ce théâtre parle de la famille, bien sûr. Est-il politique ? Je ne sais pas. Il semble se créer plus dans une dynamique collective qu’autour d’un propos prédéterminé. A chacun de se l’approprier. Mais au-delà du grand plaisir qu’il m’inspire dans l’instant, j’y trouve un peu matière à repenser ce qu’est et devient la famille, loin des slogans et manifestations, à l’heure où le politique s’en saisit pour faire évoluer la loi.

    C’était La Noce de Berthold Brecht, Dernier Remords avant l’oubli de Jean Luc Lagarce et Nous sommes seuls maintenant, du collectif In Vitro, mis en scène par Julie Deliquet.

    Vu au Théâtre de Vanves , et à revoir le 4 fevrier 2013.

    Guy

    photos avec l'aimable autorisation du théatre de Vanves

     

    Lire aussi: Rue89 et Le Souffleur.

     

  • Rire de tout?

    Dans une semaine, Laétitia Dosch fait peter le Centre Culturel Suisse, on vous aura prévenu....

    Redifusion du texte mis en ligne le 6 fevrier 2012

    En robe noire lamée (« car la scène, c’est que du désir »), et sourire de commande, La performeuse joue un personnage... de performeuse cheap en configuration-stand up- one-woman-show. Qui fait le truc qui marche, économique: bonne soirée et rires garantis sinon remboursés, connivence préfabriquée avec le public. Et puisqu’on est ici pour s’amuser- insinue le personnage en sous texte- pourquoi se gêner de tabous et limites? On ne va se laisser emmerder par le politiquement correct… Dépassé même l’humour époque Hara- Kiri:d'emblée quelques vannes pas fines sur les handicapés, pour mettre de l’ambiance. C’est un premier problème pour les spectateurs, pourtant spectateurs avertis, pris à contrepied. Qui réagissent les uns par un silence prudent, les autres par des rires incrédules voire effarés. Une certaine jouissance, excitation, de la transgression pourrait-elle s’autoriser à cet instant à s’exprimer ouvertement? Si certains des spectateurs sont choqués, ceux-ci évitent de le manifester. Quitte à s’interroger in petto: ces horreurs reçues plein fouet sont-elles simplement dites…ou déjà dénoncées? A ce stade, à chacun sa réponse. Pour la performeuse, pas de raison de s’arrêter en si bon chemin. Tout y passe sur un mode joué naïf et enjoué, de ce qui peut trainer dans les têtes d’indicible et idiot, de sous-entendus et de non dits. Faut que ça sorte, « par la bouche ou par un autre chemin ». Un peu de bonne conscience politique et engagée, les blagues sur l’holocauste et les juifs (« rancuniers »), sur les cancéreux, une chanson du fœtus avorté, des devinettes de pédophiles (« Que les pédophiles lèvent la main, il y a deux dans la salle, statistiquement »). On rit toujours, d’une manière plus réfléchie, plus compliquée. Dommage, le temps manque pour le sujet des religions…

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    Dans cette création choc et saissisante, sacrée prise de risque pour Laëtitia Dosch… et brillante entreprise de dénonciation. Débridée, la bêtise enfle jusqu’à exploser, s’emballe jusqu’à l’autodestruction. L’humour bête et méchant fait long feu, les tics se multiplient, comme les dérapages agressifs, la parole s’épuise. S’y substituent quelques pas de danse jusqu’au dérèglement. La machine tourne à vide, déraille jusqu’à se pisser dessus et pas de rire, se vautrer dedans autant que dans les déjections mentales. Pour tirer les dernières cartouches spectaculaires, le corps se dégrade dans le bouffon. Cheval, chien, cochon. Pourquoi, encore, rirait-on? Ne reste au moment du dernier compte à rebours, que vide, angoisse de mort et vertige. Le temps de se dire (position personnelle) que toute censure est contreproductive, qu’il faut laisser la bêtise se dénoncer d’elle-même. Elle a essayé: on peut. Rire de tout… mais pas avec tout le monde! Avec Laétitia Dosch, je veux.

    C’était Laetitia fait péter Artdanthé de Laetitia Dosch, au théâtre de Vanves dans le cadre du festival Artdanthé.

    Guy

    photo avec l'aimable autorisation du théatre

  • L'effet Papillon

    Cette redifusion de la chronique du 23/09/2011 est réservée à mes proches de Toulon et environs: Mme butterfly y passe mi novembre à l'Opéra.


    Risquer le pari de l’opéra? Pas évident. Surtout si l’on n’est pas tombé tout petit dedans. Je ne m’y plonge ce soir qu’à cause de Numa Sadoul. C’est d’abord intimidant, presque irritant. Dans un écrin d’or et de rouge, tant de couches de sens, de sensations en empilement, ces redondances qui peuvent laisser loin à distance, lasser. Tout à la fois: le décor et les lumières, dans les costumes les chanteurs et tant et plus de figurants, leur voix qui s’élèvent et doublent les instruments mais aussi le texte en même temps, et leurs gestes. En bas l’orchestre, et le chef qui à la baguette décide aussi ainsi du rythme des mouvements d’en haut, sur scène. L’Opéra est-ce l’art du plein trop, du plein?

    Pourtant un bon présage en introduction de cette Madame Butterfly: des danseurs tourmentés d’une blancheur à la Sankai Juku traversent la scène- même si plus rapidement que l’on s’y attendrait, car c’est la partition qui commande. Le décor est simple comme une estampe. Une modeste maison de bois, un pont et une jonque, l’idée de la mer au loin. Comme un désert qui laisserait deviner la suite du drame. Voici pour le port de Nagasaki.

     

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    L’histoire tient, elle-aussi, en deux lignes. L’américain, vient, boit, prend et repart, oublie. Madame Butterfly, la geisha, a juste 15 ans, et bientôt porte leur enfant.

    Et c’est la simplicité qui met l’affaire à ma portée. Et la sobre mise en scène qui allège tout le superflu qui pourrait  peser. Ne reste plus qu’à laisser derrière les préjugés et regarder le drame avec des yeux d’enfant, accepter que l’émotion et le sens passent aussi par le chant. Écouter la musique de Puccini (1904) qui s’enjoue et brille, prend des accents de comédie musicale avant l’heure. La scène est envahie par une foule pour le mariage express du Marin Pinkerton et de Mademoiselle Butterfly, la comédie de l’amour se joue sous des chœurs enivrants, puis l’union est consommée…

    Fin du premier acte.

    Le destin de Mme B. se joue en creux durant l’entracte: le départ et la naissance, les trois ans d’absence…

     

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    Tout est joué dés le début du second acte pour la perte des dernières illusions, vers l’évidence de l’abandon, la désolation. La couleur des voix se teinte de plus sombres tonalités. Madame Butterfly n’est plus une enfant maintenant, mais les enfants sur scène deviennent omniprésents, avec eux la persistance de l’innocence. Ils rêvent, et se transforment en papillons, dans la nuit au milieu des bulles de savons et de la fumée des songes. Sous la neige, ou peut-être sous une pluie de cendre sur Nagasaki. Je me laisse moi aussi gagner par la naïveté. La sobriété permet la fusion de sensations de musique et visions. Sous l’esthétique la tristesse peut s’imposer. Un moment de recul vers le 3° acte et je prends conscience de la relative limitation des mouvements des chanteurs, sollicités par le chant, même si nous sommes un peu trompés par l’agitation de personnages par moments muets, tel l’infâme entremetteur. D’où cette construction en beaux plans quasi-fixes, qui ressemblent à des cases de B.D... Moins à des tableaux qu’à des vignettes qui pourraient être inspirées du Lotus Bleu d’Hergé, comme celle que le metteur en scène porte- sans surprise -à la boutonnière. Troisième acte : Mme Butterfly donne l’enfant et meurt. Paris gagné, une nouvelle découverte.

    Guy

    C'était Madame Butterfly, Opera de Puccini, livret de Giacosa et illica, mis en scène par Numa Sadoul et dirigé par Julia Jones.

    A l'Opéra de Bordeaux jusqu'au 3 octobre.



    Découvrez Madame Butterfly à l'Opéra de Bordeaux sur Culturebox !

    lire aussi ici(mise en scene de 2003)

    photos G.Bonnaud

  • Poils, tissus, cheveux, performances

    Soyeuse surprend, en surgissant de derrière les bacs à shampoing. Mais semble une brave bête malgré ses airs de yeti à longs poils noirs, gros toutou inoffensif et apprivoisé à l’instar des renards sélectionnés par Dimitri Belaiev. Il ne faut pas avoir peur des monstres poilus, tous les enfants savent ça. Soyeuse s’adapte vite à de nouveaux milieux- ici un salon de coiffure (on souhaite bon courage à son coiffeur). Soyeuse balaie le sol avec des gestes de diva. D’évidence, Soyeuse a besoin de regards attentifs et de gestes d’affection. J’avais fait sa connaissance lors de sa performance avec Emmanuel Rabu, qui est aujourd’hui absent, mais dont on entend la voix et les textes. Soyeuse me tend une brosse, je brosse son dos vigoureusement, comme je fais avec mon chat. Soyeuse semble apprécier. C’est déja un échange. Soyeuse n’a ni yeux ni visage mais s’exprime par gestes, généreusement. On réverait dune telle liberté. Soyeuse se trémousse sur un morceau cuivré de Sun Ra. Joies premières. Sous toute cette pilosité, difficile de pénétrer ses émotions, ses pensées. Où est l’acquis, où est l’inné? Il parait que l’animal songe à surgir dans de nouveaux lieux comme bon lui semble. Et que sous les poils se cache le danseur Lionel Hoche. Légende urbaine ?

    frasq

    A la bête succède la belle: Sarah Trouche. Sensation: nudité blanche, lisse et poudrée. Très féminine, très sexuée. Mais l’attention se focalise sur ses cheveux. Quatre très longues, épaisses, tresses sont attachées à sa chevelure, passent par des poulies fixées au plafond. Aux extrémités de ces tresses sont attachés quatre poids, apparemment de 25 kg chacun. Je crains presque que ne se prépare une sorte de torture médiévale. Les assistants s’affairent. Puis lentement la performeuse se plie, les tresses se tendent, par les poulies, les poids se soulèvent. On entend des chœurs héroïques. Intensité instantanée. On craint pour elle, son corps. La tension est évidente, ainsi que la concentration à l’œuvre dans cet équilibre. Mais, sans vraie expression, elle ne nous communique aucun signe de souffrance, on ne peut que supposer ce qu'elle éprouve. Elle ne nous regarde pas. Quand la performance est achevée, au bout d’une dizaine de minutes, je reste plongé dans l’irréalité, sur l’impression d’une illusion. L'action est forte, dans quelle direction va-t-elle? A-t-elle eu mal? S’il s’agit d’une épreuve, quel sens lui donner? Pourquoi est-elle nue? En signe de vulnérabilité? Pour nos yeux? S’est elle mise en danger? Le titre est ensuite annoncé: Action for Korea, et le contexte: cette performance a été accomplie pour la première fois sur la zone démilitarisée entre les deux Corées. S'il y a là une dimension politique, je suis d’autant plus perplexe. Cette performance d’une dizaine de minutes est-elle trop brève pour être méditée? Ou la verrais-je mieux avec plus de recul? 

    frasq

    Le dimanche après midi, au générateur de Gentilly, Manon Harrois se fait tresser les cheveux à l’africaine. Mais cette action, et ses suites, dureront plus de trois heures. La performeuse est habillée en noir. Il s’agit d’une cérémonie. Prenant le micro, elle nous entraine d’une seule vibration de sa voix dans les souvenirs de traditions enracinées. On ne connait pas la langue de ces beaux chants, mais il s’agit de deuil. Assise, son image projetée au mur, elle revient souvent au temps présent, interroge la femme qui la coiffe derrière, en répétant: «il t’en reste combien» ? Mais le temps s’écoule comme il faut, comme il veut, tresse après tresse, geste après geste. Le public va et vient, alors que d’autres actions ont lieu à proximité. C’est vrai qu’à chaque instant donné il y a peu à voir, le changement ne se manifeste qu’insensiblement. Quand je reviens, tous ses cheveux sont en tresses, et les assistants commencent à les relier aux fils d’un métier à tisser loin derrière. Pas de poids ici, pas de verticalité, mais une pression constante, de long fils horizontaux qui l'un aprés l'autre la relient à cet instrument ancestral. Elle chante encore les chants du passé, parle à son assistante : «encore combien? Les gens vont se lasser!» Mais elle reste prisonnière immobile et patiente de ce rituel encore mystérieux. Cela dure, et la durée tue l’impatience. Plus tard encore, elle est enfin attachée de tous ses cheveux à la machine. Une autre phase commence. Un complice s’installe sur le métier à tisser, la performeuse le guide de la voix dans ses gestes répétitifs: jouer des pédales, faire passer la navette, serrer les fils blancs. Cela prend du temps, comme tout, avant notre ère technologique. Elle, les fils, le tisseur et le metier dessinent une longue ligne. L’assistante entreprend de peu à peu découper les vêtements noirs de la performeuse, les apporter prés du métier à tisser afin qu’ils soient utilisés avec le fil blanc. Un long rite de passage a commencé, ponctué de chants. « En as tu encore pour longtemps? » demande-t-elle souvent avec un rien de dérision à l’artisan improvisé qui s’affaire sur le métier. De la tête, elle maintient la pression sur les fils qui permettent à l’instrument de fonctionner, accepte le sacrifie morceau par morceau de ses vêtements alors que sur le métier ils sont recyclés, régénérés. Plus tard, après une heure ou deux elle sera nue, comme pour une nouvelle naissance, puis libérée des fils, avant de se revêtir du nouveau vêtement qui aura été confectionné.

    Plus tôt dans l’après midi. Romina de Novellis joue, elle aussi, sur la durée. Séparée du public par un rideau de guirlandes de fête, comme pour signifier une joie forcée, elle danse. Elle tourne sans fin et sans repos, figée dans l’apparence. Belle, entourée de très longs voiles rouges qu’elle peine à ajuster. Elle est empêtrée mais ne peut s’arrêter. Elle se défait ou se recouvre des tissus-on ne sait- en des mouvements cycliques. Ils glissent sur son corps, se défont pour découvrir chairs et intimité avant de se reformer autour d’elle. Elle tourne au son de musiques traditionnelles désuètes qui tournent en boucle: des chants de femme ou des fanfares, des airs de noël, qui lorsqu’ils s’achèvent laissent croire à chaque fois à la fin de la performance. Non, tout recommence, porté par différentes intensités : énergie, lassitude, fatigue, ivresse, transe, épuisement… Sourire toujours obligé, sa détresse devinée, elle semble une éternelle prisonnière de sa condition.

    C’était dans le cadre de Frasq, rencontre de la performance: Lionel Hochel (Soyeuse) et Sarah Trouche (Action for Korea) au salon Renato Badi avec Glamorama, Manon Harrois (Attachement) et Romina de Novellis (Guirlande-Partie1) au Générateur de Gentilly.

    Frasq continue, cet aprés midi, au générateur de Gentilly.

    Guy

    Photo 1 DR avec l'aimable autorisation de Lionel Hoche

    Photo 2: GD

  • Le général et le particulier

    A voir trop souvent de la danse, surtout des courtes pièces, je me suis peut-être déshabitué du théâtre caractérisé. Soudain voilà John & Mary- 2 heures 30 ininterrompu, du texte dense, dru. Le choc est rude. Le texte de Pascal Rambert est très « écrit », éloigné de l’évidence musicale et légère du début de l’A , avec des allures d’exercice de style bizarroïde. Le projet est-il de refonder la forme d’un drame antique postmoderne? On retrouve de nombreux personnages aux relations entremêlées, des dilemmes et conflits, un chœur antique, des allusions aux rois et aux dieux. Le thème de l’amour reste classique, celui de ses relations avec l’argent plus moderne. De l’auteur on retrouve les procédés de répétition, et un mélange déconcertant de trivial et d’emphase. C’est tout sauf clair, mais mon attention s’aiguise plutôt que se lasser. Je crois en comprendre les raisons, mais plus tard. Ce qui m’a troublé dans ce vocabulaire, c’est l’indéfinition, l’espace en confusion entre général et particulier. Pas de noms propres, et des termes génériques : l’amour, le mari, le frère, la sœur, la femme, l’étranger, l’argent, l’événement, partir, rester… Même le titre ne ment pas. John & Mary peuvent être n’importe qui. Je n’en finis pas d’essayer de me repérer dans cette irréalité.

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    Je comprends mieux maintenant la mise en scène, d'abord élégante avant que l’on sache qu’elle est intelligente. Une scénographie de larmes et d’eau: la surface liquide sur laquelle évoluent les acteurs, les miroirs en fond de scène brouillent les repères, du point particulier vers l’infini. Les costumes irréels semblent glacés et ténébreux, sans étoile et noir de bible. Les postures se figent en de pures figures, les acteurs dialoguent mais tous face à la scène, dans une géométrie glacée. Sans au début se toucher. Ils s’adressent les uns aux autres dans le texte, au monde entier dans le geste, comme par monologues alternés. Un personnage apparait en contraste, blanc comme un danseur de buto. Les mouvements sont progressivement autorisés entre eux, en une lente progression vers l’émotion, au millimètre. A cette sobriété en noir et blanc, le chœur à chaque acte fait diversion en couleur: deux filles aux formes juste voilées de bleu léger, narquoises et familières, cigarette au lèvres.  

    Et c’est surement réac d’avouer que cette élégance dans l’esthétique de la mise en scène me plait même avant que je n’y cherche une logique. Tant pis !

    C’était John & Mary de Pascal Rambert, m.e.s par Thomas Bouvet, encore quelques jours au Théâtre de Vanves.  

    photo avec l'aimable autorisation du Théatre de Vanves

  • Concordan(s)e 2011, des espèces d'odyssées

    A ce qu'il parait, cette bête reviendrait jeudi prochain, avec FRASQ

    Rediffusion d'une note mise en ligne le 27/4/2012

    Les rencontres de Concordan(s)e s'aventurent en plein inattendu, l'approche croisée des danseurs et écrivains accouche de résultats surprenants, des ajustements secoués, vers de drôles de mutations.

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    Dans l'air planent des hésitations. Une bête rode sur le plateau: un danseur à fourrure, la présence est intrigante, mais pas plus inquiétante qu’un gros toutou. Un écrivain se tait à la platine, n'écrit pas non plus, d’abord prostré sous sa table. Mais suit un traité de domestication, le récit de la sélection méthodique des renards par Dimitri Beliaev, en Sibérie. L’homme regarde vers les étoiles, l’écrivain est à sa table mais son double à poils agit en contrepoint. La bête prend le contrôle et secoue les luminaires, tandis qu’on évoque Gilgamesh et la sonde voyager. Entre deux anecdotes évolutives passe le souvenir de P.K. Dick, de Sun Ra, de l'Odyssée de l'Espace. Mystérieuses destinations. Où en sommes nous, à quel âge? Dans une étreinte sérrée l’homme et la bête se confondent.

    C'était Des écumes civiles une création de Lionel Hoche et d'Emmanuel Rabu , au Colombier de Bagnolet, dans le cadre de Concordan(s)e

    photo de Sylvain thomas avec l'amaible autorisation de Lionel Hoche

  • Quand on était punk

    Quand 3, 4 spectateurs quittent la salle, c’est souvent bon signe. Quelque chose se passe, qui les dérange. Stone et Charnel, alias Joël Hubaut et Léa Le Bricomte, performent. Partant de là, tout est ouvert. Premières notes du concert, premiers mots, qui sont déjà brouillés. Les premières phrases qu’il dit portent, je crois, sur l’impossibilité de communiquer, et se perdent ensuite dans l’écho. Elle joue d’une guitare saturée, notes tenues, tendues, refuse les accords. Une seule chanson, sans contrastes, une grosse caisse préenregistrée frappe les cranes, très fort. Le répit qu’on attend ne viendra pas. Lui: las et lourd, spasmodique, agité, chapeau et lunettes noires, se déchire la voix et cabotine, vieillit en une heure. Elle: jeune, semble ailleurs, à contrecœur. On ne distingue pas les mots noyés et les notes brouillées. Pourtant le sens s’impose et pilonne. Aujourd’hui la crise, et demain ne sera pas vachement mieux. J'entends: tout est foutu mais rien n’est grave. Je me souviens des décibels punks, d’une autre crise, no future, la fin des 70’s. Elle tourne sur la scène et l’emmêle dans les fils, les distorsions, le larsen. Impuissance, bruit et déprime. C’est dur à supporter, et en un sens exceptionnel. Moins sexe que rock and roll, le couple se cherche, empêtré dans les fils, sans faim ni nécessité. La performance erre, dévie, s’achève à défaut de s’épuiser. La créatrice du festival interpellée par la performeur, apparait la première surprise du résultat, prise à contrepied. Ce festival vit.

    C’était Stone et Charnel, performance de Joël Hubaut et Léa Le Bricomte, dans le cadre du premier festival Zoa, à la Loge.

    Guy

    Stone et Charnel reviennent (mais comment?) au Générateur de Gentilly le 28 octobre...

  • Etats de nues

    Vous n’avez encore rien vu, et je n’avais encore rien vu de sous ma peau, au moment de l’extrait montré en janvier dernier. En 9 mois la gestation a fait son œuvre. J’avais alors vu, de ce trio de femmes, l’identité remise à zéro par la mise à nue. Une idée d’absolu. Masquées et anonymes, corps vierges et découverts. Des poses assises en clair obscur glissaient légères vers des affirmations de soi allusives, minimales, s’abstrayant de la vulgarité ou de la pudeur. Le corps se lisait lent, évoluant doucement dans un état d’érotisme suggéré, qui sait? Mais elles se transformaient déjà, par des exercices de monstruosité ou de laideur, au point d’abolir même la laideur. Les masques tombaient alors sur une interruption, ils tombent ce soir sur d’autres mystères. Des masques sous les masques, et plus encore.

     

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    Je croyais la ligne bien tracée depuis ce début, mais ce soir les mues continuent, d’autres peaux sous la peau première, je sais que je ne sais plus. La pièce s’élance, mais dense accumule les sens, la danse les ambivalences. Leurs identités se reconstituent, se perdent, s’affirment à nouveau mais chaque geste s’accumule, à double sens, nos sens chavirés. Elles s’animent et se jaugent, s’étalonnent, s’affrontent en rivalités aveugles, enfin se fondent ensemble, se consolent en toute sororité. Où est-ce un charnier? Hiératiques, visages effacés tels des mannequins dans une vitrine, elles tremblent l’instant d’aprés, vulnérables et terriblement humaines. Après des balancements organiques, elles sont saisies d’emballements mécaniques. Clins d’œil sous les archétypes féminins, couche sur couche. Au millimètre. Les états charnels dessinent peu à peu en subtilité une belle, ample, fresque du premier sexe, vers l’émancipation: dernier masque arraché c’est le visage qui a le dernier mot, avec fierté et humanité. Cette pièce n’est pas féministe, elle est sans doute politique, en toute subtilité. Je suis laissé confus, et impressionné. Dans l’admiration et la perplexité. Je n’ai pas tout vu. Faut-il avoir le regard d’une femme? Pourtant j’étais prévenu. J’avais vu plusieurs fois et avec plaisir les bois de l’ombre et jamais vu la même pièce. Cette pièce là, je la reverrai, et chaque fois elle aura encore fait sa mue.

    C’était Sous ma peau de Maxence Rey, vu en filage à l’Atelier Carolyn Carlson, créé à LEtoile du Nord jusqu’à ce samedi.

    Guy

    photo: Aléida Flores Yaniz avec l'aimable autorisation de Maxence Rey

  • sans titre ni feminisme (bavardage)

    C'est l'histoire de 6 femmes normales qui montent sur scène à poil, puis dansent des danses plutôt banales. On est un peu surpris au début par ce décalage car elles dansent à poil, mais comme les danses sont assez banales, l'effet fait long feu, on s’ennuie et puis c'est fini…

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    Première descente en flamme sur ce blog depuis longtemps. Ceci mérite des explications. En matière de spectacle vivant, beaucoup de propositions m’ennuient (dont par exemple celle-ci), certaines m’agacent… mais pour des raisons qu'il me faut m’expliquer à moi-même, beaucoup m’intéressent et même m’enthousiasment à un point qu’il est urgent de les partager. Mon plaisir, c’est de parler des propositions qui relèvent de la dernière catégorie (les coups de coeurs) et parfois de la seconde( les poils à gratter). Repenser et se repencher sur les expériences de la première catégorie (les pensums) revient à subir une double peine. A force de reconsidérer celles-ci par le souvenir, on peut parfois y redécouvrir matière à penser, mais ces réanimations miraculeuses sont rares. Important: je ne suis investi d’aucune mission, je suis juste mon plaisir. Celui d’éreinter un spectacle est un amusement bien trop facile et paresseux. Et un certain relativisme me fait admettre que d’autres peuvent ressentir de belles émotions et aussi légitimes que les miennes en des circonstances où mon propre encéphalogramme reste plat. Laissons- les en paix. Donc très peu de « critiques négatives » ici. Au risque de donner l’impression d’être trop positif. Même complaisant. Voire connivent… en bien, tant pis!

    Pourquoi alors revenir sur Untitled Feminist Show?  Parcequ’il se passe quelque chose de bizarre.Tout le monde m’en parle. et je ne comprends pas pourquoi. Cela commence à Gennevilliers (jusque là c’est normal). Tout le monde a applaudi, mais cela ne veut rien dire. Après vient le moment incertain, à la sortie de la salle, où l’opinion à peine formée, on a des scrupules à proclamer tout de go quelque chose de tranché. Au risque de pétrifier son interlocuteur dans son jugement. Je me suis déjà formulé d’être resté sur ma faim passées les entrées en scène plutôt intenses. La 1ère scène style opérette m’a énervé, j’ai ressenti la suite fade, sans substance. J’entends une spectatrice dire que pour une fois la nudité ne l’a pas agressé, mais sur le ton avec lequel on donne un bon point. Il y a un buffet. Très bon. Aparté avec un critique pro, puis, par hasard, avec un autre. A mi voix, comme des conspirateurs. Sur la même ligne que moi, avec leurs mots. Énervés par le passéisme de certaines scènes, ou blaguant que le show peut épater un public américain. Dressant cruellement une impossible comparaison avec l’audacieuses proposition de Muriel Bourdeau de la veille, proposition qui elle ne ressemble à rien d’autre. Consensus minimal. Mais consistant. Est-ce ainsi qu’une opinion collective se forme ? Échange avec d’autres connaissances : mêmes réactions, communes aux femmes et aux hommes. C'est rassurant, rien à voir avec mon regard de mâle. On me glisse: de l'Apple à poil, bien vu. Fin de soirée, sommeil, classement vertical.

    Mais l’histoire n’en finit pas là. Loin des théâtres je rencontre Clémence. Elle aborde le sujet de cette pièce (où est ce moi ?) regrettant de n’avoir pu la voir malgré son envie (pour des raisons peut-être féministes). Je la détrompe. Puis hier ma chère cousine Marie-Lys, que je ne savais pas familière du T2G, s’emballe pour la pièce sur son mur Facebook. A tort ou à raison, j’interviens, je commente. Marie Lys reste calme et mesurée. Bravo. j'essaie d'oublier. Mais aujourd’hui Sylvie, que je n’ai pas vraiment jusque là le plaisir de connaitre, me demande par un message mon opinion, je la lui livre (toujours la même), mais Sylvie dans sa réponse est encore plus dure que moi-même. Alors je lis les 3 coups et j’ai envie de pleurer. Bref tout le monde semble s'intéresser à cette pièce (alors que j’aimerais tant que d’autres œuvres soulèvent autant d’intérêt…), sans que je ne comprenne pourquoi, mais je me sens une demande à laquelle je ne peux me soustraire, le devoir de partager, à titre exceptionnel: « c'est l'histoire de 6 femmes normales qui montent sur scène à poil, etc… »

    C’est presque fini, mais j’ai une théorie. Il y a une demande sociale forte pour Untitled Feminist Show. Mais si cette pièce n’avait tout simplement pas été montrée au bon endroit ? Dans un lieu dédié au théâtre contemporain comme le T2G, le nu ne suffit pas pour étonner et le style cabaret, qui n’est pas infâme en soit, ne passionne pas. Alors que dans un théatre privé, ou une scène consacrée à des comédies musicales familiales, la danse aurait été à sa place et la performance nue plus remarquée, plus forte politiquement. Mais on ne va pas refaire le monde, c’est tout pour aujourd’hui.  

    Guy

    C’était Untitled feminist show de Young Jean Lee, au Théatre de Gennevilliers

    Photo de Blaine Davis avec bandeaux noirs d'origine et l’aimable autorisation du théâtre de Gennevilliers

  • Couples en 3 D

    Les histoires d’amour finissent mal, à ce qu’il parait. Ce baiser entre deux femmes durerait alors pour toujours, dans le temps de la pièce. Je pense à Cary Grant et Ingrid Bergman, amants si ardents dans Notorius d’Alfred Hitchcock, pour ce possible plus long baiser de l’histoire du cinéma, mais entrecoupé de pauses et murmures, pour déjouer les règles d’alors. Ce soir pas de censure, seule la conscience du risque, la peur de tout rompre, par la séparation. Elles restent donc attachées aux lèvres l’une de l’autre,  comme à l’écran bougent pourtant, traversent la scène, s’allongent, se retournent. Unies mais empêchées, bloquées à ce stade de l’intimité, sans pouvoir ou vouloir aller plus loin, tout changement interdit.

    zoa,danse,performance,la loge,muriel bourdeau

    Un autre couple joue dans le même temps à la manière de grands enfants d’une abondante matière molle et fluo, pâte à modeler instable et protéiforme, pour masques, projectiles et divers objets. Ils en construisent une yellow brick road qui ne mène à rien (ou est ce une barrière aux couleurs de La Loge?). Ils triturent et jubilent, déstructurent et remettent en ordre.

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    Le troisième couple est gardé à distance, silhouettes piégées dans le temps clos de la vidéo, muettes comme du temps du cinéma d’avant, au bord du burlesque. Notre camera ne bouge pas. Tout est écrit et cadré d’avance de la rencontre à la séparation, en passant par le lit, les jeux, les baffes et les gnons. Trois actions simultanées, l’ironie, le temps qui passe si bizarrement et que fait-on de tout cela?  On se laisse surprendre par l’imprévu, on suit le fil, on imagine et on se refait le film la saison reprend…

    C’était la création de Le risque zéro n’existe pas par Muriel  Bourdeau à La Loge dans le cadre du festival ZOA créé par Sabrina Weldman.

    Guy

    Lire ici Autoportrait de Muriel Bourdeau.

    Le jeune festival ZOA continue cette semaine à la Loge, avec Joël Hubaut & Léa le Bricomte, Gurshad Shaheman, Yalda Younes et Gaspard Delanoë.

    Photos avec l'aimable autorisation de Muriel Bourdeau