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Un Soir Ou Un Autre - Page 29

  • Un air de jeunesse

    Pour traiter de la famille et de ses terrifiants diners, ni Brecht ni Lagarce, ce soir ci mais Bacri et Jaoui. L’observation s’aiguise tout autant, drôle, contemporaine et incisive, rôles et névroses à vif, enfants perdants, enfants chéris, pièces rapportés. L’héritage est aussi lourd à supporter que le chien Caruso ni vivant ni mort dans son panier. Ça grince et on rit. La mère a tous les torts et c’est de bonne guerre, lors d’une belle séquence onirique les enfants se vengent d’elle avec force objets contondants.

    Le tour de force de cette mise en scène de Numa Sadoul est de mettre en avant cette troupe d’ados et d’enfants qui jouent comme des grands, avec énergie et exigence, ni fausse note ni rupture de rythme. Ils ont essayé: on peut. On raconte que Sarah Bernard jouait toujours les ingénues avec jambe de bois et date de péremption dépassée. Ici c’est tout l’inverse. Je goute cette expérience, une couche supplémentaire de plaisir, d’être décontenancé par le décalage entre l’âge objectif des interprètes et l’âge supposé des personnages, d’oublier cette distance dans le feu de l‘action, et d’ensuite m’en rappeler avec incrédulité.

    C’était Un Air de Famille, de Bacri et Jaoui, mis en scène par Numa Sadoul avec les Enfants Terribles, ce soir pour la dernière à la Comédie Nation.

    Guy

     

  • Demain

    Les fêtes de fin d'année, c'était juste un mauvais moment à passer. L'année reprend, avec les bonnes résolutions de janvier:

     

    Avez vous des suggestions à me faire?

    Guy

  • Hier

    Bilan ?

    …Anti-Bilan ?

    … Rapport d’activité ?

    Il est sans doute moins malaisé de commencer par les chiffres? 53 nouveaux spectacles chroniqués cette année 2012, juste au-dessus du seuil symbolique d’un par semaine. Impossible de nier que le rythme se ralentit depuis le début du blog (500 entrées entre mi-2006 et mi-2012). Pourquoi? J’écris lentement  depuis toujours, aujourd'hui plus lentement sans doute. La production au rythme actuel suffit sans doute pour justifier la continuité du blog, compte tenu de contraintes liées à ma vie professionnelle, familiale, personnelle… La lassitude vient parfois, jamais au point de me faire envisager d’arrêter. Tant qu’il y aura de l’étonnement et de l’émotion, et la sensation que l’écriture ensuite réordonne la perception…

    Ce chiffre ne correspond pas au nombre de posts publiés. Certains posts rassemblent plusieurs spectacles, mis en perspective dans le cadre d’un festival (Frasq) ou par choix personnel (Fauve et this is the end autour de la jeunesse). A l’inverse, il y a une bonne vingtaine de spectacles dont je n’ai pas parlé, presque autant de autant de regrets, quand ce n’était pas par manque d’intérêt, mais  par manque de temps ou difficulté dans l’approche.

    Aussi, j’ai rediffusé une dizaine de chroniques (La mort et l’extase, show funèbre à sept voix...) à l’occasion de reprises, encouragé par les remarques d’amis frustrés de ne jamais pouvoir voir des spectacles dont ils ne lisent souvent le compte rendu qu’après la fin des programmations (souvent courtes). Je me rends ainsi compte que je dispose d’un fond de textes, mais qu’en faire?

    L’une des vocations du blog était de découvrir de nouveaux artistes. Le rapport entre propositions d’artistes que je connaissais déjà, et d’artistes que j’ai découvert a été en 2012 de 60%/40%. J’ai dans les faits plutôt privilégié la fidélité au détriment du renouvèlement. J’ai vu cette année deux créations de de Thibaut Croisy, de Laurent Bazin, de Sandra Abouav, des artistes donc prolixes et assez bien programmés. Au moins sont-ils jeunes et émergeants. Il y a des artistes dont je suis les travaux avec passion sur la durée, voire des propositions dont j’ai  rendu compte plusieurs fois à différentes étapes  de la création (Le modèle d’Eléonore Didier, Sous ma peau de Maxence Rey). Les choix sont compliqués. L’offre est si abondante à Paris que je ne peux en embrasser qu’une fraction. Au-delà de mon plaisir et de ma passion, le désir d’être utile vis-à-vis d’artistes entre trop peu connus et de partager constitue un moteur. L’animation cet automne d’un atelier d’écriture en milieu carcéral a été pour moi une expérience forte et féconde.

    Si l’on parle de catégories…. Les choix se portent plutôt vers ce qui est considéré comme de la danse de danse, aussi du théâtre, un peu de cirque, des performances, des lectures, des concerts… en privilégiant des formes mixtes, surprenantes, incisives, qui transcendent les genres, à forte teneur en émotions, incarnées, avec de vrais sujets et utilisant de nouveaux modes narratifs. Les propositions de Viviana Moin (hélas absente cette année) répondent bien à cette définition. Seule contrainte définie dès le départ, ne parler que  ce qui peut être qualifié de spectacle vivant. Je suis tenté, paradoxalement de faire de plus fréquentes incursions dans des genres populaires (théâtre classiques, café-théâtre)… sans y parvenir pour le moment.

    Je me sens bien incapable de tirer un bilan artistique de l’année, ce pour plusieurs raisons. Mon regard sur chaque proposition est singulier, subjectif, et indissociable de circonstances particulières, n’existe que dans le cadre d’une relation à un moment donné avec des artistes. Et surtout, j’assiste qu’à 1% de ce que ce qui est proposé à voir, ne participent pas aux festivals (Avignon) ou saisons (Théâtre de le Ville) qui forment, même en négatif, l’opinion.

    Ma fréquentation se concentre sur certains lieux pour différentes raisons: une confiance en leur programmation, l’habitude d’y rencontrer des personnes avec qui j’au plaisir à échanger, et pour des raisons pratiques et financières tenant aux invitations. J’ai beaucoup fréquenté La Loge (8 fois), ce qui rend justice au développement de ce jeune lieu, sans délaisser des valeurs sures (Théâtre de Vanves et Artdanthé: 7 fois), Etoile du nord (5 fois), les lieux de résidence où se travaillent de jeunes  chorégraphes (Point Ephémère 6 fois à l’occasion des petites formes, Mains d’œuvres, Micadanses 3 fois). J’y vois beaucoup de Solo, duo, trio, des propositions sensibles et intimes, en rapports serrés avec les artistes, au détriment du spéculaire avant grand moyens décors et effectifs. Dans des lieux aux salles à taille humaines à l’exception de la villette (2), du nouveau théâtre de Montreuil (2), de la cité la cité internationale (3), le Rond point (1). Pour être complet, je suis aussi passé par Gennevilliers, Regard du cygne, le colombier, atelier Carolyn Carlson, le centre culturel suisse Ma fréquentation se concentre clairement sur quelques lieux, ce qui porte à réflexion. J'ai cependant assisté à 6 proposition dans des lieux inattendus: Salon de coiffure (Lionel hoche) appartements, lieux publics…

    L’écriture…Elle est toujours difficile à produire, mais me semble plus s’assagir, moins libre dans la forme que ce que je rêverai. Banalisation ou maitrise ? J’ai au moins le sentiment d’assumer ma position de spectateur concerné sans être érudit, ainsi que l’exposé de ma subjectivité, et d’adopter une juste posture entre bienveillance et lucidité.

    Fréquentation: Plusieurs milliers de visites uniques par mois me laissent à penser que je suis lu, ainsi que de nouvelles inscriptions à ma mailing list d’une grosse centaine d’abonnés. Peu de commentaires sont laissés, mais les « j’aime « sur facebook, témoignent de lectures actives plutôt de de visites fortuites. Certains échanges me confirment mon rôle de prescripteur même vis-à-vis de professionnels.

     Vos suggestions?

     Bonne année

    Guy

  • A l'école du corps

    Ce soir là, j’assiste à une nouvelle leçon à l’université libre du professeur Carlo Locatelli, c’est au Regard du cygne. J’ai révisé mes notes de la dernière fois : l’anatomie et la dynamique à l’œuvre sous la peau dans sa fascinante complexité, les mécanismes, les systèmes et équilibres. Prêt maintenant pour un changement de perspective, dos à l’occident, regard tourné vers les orients, ouvert sur d’autres cultures qui régénèrent notre rapport au corps oublié. Le prof commente, et sur l’écran les images défilent, modernes ou millénaires, indiennes, chinoises, tibétaines. Ce corps subtil s’habille de nouvelles logiques, en accéléré: chakra, lignes de forces, ying, yang. Mon corps aussi, le mien, pour une redécouverte. Sans croire à nouveau au pied de la lettre, pas de conversions ni recettes. Mais reconsidérer de nouvelles pistes avec curiosité, même si la leçon de ce soir manque un poil de pratique. La danse s’impose ensuite en blanc et noir, en opposition et harmonies, en masculin et féminin qui interagissent subtilement. Quelque chose vibre dans l’air, peut-être. Je m’arrête là, c’est bientôt l’heure du yoga.

    C’était Le Corps subtil, conférence dansée de Carlo Locatelli, vue au Studio du regard du Cygne.

  • Danses en forme- partie 1

     

    Pour ceux qui veulent découvrir le tango contemporain: Tango Obstinato revient demain au théatre de Vanves.

     

    rediffusion du texte mis en ligne le 23 juin 2012

     

    A quoi sert, toujours, encore, la danse? La réponse de la compagnie Keatbeck prend la forme d’une contre-utopie, habillée d’un futurisme blanc très début 70’s. La danse permet de réanimer les émotions dans un monde où elles se sont taries. Guidé par un duo d’assistants, l’un muet, l’autre maniant la novolangue, le spectateur est invité à participer à l’expérience. Il choisit son programme dansé sur un pupitre de commandes: désir, peur, surprise… Pièces maitresses de cette dancing box: quatre danseurs programmables- deux filles et deux garçons- automates sujets à pannes et dérèglements, qui performent cette émotion autour du spectateur en cure… Le concept est ludique et étonnant…  à un point que j’ai du mal à me concentrer au centre sur la danse et l’émotion elle-même.

    danse,point ephémère

    A quoi sert aussi la danse ? A brouiller les repères, mélanger les formes, traditions et nouvelles sensations. Quand on me dit Tango, je pense à tort ou à raison, poussière et répétition... Ce Tango Ostinato revendiqué contemporain m’étonne, les vieilles partitions sont littéralement chassées des pupitres. Le couple de danseurs se poursuit en un jeu du chat et de la souris (mais qui est qui ?), dans un labyrinthe de relations sous-entendues. Regards en coin, frôlements et rêverie, sensualité contenue, quant-à-soi et rebondissements… Le temps s’étire au rythme de notes graves de violoncelle rondes et organiques, sur la dynamique d’une danse élastique. Dans un monde au ralenti, d'émotions intenses et contenues, tout est possible.

     

    E vento tango 2--photo-Caterina Santinello.jpg

     

    Un autre couple, quant à lui s’essouffle vite. Le Cri de la Gazelle fait la démonstration que la complète nudité est parfois lourde à porter. Faute de vision, de l’érotisme il ne reste ici que ruines: vulgarité et platitude. Sous une lumière d’aquarium, quelques poncifs: le mâle chasse la proie féminine qui se pâme et feint de résister. Extinction de voix.

    C'était Dancing Box de la compagnie Keatbeck, Tango Ostinato (extrait) de la compagnie Abrazos et le Chant de la Gazelle de la Compagnie Technichore, vus à Point Ephémère dans le cadre du festival Petites (d)formes cousues.

    à suivre...

    Guy

    photos de Régis Pennel avec l'aimable autorisation de la compagnie et de Caterina Santinello avec l'aimable autorisation de Point Ephémère.

  • Sept voix en une

    Show funèbre à sept voix: de retour ce soir et demain à La Loge

    rediffusion du texte mis en ligne le 8 avril 2012

     

    Parfois, pas souvent, on accepte dès les premiers instants comme l’évidence une si belle présence. On accepte de suivre l’acteur où qu’il aille. Pour entendre toutes les voix de ce texte en une seule: celle d’Ava Hervier comédienne remarquable, débordante, la vie même avec ses fragilités, ses nuances et ses excès.

    théatre,la loge

    Il faut bien cela: ce « show funèbre» parle du deuil qui se cherche et soudain qui vous prend, du corps absent et de la vie qui s’en absente, de la chair qui alors ne signifie plus rien. La voix est d’abord avalée, hébétée, qui comprend encore moins que nous les spectateurs- face à la mort comme toujours la vie ne sait plus rien- puis se transforme, pour celle d’un autre des sept amis réunis qui boivent du vin assis autour des marronniers. Le texte, dans ses apparences désordonnées résiste à la mort dans tous sens, il est charnel, terrien. Mais sur la scène il n’y a rien, il n’y a qu’elle. Pourtant il suffit d’un œuf, d’un sac de terre, pour figurer toutes les textures, toutes les matières, les sensualités et les émotions. L’actrice sans trucs ni esbroufe, partage avec nous de plein pied, juste et inattendue, comme toutes les réactions autour du mystère irrésolu.

    C’est le Show funèbre à sept voix, texe et mise en scène de Florian Pautasso avec Ava Hervier à la Loge encore les 10, 11 et 12 avril.

    Guy

  • Histoires de familles

    Est-ce politique? Oui, non, peut-être… (Moi je dis d’abord: et après ?) Mais la spectatrice avec qui nous discutons à la sortie de ce triptyque est dépitée, aurait voulu un théâtre plus proche de ses attentes (je comprends: de l’actualité). Certes, la troisième pièce, encore en construction, ramène l’héritage des acteurs de mai 68 à une affaire de famille. De même que les personnages de Brecht, auteur pourtant politique par excellence. Mais ne s’agit ‘il  pas ici d’une noce, avant tout? Quant aux personnages écrits par Largarce, tout à leurs relations sentimentales déçues, peut-on les faire vivre autrement?  

    Théâtre distancié ou incarné, mon propre plaisir est de recevoir le texte, d’abord celui de Brecht, vivant et de plein pied. Les acteurs s’agitent autour de la table de la Noce, avec un naturel aussi drôle et travaillé que celui des chiens de Navarre. L’énergie semble plus collective que dirigée, comme dans la confusion du quotidien. On rit, on danse, on boit, on fume. On s’aime ou l’inverse. On vit, au premier degré. C’est la fête, alors il faut s’amuser. Mais que peut-on bien faire, quand on est fatigué de danser, ou d’écouter les anecdotes éculées du père? Ce ne sera pas le plus beau jour de la vie de la mariée, bien sûr. Plus les bouteilles se vident, et plus les jalousies, haines, concupiscences et mépris percent sous les convenances. Les meubles de l’appartement du jeune couple se cassent les uns après les autres sous les assauts des invités, comme pour dénoncer la fragilité de leur union et des apparences qu’ils voudraient sauvegarder. Autant pour la recherche du bonheur. Au moins les mariés prennent-ils une (brève) revanche sur la société dans la réconciliation des corps…

     

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    L’étude de caractère de Brecht est recadrée sans distorsion dans les seventies, avec E.L.P. sur la platine et fringues de rigueur. Mais l’action des Derniers remords avant l’oubli (1987) de Lagarce semble se dérouler un siècle plus tard. Plus question de se marier en robe comprimant une maternité honteuse, l’heure est déjà à la recomposition. Drôlement, les mêmes acteurs et actrices jouent les mêmes couples mais de personnages différents, qui ne souffrent plus de la même naïveté. Ou qui, sous notre regard, sont naïfs bien différemment même s’ils sont conscients d’eux-mêmes. L’énergie du jeu reste présente, en est tempérée. Pèse sur la pièce le poids insupportable d’évènements passés. Les années d’amour et d’amitié partagées autrefois dans cette maison de campagne par trois personnages, depuis séparés, maintenant inconciliables, entre indifférence et inimité. Pour des histoires d’argent et pour quelques heures, ils doivent se supporter. Mission impossible, ils gâchent le temps à ne pas dire, tenter de définir et dépasser leurs relations, seulement  pour prouver aux autres qu’ils sont incapables de changer, sous le regard impuissant des pièces rapportés, de facto hors du jeu. Mon plaisir là est surtout est de ressentir toute la force du théâtre pour montrer avec évidence des gens qui disent une chose et en pensent une autre…

     

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    La famille en action dans la troisième pièce, une création collective en cours, trouve son ascendance en Mai 68. Le langage est plus contemporain, les liens familiaux plus complexes, la dynamique semble être portée par les retournements entre conservatisme et libéralisme… et le reste est venir.

    Ce théâtre parle de la famille, bien sûr. Est-il politique ? Je ne sais pas. Il semble se créer plus dans une dynamique collective qu’autour d’un propos prédéterminé. A chacun de se l’approprier. Mais au-delà du grand plaisir qu’il m’inspire dans l’instant, j’y trouve un peu matière à repenser ce qu’est et devient la famille, loin des slogans et manifestations, à l’heure où le politique s’en saisit pour faire évoluer la loi.

    C’était La Noce de Berthold Brecht, Dernier Remords avant l’oubli de Jean Luc Lagarce et Nous sommes seuls maintenant, du collectif In Vitro, mis en scène par Julie Deliquet.

    Vu au Théâtre de Vanves , et à revoir le 4 fevrier 2013.

    Guy

    photos avec l'aimable autorisation du théatre de Vanves

     

    Lire aussi: Rue89 et Le Souffleur.

     

  • Rire de tout?

    Dans une semaine, Laétitia Dosch fait peter le Centre Culturel Suisse, on vous aura prévenu....

    Redifusion du texte mis en ligne le 6 fevrier 2012

    En robe noire lamée (« car la scène, c’est que du désir »), et sourire de commande, La performeuse joue un personnage... de performeuse cheap en configuration-stand up- one-woman-show. Qui fait le truc qui marche, économique: bonne soirée et rires garantis sinon remboursés, connivence préfabriquée avec le public. Et puisqu’on est ici pour s’amuser- insinue le personnage en sous texte- pourquoi se gêner de tabous et limites? On ne va se laisser emmerder par le politiquement correct… Dépassé même l’humour époque Hara- Kiri:d'emblée quelques vannes pas fines sur les handicapés, pour mettre de l’ambiance. C’est un premier problème pour les spectateurs, pourtant spectateurs avertis, pris à contrepied. Qui réagissent les uns par un silence prudent, les autres par des rires incrédules voire effarés. Une certaine jouissance, excitation, de la transgression pourrait-elle s’autoriser à cet instant à s’exprimer ouvertement? Si certains des spectateurs sont choqués, ceux-ci évitent de le manifester. Quitte à s’interroger in petto: ces horreurs reçues plein fouet sont-elles simplement dites…ou déjà dénoncées? A ce stade, à chacun sa réponse. Pour la performeuse, pas de raison de s’arrêter en si bon chemin. Tout y passe sur un mode joué naïf et enjoué, de ce qui peut trainer dans les têtes d’indicible et idiot, de sous-entendus et de non dits. Faut que ça sorte, « par la bouche ou par un autre chemin ». Un peu de bonne conscience politique et engagée, les blagues sur l’holocauste et les juifs (« rancuniers »), sur les cancéreux, une chanson du fœtus avorté, des devinettes de pédophiles (« Que les pédophiles lèvent la main, il y a deux dans la salle, statistiquement »). On rit toujours, d’une manière plus réfléchie, plus compliquée. Dommage, le temps manque pour le sujet des religions…

    laetitia Dosch.jpg

    Dans cette création choc et saissisante, sacrée prise de risque pour Laëtitia Dosch… et brillante entreprise de dénonciation. Débridée, la bêtise enfle jusqu’à exploser, s’emballe jusqu’à l’autodestruction. L’humour bête et méchant fait long feu, les tics se multiplient, comme les dérapages agressifs, la parole s’épuise. S’y substituent quelques pas de danse jusqu’au dérèglement. La machine tourne à vide, déraille jusqu’à se pisser dessus et pas de rire, se vautrer dedans autant que dans les déjections mentales. Pour tirer les dernières cartouches spectaculaires, le corps se dégrade dans le bouffon. Cheval, chien, cochon. Pourquoi, encore, rirait-on? Ne reste au moment du dernier compte à rebours, que vide, angoisse de mort et vertige. Le temps de se dire (position personnelle) que toute censure est contreproductive, qu’il faut laisser la bêtise se dénoncer d’elle-même. Elle a essayé: on peut. Rire de tout… mais pas avec tout le monde! Avec Laétitia Dosch, je veux.

    C’était Laetitia fait péter Artdanthé de Laetitia Dosch, au théâtre de Vanves dans le cadre du festival Artdanthé.

    Guy

    photo avec l'aimable autorisation du théatre

  • L'effet Papillon

    Cette redifusion de la chronique du 23/09/2011 est réservée à mes proches de Toulon et environs: Mme butterfly y passe mi novembre à l'Opéra.


    Risquer le pari de l’opéra? Pas évident. Surtout si l’on n’est pas tombé tout petit dedans. Je ne m’y plonge ce soir qu’à cause de Numa Sadoul. C’est d’abord intimidant, presque irritant. Dans un écrin d’or et de rouge, tant de couches de sens, de sensations en empilement, ces redondances qui peuvent laisser loin à distance, lasser. Tout à la fois: le décor et les lumières, dans les costumes les chanteurs et tant et plus de figurants, leur voix qui s’élèvent et doublent les instruments mais aussi le texte en même temps, et leurs gestes. En bas l’orchestre, et le chef qui à la baguette décide aussi ainsi du rythme des mouvements d’en haut, sur scène. L’Opéra est-ce l’art du plein trop, du plein?

    Pourtant un bon présage en introduction de cette Madame Butterfly: des danseurs tourmentés d’une blancheur à la Sankai Juku traversent la scène- même si plus rapidement que l’on s’y attendrait, car c’est la partition qui commande. Le décor est simple comme une estampe. Une modeste maison de bois, un pont et une jonque, l’idée de la mer au loin. Comme un désert qui laisserait deviner la suite du drame. Voici pour le port de Nagasaki.

     

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    L’histoire tient, elle-aussi, en deux lignes. L’américain, vient, boit, prend et repart, oublie. Madame Butterfly, la geisha, a juste 15 ans, et bientôt porte leur enfant.

    Et c’est la simplicité qui met l’affaire à ma portée. Et la sobre mise en scène qui allège tout le superflu qui pourrait  peser. Ne reste plus qu’à laisser derrière les préjugés et regarder le drame avec des yeux d’enfant, accepter que l’émotion et le sens passent aussi par le chant. Écouter la musique de Puccini (1904) qui s’enjoue et brille, prend des accents de comédie musicale avant l’heure. La scène est envahie par une foule pour le mariage express du Marin Pinkerton et de Mademoiselle Butterfly, la comédie de l’amour se joue sous des chœurs enivrants, puis l’union est consommée…

    Fin du premier acte.

    Le destin de Mme B. se joue en creux durant l’entracte: le départ et la naissance, les trois ans d’absence…

     

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    Tout est joué dés le début du second acte pour la perte des dernières illusions, vers l’évidence de l’abandon, la désolation. La couleur des voix se teinte de plus sombres tonalités. Madame Butterfly n’est plus une enfant maintenant, mais les enfants sur scène deviennent omniprésents, avec eux la persistance de l’innocence. Ils rêvent, et se transforment en papillons, dans la nuit au milieu des bulles de savons et de la fumée des songes. Sous la neige, ou peut-être sous une pluie de cendre sur Nagasaki. Je me laisse moi aussi gagner par la naïveté. La sobriété permet la fusion de sensations de musique et visions. Sous l’esthétique la tristesse peut s’imposer. Un moment de recul vers le 3° acte et je prends conscience de la relative limitation des mouvements des chanteurs, sollicités par le chant, même si nous sommes un peu trompés par l’agitation de personnages par moments muets, tel l’infâme entremetteur. D’où cette construction en beaux plans quasi-fixes, qui ressemblent à des cases de B.D... Moins à des tableaux qu’à des vignettes qui pourraient être inspirées du Lotus Bleu d’Hergé, comme celle que le metteur en scène porte- sans surprise -à la boutonnière. Troisième acte : Mme Butterfly donne l’enfant et meurt. Paris gagné, une nouvelle découverte.

    Guy

    C'était Madame Butterfly, Opera de Puccini, livret de Giacosa et illica, mis en scène par Numa Sadoul et dirigé par Julia Jones.

    A l'Opéra de Bordeaux jusqu'au 3 octobre.



    Découvrez Madame Butterfly à l'Opéra de Bordeaux sur Culturebox !

    lire aussi ici(mise en scene de 2003)

    photos G.Bonnaud

  • Poils, tissus, cheveux, performances

    Soyeuse surprend, en surgissant de derrière les bacs à shampoing. Mais semble une brave bête malgré ses airs de yeti à longs poils noirs, gros toutou inoffensif et apprivoisé à l’instar des renards sélectionnés par Dimitri Belaiev. Il ne faut pas avoir peur des monstres poilus, tous les enfants savent ça. Soyeuse s’adapte vite à de nouveaux milieux- ici un salon de coiffure (on souhaite bon courage à son coiffeur). Soyeuse balaie le sol avec des gestes de diva. D’évidence, Soyeuse a besoin de regards attentifs et de gestes d’affection. J’avais fait sa connaissance lors de sa performance avec Emmanuel Rabu, qui est aujourd’hui absent, mais dont on entend la voix et les textes. Soyeuse me tend une brosse, je brosse son dos vigoureusement, comme je fais avec mon chat. Soyeuse semble apprécier. C’est déja un échange. Soyeuse n’a ni yeux ni visage mais s’exprime par gestes, généreusement. On réverait dune telle liberté. Soyeuse se trémousse sur un morceau cuivré de Sun Ra. Joies premières. Sous toute cette pilosité, difficile de pénétrer ses émotions, ses pensées. Où est l’acquis, où est l’inné? Il parait que l’animal songe à surgir dans de nouveaux lieux comme bon lui semble. Et que sous les poils se cache le danseur Lionel Hoche. Légende urbaine ?

    frasq

    A la bête succède la belle: Sarah Trouche. Sensation: nudité blanche, lisse et poudrée. Très féminine, très sexuée. Mais l’attention se focalise sur ses cheveux. Quatre très longues, épaisses, tresses sont attachées à sa chevelure, passent par des poulies fixées au plafond. Aux extrémités de ces tresses sont attachés quatre poids, apparemment de 25 kg chacun. Je crains presque que ne se prépare une sorte de torture médiévale. Les assistants s’affairent. Puis lentement la performeuse se plie, les tresses se tendent, par les poulies, les poids se soulèvent. On entend des chœurs héroïques. Intensité instantanée. On craint pour elle, son corps. La tension est évidente, ainsi que la concentration à l’œuvre dans cet équilibre. Mais, sans vraie expression, elle ne nous communique aucun signe de souffrance, on ne peut que supposer ce qu'elle éprouve. Elle ne nous regarde pas. Quand la performance est achevée, au bout d’une dizaine de minutes, je reste plongé dans l’irréalité, sur l’impression d’une illusion. L'action est forte, dans quelle direction va-t-elle? A-t-elle eu mal? S’il s’agit d’une épreuve, quel sens lui donner? Pourquoi est-elle nue? En signe de vulnérabilité? Pour nos yeux? S’est elle mise en danger? Le titre est ensuite annoncé: Action for Korea, et le contexte: cette performance a été accomplie pour la première fois sur la zone démilitarisée entre les deux Corées. S'il y a là une dimension politique, je suis d’autant plus perplexe. Cette performance d’une dizaine de minutes est-elle trop brève pour être méditée? Ou la verrais-je mieux avec plus de recul? 

    frasq

    Le dimanche après midi, au générateur de Gentilly, Manon Harrois se fait tresser les cheveux à l’africaine. Mais cette action, et ses suites, dureront plus de trois heures. La performeuse est habillée en noir. Il s’agit d’une cérémonie. Prenant le micro, elle nous entraine d’une seule vibration de sa voix dans les souvenirs de traditions enracinées. On ne connait pas la langue de ces beaux chants, mais il s’agit de deuil. Assise, son image projetée au mur, elle revient souvent au temps présent, interroge la femme qui la coiffe derrière, en répétant: «il t’en reste combien» ? Mais le temps s’écoule comme il faut, comme il veut, tresse après tresse, geste après geste. Le public va et vient, alors que d’autres actions ont lieu à proximité. C’est vrai qu’à chaque instant donné il y a peu à voir, le changement ne se manifeste qu’insensiblement. Quand je reviens, tous ses cheveux sont en tresses, et les assistants commencent à les relier aux fils d’un métier à tisser loin derrière. Pas de poids ici, pas de verticalité, mais une pression constante, de long fils horizontaux qui l'un aprés l'autre la relient à cet instrument ancestral. Elle chante encore les chants du passé, parle à son assistante : «encore combien? Les gens vont se lasser!» Mais elle reste prisonnière immobile et patiente de ce rituel encore mystérieux. Cela dure, et la durée tue l’impatience. Plus tard encore, elle est enfin attachée de tous ses cheveux à la machine. Une autre phase commence. Un complice s’installe sur le métier à tisser, la performeuse le guide de la voix dans ses gestes répétitifs: jouer des pédales, faire passer la navette, serrer les fils blancs. Cela prend du temps, comme tout, avant notre ère technologique. Elle, les fils, le tisseur et le metier dessinent une longue ligne. L’assistante entreprend de peu à peu découper les vêtements noirs de la performeuse, les apporter prés du métier à tisser afin qu’ils soient utilisés avec le fil blanc. Un long rite de passage a commencé, ponctué de chants. « En as tu encore pour longtemps? » demande-t-elle souvent avec un rien de dérision à l’artisan improvisé qui s’affaire sur le métier. De la tête, elle maintient la pression sur les fils qui permettent à l’instrument de fonctionner, accepte le sacrifie morceau par morceau de ses vêtements alors que sur le métier ils sont recyclés, régénérés. Plus tard, après une heure ou deux elle sera nue, comme pour une nouvelle naissance, puis libérée des fils, avant de se revêtir du nouveau vêtement qui aura été confectionné.

    Plus tôt dans l’après midi. Romina de Novellis joue, elle aussi, sur la durée. Séparée du public par un rideau de guirlandes de fête, comme pour signifier une joie forcée, elle danse. Elle tourne sans fin et sans repos, figée dans l’apparence. Belle, entourée de très longs voiles rouges qu’elle peine à ajuster. Elle est empêtrée mais ne peut s’arrêter. Elle se défait ou se recouvre des tissus-on ne sait- en des mouvements cycliques. Ils glissent sur son corps, se défont pour découvrir chairs et intimité avant de se reformer autour d’elle. Elle tourne au son de musiques traditionnelles désuètes qui tournent en boucle: des chants de femme ou des fanfares, des airs de noël, qui lorsqu’ils s’achèvent laissent croire à chaque fois à la fin de la performance. Non, tout recommence, porté par différentes intensités : énergie, lassitude, fatigue, ivresse, transe, épuisement… Sourire toujours obligé, sa détresse devinée, elle semble une éternelle prisonnière de sa condition.

    C’était dans le cadre de Frasq, rencontre de la performance: Lionel Hochel (Soyeuse) et Sarah Trouche (Action for Korea) au salon Renato Badi avec Glamorama, Manon Harrois (Attachement) et Romina de Novellis (Guirlande-Partie1) au Générateur de Gentilly.

    Frasq continue, cet aprés midi, au générateur de Gentilly.

    Guy

    Photo 1 DR avec l'aimable autorisation de Lionel Hoche

    Photo 2: GD