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Un Soir Ou Un Autre - Page 28

  • le Péril Hystérique

    Rediffusion de la chronique du 17/8/2009, à l'occasion de la reprise de la pièce au théatre 13 dans le cadre du programme Grand Guignol.

    « Ce n'est pas la prison qu'il faut à ces malheureuses, c'est le cabanon !» Va pour l'humanité, du moment qu'on les enferme... Car ces femmes sont dangereuses, sujettes à la « folie circulaire »,meurtrières, corruptrices, perverses, lesbiennes pour ne rien arranger, accros à la morphine et à l'opium. Des maîtresses qui règnent sur une « école du vice»-comprendre un pensionnat- fréquentée par les milieux les plus huppés de Versailles, donc- forcement- les milieux les plus dégénérés.... Le discours sur la moralité et la décadence que tient le médecin des « Détraquées » est de tous temps réactualisé et repété, avec ses fureurs et ses invariants. Mais délivré avec ce langage qui fleure bon le début de siècle d'avant (les protagonistes ont « horriblement mal aux nerfs »), ce discours nous semble très transparent, de même que nos naïvetés contemporaines- concentrées en leurs survivances artistiques- sûrement éclateront aux yeux de nos descendants.

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    photo de Sarah Preston avec l'aimable autorisation de Frederic Jessua

    C'est un étrange objet théâtral, millésimé 1921, qu'on a la bonne idée d'exhumer cet été, avec le rien de distance narquoise qui suffit à le remettre en scène. Curieux texte même dés le départ que ces « Détraquées »: un grand succès à l'époque- accompagné d'un petit scandale- dans le genre grand guignol, avec donc ce qu'il faut de sous entendus poisseux, d'ambiance cauchemardesque, d'effets sanglants, d'érotisme de dortoirs et de porte- jarretelles, le tout conclu par une moralisation appuyée... mais la piéce fut écrite avec la collaboration-clandestine-du docteur Joseph Babinsky, éminent neurologue, inventeur du test qui porte son nom et élève préféré de Charcot. Soit la surprenante alliance du théâtre à sensations et de la Faculté de médecine, réunis pour nous mettre en garde contre le péril hystérique. La folie étant avant tout un fléau féminin: pour s'en rappeler on peut aller se recueillir, à l'entrée de l'hôpital de la Salpetrière, devant la statue du bon docteur Pinel, "bienfaiteur des aliéné(e)s", sa main magnanime posée sur la tête d'une folle reconnaissante, allongée en chemise à ses pieds.

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    photo GD (remerciement à Catherine Rihoit)

    Ce n'est sûrement pas cet aspect moralisateur- pour le moins ambiguë- qui a sucité la fascination André Breton: le surréaliste écrivait dans « Nadja » son « admiration sans borne pour la pièce": « la seule œuvre dramatique dont il voulait se souvenir ». Sont-ce ses proximités de situation avec les phantasmes de Breton, ses troubles non-dits et ellipses sur les interdits, qui ont sauvé l'oeuvre de l'oubli? Ce n'est pas grace à sa seule valeur littéraire, il ne s'agit pas quand même pas de « la ville dont le prince est un enfant ». Qu'en faire aujourd'hui? Difficile aujourd'hui de considérer les échanges fievreux de la directrice Mme de Challens, sa maîtresse Solange, et la jeune et docile Lucienne, en formulant le diagnostic clinique de Babinsky. Alors les regarde-t-on avec avec les yeux écarquillés, voire complices, de Breton? 

    Plutôt, avec une incrédulité qui va croissante, on est surpris par la crudité des situations, suggérées sans que la mise en scène s'oblige à grossir le trait ni à les moderniser. C'est astucieux, le texte nous laisse voir de lui-même ses exagérations. Nous lisons entre les lignes, devinons avant les personnages où gît l'infortunée Lucienne, tout en critiquant ironiquement l'idéologie présentée, nous attendons le comment de l'inéductable conclusion. Le décor est sage et réaliste, les effets de grand guignol sont tels quels assumés-quoique parcimonieux, la mécanique dramatique reposant plutôt sur l'attente-: cris dans la nuits, lumières inquiétantes, sang et évanouissements. Les acteurs et actrices (plus jeunes que les rôles) restent impeccablement impavides, sans tomber dans le piege de la caricature. Comme pour nous proposer soit d'y croire quand même, soit de rire des procédés eux-mêmes. C'est donc très drôle, à la manière d'un film d'horreur, justement à force d'outrance, et nous laissant dans l'ambiguité, voyeurisme détourné, jusqu'à refouler tout ce qu'il y aurait d'insoutenable dans l'intrigue, si on la prenait au sérieux.

    C'était Les détraqués d' «Olaf »(Joseph Babinsky) et Palau mis en scène par Frederic Jessua au Cine 13 théatre, en alternance jusqu'au 29 août 2009 dans le cadre du festival de Grand Guignol : Ca butte à Montmartre.

    Guy

    Lire le texte de la pièce, ici. et à propos de Nadja et des détraquées, ceci.

  • Tout ça, c'est du cinéma (partie 2)

     

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    Geisha Fontaine et Pierre Cottreau jouent quant à eux, rassurants, au vrai faux documentaire. Pour partir chercher au Japon la trace d’un manuscrit de Spinoza… Et puis quoi encore? Plus qu'au sens propre, l’histoire se regarde à plusieurs niveaux, se goute comme une fantaisie philosophique. Le manuscrit perdu serait un traité d’optique. Il s'agirait pour nous d’exercer notre regard critique, au delà des apparences. Sur la plateau la chorégraphe est pour une fois vêtue selon son prénom, mais nous trompe de robes gigognes. Et plus tard, la Geisha n’est pas celle qu’on croit. Je renonce à m'impatienter, c'est une ballade. La narratrice, bonhomme et complice, nous mystifie. C'est une initiation, mine de rien, un chemin, parcouru à distance sur l'écran. L’enquête policière, de fausses en vrais pistes selon les lois du genre, est prétexte à nous inciter à changer de point de vue, savoir à quoi le monde ressemble vu à l’envers entre ses propres jambes. Les yeux trompent, les morales aussi, les nouvelles perspectives sont moins intenses qu'occasions de sourire.

     

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    C’était Les Yeux dans les yeux de Pierre Cottreau et Geisha Fontaine, vus au Centre National de la Danse dans le cadre du cycle danse et cinema

    Guy

    Photos de Pierre Cottreau avec l'aimable autorisation de la compagnie.

  • Tout ça, c'est du cinéma (partie 1)

    danse,veronica vallecillo,centre national de la danse

    La pellicule est rayée, granulée comme dans les songes agités d’un chien andalou, en noir, en blanc, en sang. Les images rescapées s’enrayent et défilent, boucles sur les trois faces du cube éventré-  sous les pieds de Veronica Vallecillo, derrière elle, tout autour. L’ailleurs s’entrouvre, s’écoule dans l’imaginaire.  Elle se déplie au centre, dans ce flux lumineux d'un autre temps. Joue de contrastes primaires et crus: visage de craie et bottes vermeilles, comme les lèvres. Le film est muet, inquiétant. Elle, tout autant. L’exercice: difficile, tendu, extravaguant. Pas un son, pas un souffle. Rien qu’un silence insoutenable. A nous retenir sans respirer. Mais les images ont un rythme,  les pensées s’agitent. Comme son corps d’un flamenco outré, vital, qui sans sons enrage. Qui laisse imaginer douleurs et révoltes. Et puis à l’intérieur on devine les battements du cœur. Les images l’entourent et la soulignent, une prison ou une salle de danse, dessinent de fausses portes. Il ne reste que vertige farouche, sardonique, intense. Ca me heurte mais ça me parle.

     danse,veronica vallecillo,centre national de la danse

    C’était le vrai-faux film muet qui vous parle de Veronica Vallecillo, vu au Centre National de la Danse dans le cadre du cycle danse et cinema.

    Guy 

    photos par Elise Boual avec l'aimable autorisation de la compagnie

  • J'ai retrouvé mon képi blanc

    Le kepi blanc revient cette semaine, à Artdanthé, avec d'autres propositions d'Hubert Colas. Je rediffuse donc la note du 20/3/2010

     

    Il y a des spectacles qu'on oublie deux heures aprés les avoir vus, sitôt évaporés de la pensée. Il y en a d'autres qui en souterrain font leur chemin, ne vous laissent pas en paix jusqu'à ce qu'on leur ait-dans un sens ou dans un autre, rendu justice. Dans cette seconde catégorie: Mon Kepi Blanc d'Hubert Colas, vu en novembre au Théatre de la Cité Internationale, qui sur le coup m'agace tout autant que la même soirée  CHTO  m'émeut d'emblée. Il me faut depuis lors quelques échanges avec Pascal Bely,  et hier encore une conversation avec Marion Franquet du T.C.I. pour formuler à ciel ouvert ce que jusqu'ici me trouble: j'ai jugé les propos prétés au personnage unique de la pièce- un légionnaire- trop outrés, jusqu'à en faire un archétype caricatural, un pantin raide derrière ses micros. Marion me fait judicieusement observer que, de même que pour CHTO, toute l'intégralité texte est d'origine documentaire, compilé par l'auteur Sonia Chiambretto à partir de conversations avec des militaires.

    Cette évidence lève le malentendu... Mon point de vue est libéré, c'est à dire que rétrospectivement mon point de vue n'est plus géné par celui de la mise en scène. Est rendue possible une même empathie envers deux personnages aussi dissemblables que la petite tchétchène de TCHO, et ce légionnaire, pourtant à priori rebutant,  raide et sanglé dans son costume et son discours martial, effrayant de puérilité... et si fissuré. Deux personnages dissemblables seulement en apparence, mais en creux confondus dans la même perte d'identité, en fait tous deux étrangers. L'homme est d'ailleurs et sans nom, adopté par la légion étrangère, mais n'existe plus que dans l'abandon et le don à un imaginaire patriotique. Cet imaginaire aujourd'hui à notre société aussi lointain que la lointaine Tchéchénie, le légionnaire est doublement exilé. Le "ON" comiquement accentué lui tient lieu de Je, et les chansons de pensée. Des chants superbes et ridicules de soldats perdus ou abandonnés, chants gorgés d'une mystique qui glorifie de vains sacrifices. Le militaire et la tchétchene partagent la même solitude, la même soif éperdue de réparation, dans des mises en scène toutes aussi belles et fines. Les deux pièces dialoguent dans leurs espaces scéniques et leur construction, mêmes repétitions et paroxysmes, même travail sur la langue, même force de la voix, même superbe engagement des corps des acteurs. Ce monologue sensible nous rappelle qu'il est si dur d'exister seul, c'est là le plus beau théatre, celui qui nous fait poser sur l'autre un regard aigu mais fraternel, si différent l'autre apparaisse-t-il.

    C'était Mon Kepi Blanc de Sonia Chiambretto mis en scène par Hubert Colas, avec Manuel Vallade, au T.C.I. . A voir avec CHTO le 31 mars à la comedie de Caen.

    Guy

    lire aussi le Tadorne

    lire ici CHTO interdit aux moins de 15 ans

  • Passage

    J'avais vu une présentation de Requiem de la Zampa il y a deux ans . L'ami François a vu la représentation à Artdanthé, il raconte... Guy

    Proposer un Requiem sur scène sous forme de spectacle vivant dans un festival réputé pour défricher les territoires peu fréquentés, voilà qui me semblait un peu curieux et même paradoxal. Comment s’attaquer à un genre musical et chanté aussi codé, par la voie de la chorégraphie ?

    Le duo de la Zampa réalise avec son Requiem une prouesse étonnante en renouvelant totalement le genre tout en en gardant le sens fondamental d’une prière, d’une opposition entre la tristesse de la fin et l’espérance de la renaissance. Entre la mort du corps et la perspective espérée d’une vie éternelle. Bref ce qui a hanté l’être humain depuis au moins 4000 ans aux exceptions contemporaines près. 

    Quelques mots sur le dispositif : au fond, le guitariste Marc Sens avec ses outils. Il triture, il stridente, il module, il frotte, il frappe, il effleure, il arche, il hâche , il lâche les sons. Devant, derrière et devant, Romual Luydlin pour réciter au micro un texte de Casey. Devant et un peu derrière, Magali Milian, équipée d’un harnais et coiffée d’un masque tiré de je ne sais quelle mythologie, un peu à la Tolkien, (peut-être un masque de bête ou de chien ?), vit pleine d’une énergie saccadée rythmée par le claquement de ses talons. Elle nous offre une jolie cavalcade construite autour de gestes revenant comme une ritournelle.

    La danseuse s’effondre inanimée. Le danseur se coiffe à son tour d’un masque similaire et vient la rejoindre dans un tempo soudain devenu figé et ralenti. Il traîne le corps de sa compagne d’un bout à l’autre de la scène, la soulève du sol  à mains nus, fixe des cordes au harnais et finit ainsi par l’envoyer en l’air. Toute cette phase, très lente, constitue le moment fort du spectacle et offre une beauté fascinante et pleine de suggestions. Qu’elles soient érotiques face à ce corps de femme abandonné à celui de l’homme (je ne suis pourtant pas amateur de bondage japonais). Qu’elles soient picturales quand on y retrouve les motifs maintes fois représentés par les peintres du passé (Piéta, Descente de Croix). Qu’elles soient mythologiques quand on voit sur scène une sorte de Charon, passeur du fleuve Styx, faisant traverser un corps abandonné par la vie. Il faut souligner ici l’excellent jeu de lumière imaginée par Pascale Bongiovanni. Je ne sais pas si c’était intentionnel mais une fois le corps de la danseuse suspendu dans les airs par le mécanisme des attaches et des poulies, j’ai vu se détacher sur le sol l’ombre d’un pendu se balançant un bout de sa corde.

    Le passage à travers le tunnel de la nuit s’achève. Les danseurs ôtent leur masque. Lui se retire au fond de la scène. Elle, dyonisiaque, retrouve un rythme endiablé de mouvements répétitifs puis libérés, nourrie d’une musique énergétique. Nous voilà arrivés sur l’autre rive. En vie encore. Toujours.

     

    François Pluntz

     

    c'était Requiem de La Zampa au théatre de Vanves.

  • Aux Antipodes

    C’est la question du regard posé sur l’artiste étranger. Le considère-t-on en fonction de son héritage culturel, ou selon son universalité qu’il porte? Faits d’hivers invite cette année des chorégraphes d’Australie, avec la complicité d’Angela Conquet. Mais sont-ils représentatifs des courants qui traversent leur pays, ou le choix de la programmation répond-il à nos attentes de public parisien ?

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    Phoebe Robinson, l’interprète de Transit de Sandra Parker, s’installe en donnant l’impression d’être nulle part, donc partout chez elle. Avec des gestes à l’affut, qui se cherchent, comme pour se saisir d’instants cachés. Explorations de soi de la pulpe des doigts, vers le front, la main, le bras: le corps se mesure à son envergure, se définit, se réarticule. Je suis étonné de la pulsation impalpable mais si présente qui règle ses mouvements. Les yeux aussi, intenses, semblent en recherche. Sur l’écran derrière elle les nuages passent et restent le gris, le bleu. Comme chez nous, comme ailleurs. La danse s’interroge encore dans une douce solitude. Apparait alors l’image d’un arbre aux antipodes. C’est un contexte, presque déjà d’un continent, au son d’une musique de pionniers. Les mouvements se taisent, le corps est coi, ils reprennent, cassés. Je vois des mouvements universels, mais aussi un dialogue avec l’immensité autour d’elle, dans un pays à explorer.

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    D’où semble venir Matthew Day, peroxydé des cheveux aux baskets? Il s’agite de mouvements répétitifs, les muscles pris de tremblements nerveux, s’installe dans un inconfort instable. Je retrouve dans son opiniâtreté à s’écarter des chemins bien tracés et à rendre au corps son étrangeté la même obstination sourde que met en œuvre la portugaise Sofia Fitas. D’une position tordue à l’autre, dans un parcours malade, les transitions sont imperceptibles. Il joue avec nos nerfs, on comprend qu’il n’y pas d’issue, sauf à ce qu’il nous entraine dans sa folie. Il nous fascine et nous enferme. Abstraite des grands espaces, la danse se concentre dans la psychée.

    C’était Transit de Sandra Parker avec Phoebe Robinson et Cannibal de Matthew Day, vu à Micadanses dans le cadre du festival faits d’hiver.

     Guy

    Photos d'Almory Culvenor (1) et d'Heindrun Lohr avec l'aimable autorisation de faits d'hiver.

     

  • Noir, est-ce noir?

     

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    Noir ce n’est pas noir (c'est argenté peut-être ?), les corps se dessinent par reflets, la matière s’efface et que reste-t-il? Les êtres? Je vis une expérience sensorielle singulière. Au commencement, l’obscurité est parfaite, tous repères dissous, aveuglés vers l'infini. C’est une mise en condition. Il est ce soir utile de renoncer à voir, désapprendre et mériter ensuite. Patience. Les danseurs se laissent juste deviner. Ils s'extraient du néant. Même plus de lumière plus loin, ils ne seront jamais vraiment révélés. Sinon en négatif au sens photographique du terme. Comme à travers un miroir, couleurs inversées. Une huile noire recouvre seule les corps, recouvre le plateau, recouvre tout. Ces corps m’apparaissent donc comme jamais, c’est-à-dire à la fois irréels et précis, leurs formes magnifiées. Une évidence oubliée revient au jour: on ne connait jamais la réalité de la matière mais ce que nous en renvoie la lumière. On croit voir la surface mais sans connaitre l’intérieur. Ils viennent donc d’ailleurs, étrangers, fascinent et inquiètent. Ils viennent d’un passé très lointain, ou de plus loin encore. Metalliques, extra-terrestres. Leurs mouvements me saisissent, et la danse n’est pas le propos. Je vois migrations et malédictions, errances. ils se dorent, glissent sur l’huile noire, spectaculaires. Est-ce une facilité? Je préfère me dire que de cet autre côté, les lois de la gravité n’ont plus court. Ni la raison. Dans cette perte d’équilibre et de contrôle, crescendo sous les flashs, je vois violence et sauvagerie, désir et impudeur, les corps luttent, se portent et se mêlent. Le recit est trouble, incertain, j'en suis presque insatisfait, mais perçois les échos d'une  histoire sous une forme que ni film ni photos ne pourraient capturer, les mots un jour peut-être. Il y a tant à faire ce soir avec l'obscurité et ces corps qui y sont livrés, et pour nous tant à deviner. Je vois cette pièce comme un commencement.

     

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    C’était Bouncing Universe in a Bulk d’Eric Arnal Burtschy, au théâtre de Vanves dans le cadre d’Artdanthé

    Guy

    Photos de Laurent Pailler avec l'aimable autorisation du théatre de Vanves

  • Observations de l'humanité

     

    isabelle esposito,théatre,espace 1789

     

     

    La Sombre Sautillante est une clocharde, elle est une princesse, un enfant.

    La Sombre Sautillante bondit hors des cases, des classifications, et de près nous ressemble.

    La Sombre Sautillante chevauche dans les rues un matelas en mousse.

    La Sombre Sautillante voit notre monde en évidence: le papier des magazines, l’amour sur le visage des stars sur les affiches, le monde pour ce qu’il est et ce qu’il semble.

    La Sombre Sautillante pleure sur la musique d’Aretha Franklin, danse avec celle de Peggy Lee.

    La Sombre Sautillante, naive et burlesque, finit par exister.

    La Sombre Sautillante vit avec une bassine de matière plastique rose.

    La Sombre Sautillante vagabonde dans les rues, entre scène et écran.

    La Sombre Sautillante pourrait sembler désœuvrée, mais c’est une œuvre à elle toute seule.

    La Sombre Sautillante est en fait très occupée, d’une toute petite voix.

    La Sombre Sautillante solidifie, casse la mélancolie.

    La Sombre Sautillante nous fait voir l’humanité.

     

     

    La Sombre Sautillante, conçue et interprétée par Isabelle Esposito, vue à l’espace 1789, s’est installée jusqu’au 10 février au Grand Parquet

     

    lire aussi Je suis morte et Vieille Nuit

     

     

    Guy

     

     

    Photo d'Igor Gabolovki

     

  • Pour qui sonne le glas

    La salle est bondée, surchauffée. Arrivé peu avant l’heure je ne trouve à me placer qu’au fond tout en haut de la salle, en point de vue neutre, détaché. Mais l’’attente collective me rend nerveux, cette fébrilité.

    Le tambour sonne monocorde, lourd. Des silhouettes apparaissent et arpentent la scène d’avant en arrière, avec gravité et sans affect, sans marques d’individualité. Inexpressives. Elles se succèdent les unes aux autres, répètent les mêmes parcours. J’imagine des soldats, des prisonniers dans une cours de promenade. Leur nudité se porte comme un uniforme. La lumière blêmit les corps. Ils se dupliquent: 6, 9, 18, ni seuls ni ensemble, mais chacun asservi à un ordre invisible, à un mouvement perpétuel, comme des machines dont on ne sait si elles ressentent. Le nombre et la coordination impressionnent. Mais vus de si haut, de si loin, depuis une heure peut-être, c’est à peine une humanité, incertaine, des fourmis nues. Nous spectateurs sommes serrés, tendus, séparés, suspendus dans l’attente de quelque chose qui viendrait rompre la monotonie de ce ballet sévère: un évènement, une narration. L'energie couve et inquiete. Je guette chaque petit geste, toute infime variation que je pourrais  interpréter. La répétition m’épuise, je lutte avec mon carnet et mon stylo.

    Enfin un autre cycle s’ouvre, les bras se lèvent pour cacher les yeux. Avec d’autres mouvements, la danse nie toujours l’individu. Les corps- les danseurs se groupent par sexe- se croisent sans jamais se rencontrer. L’avenir est bouché, et je refuse de distinguer en bas la condition humaine. Le tambour s’alourdit d’autres bruits. Les corps semblent enfin se libérer, exprimer quelque chose d’en dedans. Puis ils tombent comme des mouches, balayées par un vent invisible.

    Fausse sortie: ils reviennent en petits soldats du début, la musique de plus en plus oppressante. Enfin ils font groupe (sont-ils moins seuls pour autant ?), s’émeuvent et s’égarent, en une rave frénétique, une orgie spasmodique, toute collective, avec des figurations de coïts aussi mécaniques que les défilés du début. Je ne vois ni espoir ni liberation. Toujous mus. Mais l'energie fuse. Autour de moi des spectateurs en état de siège, qui suent toujours ou s’étaient assoupis, mais qui à la fin se lèvent pour applaudir comme un seul homme. Ovation.

    Je ne la ressens pas mas la comprends, l’efficacité de cette synthèse entre les effets de masse du ballet classique et les concepts contemporains, répétition et nudité. Un peplum post moderne. J’ai reçu des ondes de choc, je n’ai pas vu l’humanité.

    C’était Tragédie, d’Olivier Dubois, au 104

    Guy

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