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Rechercher : faits d'hivers

  • Anne Hirth: en attente

    Les décors et costumes ont la patine d'un théâtre qu'on imagine d'avant la fin des années soixante. En route pour un voyage dans le temps, stricte cravate, robe à fleurs, papiers peints et toile cirée. Pour observer trois personnages, contraints dans le même espace, peu à leur aise, comme enfermés dans une salle d'attente. Trois personnages mutiques, dont les pré-relations resteront non définies, ce qui est délicieusement exaspérant. Oublié ce prologue qu'on a entrevu par une fenêtre du décor: un temps d'ivresse, de musique et de convivialité. La fête est bien finie, la fête entre eux trois n'a même sans doute jamais existé. La parole aussi s'est tarie, réduite au strict utilitaire. Ils ne parlent que pour demander du feu. Ce n'est pas que nos personnages ne veulent pas communiquer-chacun manifeste en permanence la conscience de la proximité de l'autre-, c'est plutôt que quelque chose les en empêche. Quelque chose d'indéterminé, quelque part entre le pathologique et le social. L'enfer, une fois de plus, c'est les autres, et le temps s'est arrêté. Résultat: sont en début seuls montrés ici les moments qui n'existent pas vraiment, du moins dramatiquement. Qui existent surtout par leur durée. Les moments insignifiants, les moments d'observation, les moments d'hésitation, les moments d'inaction. Les autres moments, les moments qui restent, entre les moments forts. Des moments non faits, ou faits plus de vraie vie que de théâtre. Mais c'est tout l'art d'Anne Hirth  de faire que l'exercice existe lui-même théâtralement, subtil et sarcastique, et que cet exercice soit tout sauf ennuyeux. 

    On ne peut pas ne pas communiquer, les personnages interagissent. Les gestes, devenu réflexes, hors contexte, perdent sens. Les frontières de la coexistence sociales se font poreuses. Dans cet espace aux règles sans raisons, les mouvements dérapent, imprévus, s'emballent peu à peu, jusqu'à la rudesse. Empoignades sans pitié dans la queue pour les toilettes. Au bord de la névrose, l'absurde s'insinue. Les enjeux se font flous. Les positions se renversent. La cabine de douche devient fumoir, et le fumeur cul par dessus tête. Coup de théâtre: une femme dans le placard. Rien de vaudevillesque, il s'agit plutôt une survivante. Une non vivante. Égarée. De quoi mettre en évidence l'incapacité des trois autres médusés de rassembler, de faire groupe, pour résoudre l'énigme. Mais tôt ou tard l'impossibilité d'être se résout par la danse, l'espace est reconquit poétiquement, comme en une évasion qui s'engourdirait en rêve. Autour de la femme sortie du placard, le groupe se fait. La parole réussit enfin à renaître, dans la bouche de cette femme, submergée par des souvenirs d'enfance, comme somnambule, qui avance ainsi dans la belle ivresse d'un mouvement continu, rhabillée à chaque pas d'une nouvelle robe par ses compagnons.

    C'était Wait Here for futher instructions ♥♥ d'Anne Hirth-Büro für Zeit + raum, avec Blandine Costaz, Daniel Bausch, Jürg Plüss, Ellen Schiess, à la Halle aux Cuirs de la Villette avec 100 dessus dessous.

    Guy

     

  • Premier degré

    Orson Welles a écrit qu’il  préférer voir des pièces de théâtre interprétées dans des langues qu’il ne comprenait pas : il pouvait ainsi mieux apprécier le jeu des acteurs.  Ainsi ce soir Waterproof n’a ni queue ni tête.  Tant mieux, j’en suis d’autant plus libre. Les faits: il s’agit sur un mode plutôt badin, peut-être opportun, d’un anniversaire (celui des 5 ans du lieu ?). Trois candidats s’activent (mais pour quoi ?) : chants, poésie, récits décalés,  un tir de barrage de loufoquerie et d’indétermination. Je pense à aux nombreux appelés et aux peu d’élus dans cette voie, je pense à l'actualité mais je ne pense pas vouloir interpréter plus avant par là. L’arbitre lâche des diagnostics en forme de non-sens, ouvre des crevasses, mais je ne veux pas réfléchir à l’incommunicabilité. C’est drôle et je veux juste gouter un peu de légèreté.   

    Waterproof du collectif Hubris mis en scène par Raouf Raïs, vu à la Loge le 3 juillet 2014, dans le cadre du Summer of loge jusqu’au 19 juillet.

    Le festival continue du 15 au 7 juillet avec Sophie de Christine Armanger et Les Cahiers du Connemara de Laurent Bazin.

  • Toujours ensemble

    Ensemble? Pas de siège pour le public dans cette salle, nous partageons l’espace de plain-pied avec les artistes, cherchons notre place avec eux. Les danseurs posent au sol une mer de plastique, l’agitent de vagues. Tempête. Je sens les coups de vent. Il n’y a plus rien qui tienne. Une femme s’y aventure, est ballotée d’une rive à l’autre, perd pied, ruisselle, lutte en vain, corps chahuté. La scène est violente, poignante, directe. Forte avec peu. La femme est nue, je pense au dénuement. Elle se noie, je pense aux migrants. Elle est rejetée par les autres des deux côtés, je pense à tous ceux qui ne trouvent pas de place. D’autres lui succèdent sur cet océan, les uns contre les autres, mais s’épuisent en courses et luttes intimes et fratricides, éperdues, sans raison. La dernière scène nous apaise, quand les danseurs nous font nous lever pour disposer partout dans la salle des ballons d’eau-nous redéfinissons ainsi l’espace avec eau. Puis ils rampent pour les éclater. Ils se regroupent, tribu de chair, nous autour d’eux. Le monde retrouve un peu de paix.

     

    danse,théatre de la cité internationale,lia rodrigues

    Pindorama de Lia Rodrigues, vu le 21 novembre au théâtre de la cité internationale avec le festival d’automne à Paris. Jusqu’au 26 novembre, puis au 104 du 28 au 30 novembre et à L’apostrophe le 3 décembre.

    Guy

    photo par sammi_landweer avec l'aimable autorisation du T.C.I.

    Sur le blog, à propos de Ce dont nous sommes fait.

    Et à propos de Pororoca

    Lire aussi Rosita Boisseau dans le Monde

  • Baudelaire: l'éternel procés

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    Baudelaire est à terre. A genoux, défait, prostré, il fouille sa plaie du tranchant de ses mots, pendant que de l’ombre, émerge une future mariée. Sans visage, inaccessible. Sa montée silencieuse répond à l’implacable descente au cœur de l’âme dévastée de Baudelaire, dont la litanie déchire un silence devenu palpable. La blancheur virginale de sa robe est portée par l’acquiescement muet du fond noir. Le noir neutre de l’institutionnel, de la morale, celui de la décence. Derrière des paravents, les ombres jetées de la bêtise et de l’hypocrisie, sur fond gris. Au premier plan, Baudelaire lumineux se détache de l’obscurité qui emprunte ici au noir de l’exigence. Celui de l’absolu, de la solitude et du dépouillement. A ses côtés, juste une petite table,  pour l’élégance. Entre ces deux conceptions du noir, deux cubes de scène pour le décalage permanent des niveaux de discours, car on ne s’adresse au poète que de haut. La justice d’abord, par le biais du procureur Pinard, puis les institutions, à travers « la jeune file assassin de l’art », celée sous son voile nuptial. La société, ses pairs, en groupes de vautours, toujours de biais. La pièce, emportée par un texte implacable prend toutes les allures d’une mise à mort. Le dialogue entre le procureur et le poète, celles d’un duel impossible, entre création et morale. Jeté hors la loi, hors le monde dans sa solitude et son isolement, le poète expie, vulnérable, presque enfantin dans sa souffrance.

    C'était Le Procés des Fleurs du Mal de Philippe Blondeau, mis en scène par Georges Zaragoza, avec les Compagnons d’Eleusis au Théâtre Municipal d’Epinal, vendredi 9 mars, dans le cadre du printemps des poètes, 150 ans après les faits.

    Isabelle Viéville Degeorges

  • Something in between- (voire bien au delà)

    On aime les lieux qui ressemblent à tout sauf à des salles de spectacles: dans cette catégorie Les Voutes méritent une mention spéciale . Allez y, vous comprendrez.

    Donc un lieu improbable et adequat pour y présenter du Buto. S'il s'agit encore vraiment de Buto, mais qu'importe. Présenté par "In Between" compagnie transnationale et européenne.

    "Bacon R'us" pour commencer. 3 figures chacune isolée sous une voute, jeux d'ombres et de sonorités, improbables interactions. Mais la vraie surprise vient de Claude Parle.Qu'on avait déjà vu, en d'autres lieux, soutenir Moeno.Annoncé comme musicien, il s'impose ici comme performer. Au naturel. D'abord en une création de Francis Bacon incarnée, en relief, débordante. Puis qui fait subir des traitements extrêmes à son accordéon. Une présence énorme. Qui focalise l'attention. Les deux autres (vrais) danseurs ont beau se tordre, c'est injuste mais rien n'y fait.

    Pour "In between" en seconde partie, Claude Parle s'abstient, et en un sens tant mieux. 4 danseurs pour représenter la folie, en 4 trajectoires simultanées. Le dispositif est saisissant, les interprètes assument tous les risques de l'expérimentation et du débordement.

    Tout au long d'un voyage intense pour peu que l'on accepte de les accompagner. Pour retrouver, au delà des codes bien connus-corps défigurés et lenteur torturée- l'esprit du Buto.

    Pour de vrai.

    Guy

    P.S. Cet évènement préludait au 7° festival de de danse Buto à partir du 6 juin. A l 'Espace culturel Bertin Poirée, bien sur.

     

  • Manifester

    ...Pour la suite, nous sommes précipités dans le monde, dans la société. Un danseur bondit parmi nous, crie. Dans ses mots mis bout à bout toute la confusion du monde. Noms forts, mais en désordre, d'hommes politiques, de marques mondiales, de peuples revoltés... On est interpellé, mais si quelque chose est  partagé ici, c'est surtout la difficulté de prendre du recul, de lier. Puis l'espace de jeu se réorganise de manière plus tranchée en un grand carré et nous tout autour. Le corps premier, essentiel et nu de la première partie a laissé définitivement la place à un corps politique, collectif. Philosophiquement, c'est une évolution qui fait sens. Et le manifeste alors dansé ne manque pas de force. Mais m'indispose par son militantisme paradoxal: symboles de paix sur les habits et musique martiale surchargée de roulements de tambours. "Let the sunshine" entonné à coté de poses d'arts martiaux, et défilé de majorettes radicales. A quel degré recevoir ce que la danse exprime ici authentiquement de colère et d'indignation? J'ai l'impression d'être invité à partir parader avec eux avec une mitrailette dans la jungle en treillis. Tout cela finit sous les ovations avec "Imagine" de Lennon, choix ambigu et symptomatique.

    C'était Ce dont nous sommes faits de Lia Rodrigues dans la salle Panopée du Théatre de Vanves, dans le cadre du festival Artdanthé.

    Guy

    le début ici

  • Le code a changé

    Ils dansent et jouent, mais leur jeu obéit à des règles aléatoires. Sur un plateau noir, dont l'image est projetée au mur, sont à intervalles réguliers par les uns ou les autres posés des objets: lettres, bonshommes, canards, voitures... A ces consignes codées et inattendues obéissent les danseurs, les musiciens et l'éclairagiste. On revoit ainsi souvent de mêmes séquences revenir, réagencées différement. De tels procédés les oulipiens ont fait un usage jubilatoire en littérature. Ces derniers s'éfforçaient à partir de contraintes inextricables de restituer aux oeuvres ainsi produites mouvement et sens. Mais ce soir, le code m'est inintelligible. Je ne comprends rien aux symboles posés sur le plateau. Je ne comprends pas l'enjeu d'obéir à ces consignes, ou de les détourner, et rien non plus ou résultat. A la matière dansée, riches en frictions, je pourrais m'intéresser, mais le cadre me rebute. En matière de danse, je suis pourtant rarement en demande d'explications, ni rationaliste à tout prix. Mais ce soir il y a un sens caché à l'aide d'un procédé élaboré et j'y suis étranger. Je me sens franchement de trop, frustré de sens.

    C'était Sur Faces, de Julien Monty et Michaël Pomero, au Colombier de Bagnolet, dans le cadre du festival Jamai(s) Vu!s

    Guy

  • La séquence du spectateur

    Flirt… Qui peut nier que dans la relation entre acteur et spectateur il s’agit avant tout de séduction? Ces divins animaux font de cette relation la matière même de la pièce… ce qui n’est pas sans risque d’auto centrisme. Mais tout commence en douceur, la relation s’engage à reculons. Le tract rendu comiquement palpable avec murmures, mouvements de rideaux et de pudeur, mais soudain abolie, quand le 4ème mur se solidifie devant les coulisses. Aparté: la pianiste nous observe et prend de note: je me méfie. L’embarras change de camp quand les comédiens entreprennent de nous interroger. Chacun des spectateurs bien sur espère que cela va tomber sur son voisin. Raté: comme souvent je n’y coupe pas. Mais je ne m’en sors pas trop mal, non? Preuve est déjà faite que la relation se joue ce soir dans les deux sens, se construit et prend substance, émotion, sans le secours de la fiction. Les performances des 4 acteurs nous prennent ensuite à contrepied, entre rire et malaise, avant que d’en comprendre la cohérence : cela fait du bien de plus chercher à plaire, d’être affreux, sales et méchants. La séduction est bien déconstruite, avant d’être tendrement raccommodée. La pianiste lit ses notes, nous avons bel et bien été observés, tels qu'actifs tout du long, par postures, réactions. Ils nous invitent à rester et ne jamais partir, comment résister à une telle déclaration d’amour?

     

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    Flirt, conçu et mis en scène par Florian Pautasso, vu à Mains d’œuvres le 17 septembre 2015, jusqu’au 26 septembre.

    Guy

    lire aussi show funèbre et la tour de la défense

    photo avec l'aimable autorisation de la maison jaune

  • Faire l'amour

    On dit que tout était déjà dans le Kama-Sutra, que cela fait des millénaires qu'on a tout essayé, le nombre de combinaisons étant limité. Heureusement, l'imagination des chorégraphes n'a pas de limites. Ici est réinventée une histoire de couple, qu'initient logiquement des travaux d'approche. L'homme et la femme se jaugent, se poursuivent et jouent, se heurtent, se touchent, se claquent, se mordent et se goutent, matérialisent désirs, curiosités et appétits. Ils éprouvent de leur peau la texture, l'élasticité. De plein fouet, je ressens la fougue des attaques, la vigueur des esquisses. A ce stade déjà, l'entreprise chorégraphique n'est pas sans risques. D"autres dans des projets du même genre ont trébuché sur le trivial ou le ridicule. Ici dans l'inventivité et la fraicheur apparait l'innocence retrouvée.... mais subtilement affleurent entre les deux corps les enjeux de pouvoirs. Sur cette lancée, ils se rapprochent à s'enlacer, liés littéralement, pour tendre vers l'utopie de la fusion amoureuse. S'agencer, centimètre par centimètre. A n'être qu'un, ils ralentissent le temps autour d'eux. Sommes nous faits alors d'un seul corps, pas si loin de la mort? Après cet impossible, ils se libèrent et s'envolent. C'est drôle, poétique, intelligent. Et sensuel-mais doit-on le préciser?

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    DELICES // Création 2015 from Aina Alegre on Vimeo.

     

    Délices d'Aina Alegre vu le 12 octobre au théâtre de Vanves

    Guy

    Photo d'Alain Touret avec l'aimable autorisation de la compagnie

  • Vinyl nostalgie

    On ne revient jamais en arrière, vraiment. Et il n'existe plus de choses telles les boules de flipper, les hygiaphones, les petits tickets de métro jaunes. Juste des souvenirs de vinyl écoutés 100 fois dans des chambres surpeuplées. Revenir en arrière, on essaie pourtant, c'est peut-être ce qu'on appelle prendre du bon temps. Dans tout ce Rock 'n Roll, c'est plus que jamais une histoire de nostalgie, de réplique. Qui nous amène au stade de France voir des hommes murs jouer à redevenir des adolescents qui eux-même rêvaient d'être les Rolling Stone. Les riffs claquent toujours bien net, Louis Bertignac cultive le mimétisme jusqu'à commencer à ressembler à Keith Richard vieux, tempéré par de drôles de grimaces à la Harpo Marx. La fille du groupe s'est faite virer, on se retrouve tous entre pré-adolescents. Bons Enfants. Notre age mental descend:libération. La voix d'Auber plus que jamais emprunte de naïveté, les paroles toutes autant, chantées à l'unisson par la foule. Téléphone ne prétendait pas refaire un autre monde, tout juste le rêver, avec des rythmes binaires et rimes évidentes. C'est ce qui sauve aujourd'hui l'affaire. Voire les textes n'ont jamais changé, seulement la bombe humaine est redevenue d'actualité. Tout cela n'a plus beaucoup d'importance, on se laisse aller et on chante, et on danse.

     

    Les Insus (portables) au Stade de France le 15 septembre 2017

    Guy