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Rechercher : faits d'hivers

  • Des choses cachées...

    "Je dirai, puisque tu le veux, la rose. Qu'est-ce que la rose?

    Ô rose !
    Eh quoi ! Lorsque nous respirons cette odeur qui fait vivre les dieux, n'arriverons-nous qu'à ce petit cœur insubsistant qui, dès qu'on le saisit entre ses doigts, s'effeuille et fond, comme d'une chair sur elle-même toute en son propre baiser mille fois resserrée et repliée?
    Ah, je vous le dis, ce n'est point la rose! C'est son odeur, une seconde respirée qui est éternelle!
    Non le parfum de la rose ! c'est celui de toute la Chose que Dieu a faite en son été !
    Aucune rose ! mais cette parole parfaite en une circonférence ineffable
    En qui toute chose enfin pour un moment à cette heure suprême est née !"

    medium_affiche_cantate.jpgSoyons franc, un peu: passé les premiers instants on renonce à vraiment saisir le sens de ce texte de Paul Claudel (1868-1955). Tant mieux: on abdique, et bientôt on se laisse emporter au fil des mots de "La Cantate à Trois Voix", yeux grands ouverts, au gré des images que ces voix nous évoquent. On accepte tout alors, de même qu'on a accepté de descendre et se laisser guider au plus profond le long des couloirs surplombés par voutes cachées sous l'église Saint Sulpice.

    Pour entendre: "Ô paradis dans les ténèbres !
    C'est la réalité un instant pour nous qui éclôt sous ces voiles fragiles et la profonde délice à notre âme de toute chose que Dieu a faite !
    Quoi de plus mortel à exhaler pour un être périssable que l'éternelle essence et pour une seconde l'inépuisable odeur de la rose ?
    Plus une chose meurt, plus elle arrive au bout d'elle-même, Plus elle expire de ce mot qu'elle ne peut dire et de ce secret qui la tire ! Ah, qu'au milieu de l'année cet instant de l'éternité est fragile, extrême et suspendu !
    _ Et nous trois, Laeta, Fausta, Beata, n'appartenons-nous pas à ce jardin aussi, à ce moment qui est entre le printemps et l'été (...) Ah, l'important n'est pas de vivre, mais de mourir et d'être consommé !
    Et de savoir en un autre cœur ce lieu d'où le retour est perdu, aussi fragile à un touchement de la main que la rose qui s'évanouit entre les doigts! (...)
    Mais toi, mon âme, dis : Je ne suis pas née en vain et celui qui est appelé à me cueillir existe !
    Ah, qu'il reste un peu à l'écart ! je le veux, qu'il reste encore un peu de temps à l'écart !
    Puisque où serait la foi, s'il était là? où serait le temps? où le risque? où serait le désir? et comment devenir pleinement, s'il était là, une rose ?
    C'est son absence seule qui nous fait naître"

    Il fallait sans doute beaucoup d'inconscience ou de témérité à ceux d'Heautontimorouménos pour s'attaquer à ce monument. D'une poésie qui nous parait déjà si lointaine, rare, étrange, surannée, comme si le rapport au monde qu'elle induisait ici était hors de notre atteinte de bien plus que d'un siècle.

    Mener à bien ce projet, ne serait ce que techniquement, inspire déja en soi le respect. Les trois interprêtes, et si jeunes pourtant, n'en paraissent presque pas intimidées. Elles dialoguent, chantent avec chacune leur timbre propre leur part de ce long poème. Citons les: Camille Cobbi, Clémentine Marmey, Clémentine Pons.

    Leur chant d'abord importe, porté par ces trois corps, autour d'elle un espace sobre nourri d'une lumière mesurée qui laisse sa place au mystère, et le reste est une question de séduction. Entre mélancolie, amour, foi, ferveur, mysticisme, rapport à la terre, absence de l'être aimé, éternel retour des saisons, dans cette profusion de significations est fait ici le choix de la sensualité. 

    Jusqu'à mi octobre, presque tous les soirs et pour pas moins de 12 spectateurs à la fois, à la Crypte Saint Sulpice.

    Guy

  • Performances ?

    Les performeurs de New York City débarquent ce soir à Vanves, sur une "plate-forme transatlantique de performances". En premier: Trajal Harrell. Je suis rebuté par la feuille de salle, hermétique et ultra-référencée: "Que se serait-il passé en 1963 si un participant de la scène voguing de Harlem s'était présenté dowton pour se produire aux côtés des premiers post-modernes du Judson?" Il est vrai que je ne m'étais jamais posé cette question avant. Je n'ai pas la réponse en regardant le performer se rhabiller 20 fois d'affilée pour se composer un nouveau look à chaque fois. Cela dure 50 minutes. Ce systématisme conceptuel me parait au début assommant. Las quand je constate que l'on en est qu'au 3° carton seulement. Mais je retrouve de l'intérêt à l'exercice au moment où Trajal Harell s'incarne dans ses rôles avec une intensité communicative: alors il joue, il mime, il danse....

    Milka Djordjevich  est sur scène dans le noir. Silhouette blanche et deviné, elle éclaire d'une lampe de poche des fragments de sa nudité. D'un bout à l'autre du plateau, arrétées, des poses minuscules. On s'habitue à l'obscurité. Puis la lumière se fait. Le plateau est nu, la performeuse est habillée. La suite, c'est de la danse (contemporaine). Et toujours bienvenue.

    Idem pour Liz santoro et Gilles Polet,  en un duo qui part d'un balancement lent pour aller crescendo, corps ondulant et regards fixes, et se poursuit sur un rythme déglingué à tenter de se faire tomber l'un l'autre....Mais je regarde et à chaque nouvelle proposition la question de la classification continue à me parasiter. C'est assez obligé, de la manière spécifique dont a été annoncée la soirée. Si on me demande ce qui caractérise une performance, je ne saurais pas l'expliquer rigoureusement. Les définitions, je les laisse à mes amis universitaires distingués. Ou à tout volontaire plus bas en commentaire. Cependant je pense pouvoir plus ou moins reconnaitre ce qu'est une performance, ou non. Quand Gaël Depauw fait maquiller son corps nu en huis clos par un spectateur à la fois, c'est de la performance. Quand Eléonore Didier danse deux heures (nue ou pas) pour un spectateur unique, c'est de la danse, je crois. Même si beaucoup s'appliquent encore à lui expliquer qu'elle fait des performances.

    Puis, comme par intrusion, un jeune homme se tord et chancèle, torse nu, bouche baillonnée, mains comme ensanglantées. Il tombe, éperdument. Sur son corps le rouge se répand, on entend des bruits de manifestation, de colère, de coups de feu, il s'obstine à se relever. Un appel à la prière et des sons de tambours: il tourne sur lui-même à l'infini, arrache son bâillon et crie "liberté". Afshin Ghaffarian, torturé là- bas et réfugié ici, vient d'Iran où il lui est interdit de danser. Une performance, je ne sais pas. C'est vie, la vraie.  

     

    Guy

    C'était la soirée Focus NY d'avalanche sur Pompéi d'Artdanthé, avec "twenty looks or Paris is burning at the Judson Church(s)" de Trajal Harrell dramaturgé par Gérard Mayen, Study N°1 (light), (kris kross) & (action) de Milka Djordjevich, En Dash de Liz Santoro & Gilles Polet, et Afshin Ghaffarian.

  • Feydeau, panique

    Trop crevante la Môme Crevette, et toujours increvable le Feydeau, encore aujourd'hui à la rescousse des billetteries. Bien plus fort que la recession, valeur refuge dans l'économie de la scène. Pour paradoxalement y représenter paroxysmes, crises, et déreglements. Comme par catharsis? Ici le trou noir né d'une soirée trop arrosée dans la vie paisible du bourgeois Petypon, susceptible par inflation d'emporter l'univers entier.

    LA DAME2©B.Enguérand.jpg

    Dans le lit de Petypon le lendemain matin de migraine la môme crevette- danseuse au moulin rouge- matérialisation de désirs refoulés ou témoignage invavouable d'une autre vie qui aurait du rester cachée. Le bordel fait irruption au foyer...rien ne va plus. Sous les quiproquos c'est la réalité qui pans aprés pans s'altère. Les voiles qui font le décor se retournent pour ne plus rien cacher, les portes suspendues à de fragiles conventions s'envolent et les limites n'en finissent plus de s'effacer. Rien ne tient en place. Difficille de contenir chacun dans son espace réservé: la domestique à l'office, La môme dans le lit, les visiteurs au salon, le vieil oncle en Afrique... Petypon aux abois tente de gagner quelques minutes en pétrifiant les protagonistes sur un fauteuil extatique reduit à sa plus simple expression. Peine perdue: on ne ralenti pas l'entropie. Le langage n'arrange rien, embrouille: "les parôles ne signifient rien, c'est l'intonation qui fait le sens". La Môme Crévette-d'un naturel inaltérable- fait irruption dans ce monde bien reglé comme un élement perturbant que chacun choisit de voir comme il l'entend: ange venu du ciel, bonne nièce, femme honnête, élégante parisienne ou putain... Son langage leste et ses gestes osés donnent le la aux rombières de province, qui avalent tout et de concert remuent de la croupe et des seins par mimétisme parisien. Ou écoutent religieusement cinquante manières imagées de dire comment on se fait plaisir. C'est alors le paroxysme, tout cul par dessus tête, durant cette fête de sous-prefecture soudain onirique, où notables, dames, militaires et curé dansent en arrière fond une bacchanalle libératrice. Sydavier pousse cet exercice de metaboulevard jusqu'à ses limites, drôle et distancié à la fois. Le désordre est parfait, les comédiens "épatants" investissent dans le désordre et jusque dans la salle le cadre si précieux et surchargé de l'Odéon. Entre deux spectateurs, comme par contagion, une breve altercation. Aprés l'orgie, le dernier acte prend des allures de gueule de bois. Pas de salut possible sinon par une résolution bien factice, jusqu'au bout Mr Petypon aussi secoué que l'intrigue, Mme Petypon aveugle et pathétique, réfugiée dans la religion. Pas de fin possible, ni de retablissement de l'ordre sauf dans l'épuisement. 

    C'était La Dame de chez Maxim de GEORGES FEYDEAU
    mise en scène JEAN-FRANCOIS SIVADIER, collaboration artistique : Nicolas Bouchaud, Véronique Timsit, Nadia Vonderheyden
    scénographie : Daniel Jeanneteau, Jean-François Sivadier, Christian Tirole, lumière : Philippe Berthomé assisté de Jean-Jacques Beaudouin, costumes : Virginie Gervaise, décor : Amélia Holland, maquillage, perruques : Arnaud Ventura, son : Cédric Alaïs, Jean-Louis Imbert, chant : Pierre-Michel Sivadier, travail sensible : Vincent Rouche et Anne , assistante à la mise en scène : Véronique Timsit, régisseur général : Dominique Brillault, avec Nicolas Bouchaud, Cécile Bouillot, Stephen Butel, Raoul Fernandez, Corinne Fischer, Norah Krief, Nicolas Lê Quang, Catherine Morlot, Gilles Privat, Anne de Queiroz, Nadia Vonderheyden, Rachid Zanouda et Jean-Jacques Beaudouin, Christian Tirole.

    A l'Odéon, jusqu'au 25 juin.

    Guy

    Photo par Brigitte Enguérand avec l'aimable autorisation du théatre de l'Odéon

    Prochain Feydeau: Le Didon à L'étoile du nord! 

  • Marcela Levi: Pour ou contre In-Organic

    Marcela Levi crédit Claudia Garcia.jpg

    Contre

    C’est de la danse contemporaine, c’est aussi une conférence, presque. A la place des mots: des poses, et des objets chargés de signification. Voire saturés. Marcela Levi met à contribution les signes masculins et féminins. A commencer par sa propre nudité, et des talons aiguilles, des barrettes à cheveux, un interminable collier de perles qui s’enroule en robe avant de se transformer en lasso. Et face mâle, une virile tête de taureau, bien lourde à porter, mise en mouvements par coups de reins vigoureux.

    D’une certaine manière, Macela Levi se place en dehors de sa propre performance. Abuse des effets de lenteur et de répétition pour mieux la démonter. Et dénoncer ainsi toute la violence sociale qui au Brésil est associée aux rôles sexuels, le discours aidant: «He likes it, she likes it, and that how it is ». Le discours se fait féministe et militant. Evident. Il se trouve que c’est la journée mondiale contre les violences faites aux femmes, on se sentirait coupable de ne pas acquiescer.

    Il n’empêche. Si c’est de la danse, celle-ci manque de force et de générosité. Si c’est une leçon de sociologie, celle-ci manque de subtilité. Trop appuyée et laborieuse. La lenteur souligne les actions, sans pour autant plus les éclairer. Quasi- minéralisées. Il est symptomatique que l’on puisse, ainsi que Jérôme le fait, raconter à peu prés tout ce qui est donné à voir. Mais tout est dit quand tout est montré, imaginaire bloqué. Pour surtout mettre en évidence les pièges d’une danse contemporaine où toute danse est évacuée, au profit de situations imposées, de messages univoques, symbôles trop dévoilés. Il se trouve que c’est aussi aujourd’hui le centenaire de Claude Levi Strauss, c’est d’une pensée, complexe, puissante, ouverte, dont nous avons besoin.
    .
    Pour
    In-organic. Il bien est entendu, et le trait d'union l'assure, qu'il n'est pas question d'inorganique. Car il n'y a rien de minéral là-dedans. Il s'agit de ce qui est organique au dedans, je dirais viscéral.
    Marcela Levi, ce frêle petit bout de femme nue, à peine plus haut sur ses talons presque aiguille, produit en solo des miniatures, des petits bijoux de précision. Chez elle toujours les mêmes quatre couleurs : blanc, rouge, noir, peau. On se doute que Marcela Levi n'est pas une fille facile. Elle tisse et défait dextrement les symboles. Un filet de colliers de perles raboutés d'un coup devient fil, comme un jet séminal ; s'enroule en corset puis, dévalant ses courbes d'une caresse, vient enserrer ses chevilles comme un lasso séquestre une vache. Des épingles à cheveux peuvent aussi figer une bouche. Ce qu'il y a de viscéral en Marcela Levi, c'est sans doute son énergie mâle, le désir de cette énergie, d'allier force mentale féminine et force physique masculine.
    Elle aime affronter le public qu'elle regarde (ou couvre) avec une placide assurance. Comme symbole de son désir et de sa force, une tête de taureau qu'elle porte à bouts de bras comme un trophée, ou contre ses reins aux va-et-vient vigoureux pour mieux la posséder tout en possédant les autres. Nue ou soudain rhabillée - comme domestiquée -, génisse et taureau, dominatrice et dominée, elle-même trophée quand son profil se fige, bouche ouverte, elle admet et affronte les fatalités de son espèce, violentes et ancestrales. Car elle raconte aussi des histoires. L'histoire des vachers machos du village d'à-côté, ou quelque chose comme cela ; d'une belle voix brésilienne si caressante, comme un baume sur la dureté de son pays. L'histoire aussi d'un photojournaliste qui fait carrière sur la misère du monde. "C'est ainsi, il aime ça, elle aime ça. Yeah !" Ce leitmotiv rêveur, répété avec un petit sourire entendu et satisfait, presque gourmand, alterne avec un refrain bruyant, de sabat, d'obscène obsessionnel par sa mécanique.
    L'exact objet de la démonstration nous échappe, mais on comprend tout de suite de quoi Marcela parle. Mettant à profit la sensualité de son corps pour mieux subvertir les représentations machistes, elle emploie un procédé classique de la performance féministe. Pour autant, son féminisme est d'aujourd'hui ; il n'est plus question de seulement présenter l'homme comme un bourreau et la femme comme une victime. Entre domination et séduction, acceptation et révolte, Marcela Levi sème le trouble et produit de ce fait, sans doute, la performance la plus érotique des Inaccoutumés.

    C'était In- Organic de Marcela Levi, à la Ménagerie de Verre.
    Photographie par Claudia Garcia, avec l'aimable autorisation de la Ménagerie de Verre

     Lire ausi Paris Art et les coupures de presses sur le site de Marcela Levi

  • Corps d'amateurs

    Si pour un amateur monter sur scène est un défi, y aller à poil, est-ce ajouter à la difficulté ou un moyen de se libérer? Les performeurs d’un soir rassemblés par Enna Chaton sont nus, la photographe n’est pas en reste, et il fait tellement chaud qu’il s’en faut de peu que les spectateurs eux aussi se jettent à l’eau. Mais ils restent sagement à observer, de plain pied, ces beaux tableaux vivants avec accessoires de cartons, plutôt naïfs, ironiques et bon enfant, construits de corps des deux genres en leur désarmante vérité, jeunes ou vieux, minces ou gros, fins ou musclés. Tous fiers et affirmés. La nudité est démystifiée. Chacun des spectateurs doit être consolé de ne pas se sentir soi-même un top model.  Et à la sortie on spécule pour savoir dans quelles conditions l’on consentirait de même à se dévoiler. 

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    Le corps de Corinne Dadat, 50 ans, femme de ménage, est moins performant selon les critères du spectacle vivant- tests objectifs de souplesse à l’appui- que celui de la danseuse Elodie Guézou. Mme Dadat le reconnait volontiers, mais juge son propre métier plus utile, bien que personne ne l’applaudisse quand elle nettoie les chiottes. Charmée par le lac des cygnes, elle esquisse ce soir quelques pas, d’une beauté soudaine. Qu’en est-il des gestes de son travail quotidien, pourquoi et comment les montrer sur scène? Les deux femmes s’y emploient ensemble : Corinne joue du seau d’eau et du Kärcher, Elodie s’engage de tout son corps, devient à terre serpillère humaine. La belle rencontre se fait, sans s’affadir de bons sentiments.

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    I feel Awkwad (Je me sens maladroit(e)) d’Enna Chatton et Corps de Ballet de Mohamed El Khatib, vu le 11 octobre à la Loge dans le cadre du festival Zoa.

    Guy

     

     

    Photos d'Enna Chaton et de Marion Poussier avec l’aimable autorisation de Zoa.

    Enna Chaton présente une autre performance, son nombre est rose, au festival Frasq le samedi 19 octobre (Générateur de Gentilly)

  • Sans Dieu ni Maitre

    On ecoute: on est surpris.

    medium_mort.jpgEt l'on doute. Est-ce vraiment Montherlant qui est l'auteur de ce "Don Juan"? Ou alors un Montherlant qui aurait renoncé à sa manière, à ce style brillant, trés entre-deux-guerres. Pour s'aventurer du coté de la dérision, de l'ellipse, du second degré, de l'urgence. Pour sonner très contemporain, soudain.

    On est surpris, on est pas déçu. On avait écrit icique Montherlant ne savait pas faire rire. On se trompait. C'est un jeu de massacre, très méchant. Montherlant prend le mythe à contre-pied, tire sur la statue du commandeur à boulets rouges, secoue la thématique en tous sens. Pourtant on se se refait pas: Montherlant et Don Juan étaient fait pour se rencontrer. Le thème central reste la foi, et donc son absence, sa négation plutôt, l'instant terrible où l'on blasphème mais pourtant rien ne se passe. Ni foudre ni tremblement de terre. Juste libération ou désolation.

    Ne reste à Don Juan qu'à se livrer à une course effrénée de conquêtes, pour habiter le présent et nier le néant.

    Dom Juan éructe donc, cours, tombe, rie, sue, s'enivre- Le "Baal" de Brechta trouvé un sérieux concurrent, un peu plus propre sur lui quand même- insulte le ciel en vain. Et il ne se trouve pas un personnage pour lui apporter la contradiction, la statue du commandeur n'est que l'effet d'une plaisanterie douteuse. Comme si Montherlant avait enfin cessé de faire semblant de croire en Dieu.

    C'est "La Mort qui fait le trottoir (Don juan)" m.e.s. par Sylvain Ledda, toujours jusqu'à fin décembre, toujours au T.N.O.

    Guy

  • Hell: et l'enfer dans tout ça?

    C'est assez branché pour être programmé au Théâtre de la Ville, assez consensuel pour ne pas en faire fuir plus d'une vingtaine de spectateurs, assez malin pour faire applaudir tous les autres à plusieurs reprises en cours de spectacle, assez gonflé pour commencer avant que ces spectateurs ne soient installés, assez italo-néerlandais pour devenir tout à fait parisien, assez énigmatique pour faire intelligent, assez intelligent pour qu'on ne puisse plus en douter, assez sérieux pour s'attirer les éloges de Rosita Boisseau, assez riche en genres musicaux différents pour vous réveiller toutes les dix minutes, assez court de toute façon pour éviter que l'on s'endorme, assez long pour ne pas sembler fumiste, assez virtuose pour contraindre à l'admiration, assez varié dans son déroulement pour ne pas lasser, assez érudit pour ravir les connaisseurs, assez riche en terme de vocabulaire chorégraphique pour intéresser même les profanes, assez déshabillé pour émoustiller les spectateurs de toutes préférences, assez rusé pour surprendre, assez doté en danseurs, en effets sonores et visuels, en budget pour qu'on en ait pour son argent, assez travaillé pour mériter le respect, assez sombre pour paraître profond, assez drôle et second degré pour qu'il soit moralement permis de se détendre.

    Un professionnalisme digne de Broadway au service de la danse contemporaine, tel semble être le concept mis en oeuvre par Emio Greco. Le secret du succès. 

    D'où vient alors, qu'on se dit qu'assez, c'est trop ou trop peu, qu'on n'est pas totalement satisfait ? Qu'on aurait presque préféré, un peu d'imperfection? Est ce parce qu'on est jamais content, comme un enfant gâté ?

    Mais au fait, ça parlait de quoi?

    C'est Hell  , d'Emio Greco et Pieter C. Scholten, au Théâtre de la ville, ce soir encore.

    Guy

    P.S. Le regard d'images de danse, ici

  • Le retour du fils de version clip 3

    Version Clip Episode 3: on continue 

    Patricia Novoanous emmène dans les amériques latines, mais par des chemins où l'on s'égare un peu. On la retrouve medium_C_line_Ang_le_1_.JPGheureusement en pleine Tempête, pour un grand moment de transe, au coeur de la forêt. Rouge est la couleur pour Céline Angèle, dans le Coeur d'une Rose, le rouge d'une tension d'abord intensément contenue, jusqu'à une explosion maîtrisée et saisissante. Juste dommage que la parole casse un peu l'effet. Marlène Myrtil fait avec Assentimentla belle demonstration qu'on peut danser tout en restant perchée sur un tabouret. Et même s'en envoler.

    Maiko Shirakawa, avec Omokage, joue avec nos nerfs au rythme lent et obsédant d'un métronome. Et contre toute attente finit par gagner. On perd un peu Shririn Laghai en route. Chie Okamoto -be here now- nous inflige quant à elle le supplice de la goutte d'eau. Mais pour soudain se transformer en créature rock, fardée et dénudée, et use d'arguments medium_arton135.jpgtout à fait déloyaux. Le solo de Gohei Zaitsu, revu à une semaine d'intervalle, ne perd rien de son impact. Laurence Pages danse à nouveau elle aussi... mais la salle de ce mardi ci, plus enjouée que celle du mardi précédent, réagit au comique des onomatopées que son souffle produit: l'ambiance de la pièce s'en retrouve changé. La Cie Pêchemoderecycle avec un humour distancié le vieux thème du strip tease à épisodes, inachevé comme il se doit.

    C'était Version Clip #3, après Version Clip #1 et version Clip #2 dans le cadre du festival Dance Box 07, à l'Espace Culturel Bertin Poirée.

    Guy

    photo de Celine Angèle par Bruno Salvador et une photo anonyme de Laurence Pages, trouvée sur le site de Mains d'Oeuvres où elle danse fin avril

  • Celles qu'on prend dans ses bras - et les autres

    medium_sp_9977_p.jpgOn écoute Montherlant, et on se sent bientôt plus intelligent. Extrêmement cynique aussi.

    Campés aux trois cotés de ce triangle amoureux: un séducteur vieillissant, une oie blanche sotte et ravissante, une vieille fille sensible et intelligente. Devinez la suite, et laquelle est aimée...

    Aucune banalité pourtant, tant le ton est féroce, le texte dur et brillant. On échappe au genre, comme écrit par un Guitry aigri. Le "dans les bras" qui conclu le titre apparaît comme une pure concession à la censure et aux conventions: lorsque l'on rentre dans le vif du sujet les enjeux sont situés bien plus clairement. De la crudité donc, mais jamais de vulgarité ni de facilités: nous nous situons dans un univers dramatique tout à fait suranné où la subtilité est de mise dans les rapports amoureux, où chasteté et débauche constituent de véritables enjeux, où vaincre sans avoir à combattre ne satisferait pas. On pense beaucoup, on parle, on analyse, on s'interroge longuement sur la nature de l'amour. Et on couche après seulement. Cela prend ainsi toute la pièce, de décider de se laisser prendre, ou pas.

    L'auteur a souvent été qualifié de misogyne, ce qui n'était pas innocent. Mais c'est ici plutôt de misanthropie dont il s'agit. On sera juste moitié aussi cruel que lui: Coralie Bonnemaiso, qui incarne la malheureuse confidente, domine de très haut ses deux partenaires-pourtant loin d'être mauvais. Et l'on tombe tant sous son charme, que l'on s'étonne en fin de compte que dans la pièce son personnage soit délaissé.

    Étrange, involontaire renversement. C'est très injuste, comme tout le reste également.  

    C'est toujours au TNO, évidemment.

  • Couples en 3 D

    Les histoires d’amour finissent mal, à ce qu’il parait. Ce baiser entre deux femmes durerait alors pour toujours, dans le temps de la pièce. Je pense à Cary Grant et Ingrid Bergman, amants si ardents dans Notorius d’Alfred Hitchcock, pour ce possible plus long baiser de l’histoire du cinéma, mais entrecoupé de pauses et murmures, pour déjouer les règles d’alors. Ce soir pas de censure, seule la conscience du risque, la peur de tout rompre, par la séparation. Elles restent donc attachées aux lèvres l’une de l’autre,  comme à l’écran bougent pourtant, traversent la scène, s’allongent, se retournent. Unies mais empêchées, bloquées à ce stade de l’intimité, sans pouvoir ou vouloir aller plus loin, tout changement interdit.

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    Un autre couple joue dans le même temps à la manière de grands enfants d’une abondante matière molle et fluo, pâte à modeler instable et protéiforme, pour masques, projectiles et divers objets. Ils en construisent une yellow brick road qui ne mène à rien (ou est ce une barrière aux couleurs de La Loge?). Ils triturent et jubilent, déstructurent et remettent en ordre.

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    Le troisième couple est gardé à distance, silhouettes piégées dans le temps clos de la vidéo, muettes comme du temps du cinéma d’avant, au bord du burlesque. Notre camera ne bouge pas. Tout est écrit et cadré d’avance de la rencontre à la séparation, en passant par le lit, les jeux, les baffes et les gnons. Trois actions simultanées, l’ironie, le temps qui passe si bizarrement et que fait-on de tout cela?  On se laisse surprendre par l’imprévu, on suit le fil, on imagine et on se refait le film la saison reprend…

    C’était la création de Le risque zéro n’existe pas par Muriel  Bourdeau à La Loge dans le cadre du festival ZOA créé par Sabrina Weldman.

    Guy

    Lire ici Autoportrait de Muriel Bourdeau.

    Le jeune festival ZOA continue cette semaine à la Loge, avec Joël Hubaut & Léa le Bricomte, Gurshad Shaheman, Yalda Younes et Gaspard Delanoë.

    Photos avec l'aimable autorisation de Muriel Bourdeau