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Rechercher : faits d'hivers

  • A court de forme 1-1 : Qui a peur de Sylvia Plath ?

    A Court de Forme: c'est lancé, avec 4 essais cette semaine, en enchaînement ponctué par les complaintes post-réalistes du moony band....

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    Pour jouer le jeu, c'est en moins de vingt lignes qu'il faut rendre compte de la première de ces propositions de 20 minutes. Le temps juste que la pièce capte et fruste, et bien peu pour raconter la vie-même courte- d'un poète...Qui connaît Sylvia Plath? Donc pas de temps à perdre, pas de décor superflu. Le personnage, femme encore-est elle déja poétesse-, attaque le spectateur d'emblée à voix brute et d'un regard intense, d'abord se cherche. Pour le reste: juste un pardessus qui évoque le père perdu. La mère est présente, attentive et inaccessible. On en vient vite à la colère et la souffrance, passé un moment de répit amoureux, déjà condamné, d'une sensualité elliptique. Avant scène de ménage et tromperies. La révélation de la poésie nous est faite sur le tard: alors l'actrice danse les mots de Plath avec justesse. On est au coeur du sujet et du texte, fasciné, en conclusion d'un exposé qui reste sobre et direct. La douleur est placée en exergue mais le pathos est évité. Pour autant, ne peut y avoir que des poètes maudits? Et c'est déjà fini, un désir est né.

    C'était Une Ombre familière d'après l'œuvre de Sylvia Plath, mise en scène Suzanne Marrot / avec Raphaël Bascoul-Gauthier, Sylvie Feit, Sarah Siré/ lumière : Anne Vaglio. A l'Etoile du Nord, avec A court de Forme.

    Guy

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    photo de Nicolas Grandi avec l'aimable autorisation du théatre de l'Etoile du Nord

  • Haïm Adri, une Danse à Entendre

    Ici la danse est méchante, décousue en apparences, c'est la musique qui fait tenir ensemble tous ses morceaux. Une musique si étonnante-aux couleurs si concrètes-, qu'on croirait pouvoir la toucher: grattements et grincements, roulements de tambour, confusion de papier-journaux froissés, glissando de contrebasse, discours inintelligibles et éructés, chants patriotiques jusqu'à l'insoutenable, claquettes et a-capella de rythm's & blues, claquement du mêtre-mesureur, rythmes folkloriques, gloussements et déglutitions qui dégénèrent en cris d'animaux.

    Cela pourrait être le sujet de la pièce: d'inévitables décadences qui détruisent individus et troupeau, jusqu'à une conclusion portée au paroxysme du pessimisme: fleurs foulées sans jamais avoir été offertes et ballons blancs que l'on fait éclater avant la fête, bouteilles vides projetées par une catapulte pour couvrir la scène de déchets: civilisation en phase finale. Il y beaucoup de talent dans cette froide entreprise de saccage. Une rare violence à l'oeuvre, impitoyable et clandestine. Auparavant l'existence du groupe aurait été de bien courte durée, du heurt des couples jusqu'à une communion de tous ensembles sur un mode folklorique grinçant, comme une codification des nevroses. Le lien reste tissé un instant, mais pour le pire peut-être, pour des hurlements patriotiques. Bien évidemment, la danse est tendue, dense et oppressante, comme des corps les expulsions de tics et pulsions opprimées, ou des exercices égocentriques jusqu'à la démence. Ici la noirceur se supporte, et plus encore, tant elle est intelligement dosée.

    C'était Fronts de Haïm Adri - compagnie Sisyphe Heureux, avec des sons de Benoit Gazzal.

    A Gare Au Théatre, encore dimanche avec le festival "Nous n'irons pas à Avignon".

    Guy

  • Ecole des arts du cirque: La Part des Rêves

    Au sol rôdent des félines toutes griffes dehors, qui jouent à faire peur sous les éclairs de néons. Il y a sept filles, deux garçons, donc ces derniers objets de sourdes convoitises. Et des duos amoureux, des disputes, des courses, des jeux de quatre coins, des réconciliations. Mais l'essentiel se joue en soli, dans les échappées verticales. Chacun à son tour a droit à son moment d'ascension.

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    L'acrobatie est alors la danse faite impossible. Sans emphase ni dramatisation, tout en fluidité et révêrie, cette succession d'évasions réussit à ne presque jamais lasser. Ambiances: les rêves se balancent aux échos d'un soprano, deux flutistes charment des femmes-cordes: une évocation elliptique d'Indes exotiques. Legers, legers comme l'imaginaire, les bras tendus font lignes avec le fil, l'équilibre prend des apparences désinvoltes de facilité. La verticalité est libérée. Enivrée par les accords d'une guitare poisseuse, une vamp en guépière et manteau fait se dresser droit un mat chinois. Au son de carrillons de minuit des désirs inexprimés flottent entre deux airs, entravés de cordes, et se laissent retomber, comme par abandons. Vu par ceux qui, lampe au poing, veillent d'en bas: des fantômes. Au sol une femme en robe de dentelle regarde et danse avec une feinte maladresse. C'est un vilain petit canard qui fait le lien entre nous et eux.

    Qui font leurs preuves, comme pour une épreuve d'initation, se rassemblent enfin pour le grand saut. Et assemblent une machinale infernale pour être projetés à travers le portail, vers le rêve ou la vie.

    C'était La Part du Loup, mis en piste et chorégraphié par Fatou Traoré avec les étudiants de la 19e promotion de l’Ecole nationale supérieure des arts du cirque (Ensac), à l'espace chapiteaux du parc de la Villette. Avec Paris Quartier d'été.

    Jusqu'au 16 Aout.

    Guy

    photo par Nicolas Guichard avec l'aimable autorisation de Paris quartier d'été

  • Juju Alishina: une vie de chien

    Beaucoup s'épuisent et se dispersent à vouloir pluridisciplinariser à tout prix. C'est déjà en soi remarquable que Juju Alishina, en utilisant des techniques de buto, de théâtre, de danse, nous propose quelque chose qui se tient. Pour plus d'une heure durant, avec un début, un milieu, une fin. L'argument est consciencieusement expliqué sur la feuille de salle: une fable politique, mais sans morale univoque, situé dans un espace-temps utopique et indéterminé. Où l'on voit un groupe engagé politiquement se réfugier dans la clandestinité. Ce récit reste obscur, ce qui n'est pas plus mal. Les personnages réservent leur souffle pour des tirades idéologiques d'un délicieux démodé (que cet effet fascinant soit volontaire ou non, il importe peu). Les rapports qui lient les personnages s'exposent eux plutôt à force de danse et de mine, ce qui les transporte depuis la raideur de l'utopie vers les plans de la corporalité et de la sexualité, tant mieux. Sur un mode talentueusement expressif et ambigu, surtout quand le chien est concerné.

    Car Juju Alishina joue le chien. Joue plutôt le rôle d'une femme esclave éduquée par le groupe comme une chienne. Ce qui pose un problème de représentation. Quant la danseuse se retourne sur le dos les quatre pattes en l'air, fait-elle du buto? Ou imite-t-elle un chien? Ou fait elle les deux ? On ne sait pas, sauf qu'on tend à rester dans le registre de l'imitation, ce qui, dans toute la pluridisciplinarité mise en oeuvre ici, est tout de même le moins intéressant. En concours avec la musique seventies, d'un mauvais goût effrayant. Surtout il manque ici au final un peu de nervosité, d'enjeu, pour dépasser le niveau d'un brillant exercice de style. Heureusement, comme dans Dogville, tout le monde meurt à la fin.

    C'était Dog rules de Juju Alishina_compagnie Nuba,  à l'espace culturel Bertin Poirée.

    Guy

  • De Tokyo à Paris

    Au rythme de ce soir je ne pourrai bientôt plus m'étonner de rien. Tout m'est délicieusement incongru.
    L'affiche est bariolée, surchargée de beaucoup de noms pour moi tous inconnus. Le festival entier est importé du pays 18010344_1384526504920175_2549349666346440660_n.jpgdu soleil levant, mais plonge coté obscur de l'underground. Attaque brute ce soir: le saxophoniste éructe free tandis qu'un couple se livre à une démonstration savante de Kinbaku. La femme s'élève encordée sur la musique groupe de jazz Cosmos report (allusion à Weather Report? Peut être dans son incarnation la plus sauvage). Et les propositions se suivent, variées, en sets de vingt minutes qui évitent de lasser. Jamais de ma vie je n'avais écouté du glam-punk japonais. Avec Sister Paul, ça c'est fait.18057678_1384524868253672_5998410155620722714_n.jpg Comme dans tous les duos électriques qui suivent, la batterie cogne binaire, avec une énergie revigorante et les amplis saturent. The Tug aussi décape les oreilles en structures basiques, Reiko Nagayama les apaise avec des accents folks, avant que Kokkei no door ne remette des décibels. je suis évidemment frustré de tout ce qui m'échappe, en néophyte, de ces expressions de (contre)culture, amusé de reconnaitre les avatars des courants musicaux anglo-saxon, du folk au rock, avec chaque fois une couche en plus. Est-ce un contresens de croire que ce plus est fait en grande partie d'extravagance, de fantaisie, de second degré? Mais 18336995_10210561621415227_1305883010_n.jpglorsque, sur la musique de Kuri, glissent des danseuses vêtues des peintures de Ibuki Kuramochi, pas besoin de traduction.
     
    C'est une soirée du festival Paint Your Teeth in Paris #2 (Festival japonais alternatif ) organisé par l'association Art Levant , le 21 avril au DOC
    il y avait cette soirée là :
    - film "precut girl" (Eric Dinkian avec Karin Shibata) + shibari (de l'école des cordes)
    - Cosmos report : free jazz + Niels Mestre (guitare élecrique) + shibari
    - Sister Paul : punk
    - Bonkichi (Reiko Nagayama) : folk personnel
    - The Tug : rock "garage"
    - Kokkei no door : hardrock "fantasy"
    - Ibuki Kuramochi + Kuri (accompagnement musical) + Léozane Wachs + Laureline Mialon (danse)

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    Guy
     
    Photos avec l'aimable autorisation de Sylvain Kodama
  • Lacher prise

    Le reproche récurrent fait à la danse contemporaine, est qu'on y comprendrait rien. Étrange procès auquel pourtant échappent la plupart des formes artistiques, musicales ou autres, tant que nos yeux et oreilles y sont habituées. Ou résignées. J'ai relu ce soir plusieurs fois la feuille de salle du Crépuscule des baby dolls. Sans rien n'y comprendre, et ça n'a aucune importance. Ni de déterminer s'il s'agit de danse. Ni de construire, ou non, une interprétation. 
    Plutôt, je me laisse surprendre par les corps à rebours de tous gestes attendus. Je me laisse happer par ces mouvements d'humeurs qui s'expriment autrement. Je me laisse enivrer par ces courses, ces étreintes, ces gestes qui fusent et tremblent. Je me laisse emporter et séduire par ces étoffes et nudités. Je me laisse enthousiasmer par cette énergie du collectif. Je me laisse explorer par toutes ces sensations. je me laisse amuser par les clins d'œils et les refrains. Je me laisse persuader que tout est possible et se déplace encore plus loin. Je me laisse contaminer par cette transe créative, ludique, chaotique exigeante pourtant. Pour finir, je me laisse prendre par la main pour danser.
     

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    Le crépuscule des baby dolls, du Corps Collectif , chorégraphié par Nadia Vadori-Gauthier vu à Mains d'Oeuvres le 14 septembre 2017
     
    Guy
     
    photo par Dominique Sécher avec l'aimable autorisation du corps collectif
     
    PS communiqué de Mains d’œuvres
     
    Comme vous le savez, le bail de Mains d’Œuvres avec la Ville de Saint-Ouen arrivera à son terme le 31 décembre 2017. Depuis plusieurs mois, nous avons proposé un dialogue constructif à la Mairie de Saint-Ouen, pour que Mains d’Œuvres poursuive ses activités auprès des artistes-résidents, des habitants, des associations, des partenaires sociaux-éducatifs dans ses locaux actuels. Nous avons proposé des solutions y compris pour le conservatoire que la Mairie veut installer en lieu et place de Mains d’Œuvres. Sans succès(...)
  • Une main

    Où qu'elles finissent, où qu'elles tendent, rapides ou lentes, ces danses dites buto commencent au sol. Comme si elles trouvaient leurs origines de plus profond encore. Danses de l'inconscient, peut-être, tant on y perd pied: et c'est une qualité de susciter de tels moments particuliers, l'attention alors se relâche et flotte, dans un autre état de conscience. Les corps se redressent vers leurs devenirs et on perd le compte des mouvements, entouré par la musique acousmatique diffusée partout autour de nous,. Une musique dont on ne peut, en l'écoutant, visualiser quelque instrument que ce soit: une autre façon de renoncer à ses repères.
    Michel Titin- Schnaider permet ces rencontres, organise ces association libres par ce festival depuis 6 ans, elle font sens et beauté.
    Ce soir, deux courtes pièces nous emmènent loin, avant d'assister avec le "son d'une main" à une plus longue éclosion.
    Nous sommes séparé de la scène par un voile de gaze, comme pour préserver une intimité, protéger l’Interprète ou nous protéger de la force de ce qui va se jouer. D'abord immobile, une forme ensommeillée, en une métaphore des états d'attentes qui durant de long mois nous ont contraints. Le retour à la vie dans un imaginaire rose cocon , dans une robe nuptiale, laisse tout le temps qu'il faut au corps de s'inventer, de se considérer, à une main se dresser, et la musique dissout ce temps. Une lueur rouge, jaillit du plus profond, intense.

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    Plus tard, à un moment, maintenant elle est débout. Elle vient. Elle me tend sa main , vers mon visage. Tout prés, lentement. Entre nous la gaze se tend. Ce quatrième mur est comme fragile et organique, convergent. Je ne sais si ce mouvement est doux ou inquiétant, je le le ressens, fascinant. Je suis pétrifié, consentant. La rencontre s'est faite.
     
    En Chair et en son, édition 6, le 23 octobre, avec The waste Land de France Attigui (danse) et Luca Forcucci (musiqie) , Diptyque N°3 de Diana Bratu (danse) et Michel-Schnaider (musique) , Slow time Low Freqs ou le son d'une main de Maite Soler (danse) et Elsa Biston (musique).
     
    Guy
     
    Photographie de Fabrice Pairault, avec l'aimable autorisation du festival
     
  • Thierry Baë danse pour de vrai

    N'est ce pas trop audacieux, d'ouvrir d'emblée cette performance en annonçant l'absence de Thierry Baë qui serait resté en rade en Chine, remplacé sur scène par un amateur? Attaque quasi-suicidaire, qui pose sans préambule la question même de la possibilité du spectacle. Puisqu'on reste là à regarder, le spectacle est quand même, mais l'on plonge droit au coeur du sujet: la perte, l'incertitude, la disparition, le doute, l'inquiétude.

    Mais est ce pour de vrai audacieux? Car on connaît bien ce vieux truc de bateleur: un candide mais comparse qui soit disant remplace la vedette au pied levé, histoire de rafraîchir d'authenticité le spectacle, signifier que tout est vrai à nouveau, que tout peut arriver, et que l'artiste tout à l'heure pourra tomber pour de bon, de trés haut, sans filet. L'amateur de ce soir - Denis Robert, le journaliste de Clearstream- dés le début comme par hasard tombe en dansant. Mais prend bientôt soin de préciser que cette chute était intentionnelle, d'avance répétée. Connivence forcée, les pistes sont brouillées. On ne pourra prétendre qu'on était dupe. Pourtant... Plus tard Denis Robert de raconter que Thierry Bae et lui même, plongés en plein doute créatif, croisent sur une place un S.D.F.. Aprés s'être soulagé, le S.D.F. tombe d'un coup en arrière sur le pavé. "Tu vois: ça c'est de la danse contemporaine" s'exclame le chorégraphe. De l'art à l'état brut? En tout cas un point de départ qui s'ancre dans le réel (ou le vraisemblable?), histoire de vaincre l'angoisse de la page blanche. Et de fait, entre le pas-grand-chose et le presque-rien, quelque chose dans le spectacle finit par exister. Denis Robert, toujours de corvée, sur scène dans le rôle du S.D.F., tombera pour vraiment pour de faux. Fausse chute, et vrais faux documentaires filmés pour évoquer la genèse du projet. Des rencontres cocasses et en impasses avec Mathilde Monnier, La Ribot, etc... qui glissent habilement du vraisemblable au franchement abracadabrant. C'est que, comme dans un documentaire d'Orson Welles, le factice s'insinue et déborde pour mieux mettre à jour une vérité signifiante, l'autofiction a fini par contaminer la danse.

    Denis Robert fait fonction de doublure et commentateur à la fois, relâché à un ton second degré pas toujours de la plus grand finesse, un ton tel que peut s'autoriser un ami d'enfance du danseur (D'ailleurs, sont ils vraiment amis d'enfance, où est-ce une mystification supplémentaire?). Un biais peut-être, pour traiter de manière supportable, sans affect qui viennent nous prendre en otage, les thèmes graves qui affleurent sous le comique de situation: la maladie grave qui menace la pratique artistique et physique, voire la vie même du danseur, son arrivée à l'âge de la maturité à l'âge du jeunisme, et, tout court, la difficulté d'encore créer. De fait, à chaque rencontre filmée que fait le personnage de Thierry Baë, c'est son identité d'artiste qui est remise en question, voir niée, avec toute la gentillesse du monde. Sous le regard amical ou professionnel de l'autre, trop vieux, trop malade, trop faible, trop incertain surtout. Il faut donc bien partir à neuf pour revivre. Loin. Pour y trouver quelque chose à chercher? Très loin. Jusqu'à Taiwan par exemple.

    Le danseur escamoté, que devient la danse? La danse, raréfiée, en devient très précieuse, vraie surtout. Elle survit malgré tout, ombre d'elle même, fragile, remise en doute, fatiguée, hésitante, mais vraie, par sa volonté de vivre, malgré tout. Et...surprise!

    C'était Thierry Baë a disparu , de Thierry Baë, au Centre National de la Danse, avec le festival 100 Dessus Dessous

    Guy 

    P.S. Le Tadorne n'avait pas été convaincu par ce tour de passe-passe, c'est à relire ici

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    P.S. du samedi 28: Thierry Bae présente actuellement son journal d'inquiètude au Théatre de la Bastille, et a droit à une pleine page de l'Express cette semaine.

  • Histoires d'immeubles- Construire des histoires

    On a vu il y a quelque jours en couverture de The New Yorker cette image forte: Une infirmière avec un masque dans un couloir d’hôpital en pleine d'activité (et tout en teintes bleues), fait un signe à son mari et ses enfants, petites formes (toutes roses) sur l'écran de son portable. En un seul dessin beaucoup est dit: une humanité d'autant plus intense que la scène est simple et lisible.  Dans le quotidien une fenêtre sur intériorité du personnage, mais sans sentimentalisme. La dureté du contexte est comme apprivoisée par le dessin rond de Chris Ware, sa neutralité.
     
    Il en est de même avec la somme que constitue Building Stories. Mais là avec des milliers d'images, résultats de 10 ans de travail. Rassemblées- mais sans être ordonnées- dans ce qui ressemble à un coffret de jeu. L'objet improbable et imposant renferme 14 supports de lecture: plateau, journal, livre broché ou à dos carré... de toutes tailles. Sans mode d'emploi, ni chemin imposé: toute la liberté au hasard de plonger sans chronologie dans les épisodes de la vie ordinaire des personnages qui y sont décrits. On aime s'y perdre un peu, beaucoup, bientôt passionnément. Pour vite découvrir qu'à l'intérieur d'un même récit, d'une même image... présent, passés, futurs dialoguent. Car il est surtout question d'intériorité, de la manière dont les protagonistes songent à eux-mêmes, aux variations d'eux-mêmes au fil des périodes. Jusqu'à nous faire douter de ce qui est vrai, et de ce qui rêvé.
    Le temps se relativise. Ici des gestes quotidiens sont décomposés à l’extrême, là une seule page voit défiler toute la vie d'une femme, d’enfant à vieillard, alors qu'elle descend l'escalier. Saisissante illustration de la permanence de notre être conscient sous l'apparence des années.
     

     

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    S'impose comme le cadre de beaucoup de scènes un vieil immeuble, souvent présenté en coupe, façade ouverte, pour y dévoiler les activités de ses habitants, et la tentation est grande de comparer Building Stories de Chris Ware à la Vie Mode d'emploi de Georges Perec. Et le double sens du titre américain nous y incite. Mais au delà d'une première impression commune de foisonnement, de vertige partagé devant les ambitions des deux œuvres, il apparaît vite que les projets différent. Perec, dans un combat impossible contre un vide que jamais il ne nomme, dans une entreprise d’exhaustivité perdue d'avance, accumule une multitude de détails et fictions, avec un détachement pudique et sans jamais nous inviter à l'empathie avec les personnages.
    A l'inverse, l'exploration à laquelle se livre Chris Ware est plus verticale, concentrée sur l'humanité. Ainsi les récits privilégient l'un des personnages, une femme unijambiste, et la suivent hors de l'immeuble vers d'autres lieux de sa vie. A loupe, comme afin que d'elle plus rien ne puisse être caché: faits, corps, pensées. On pourrait alors plutôt comparer l'oeuvre à "une vie" de Maupassant.
    La profondeur de l'observation prend donc le pas sur la diversité des histoires. La subjectivité aussi sur le narrateur omniscient: il y ici à lire plus de silences que de paroles. Des gestes, lents, des pensées, des rêveries. Car tout pense chez Chris Ware, tout est vivant, sensible, tout est sujet. Les gens bien sur, mais le chat aussi, et Brandford (la meilleure abeille du monde!), peut-être les fleurs que l'on hésite à couper, même le vieil immeuble qui porte des jugements désabusés sur ses habitants.
    Ces pensées sont mélancoliques, souvent, car il s'agit de montrer la vraie vie. Celle qui est faite de petits bonheurs, d'un peu d'amour, de sexe mais surtout de pertes, de déceptions, de désamour, de solitude, de soucis financiers, de communication impossible, de projets avortés et d'illusions perdues. Et de toilettes bouchées.
    Pourtant la lecture de Building Stories inspire plus de sentiments positifs que de tristesse, comme une invitation à la résilience. Et ne lasse jamais, malgré le parti pris de s'inscrire dans le réalisme et le quotidien. Est ce format rassurant de la boite de jeu, qui parle à notre enfant intérieur? 
    Est ce dù au grand art du récit graphique que Chris Ware met en oeuvre? 
     
    A rebours de l’honnêteté et de la dureté des thèmes, l'apparente neutralité du dessin nous apaise et nous rassure: géométrie, pictogrammes, rondeurs, contours bien nets et aplats de couleur appliqués aux visages, corps, et décors. Ce style, à la limite du dessin fonctionnel, doit sans doute moins à la ligne claire qu'à l'efficacité des comic strips.
     
    Certains peuvent en ressentir de la froideur, j'y vois de la bienveillance. Surtout la complexité de la narration se combine avec la variété des procédés graphiques employés. Tout la palette est utilisé, allant des images en pleine page à des divisions en très petites cases, surtout avec des planches de compositions complexes et étonnantes. Jamais la virtuosité n'est utilisée sans but, lisible elle sert le sens. Des planches se répondent, et reprennent parfois au centre chaque fois une version différente du même personnage dont on comprend les évolutions de page en page.
     

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    La lecture est non seulement double, de la case à la perception de la page entière, mais triple, dans les correspondances d'une page à l'autre. Là des flèches, signes et pictogramme organisent d'images en images le fil des pensées et des causalités. En inventivité, les limites et les conventions de la bande dessinée sont repoussées. Un soin méticuleux est apporté aux maisons et décors, cadres de vies qui cadrent tant les vies, les déterminent. Sous nos yeux ces lieux vivent, vieillissent et meurent eux aussi.
     
    L'art graphique de Chris Ware nous montre de quelles matières, de murs et de rêves, notre vie est faite. 
     
     
    Guy -sous confinement- avril 2020
     
  • Schwab: l'amour tache

    C'est autrichien, c'est décadent: jusque là tout va bien.

    Surtout si l'auteur est Werner Schwab (1958-1994), surtout si la compagnie s'appelle "Dekadent".

    medium_sp_11724_g.jpgHistoire: La putain rencontre l'employé, qui rencontre la coiffeuse, qui rencontre le propriétaire, qui rencontre la secrétaire, qui rencontre le poète, qui rencontre la comédienne, qui rencontre le député, qui rencontre la putain, pour que la ronde soit bouclée. Rencontres au sens sexuel du terme.

    On a reconnu la Ronde de Schnitzler, que Max Olphusporta autrefois à l'écran. Mais ici réadaptée en radicale opposition. déclinée en un inventaire jusqu'à l'écoeurement des rapprochements physiques et sentimentaux, la déclinaison déniaisée des hypocrisies amoureuses, crues et poisseuses, entre des personnages figées dans des postures inconfortables et obligées par les rapports sociaux. 

    L'original de Schnitzler était trouble et cruel, mais d'une subversion si subtile qu'elle pouvait passer pour un acquiescement complice, presque bon enfant. La version Schwab grince de révolte devant tout l'insupportable mis à nu. Pas de pitié pour la laideur de l'amour, qui toujours s'achète et qui se vend, pour les sentiments forcement nauséeux-le poète égocentrique est pire à tout prendre que le propriétaire libidineux-, nulle tolérance comme celle vis à vis des maisons du même nom.

    C'est monté et montré trash-difficile de faire autrement!- mais plutôt gentiment à tout prendre. La langue enfle et s'écoule, pâteuse, parodique et maniérée, manière de mettre en lumière l'absurdité de ce qui est dit et la violence de ce qui est fait. et les rapports de toutes natures. Ceux-ci représentés en allégories drôles et surprenantes, avec des idées et de l'intelligence- mention spéciale pour l'usage systématique dont la coiffeuse fait en second plan du savon à raser.

    C'est d'autant plus dommage que l'ensemble manque un peu de recul, de budget, de maturité, de cohésion, de décors, de lumières, en un mot de mise en scène, pour exister au delà de la suite de numéros d'acteurs. Dommage que cela manque peut-être d'audace encore, comme arrêtée au milieu de l'effort.

    C'est La Ravissante Ronde d'après la Ronde du Ravissant Monsieur Arthur Schnitzler, au théâtre de Nesle, jusqu'à la fin de l'année.

    Guy