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danse - Page 13

  • Où suis je?

    Leïla Gaudin, plus ou moins debout sur une table, en position incertaine. Nous sommes assis, autour elle, dans le restaurant de Mains d’œuvres. La bière est offerte. Leïla Gaudin n’est pas la première, loin de là, à tenter l’évasion hors de la scène, l’intrusion dans un espace quotidien. Mais sa situation ce soir semble particulièrement indéterminée, en suspend. On la voit. D’où la comprendre? La précédente pièce- Cette heure du matin - mettait en scène des incidents du quotidien, mais dans un cadre scénique conventionnel. Dont elle s’extrait ici. Sur sa table, elle bredouille, titube. En effet, il y a un sujet. Le portrait cru d’une ivrogne, qu’on imagine sans abri, qui vagabonde sans but ni foyer. S’agit-il de nous inviter à voir ceux que dans la vraie vie l’on préfère ignorer, tant ils nous dérangent, dans leur déchéance?

    Errance©PaulineMaitre.JPG

    Mais elle part autre part. S’adresse soudain à nous à un autre niveau, sur le ton froid du commentaire, souligne que par sa position de performeuse et contrairement à tout un chacun, elle peut nous montrer ses fesses sans que l’on s’en offusque. Ou nous incite à ressentir la mystérieuse présence dont le regard peut investir des objets inanimés. Rétablissant ainsi la distance d’elle à nous, et tentant abolir ce même distance l’instant d’après, de retour dans son personnage, errant dans nos rangs jusqu’à atterrir tête en avant dans la poubelle, titubant incertaine et ainsi la pièce. Grande rousse hagarde, la beauté sur le fil, ivre d’apparence, pauvrement habillée. Plus que nature. Une assistante s’empresse de délimiter par deux lignes de rubans adhésifs au sol le chemin qu’elle empruntera entre nos tables. Repères en pratique inutiles, mais si symboliques, ils dessinent un espace imaginaire et interdit. Des deux cotés. Ces limites nous protègent du contact, de l’odeur, de la saleté…  Les barrières sont rétablies, la distance survit à tout, la performeuse en fait la démonstration incertaine. Où cette pièce va-t-elle? Est-elle perdue d’avance à refuser, ou dépasser, son sujet? Quelque chose ne vient pas et s’empêche, c’est cela qui est troublant, donne envie de persister. Je ne sais pas si l’exercice est vain, ou s'il est passionnant. Peut-être faudrait qu’il dure bien plus longtemps, des heures durant, à nous lasser vraiment, ou jusqu'à ouvrir sur autre chose, trés loin…

    C'était Errance 1 de Leïla Gaudin, vu à Mains d'Oeuvres.

    Guy

    Lire aussi Jean Marie Goureau

    Photo par Pauline Maitre, avec l'aimable autorisation de Mains d'Oeuvres

  • En transe

    Au début, la rumeur est quasi imperceptible. Dans presque l’obscurité, les mouvements de la danseuse coulent, ondulent, adoucissent.

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    Le chant s’impose peu à peu au premier plan, se matérialise en boucle. Un gospel en perpétuel mouvement, déséquilibré, éclats et entêtements, des claquements de main et des exclamations, en fusion. Les discordances s’exacerbent, ne se résolvent que dans plus de tumulte encore, avec des séquences répétées jusqu’au vertige. Sur scène un corps a remplacé l’autre, lui aussi traversé par ces sensations- le vacarme du monde? - dans un balancement abandonné. Le chant plus fort que le mouvement, lui juste une conséquence, modeste, relégué dans le clair obscur. Plein volume, la musique teste nos limites. Pourquoi ne peut-on pas, ne doit-on pas, danser devant un spectacle de danse, assis, prisonniers? Chacun seul à sa place. Je regarde autour de moi les immobilités, les quant à soi, les émotions enfermées. Je pense aux Blind Boys, à Pharoah Sanders. Je ne parviens à ne libérer que mes doigts. Soit enivré, soit rétif, mais pas de milieu possible. Je dois choisir. Je suis alors emporté moi aussi. Et je rejoins en secret la transe des danseuses. Combien assis autour de moi, eux aussi? En duo maintenant, elles se laissent toujours, encore, emporter, yeux fermés, dans la même douceur pourtant mais plus vivement, une communion. Je pourrai fermer les yeux aussi. Je crois distinguer les mots « get up and dance » mais je ne bouge pas. L’illumination vient, la grâce ou un répit, il faut une fin, un abandon.

    C’était Le Temps scellé de Nacera Belaza, vu ce soir au théâtre de la Cité Internationale, jusqu’au 7 avril.

    Guy

    photo d'Antonin Pons braley avec l'aimable autorisation du théatre de la cité internationale

  • Mythique

    D’une année l’autre, sur un tel solo, le regard se déplace, se laisse surprendre. Tant le corps vu ici, si dense et lent, lui s’obstine. Depuis l’extrait vu au printemps dernier, mon attention porte moins sur l’objet, et plus sur le phénomène, s’échappe de ce qui est vu vers ce qui ne se laisse pas saisir, Eurydice

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    La proposition me semble moins érotique, plus essentielle et énigmatique. La nudité n’est pas la vérité. Rien de la danseuse ne se dérobe, tout d'elle se déforme. L’imaginaire ne peut alors se nourrir de rien de caché, sur la peau il fait réfraction, mais ainsi s’enrichit. La théâtralité revient par la lumière, qui décompose, morcèle les framents d’une potentielle identité. Modèle la succession des postures clouées à terre, trouble et nous emmène dans d’étranges territoires. Du plus organique au plus plastique. Le visage reste un masque, mais je ressens que les mouvements convergent peu à peu vers la construction d’un tout, d’une conscience de soi et du monde, avec nous dans un échange muet. Le corps accède à la verticalité. Le masque tombe, révèle l’humanité.

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    De cette sobriété, de ces points de départ, au long de ce parcours sur le fil, si fragile, chacun peut recréer de son regard. Je vois une histoire d’origines. Un corps premier qui littéralement nait de l’obscurité, au début des temps dans le fracas d’un accord fondateur, suivi d’éclairs de décharges d’énergie. .. Des transformations. Des effarements et des soubresauts, la vision blafarde d’organes reptiliens, l’évidence de la structure des os qui affleurent sous la peau, avant que ne s’installe la chair, que s’incarne l’âme. Jusqu’à se révéler en l’idéal d’un corps entier et antique, lisse et asexué comme une statue sans aspérités, paradoxal, à la fois femme et déesse, concrète et abstraite, nue et révélée mais épurée et inaccessible par cette distance invisible entre l'être et sa représentation, dans l'ambiguité.

    C’était l’Effraction de l’Oubli de et par Camille Mutel, vu à Mains d’Oeuvres dans le cadre du festival Incandescences.

    Photos d'A.V. Tisserand avec l'aimable autorisation de la compagnie

  • Daniel Léveillé: le choc des glaçons

    Ce mois ci, Artdanthé fait venir Ma gang de Montréal à Vanves, 10 compagnies de la scéne actuelle québécoise, avec des habitués (Daniel Léveillé, Julie Andrée T...) et des inédits par ici. Ca commence ce vendredi le 9 avec Behind de Marie Béland et La Pudeur des Icebergs. A cet occasion rediffusion d'un texte (initialement mis en ligne le 28/2/2007, merci de votre indulgence!)

    Les cinq danseurs de Daniel Léveillése présentent sur scène au naturel. L'expression est un peu désuête, mais pour le coup semble tout à fait adaptée: notre grande semaine de la nudité intégrale en danse (après Maria Donata d'Urso et Boritz Charmatz), s'achève sur une note comme presque naturiste. On s'imagine bien ces garçons musclés plonger droit et stoïquement dans des lacs glacés.

    medium_4_icebergs.jpgA defaut de pouvoir jamais être anodine, une nudité donc "morale" de premier abord. La preuve en est que le Théatre de la bastillen'a pas jugé nécessaire-comme cela avait le cas pour Ann Liv Young-d'interdire le spectacle aux moins de 18 ans. Conclusion: à la Bastille on peut être tout nu, l'important c'est d'être tout nu chas-te-ment. Et il y a "pudeur" et "icebergs" dans le titre, c'est dire qu'on se situe à l'opposé de la lascivité des cocotiers. Avant de fermer la parenthèse, relevons qu'il n'y avait hier que des adultes dans la salle, ce qui ramène bien interdiction d'il y a quelques mois à sa stricte fonction gesticulatoire.  

    D'ailleurs rien de sexuel ni d'"explicite": on se touche très peu, ou alors virilement, et pour des portés droits et vigoureux, qui s'achèvent en bruyants lâchers. Le corps de l'autre encombre un peu. Et le plus souvent on danse chacun son tour, ou parfois à deux en echo. On court raide, on saute- très haut- on s'immobilise accroupi, essoufflé. Puis on revient attendre en fond de scène, au garde-à-vous, comme pour un exercice militaire. Tous ces mouvements juste un peu adoucis par un fond de Chopin. Mais tout du long on se regarde, sévèrement, impassiblement, yeux dans les yeux, avec intensité...Peut être la trouve-t-on là, la première clef qui nous permet de rêver cette pièce, ce contraste entre la nudité-source de tous les dérapages possibles-et la sévérité des regards, ces regards qui désamorcent toute vulgarité, et ouvrent un espace d'interrogation et de mystère.
    Une demoiselle rentre en scène, dans le même uniforme, pour rejoindre les messieurs. Mais la surprise est de courte durée. Il est vrai que l'armée ouvre depuis déjà longtemps ses rangs aux femmes. Et cette femme ci tient ici exactement le même rôle que les hommes, pas de regard déplacé ni de gestes ambigus. La nouvelle venue ajoute plutôt un type physique suplémentaire à cette palettes de physionomies masculines déja contrastées, une fesse un peu plus ronde et moins musclée. Des athlètes et le style de danse est à l'unisson, haché, découpées en répétitions, en actions courtes, rapides, vigoureuses, des sprints arrêtés, des poses d'atlêhtes antiques-pourquoi soudain pense t on à Montherlant? 

    Mais on aurait tort de s'en tenir là, bien que la plupart des fournisseurs professionnels de pensée en papier qu'on a lu  se sont arrêtés à cette rudesse (pour ceux qui ne s'en étaient pas tout simplement arrétés à la nudité). Car se glissent entre les scènes des instants d'hésitations, d'abandon, des moments de soudaine vulnérabilité, qui font basculer la pièce vers l'intensité. Un danseur frissonne soudain, ou considère son propre corps, étonné. Une danse de groupe s'esquisse, les possibilités se multiplient, on ne reste plus droit comme un I mais on se prostre. Les mêmes motifs sont repris, mais avec plus de brutalité: le partenaire n'est plus porté mais rejeté à l'autre bout de la scène. Un amas de corps se forme- plus résigné, plus serein peut-être que celui de Herses. Par ces renversements gradués on vient de dépasser la démonstration et le maniérisme pour entrevoir bien plus loin.

    Bref on est même persuadé qu'ils peuvent danser autre chose, habillés. On devra attendre deux semaines pour le vérifier, au festival Artdanthe.

    C'était la Pudeur des Iceberg ♥♥de Daniel Léveillé au Theatre de la Bastille, et c'est jusqu'à demain.

    Guy

    P.S.: Et Daniel Lévéillé nous propose une belle vidéo, ici

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  • Esquisses

    Donc… Éléonore Didier se détache du solo pour créer une pièce de groupe. Dont une étape fût présentée à Micadanses, et qui sera crée jeudi prochain à Artdanthé. Et je m’intrigue toujours, de ce que je vais voir et de ce que j’ai vu déjà en répétition: le plus authentique, aux apparences quasi documentaires- le rituel minuté d’une toilette hospitalière- mais aussi ce qui semble le plus loin du quotidien, vers l’artistique: le mouvement dansé. Deux actions se déroulent, non en parallèle, mais liées. Ces actions sont menées par trois femmes sur scène: devant la danseuse, au second plan l’infirmière et une patiente qu’elle lave, habille. La danseuse danse comme- il me semble-  Éléonore Didier danserait. C'est-à-dire de façon inédite, et de manière à suggérer denses des pensées latentes. La patiente, quant à elle, reste passive, d’une parfaite impassibilité. Ce qui me renvoie, à d'autres d’œuvres d’E.D., la puissance des moments d’immobilité. Deux femmes, et de part et d’autre les mêmes parties de leurs corps sont mises en jeu. Soudain, je crois deviner la place de la danseuse: dans le rêve de la patiente. Celle qu’elle veut, mais ne peut être, dans cette situation. Son double, sa projection. D’un coté un état de pudeur, le corps détaché de lui-même, médicalisé, hors vue et hors jeu. De l’autre le corps à voir, agissant, dansant, sexué. D’un coté un temps fonctionnel utilitaire, de l’autre un temps sensible et ressenti, suspendu de silences, d’interrogations et rêveries, de dedans distendu. Tout vit, est vu, en même temps. De cet écart, la beauté surgit. Lors de la répétition j’ai cru voir tout cela, mais cette pièce en devenir n’existera plus, laissera place à une nouvelle création.

    Lors de la discussion qui suit la présentation, je demande à Éléonore Didier pourquoi elle fait débuter la pièce par un prologue, composé de poses des trois interprètes, dont je ne comprends pas le rapport avec la suite. Elle me répond sans me répondre, je crois, qu’elle ressentait le besoin de commencer par rassembler ces trois femmes. Sur le moment, je ne comprends pas. Maintenant je pense qu’il s’agissait pour elle, consciemment ou non, de matérialiser et permettre le passage de ses soli d’avant à ce trio, d’une seule pensée concentrée à trois corps, trois interprètes mais qui resteront liés.  Le modèle… Pourquoi ce titre? Certes, le rôle de la patiente est assuré par un modèle vivant professionnel, de même que l’infirmière est interprétée par une danseuse et future infirmière. Au moment où j’écris ces lignes, le hasard m’envoie une piste : le mail d’une compagnie qui annonce une performance puplique avec des modèles vivants posant pour des étudiants en arts. Je retiens de ce signe l’ambigüité qui inévitablement toujours persiste entre corps neutre et corps spectaculaire. Quoiqu’il en soit, ce titre reste au singulier pour une pièce de groupe bien que singulière. Le performer Vincent Thomasset, lors de la répétition, reste simple spectateur. Quel sera son rôle en définitive, et par quelles actions, vis-à-vis de ce triangle féminin? Je repense à la troublante passivité du figurant de Solides Lisboa, à la possible irruption du masculin (LaiSSeRVenir) sous la forme d’une… échelle.

    Jeudi, ce sera la création. Matière, scénographie, lumières, rythmes, mots, mouvements… tout se sera trouvé en route et aura depuis changé, hors les intentions. Se poseront alors bien d’autres questions.

    Le Modèle,d'Eléonore Didier, vu en présentation d'étape à Micadanses, sera créé jeudi au théatre de Vanves, dans le cadre d'Artdanthé.

    Guy

  • Une lutte

    Le corps et le monde…. L’énergie de cette danse sourd et déborde, une volonté entière en lutte contre l’adversité. Contre un ennemi- est-il naturel, intime, politique, métaphysique?- qui reste invisible. Le corps à l’œuvre combat sans relâche dans ce vide menaçant et omniprésent, tombe, se relève, les gestes amples et généreux. Il résiste en mettant en oeuvre plus de souplesse que de violence. La remarquable création musicale, en flux, chocs et superpositions, témoigne de la confusion du monde, de changements incessants. A la fois elle oppresse et se laisse traverser de mouvements d’espoirs.

    S L I D E - trailer from cieMETAtarses on Vimeo.

    Cette agitation fébrile, cette énergie à vif, m’interpelle, me dérange aussi dans ce qu’elle a d’excessif. J’hésite à tant m’impliquer. J’aimerai cette dance plus concentrée en moins de gestes, plus mesurée, mais peut-être alors se trahirait-elle? Elle persiste dans sa lutte entêtée, de plus en plus vertigineuse, le corps se sature de cendre et titube, souffre à terre, mais progresse, vers la liberté?

    C’était Slide, chorégraphie et interprétation de Sandra Abouav, musique de Vincent Cespedes, vu à la Loge.

  • Que ser?

    Notre ami François a vu la création de Que Ser? /Qu'être? de Sofia Fitas au Colombier de Bagnolet, dans le cadre de Jamai(s) vus!: Son récit:

    Au commencement, un corps vu de dos, sobrement vêtu de sombre, sans tête, vertical et immobile dans un halo de lumière comme peut l’être un cadavre pendu au bout d’une corde.

    Que ser ? Qu’être ?débute par cette curieuse introduction qui semble évoquer une fin possible d’une existence humaine.

    Mais rapidement le propos de Sofia Fitas nous éloigne de toute tentative de représentation. Ce corps qui restera sans visage pendant tout le solo devient une abstraction exprimée par une paire de mains sur laquelle se concentre l’éclairage. L’absence du visage intrigue. Pourquoi se cacher ainsi ? Quelques jours après avoir vu ce spectacle, j’en arrive à me demander si Sofia n’a pas souhaité renvoyer avec malice  les plus philosophes de ses spectateurs vers les écrits de Levinas et la place centrale du visage dans son travail. D’ailleurs, le visage de l’Autre chez Levinas pouvait tout aussi bien être le dos de l’Autre. Ou les mains ?

    Le dos. Que l’on oublie pour ne plus voir que les mains comme si elles apparaissaient seuls témoignages du vivant, et l’objet d’un gros plan en clair-obscur. Et pourtant Sofia se tient les pieds immobiles au fond de la scène à bonne distance des spectateurs. Pas de confrontation proche.  Sofia ne quittera pas ce petit espace lointain pendant toute la durée de sa pièce. Ses mouvements n’ont pas pour vocation à emmener le corps prendre possession de l’espace disponible. Non, seulement occuper l’espace en tenant fermement la position initiale.

    Les mains évoluent lentement dans le dos de ce corps sombre, remontent peu à peu vers  cette nuque invisible. Elles se joignent comme dans une prière pour déjà se détacher l’une de l’autre, se crisper puis se détendre, se mêlent de nouveau comme des plantes ou des animaux sous-marins mêleraient leurs tentacules ou leurs filaments sous le flux d’un courant invisible. Toute l’attention est captée par ces mains, comme elle peut l’être par celles, si tourmentées, d'Egon Schiele dans ses autoportraits ou celles, si longues et fines, des personnages des tableaux d’Otto Dix. Dans le lointain, les sons d’une ville, de la circulation, des bruits de la vie. Les mains finissent par disparaître happées par ce corps sombre sans tête et sans visage.

    Commence alors la deuxième phase, en complète opposition avec la première. Le visage de Sofia reste invisible, son corps reste enfermé dans son confinement virtuel du fond de la scène. Mais après la lenteur du premier temps, les mouvements presque exclusivement concentrés sur ses mains, voici la vitesse des gestes, l’énergie, la convulsion de tout un corps. L’environnement sonore accompagne de manière parfaite cette métamorphose, les sons se font plus intenses, évoquent un univers industriel, un train, un avion. On imagine Sofia traversée par un courant électrique ou plongée dans un accélérateur de particules, devenir pure énergie elle-même. 

    Que ser, Qu’être ? Voilà une magnifique proposition d’un voyage en deux étapes dans un univers singulier et poétique qui m’a totalement entraîné dans son charme.

    François

  • la mort et l'extase

    La version de 50 minutes de La Mort et L'extase est crée ce soir et demain à Micadanses en cloture du festival Faits d'hiver. A cette occasion, voici la rediffusion du texte mis en ligne le 15/5 aprés la création de la première version.

    L'obscurité règne d'abord dans cette salle enfouie profonde, entre attente et chaleur. Enfin émerge un être que l'on voit nu et que l'on ressent desespéré. Il évolue lentement à terre, accablé, suivi d'un autre, de cinq, de dix, bientôt multipliés à vingt, trente, quarante, aux formes d'hommes et de femmes qui s'insinuent par tous cotés, envahissent et saturent la scène en un tableau halluciné...

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    L'audace, l'ampleur et la crudité de cette entrée en matière suffisent à élever la pièce à un rare, même périlleux, niveau d'intensité. Nous sommes entrainé à un voyage aux enfers, une errance spectaculaire d'âmes en peine, damnées, sans but ni espoir, aux trajectoires perdues et circulaires. Les références à l'art pictural moyenâgeux apparaissent évidentes, d'ailleurs annoncées. On oublie Cranach pour penser à Jérome Bosch. Puis notre regard prend un point de vue plus contemporain, percevant la scène selon notre appréhension des rapports entre religion et culpabilité, entre mort et érotisme, alors qu'une dizaine de parmi les interprêtes se redressent peu à peu pour jouer les figures de la souffrance et de l'extase. Danseurs et danseuses se montrent traversés de décharges de plaisir et de douleur, leurs émotions manifestées par grimaces et torsions, travaillés par des entêtements ostensibles de peines et de jouissances, se flagellent et s'abandonnent contre les murs en poses offertes, tableaux que les miroirs découverts au fond de la scène tentent de prolonger à l'infini. La ronde des âmes nues, têtes baissées, continue ininterrompue, les danseurs prisonniers de leurs cycles, condamnés à répéter les mêmes séquences terribles à l'inifini. Au dessus de ces enfers s'éleve la musique de Vivaldi, magnifique, interprétée d'une voix de castrat issue d'un corps inerte porté par des corps nus. 

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    Avant que la voix ne se taise: la pièce ne dure que 25 minutes. Il faut ici exprimer un regret: le temps est compté. Au milieu de cette masse de corps circulants, on peine vite à organiser son regard et à suivre le propos des solistes. Le dispositif, si formidable au départ, gêne ensuite la perception de la progression de la pièce. On reste avec le sentiment que le sujet si riche est survolé, sans le temps de la dépasser...sans doute inévitablement, s'agissant d'une courte proposition et de la part d'une toute jeune chorégraphe. On souhaite que cette pièce, déja si furieuse et audacieuse, mais à l'étroit dans ce format, trouve bien des développements ultérieurs.

    C'était La Mort et l'Extase de Tatania Julien, présenté à Micadanses dans le cadre de la Soirée CNSMDP.

    Guy 

    Photo de Laurent Pailler avec l'aimable autorisation de Tatiana Julien, d'autres photos ici.

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  • Le temps retrouvé

    Qui émerge dans le paysage lunaire? Avec des habits de toréador ou de cérémonie. Au milieu des rochers blancs qui effleurent, des ruines. Ils dessinent une carte étrange. Le temps se dilue, et la musique va en cercles. Le corps peut-il y échapper? Par gestes tantôt géométriques et affectés, tantôt primaires et viscéraux, qui ramènent aux ballets russes qui ramènent à l’animalité, qui ramène à avant.

     

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    Elle fait l’amour aux rochers, à l’univers entier. Un rituel se répète, comme la mémoire inintelligible, mais incarnée, d'évenements ancestraux, oubliés. Reste ces traces. Elle songe, adossée, à… ? Remplit les intervalles, ceux du temps, entre les rochers blancs, lentement, rapidement, à l’intérieur, toujours prisonnière. L’Ennui plane. J’apprends la patience, voit le temps se perdre en courses accélérée dans l’espace clos. Pourtant le rythme de la musique n’a lui pas varié d’un iota. Les lumières m’engourdissent. J’accepte la fatalité, j’ai perdu le temps et elle évoque Proust. Pas une note de piano plus appuyée que la précédente, il faut imaginer les pulsations entre, et voir monotones les répétitions, déclinaisons, recompositions d’une danse à maturité, le glissement du civilisé à l’animalité.

     

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    Le corps fait son superbe avant de s’avachir, le visage grimace et s’enlaidit au ralenti. Il faut croire alors en la magie. Comme cela devrait durer jusqu’au vertige et l'abandon complet, la fin me prend par surprise, c’est une interruption.

    C’était Androcéphale de Jesus Sevari, dansé sur Vexations d’Erik Satie et sur des sculptures et lumières de Yann Le Bras. Vu à Micadanses, dans le cadre du festival faits d’hiver.

    Guy

    photos par Laurent Paillier /photosdedanse.com avec l'aimable autorisation de Jesus Sevari.

     En photos, par Laurent Paillier

    en radio, avec pièces détachées

    lire aussi: paris-art

  • Inattendue

    "QUE SER?"/ "QU'ÊTRE?" de Sofia Fitas est créé ce samedi soir au Théatre le Colombier dans le cadre du Festival "jamai(s) Vu!)


    Rediffusion du texte mis en ligne le 11/05/2011.

    Du jamais vu, si l‘on se met en condition d'accepter de le voir, de tenter. Une masse large, indistincte, cassée, ramifiée. L'œil peine à composer, ce qui avait pu être du papier brun froissé, bien d’autres possibles maintenant, qui s'agite en craquements, de tous cotés pour brouiller les frontières. La matière est folle, un concentré d'étrangeté, il s’en échappe une forme sans visage avec des gestes d'insecte traqué, puis ravalée par le papier, qui entre et sort de cette gangue, entre métamorphoses et errances, germinations et gesticulations de branches tordues. En devenirs circulaires, en transition, en reptations asymétriques, en improbables échanges d'énergie et de fluxs. La possible expression de la difficulté d’être. C’est l'autre absolu, exprimé par juste un corps, un peu de lumière, quelques sons. Experimento 2 a trouvé sa forme introuvable, l’inexplicable à maturité.

     

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    La seconde pièce est ténue, à rechercher plus loin encore. C’est une femme minimaliste, vue de dos, immobile, habillée de noir, mais tête escamotée. L’humanité à nouveau dérobée. Je devine les rumeurs de la ville, quand mon regard finit par abdiquer il devient prisonnier, fasciné par l’image de ces mains croisées, de leur placement qui change insensiblement, par micromouvements. Plus tard, la silhouette traversée par les sons en tous sens ne ressemble à rien d'autre sous les cheveux noirs et affolés. Avec discrétion, opiniâtreté, sans retour ni pareil, Sofia Fitas crée.

    C'était Experimento 2 et Qu'être? de Sofia Fitas, en présentation aux professionnels le 6 mai au Centre National de la Danse à Pantin.

    Guy

    voir les photo de répétition, en juillet 2009, sur images de danse.

    photo par Sebastien Jabobs avec l'aimable autorisation de Sofia Fitas