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théatre - Page 19

  • Pirandello est un géant

    Le texte est inachevée, et se suspend ainsi sur un instant si beau- un très surprenant tombé de rideau-qu'on en reste le souffle coupé.

    Pièce inachevée à la mort de Pirandello(1867-1936), et de la mort il est beaucoup question: la mort du poète, qui s'est tué par amour pour l'actrice, comme il avait écrit la pièce par amour pour elle, la mort du comédien qui se rêve en train de se pendre- ou rêve-t-il le rôle du poète?-, la mort qui guette la vieille guidée par les anges- mais peut-être est elle déjà morte, en tout cas elle le croit. Et les personnages encore un peu vivants ne sont pas très en forme, presque déjà des âmes en peine, comédiens dans la pièce, comédiens déclassés dans une société qui ne s'interesse plus à voir jouer, qui errent en poussant une charrette à bras jusqu'à cet endroit tout à l'écart du monde. 

    Un lieu de l'entre-deux, un refuge où éclosent les rêves. Y Règne sur sa cours des miracles un magicien pouilleux: Coltrone- Hervé Pierre- personnage surnaturel, charnel et enfantin à la fois. Mais qu'est ce qui est dehors, qu'est ce qui est dedans? Où est le foyer et où est l'exil? Car peut-être les acteurs sont ils arrivés là dans le dernier endroit où ils peuvent jouer et être? Eux en qui s'incarnent les esprits d'autres, alors que le magicien fait des corps émerger les spectres, et imagine la réalité.

    De cet endroit la nuit on ne peut s'échapper alors que les rêves prennent forme. Où n'est ce que procédés et illusions? Qu'importe de le savoir, il faut rester tel un enfant et croire. C'est à ce moment de la pièce dans la pièce qu'est mis joyeusement en oeuvre toute l'arsenal des artifices: mime, masques, pantin, fumées, substitutions, lumières, décors en trompe-l'oeil. Ce qui était une réflexion sur l'agonie du théâtre se transforme ainsi en la plus belle démonstration de sa vitalité.

    Dans l'ombre intimidante des Géants de la Montagne, qui incarnent le matérialisme et la stupidité du monde de demain, ces bâtisseurs de murailles, dont les comédiens devraient peut-être flatter l'orgueil, pour ne pas mourir de faim. Nous sommes en Italie peut-être, en 1936. Mais ces géants là sur scène on ne les verra pas. Pour cause propice d'inachèvement. Seul sur la scène le théâtre se représentant lui même en abîme aura droit de cité.

    C'étaient "Les Geants de la montagne"  m.e.s. par Laurent Laffargues au Théatre de la Ville jusqu'à fin janvier.

    Guy

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  • Brigitte Seth et Roser Montllo Guberna: elles tuent

    Elles osent tout, ces deux femmes, et elles ont terriblement raison. Mais sans jamais qu'elles en fassent trop, sans jamais qu'elles ne sonnent faux. Ne se glissent jamais là où on les attend, mais juste un peu à coté, parlent lorsqu'il faudrait qu'elles dansent, interrompent une phrase en français ou catalan pour entamer un pas de danse. Ou laissent la danse s'achever en un geste discret. Ou ne font rien du tout, sinon regarder et écouter intensément leurs musiciens jouer Biber (1644-1704). Avant de casser les violons. 

    Toujours jouer de tout en un mot. Brigitte Seth minaude et se tortille, en personnage de bourgeoise ahurie. Roser Montllo Guberna se suspend enfantine, puis glisse au sol et évolue, sur un mode doux-amer, fausse ingénue.

  • L.M.P. : encore un soir et puis plus d'autres?

    L'Olympic Café, où l'on avait vu Marteau Rouge et Maki Watanabe, ansi que la salle jumelle, le Lavoir Moderne Parisien,font l'objet d'un arrêté de fermeture administrative, notifié par la préfecture de Paris.

    Fermeture motivée par des peccadilles, d'après ce qui est expliqué sur le site. On ne sait pas s'ils font trop de bruit, ou s'ils ont le droit de vendre de la bière ou non, mais on a une petite idée de tout ce qu'ils offrent, soirée après soirée, question danse, musique, théâtre. Et on sait qu'ils sont les seuls à le faire, là où ils le font.

    Communiqué et pétition en ligne ici

    Guy

     

  • Schwab: l'amour tache

    C'est autrichien, c'est décadent: jusque là tout va bien.

    Surtout si l'auteur est Werner Schwab (1958-1994), surtout si la compagnie s'appelle "Dekadent".

    medium_sp_11724_g.jpgHistoire: La putain rencontre l'employé, qui rencontre la coiffeuse, qui rencontre le propriétaire, qui rencontre la secrétaire, qui rencontre le poète, qui rencontre la comédienne, qui rencontre le député, qui rencontre la putain, pour que la ronde soit bouclée. Rencontres au sens sexuel du terme.

    On a reconnu la Ronde de Schnitzler, que Max Olphusporta autrefois à l'écran. Mais ici réadaptée en radicale opposition. déclinée en un inventaire jusqu'à l'écoeurement des rapprochements physiques et sentimentaux, la déclinaison déniaisée des hypocrisies amoureuses, crues et poisseuses, entre des personnages figées dans des postures inconfortables et obligées par les rapports sociaux. 

    L'original de Schnitzler était trouble et cruel, mais d'une subversion si subtile qu'elle pouvait passer pour un acquiescement complice, presque bon enfant. La version Schwab grince de révolte devant tout l'insupportable mis à nu. Pas de pitié pour la laideur de l'amour, qui toujours s'achète et qui se vend, pour les sentiments forcement nauséeux-le poète égocentrique est pire à tout prendre que le propriétaire libidineux-, nulle tolérance comme celle vis à vis des maisons du même nom.

    C'est monté et montré trash-difficile de faire autrement!- mais plutôt gentiment à tout prendre. La langue enfle et s'écoule, pâteuse, parodique et maniérée, manière de mettre en lumière l'absurdité de ce qui est dit et la violence de ce qui est fait. et les rapports de toutes natures. Ceux-ci représentés en allégories drôles et surprenantes, avec des idées et de l'intelligence- mention spéciale pour l'usage systématique dont la coiffeuse fait en second plan du savon à raser.

    C'est d'autant plus dommage que l'ensemble manque un peu de recul, de budget, de maturité, de cohésion, de décors, de lumières, en un mot de mise en scène, pour exister au delà de la suite de numéros d'acteurs. Dommage que cela manque peut-être d'audace encore, comme arrêtée au milieu de l'effort.

    C'est La Ravissante Ronde d'après la Ronde du Ravissant Monsieur Arthur Schnitzler, au théâtre de Nesle, jusqu'à la fin de l'année.

    Guy

  • La Tour de la Défense: Daphné est completement pétée

    Hier soir, la Tour de la Défense se dressait à Bobigny. 1 boulevard Lénine, prés du boulevard Jean Jaurès, avant le boulevard Maurice Thorez.

    medium_tour_01.jpgNon, on plaisantait: cela ne se passait pas vraiment à Bobigny, ou géographiquement tout au plus: c'était plutôt à la MC93-Bobigny, qui est une enclave parisienne et bobo au coeur de la Seine Saint Denis, en compagnie d'un public dont la mixité sociale ne sautait pas aux yeux. Et, pour preuve qu'on n'était pas dans lez 9-3 pour de vrai, précisons qu'on avait acheté notre place via le Festival d'Automne à Paris.  "Parking gratuit et surveillé" nous rassurait la brochure. Alternative au Forum culturel du Blanc Mesnil qui affrète des cars pour aller chercher le public parisien place de la Nation. Mais on aurait pu être à Avignon, où n'importe où ailleurs, on était en tout cas en phase avec le contexte de la pièce: un réveillon bobo-homo de nouvel an, de l'an 1977, année disco.

    Représenté dans un décor, un vrai, splendide et sophistiqué, un décor d'appartement seventies, avec tous les accessoires, même les pires. Ce qui fait tout drôle, tant on s'est habitué au minimalisme contemporain. Réalisme plastique, et intrigue linéaire également, quasi-boulevard ou comédie policière, avec entrées, sorties, exclamations, portes qui claquent et évanouissements à répétition, mais tout est décalé. On croit entendre, en écoutant le texte de l'argentin Copi (1940 -1987) une fascination quasi-enfantine pour la langue française, peut être propre à un étranger qui apprend à la maîtriser, comme un nouveau jouet, et manie cependant cette langue avec une insaisissable étrangeté. 

    Les personnages, comme dans une recherche naîve pour appréhender la complexité de l'existence-c'est perdu d'avance-. enfilent les banalités avec medium_tour_02.jpgune drôlerie déconcertante. Presque une pré-figuration parodique des shows de télé-réalité de nos écrans d'aujourd'hui, promesses sexuelles comprises. Mais d'évidences approximatives en fausses évidences, c'est une manière imparable de nous accoutumer à un glissement très progressif d'un trash presque ordinaire vers l'absurde et l'horreur. Qui se manifestent avec les obsessions habituelles à Copi: rat, serpent, frigo et compagnie, mais aussi par de sinistres prémonitions: hélicoptère s'encastrant dans une tour en feu et enfant congelé au frigo. Soudain on ne rit plus.

    Tous les habitants du 13° étage de cette tour de la défonce sont passionnants, et entre autres Jean(Martial Di Fonzo Bo), étonnant de pédanterie et de de candide brutalité. Mais le pire viendra de Daphné, la seule femme présente, interprétée par Marina Fois, sublime et désinhibée. Daphné d'abord en marge de ce club masculin, celle dont chacun cherche à se débarrasser. Revanche morbide, toute l'action se réorganisera peu à peu autour d'elle. 

    Mais de toute manière, à la fin tout le monde meurt, évidemment.

    C'est "La Tour de la Défense" par la compagnie "les Lucioles", mis en scène par Martial di Fonzo Bo, à la MC93 Bobigny, encore pour quelques soirées

    Guy

  • Dona Juana mon amour

    S'agissant de spectacle vivant- autour de Molière, du Buto, du Schubert, de quoique ce soit d'autre- il faut donc tout essayer.

    Essayer par exemple de faire de Don juanune femme. D'inverser le genre sexuel de tous les personnages de la pièce: Don Elvir trahi et éploré, la statue de la Commandeuse, et douze cavalières au loin.

    Contre toute attente, cela fonctionne.

    Et cela fonctionne très bien même: le texte, qu'on ré-ecoute soudain des deux oreilles, se déplace du masculin au féminin, mais revient vite quelque part au milieu, chargé de toute l'électricité des deux pôles. Cette Dona Juana(Christel Willemez) qui veut aimer tous les hommes dégage un charme ambigu, puissant, vénéneux, une autorité inquiète, qui attire et effraye sa bonne et simple Sganarella(Johanne Thibaut).

    Dépoussiérage, éclairage inédit, judicieux à une époque où les stéréotypes masculins et féminins sont moins figés que jamais (Myra Breckinridge, es tu là ?). La comédienne, après la représentation, confiait pourtant au public toute la difficulté qu'elle avait eu à jouer, en tant que Dona Juana, une scène de séduction très "active". Et à lutter contre un atavisme plutôt féminin: inciter l'autre à venir séduit vers elle.

    De notre point de vue, elle jouait des deux cotés à la fois, et c'était délicieux.

    Mais plus encore que le "don-juanisme", ce sont les thèmes premiers de la pièce qui profitent de cette cure de jouvence: le rationalisme du "un et un font deux" opposé à la religion, le libertinage au sens philosophique du terme. Thèmes qui brûlent de toute la modernité du texte de Molière (1622-1673), dèja en avance de prés d'un siècle sur l'idéologie des lumières, thèmes plus qu'encore d'actualité, évidemment.

    Le résultat est drôle et nerveux, et malgré le surprenant postulat de départ, trés respectueux du texte dans l'esprit et la lettre. Le tout reste plus sage et classique à tout prendre, que le Don Juande Montherlant que l'on peut encore voir au T.N.O.

    Sage, mais un peu coquin quand même, pimenté par ces intermèdes dansés en fond de scène, voilé d'un onirique très à propos, contrepoints mi-sados mi-technos aux scènes à texte. Pas explicites vraiment, comparés par exemple aux exercices récents d'Ann liv Young, et artistiquement c'est tant mieux. Assez implicites quand même pour recaptiver l'attention des lycéens franchement dissipés: au moins reviendront-ils peut-être un jour écouter Molière.

    C'est Don(a) Juan(a), par le Theatre ephéméride, mis en scène par Patrick Verschueren, au Théatre du Lierrejusqu'à mi-decembre.

    Guy

  • Ann Liv Young: Blanche Neige sous surveillance

    On est prévenu.

    Mais de quoi au juste?

    C'est que le Théatre de la Bastille a diffusé, par courrier envoyé aux abonnés et par affichage sur son site internet, un  communiqué hors du commun, concernant "Snow White" d'Ann Liv Young.

    medium_Ann_liv_Young.jpgCe texte est si remarquable qu'on le reproduit ici in-extenso: "En l'état actuel du travail, nous vous informons que le spectacle comporte des scènes explicitement sexuelles, qui nous obligeront, au regard des réglementations, à en interdire l'accès aux mineurs de moins de moins de dix-huit ans."

    Tout à fait surprenant, et à plusieurs titres.

    Car ce genre d'avertissement est très inhabituel sous nos latitudes. Seules quelques rares salles de spectacle prennent l'initiative de renvoyer le public à ses responsabilités- mais sans rien interdire- en avertissant ce public de scènes de violence ou de nu. Qui, de manière générale '"peuvent choquer certaines sensibilités". Ces scènes ne sont pourtant pas rares dans les spectacles qui se définissent comme contemporains. Depuis la polémique d'Avignon d'il y a deux ans, on ne peut plus faire semblant de l'ignorer. Encore que... Mais n'anticipons pas.

    Cet avertissement surprend d'autant plus qu'il émane du Théatre de la Bastille, où sont présentées chaque saison des productions- de J.M. Rabeux et bien d'autres- plutôt moins qu'ailleurs pudibondes. Devant un public, d'après nos quelques souvenirs, toujours adulte du premier au dernier rang. Mais peut être les scènes les plus audacieuses de ces spectacles passés n'étaient elles pas vraiment "explicitement sexuelles"? Peut être existe-t-il des critères techniques et objectifs pour en décider? Un code Hays du spectacle vivant?

    Car quelles sont au juste les "réglementations"derrière les lequelles s'abrite le Théatre de la Bastille pour expliquer cette interdiction aux mineurs? A notre connaissance, ces reglementations, évoquées par ce pluriel si vague, n'existent tout simplement pas, en matière de spectacles de danse ou de théâtre. Qu'on le déplore ou qu'on s'en félicite. Liberté artistique contre ordre public: score 1-0. Ou plutôt victoire par forfait, l'ordre public regarde ailleurs. Et laisse en paix "l'élite culturelle", se livrer en paix à ses distractions habituelles.

    Pourquoi la direction de la salle ne reconnaît elle pas alors ouvertement que cette décision -justifiée ou non- est la sienne? Non, elle se dit "obligée".

    Evoquer enfin "l'état actuel du travail "est délicieusement évocateur. comme quoi l'art vivant est un monstre imprévisible, incontrôlable. On imagine l'organisateur qui observe les répétitions par l'entrebâillement de la porte, et ce qu'il a cru voir, et qu'il n'ose évoquer- des scènes "explicitement sexuelles" en tout cas- justifie d'en protéger les mineurs. S'il se garde bien d'intervenir sur l'objet en lui-même, au moins peut il en contenir l'exposition.

    Quoiqu'il en soit,la journaliste de Liberationest, elle-aussi, venue aux répétitions. Et en est ressorti suffisamment intéréssée pour en rendre compte dans son édition de lundi dernier, le jour de la première On nous promet du cru, on apprend que le travail est toujours en cours, que tous les objets présents ne seront pas retenus- c'est assez suggestif- et que la chorégraphe, bien qu'américaine, est opposée à Bush: on respire.

    Est ce à la suite de cet article, que la billetterie est "prise d'assaut" selon Le Monde, paru deux jours aprés?

    La journaliste du Monde de nous expliquer qu'Ann Liv Young est "complètement inconnue en France", qu'elle n'a que  25 ans, que le spectacle ne dure que 40 minutes- qu'il "tire vers le bas". Et que d'alleurs la "minute sexe (...) risque" -c'est un brin contradictoire- de "frustrer ceux qui sont venus pour ça".Et qu'en plus Ann Liv Young chante faux. Tout donc pour dénier à la chose la moindre valeur artistique, avec une instance qu'on commence à trouver suspecte. Punition?

    Et surtout, la journaliste de deviner chez l'équipe du théâtre: "un malaise (...) et pas mal de suspicion sur les mauvaises raisons du succés d'une pièce avant même la première."

    Diable! C'est sûrement au "Monde" de nous expliquer quelles sont les "bonnes" raisons et les "mauvaises" raisons d'aller voir un spectacle. Celà donne envie de relire avec un nouvel oeil les critiques passées du Monde, relatives à d'autres spectacles que l'on pouvait sans doute juger audacieux. Peut-être la première de ces mauvaises raisons est elle de lire "Libération".

    Mais, pour revenir au tout début, pourquoi, cet avertissement diffusé par le théâtre?

    Le "Théatre de la Bastille"a-t-il du refuser des inscriptions en masse de bambins innocents, abusés par le titre, révant de douces princesses? De mamies chevrotantes, pressées de fêter d'avance Noël avec leurs petits enfants?

    Et pourquoi ensuite cette polémique?

    Alors que les acteurs et actrices des pièces de Rodrigo Garcia, pour ne prendre que cet exemple, peuvent uriner nus sur la scène de la Cité Internationale, sans faire retentir un tel écho. Est ce parce que l'attention s'est focalisée dés le communiqué du départ sur le coté supposé scandaleux de la chose, qu'on ne peut désormais ne parler que de cet aspect? Et que tout le reste est inaudible désormais? Et jugé à cet aune ? Le sexuel s'est manifesté avant l'artistique, au lieu d'avancer sagement dans son ombre. Dangereuse impolitesse!

    Ou peut-être les nouvelles icônes culturelles que l'empire Disney s'est appropriées sont-elles devenues aussi intouchables que les icônes religieuses d'autrefois? On peut se le demander en lisant cette réaction indignée.

    Ou alors, montre-t-on vraiment sur la scène de la Bastille des actes sexuels qu'on ne saurait montrer ? Et explicites, à un degré insupportable?

    On le saura surement ce soir.

    Et on dira tout demain....

    Tout !

    Guy

  • Salut les filles

    D'un malabar rose géant émerge une femme nue, qui se transforme en Jeanne d'Arc un peu plus tard, mais telle qu'on ne la verra surement jamais au T.N.O., puis encore des signaux qui clignotent violemment, une esclave enchainée, un drapeau qu'on agite, du feu, une épée, une tête qui gonfle, des personnages menaçants, un homme coiffé d'un haut de forme....

    medium_file_47_heygirl2.jpg

    Images chic et choc, trés plastiques. Plutôt metalliques à la réflèxion. 

    Mais que met-on en jeu au juste, ce soir, sous nos yeux? La lecture du livret ne nous sera d'aucune aide pour trouver un début de réponse. On y apprendra quand même que les hotesses d'accueil sont habillées par Agnes B.

    C'est brumeux, au sens propre d'abord, et lent, trés lent, et même plus lent encore, mais pourquoi pas.

    Oublions le sens: pas le choix. Au moins comprend on qu'au delà des images, c'est le regard sur ces images même qui est mis en scène. Mais l'on ne garde que cette question en mémoire, le théâtre a-t -il encore besoin de sens pour exister? Alors qu'il y a bien longtemps que l'on a dispensé la danse du devoir de narration.

    Reste la manière: Romeo Castelllucciest un illusionniste doué, ni plus ni moins que cela. Et un fieffé menteur, bien sur,lorsqu'il prétend que sa création part "d'une amnésie essentielle du théâtre".

    Tout est trés professionnel au contraire, bien construit et réglé, avec beaucoup de moyens et de budget, maitrisé, savamment dosé, avec de l'attente et des surprises, impeccablement technique, des lumières aux effets spéciaux, des explosions aux pleurs. 

    Ce n'est pas rien alors que d'autres- tels Vera Mantero- deconstruisent jusqu'à la forme.

    Beaucoup de savoir-faire, mais au service de quoi?

     Hey Girl ! c'est au Theatre de l' Odeon Ateliers Berthier, jusqu'à fin novembre.

    Avec le festival d'automne encore

    Guy 

  • Sans Dieu ni Maitre

    On ecoute: on est surpris.

    medium_mort.jpgEt l'on doute. Est-ce vraiment Montherlant qui est l'auteur de ce "Don Juan"? Ou alors un Montherlant qui aurait renoncé à sa manière, à ce style brillant, trés entre-deux-guerres. Pour s'aventurer du coté de la dérision, de l'ellipse, du second degré, de l'urgence. Pour sonner très contemporain, soudain.

    On est surpris, on est pas déçu. On avait écrit icique Montherlant ne savait pas faire rire. On se trompait. C'est un jeu de massacre, très méchant. Montherlant prend le mythe à contre-pied, tire sur la statue du commandeur à boulets rouges, secoue la thématique en tous sens. Pourtant on se se refait pas: Montherlant et Don Juan étaient fait pour se rencontrer. Le thème central reste la foi, et donc son absence, sa négation plutôt, l'instant terrible où l'on blasphème mais pourtant rien ne se passe. Ni foudre ni tremblement de terre. Juste libération ou désolation.

    Ne reste à Don Juan qu'à se livrer à une course effrénée de conquêtes, pour habiter le présent et nier le néant.

    Dom Juan éructe donc, cours, tombe, rie, sue, s'enivre- Le "Baal" de Brechta trouvé un sérieux concurrent, un peu plus propre sur lui quand même- insulte le ciel en vain. Et il ne se trouve pas un personnage pour lui apporter la contradiction, la statue du commandeur n'est que l'effet d'une plaisanterie douteuse. Comme si Montherlant avait enfin cessé de faire semblant de croire en Dieu.

    C'est "La Mort qui fait le trottoir (Don juan)" m.e.s. par Sylvain Ledda, toujours jusqu'à fin décembre, toujours au T.N.O.

    Guy

  • La Ville des Enfants Perdus

    Il faut ouvrir les portes de "La Ville dont le Prince est un Enfant", entrer sur la pointe des pieds dans cet espace clos, aujourd’hui disparu, une institution catholique d'avant guerre. Un lieu confiné, masculin des maîtres aux élèves, un lieu codifié, les règles y sont dites, ou seulement implicites. Lieu d’abnégations, de devoir, de dévouement, de pouvoir, et d'abus de pouvoir. medium_Montherlant.3.jpg

    Un lieu où l'on forge les âmes, où l'on contrôle les cœurs, et les amitiés. Les enfants sont insouciants parfois, terriblement graves le plus souvent, presque autant que leurs maîtres. Ces amitiés naissent et s’enflamment, particulières parfois, tout est dans la litote, mais rien ne porte ici à ricaner. Car quelle est la vraie nature de l'amour ? Et qui sera autorisé à dire, qui sera autorisé à décider, si cet amour est pur, ou condamnable? Celui qui en juge sera appelé plus tard à lui-même être jugé.

    Il faudra toute la pièce pour que cette réflexion- à chaque réplique sous-jacente, s'exprime au grand jour. Mais de manière assez subtile et ambiguë alors, pour que chacun puisse en tirer sa propre morale.

    Pourtant, comme toujours chez Montherlant, l'amour- qu’il soit filial, ou presque, ou non- se vit en terme de pouvoir. Cet amour est emprunt de dureté, toujours dangereusement proche de la déception et du mépris. Les personnages de Montherlant, décidément, ne savent aimer sans vaincre, ou sinon tout perdre, muets, meurtris, foudroyés. La religion est ici tout sauf une consolation, bien au contraire. Plutôt une manière de vivre le sacrifice que l’on fait ou que l’on vous impose, dans le dépassement de soi, sinon dans l'amertume et le regret.

    La construction est rigoureuse, linéaire, acétique. Le texte est joué sans affectation, au plus prés de la vérité, et en oubliant tout le reste, par trois générations de comédiens qui s'affrontent ici en duels successifs, jusqu'au final. Trois âges de l’acteur: de tout jeunes gens fougueux qui incarnent les élèves, Pascal Parsat(l'abbé de Pradts), dans la force de l’art et de l’age, technique, physique, hallucinant, enfin Robert Marcy (le père supérieur) imposant de retenue et d'intensité, à qui il suffit d’un regard pour jouer une situation.

    Au T.N.O. encore, et toujours dans le cadre de l’intégrale Montherlant, mis en scène par Jean-Luc Jeener.

    Guy