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theatre - Page 17

  • Des choses cachées...

    "Je dirai, puisque tu le veux, la rose. Qu'est-ce que la rose?

    Ô rose !
    Eh quoi ! Lorsque nous respirons cette odeur qui fait vivre les dieux, n'arriverons-nous qu'à ce petit cœur insubsistant qui, dès qu'on le saisit entre ses doigts, s'effeuille et fond, comme d'une chair sur elle-même toute en son propre baiser mille fois resserrée et repliée?
    Ah, je vous le dis, ce n'est point la rose! C'est son odeur, une seconde respirée qui est éternelle!
    Non le parfum de la rose ! c'est celui de toute la Chose que Dieu a faite en son été !
    Aucune rose ! mais cette parole parfaite en une circonférence ineffable
    En qui toute chose enfin pour un moment à cette heure suprême est née !"

    medium_affiche_cantate.jpgSoyons franc, un peu: passé les premiers instants on renonce à vraiment saisir le sens de ce texte de Paul Claudel (1868-1955). Tant mieux: on abdique, et bientôt on se laisse emporter au fil des mots de "La Cantate à Trois Voix", yeux grands ouverts, au gré des images que ces voix nous évoquent. On accepte tout alors, de même qu'on a accepté de descendre et se laisser guider au plus profond le long des couloirs surplombés par voutes cachées sous l'église Saint Sulpice.

    Pour entendre: "Ô paradis dans les ténèbres !
    C'est la réalité un instant pour nous qui éclôt sous ces voiles fragiles et la profonde délice à notre âme de toute chose que Dieu a faite !
    Quoi de plus mortel à exhaler pour un être périssable que l'éternelle essence et pour une seconde l'inépuisable odeur de la rose ?
    Plus une chose meurt, plus elle arrive au bout d'elle-même, Plus elle expire de ce mot qu'elle ne peut dire et de ce secret qui la tire ! Ah, qu'au milieu de l'année cet instant de l'éternité est fragile, extrême et suspendu !
    _ Et nous trois, Laeta, Fausta, Beata, n'appartenons-nous pas à ce jardin aussi, à ce moment qui est entre le printemps et l'été (...) Ah, l'important n'est pas de vivre, mais de mourir et d'être consommé !
    Et de savoir en un autre cœur ce lieu d'où le retour est perdu, aussi fragile à un touchement de la main que la rose qui s'évanouit entre les doigts! (...)
    Mais toi, mon âme, dis : Je ne suis pas née en vain et celui qui est appelé à me cueillir existe !
    Ah, qu'il reste un peu à l'écart ! je le veux, qu'il reste encore un peu de temps à l'écart !
    Puisque où serait la foi, s'il était là? où serait le temps? où le risque? où serait le désir? et comment devenir pleinement, s'il était là, une rose ?
    C'est son absence seule qui nous fait naître"

    Il fallait sans doute beaucoup d'inconscience ou de témérité à ceux d'Heautontimorouménos pour s'attaquer à ce monument. D'une poésie qui nous parait déjà si lointaine, rare, étrange, surannée, comme si le rapport au monde qu'elle induisait ici était hors de notre atteinte de bien plus que d'un siècle.

    Mener à bien ce projet, ne serait ce que techniquement, inspire déja en soi le respect. Les trois interprêtes, et si jeunes pourtant, n'en paraissent presque pas intimidées. Elles dialoguent, chantent avec chacune leur timbre propre leur part de ce long poème. Citons les: Camille Cobbi, Clémentine Marmey, Clémentine Pons.

    Leur chant d'abord importe, porté par ces trois corps, autour d'elle un espace sobre nourri d'une lumière mesurée qui laisse sa place au mystère, et le reste est une question de séduction. Entre mélancolie, amour, foi, ferveur, mysticisme, rapport à la terre, absence de l'être aimé, éternel retour des saisons, dans cette profusion de significations est fait ici le choix de la sensualité. 

    Jusqu'à mi octobre, presque tous les soirs et pour pas moins de 12 spectateurs à la fois, à la Crypte Saint Sulpice.

    Guy

  • La Reine morte

    Ines de Castro doit mourir.

    Coupable d'être secrètement mariée à Pedro, fils du vieux Roi Ferrante et héritier de la couronne du Portugal. Pedro promis, pour le bien de l'État, et pour son propre malheur, à l'Infante d'Espagne.

    medium_180px-Inecastro.jpgInes de Castro doit mourir, et c'est le Roi Ferrante qui seul doit en décider. Lui même au seuil du tombeau, desséché de pouvoir et de vieillesse, fatigué de l'espoir, et même de la méchanceté.

    La puissance irraisonnée de la passion (Pasiphae), le dégoût du monde et du vulgaire (Le Maitre de Santiago), l'impossiblité des rapports père-fils (Fils de personne)... les thèmes que l'on a déjà vu abordés dans ce cycle Montherlant s'entremèlent à nouveau ici. Liées par cette terrible noirceur, qui fuse en aphorismes cinglants et venimeux: "En prison pour médiocrité!".

    Pourtant, autant que le pessimisme, l'amour, l'innocence trouvent aussi à s'exprimer, par la voix d'Ines, et cette voix est douce et belle. La pièce s'allège ainsi peu à peu jusqu'à son épure, en un dialogue crépusculaire et intime entre Ines et Ferrante. Ce dernier au bord de se laisser aller à ressentir, presque vivre, une dernière fois.

    S'agissant de la mise en scène de Jean Luc Jeener, on hésite même à en parler. Tant elle est invisible, parfaite d'humilité, et ne cède à aucun effet gratuit. Souligner visuellement les pulsions charnelles qu'éprouve l'Infante pour Ines ne relève que de la lucidité. Tout se concentre sur la force de l'interprétation, dans ce lieu-le T.N.O. -qui organise une proximité extrême avec les acteurs.

    En premier lieu avec Philippe Desboeuf, qui incarne Ferrante. Extraordinaire.

    ♥♥♥♥♥♥ 

    Guy

    P.S. Pour en savoir plus sur l'Ines historique, lire ici .

    Ce qui nous fait revenir un instant au "Maitre de Santiago":on a vu cet été dans une vitrine de musée à Key West (Floride) une médaille de l'ordre de Santagio. Présumée portée par Bartolomé Garcia de Nodal, chevalier de l'ordre, parti sur ordre de Philippe IV aux Amériques. Disparu en 1622 au large de Cuba avec le "Nuestra Senora de Atocha" et sa cargaison d'or. Repéché plus de trois siècles plus tard.

    Le chevalier aurait du écouter Don Alvaro. Bien fait!  

     

  • Myra Breckinridge a 38 ans

    Il faut attendre un bon moment avant que ne soit vraiment abordé le sujet de Myra Breckinridge: le refus des déterminismes sexuels, la remise en questions des rôles masculins et féminins, joyeusement jetés au feu avec les soutiens gorges, le male chauvinist pig, le drapeau américain et tout le reste. Sur fond de rébellion sixties US: Guerre du Vietnam, Women liberation front, psychédélisme et guitares sèches venant ébranler - ou peut être pas tant que cela- le star system et le californian way of life.

    L'intrigue est secondaire et bancale: Myra Breckinridge,pretendue veuve de Myron Breckinridge vient revendiquer l'héritage de ce dernier: une école de future stars tenue par son oncle Buck. Myra, devenue professeur, inculque à ses élèves des leçons à sa façon.

    Le texte de Gore Vidal(1925- ) était il, déjà en 1968, si baroque et décalé, qu'il n'a pour cette raison pas tant vielli que cela? Sa conclusion grinçante anticipe en tout cas les lendemains amers des utopies fleuries d'alors. 

    Reste une histoire à tiroirs, lesquels s'ouvrent sur quelques scènes audacieuses et surprenantes, dont celle- on avait jamais vu nulle part quoi que ce soit qui se rapproche de ça- du viol littéral d'un bel et jeune étalon à Stenson par l'heroîne, outillée comme il se doit pour cela. Étonnant, et pourtant cohérent avec le propos

    Mais tout est trop lent encore: le temps perdu au départ n'est jamais rattrapé: arrive inévitablement tôt ou tard un moment où tout cela n'en finit plus. Question de rythme que la compagnie - Franchement Tu- n'a pas trouvé. Le phrasé se veut distancié mais ne parvient le plus souvent qu'à sonner scolaire et appliqué, plombé par les hésitations. Les chanteuses et le guitariste paraissent plus à l'aise dans "California Dreaming" qu'en s'attaquant au "The Man I love" de Guerschwin. Les entrées et sorties de scène sont proscrites, pour laisser à vue et exposés des acteurs inactifs et embarrassés.

    Bref un résultat inégal et inabouti. Avec de bonnes idées, dont la projection en fond d'écran de bandes d'actualité sixties et d'un mélo chromo de Douglas Sirk. Contrepoint d'une innocence idéalisée. Avec un Rock Hudson, dont la virilité parait rétrospectivement ambiguë dans ce contexte. Mais le procédé est à double tranchant: le regard s'attarde sur le film, au detriment de ce qui se passe, où de ce qui ne se passe pas devant.

    Mains d'oeuvres hier et aujourd'hui, et encore la semaine prochaine (15/16 septembre.)

    Guy

    P.S.: On a découvert à cette occasion que le roman-culte ?- de Gore Vidal fit l'objet en 1970 d'un film trés improbable, avec Raquel Welch(Myra), John Huston(Uncle Buck), et une Mae Westseptagénaire incarnant Laetitia Van Halen, impresario consommatrice de jeunes talents. Ainsi que John Carradine, Farah Fawcett et Tom Selleck. Les photos évoquent quelque chose comme du Russ Meyer à trés gros budget. Comme quoi, durant les sixties, absolument tout pouvait arriver. Et même à Hollywood.

  • Fils de...

    Pas de musique, pas d'effets multimedia. Pas de bruitage, pas de trucage, pas de décors. Pas de prologue, ni de commentaires au second degré, ni clins d'oeil, aucune mise à distance. Ni mouvement de projecteur, ni hémoglobine, ni fumée, ni chorégraphie, ni pluridisciplinarité, ni nudité, ni violence physique, ni costume hors contexte.

    medium_sp_10480_g.jpgMais juste trois interprètes sans défauts, sur un simple plateau, au service des mots de Montherlant, pour que ceux ci résonnent d'une incroyable violence, d'autant plus efficacement dans ce contexte dépouillé. D'une violence essentielle: celle - toute psychologique- qui s'installe au coeur d'une relation familiale. Entre un père imbu de lui même et son fils retrouvé, le "Fils de Personne".

    Le fils est un adolescent, ni plus ni moins que cela, un coeur pur et simple. Le père ne peut l'accepter tel quel, s'obstine à la recherche impossible d'un autre lui-même. Un double idéal. Tel un Don Alvaro laïque, il occille entre élans d'affection et morgue, et la mêre, témoin, n'y peut rien. Les personnages de Montherlant, décidément, ont bien du mal à aimer.

    On a rarement l'occasion d'entendre des mots aussi cruels sur une scène de théâtre, tels ceux que le père déçu adresse à son fils, et cela constitue une provocation bien plus efficace que toutes les outrances visuelles.

    Par provocation, entendons la capacité de provoquer chez le spectateur des réactions, dont l'impact survit à la sortie de la salle.

    Le contexte- la France d'après la débâcle de 1940 qui a sépare tant des familles- est discrètement restitué par le phrasé, par les costumes, par le maquillage, par les quelques accessoires. Sans que cela n'ait au fond d'importance, sans que cela ne date la pièce. Universelle, au coeur de son sujet.

    Montée par Edith Garraud, et suivie de "Demain il fera jour"- avec les mêmes personnages et les mêmes interprètes, qu'on ira voir- promis- bientôt.

    Toujours au T.N.O. 

    Guy

  • 6 fois Loretta Strong

    Dernière semaine pour le festival de Gare au théâtre , le programme d'hier soir (et qui se répetera jusqu'à dimanche) ne pouvait pas laisser indifférent.

    medium_nip06alpe.jpgOn a d'abord tendu l'oreille pour écouter "Alpe! Alpe! ou le cri du cochon dans la nuit d’hiver" de la compagnie Etcha Dvornik. Mais sans parvenir à entendre quoique ce soit d'intelligible. On s'est juste trouvé rétrospectivement bien sévère d'avoir jugé, dans le même lieu, Murmurs trop confus. Au moins la pièce de Furymoon avait-elle ses moments.

    Ici rien qui tienne debout et pourtant tout y passe: récitatifs graves et d'une naïveté désarmante, déhanchements douloureux, danse en transe, effondrements tragiques, visites dans les rangs du public, heurts contre les murs, entrées et sorties incessantes, accessoires à la pelle-pelles justement, râteaux et brouettes à volontés comme en fin de soldes au B.H.V.-, nudité intégrale comme par obligation syndicale, perruques et déguisements sans sens, effet de fesses et de seins, courses interminables et bruyantes perdues en fond de scène- le plateau de Gare au Théatre est hélas assez grand pour inspirer aux chorégraphes toujours les mêmes facilités- bref tout le bric à brac de la transgression convenue, et tout cela sans une seule fois nous surprendre.

    Heureusement le temps fait tout oublier: on retrouvera sûrement à la rentrée l'envie de voir de la danse. 

    On poursuivait avec la Tentative Intime de Sabine Revillet, laquelle avait mobilisé pas moins de cinq metteurs en medium_tentative_intime.2.jpgscène pour son projet. Qui consistait à adapter ses journaux intimes écrits depuis l'âge de douze ans. Pour confirmer ce que l'on a pu déjà souvent constater: dés qu'on voit écrit le mot "intime"s'agissant d'un spectacle, ce n'est pas très bon signe. Car, malgré tous nos efforts pour accepter nous aussi la naïveté assumée du concept, moins de vingt quatre heures après avoir entendu un texte de Montherlant, le contraste était cruel.

    Cela dit, on souriait quand même. On appréciait la distance ironique que l'actrice établissait avec son auto-sujet, et dans le même temps l'empathie qu'elle suscitait. On saisissait de bon coeur les rubans de robe qu'elle nous tendait. En un mot on se laissait émouvoir. Mais sans réussir à entrevoir, quoi que soit d'universel. 

    Heureusement à 20 heures, décollai(en)t Loretta Strong.

    La medium_affiche1.gifLoretta Strong de Copi (1940-1987),mais au pluriel, en la personne de 6 actrices à la fois, pour saisir ensemble le rôle à bras le corps et l'agiter en tous sens, le répandre sur le plateau membre par membre. En une folie démultipliée, en une hystérie croissante, version cours de récréation après que les enfants aient étranglé les surveillants, pour nous faire partager une heure de terrible régression.

    Car la troupe- Infraktus-, en une surenchère parfaitement réglée de ballons en plastiques, de bruitages, de hurlements, d'éructations, de contorsions, de chewing-gums, de positions grotesques, de mimiques appuyées, de tirs de pistolets jouets, réussit à situer la pièce à sa juste place: dans le domaine de l'enfance.

    L'enfance des peurs indicibles, de la peur de se perdre, celle du sexe, de la mort, de la dévoration, de la mutilation. Transposées en aventures spatiales, grotesques et obscènes, de Loretta Strong, perdue dans un espace paniqué où tout s'effondre et disparait en de sanglantes explosions. Jusqu'en dernier son corps. Tout cela suscite medium_63533.jpgun ricanement qui s'étrangle dans la gorge.

    Mais pourrait il en être autrement? Les histoires que nous racontent les enfants ne nous font jamais rire, et celle là encore moins. Surtout ce soir parfaitement mise en mouvements, en une performance physique étonnante et tout à fait maîtrisée. Et on a eu personnellement le plaisir d'être affublé quelques instants de la perruque verte de Linda. On était content, car on avait rien porté de tel depuis mai 1986. Mais il s'agissait d'une autre soirée, évidemment...

  • Le Maitre de Santiago

    On hésitait un peu, on n'osait pas vraiment, mais on s'est enfin décidé: à suivre hier soir Montherlant,sur la pointe des pieds, le long des chemins les plus austères, ceux qui mènent aux sommets les plus élevés. On a vu le Maitre de Santiago. Et on aura du mal, après, à oublier.

    medium_Montherlant.jpgLe contexte: l'Espagne du début XV°, juste libérée de la domination maure, tendue vers la conquête des Amériques, et de son or.

    Le sujet: Don Alvaro, héros de la bataille de Grenade, maître de l'ordre chevaleresque de Santagio, est sollicité pour partir s'enrichir dans le nouveau monde. Qu'il puisse ainsi doter sa fille Mariana, afin qu'elle se marie avec son bien aimé. Mais Don Alvaro refuse. Tout dans ce siècle ne lui inspire que dégoût, et plus que tout la vanité d'avides conquêtes, vouées à l'échec. Il n'aspire qu'au silence, qu'à la pauvreté et à la prière. Quitte à entrainer Mariana avec lui dans la voie de l'extrème dépouillement. Jusque vers le renoncement au monde, vers l'absolu, vers Dieu ou le néant.

    La religion est donc ici évoquée dans son acceptation la plus mystique, la plus austère, la plus pure. La plus dure et intransigeante aussi. Avec un texte grave, brillant, mais d'une clarté acérée. En aucun cas un plaidoyer ou une condamnation univoque. Dans la tradition du grand théâtre d'idées, se confrontent les positions morales par la voix des personnages. Les compagnons de Don Alvaro ne se privent pas de lui dire à quel point sa recherche solitaire du salut s'accompagne de froideur et d'égoïsme, d'indifférence vis à vis du prochain, y compris vis à vis de sa fille. De lui montrer à quel point sa charité ressemble à du mépris. Mais le spectateur est adulte, à lui de méditer, et de trancher. S'il peut.

    Mais il ne s'agit pas d'un débat froid et abstrait, il s'agit de doute et de souffrance. Jean Luc Jeener, le directeur du T.N.O., incarne Don Alvaro. Aurait-il organisé le cycle Montherlant dans son théâtre qu'à ce seul effet qu'on ne pourrait lui donner tort. S'il met de tout son corps en évidence la fragilité du personnage, ce que Don Alvaro a aussi d'effrayant, d'extrême, de presque monstrueux n'est pas pour autant occulté.

    Le texte est traité ici avec un grand respect, mais il ne pouvait être fait d'autre choix en vérité. La mise en lumière est admirable, l'espace organisé sur une diagonale avec en son extrémité une croix immense, vers laquelle jusqu'à la fin les personnage tendent.

    Guy

  • Celles qu'on prend dans ses bras - et les autres

    medium_sp_9977_p.jpgOn écoute Montherlant, et on se sent bientôt plus intelligent. Extrêmement cynique aussi.

    Campés aux trois cotés de ce triangle amoureux: un séducteur vieillissant, une oie blanche sotte et ravissante, une vieille fille sensible et intelligente. Devinez la suite, et laquelle est aimée...

    Aucune banalité pourtant, tant le ton est féroce, le texte dur et brillant. On échappe au genre, comme écrit par un Guitry aigri. Le "dans les bras" qui conclu le titre apparaît comme une pure concession à la censure et aux conventions: lorsque l'on rentre dans le vif du sujet les enjeux sont situés bien plus clairement. De la crudité donc, mais jamais de vulgarité ni de facilités: nous nous situons dans un univers dramatique tout à fait suranné où la subtilité est de mise dans les rapports amoureux, où chasteté et débauche constituent de véritables enjeux, où vaincre sans avoir à combattre ne satisferait pas. On pense beaucoup, on parle, on analyse, on s'interroge longuement sur la nature de l'amour. Et on couche après seulement. Cela prend ainsi toute la pièce, de décider de se laisser prendre, ou pas.

    L'auteur a souvent été qualifié de misogyne, ce qui n'était pas innocent. Mais c'est ici plutôt de misanthropie dont il s'agit. On sera juste moitié aussi cruel que lui: Coralie Bonnemaiso, qui incarne la malheureuse confidente, domine de très haut ses deux partenaires-pourtant loin d'être mauvais. Et l'on tombe tant sous son charme, que l'on s'étonne en fin de compte que dans la pièce son personnage soit délaissé.

    Étrange, involontaire renversement. C'est très injuste, comme tout le reste également.  

    C'est toujours au TNO, évidemment.

  • Pasiphaé- mais si, on s'y fie quand même

    Excellente nouvelle: Le T.N.O. a entamé très discrètement depuis début Juillet un cycle Montherlant. L'intégrale, soit seulement16 pièces en alternance, c'est beaucoup moins que pour le cycle Jeanne d'Arc par exemple. On ne se pardonnerait medium_Pasiphae.2.jpgdonc jamais, et puis pour d'autres raisons, de ne pas toutes les voir, d'ici fin décembre.

    Comme on est prudent, on a commencé dés hier soir. Par une entrée atypique: Pasiphaé m.e.s. par Damiane Goudet. La pièce est -semble-t-il -composée d'extraits du Chant de Minos de Montherlant, et de Pasiphaé d'Euripide.Comme on ne connaissait aucun des deux textes, on a pas été gêné par les enchaînements.

    Révision: Pasiphaé, Reine de Crète et épouse de Minos, éprouve une attirance violente et irrésistible pour un taureau. Jusqu'à y céder. De cette union naitra: le Minotaure, vous l'avez deviné.

    Le sujet était donc très improbable, littéralement monstrueux. Et délicat à représenter.

    Mais, de par la force du texte et/ou de l'interprétation, rien n'a basculé dans le ridicule, à aucun moment. Car c'était de la passion, extrême forcement, dont il était question, celle qui se considère elle-même horrifiée, qui craint et brûle de se dévoiler au monde, mais persiste à se consumer jusqu'à s'accomplir tristement, toute jouissance morte née.

    Il faisait donc très chaud, le jeu halluciné de Pasiphaé était aussi grave que le lieu, le choeur féminin chantait juste et montait en crescendo, on se sentait plus que jamais taureau.

    Guy

  • Fragments de seduction

    medium_Pschutt-2.jpgOn continuait cette fin d'aprés midi à Gare au théâtre, avec "PSCHUTT ! CA COMMENCE !" par la compagnie Desidela.

    Une parenthèse néo-classique, peut-être bienvenue, entre deux propositions plus audacieuses. Avec une danse en quintet, qui évitait tout dérapage, autour du thème périlleux de la séduction. Sur une ambiance musicale de clavecin baroque troublée de discrets appartés technos. A part cette dernière liberté, et contrairement au programme, rien de contemporain là dedans.

    Ce libertinage façon XVIII° revisité restait très sage d'apparence, et très habillé. Pour que s'en medium_Desidela4.jpgdégage un érotisme d'autant plus efficace, plus en frôlements et en regards intenses qu'en étreintes franches. Difficille de ne pas se laisser gagner par une euphorie légère jusqu'à en ressortir en souriant.

    Pour que le sourire se fige bientôt, tant on est plongé, avec Robert Guiscard- Fragment d'une tragédie, dans la perplexité. Une pièce d'Heinrich von Kleist,tout à fait incompréhensible, et qui plus est inachevée. Et située à Constantinople.

    C'est sans doute pour cette raison que la compagnie T.O.C.entreprend de s'expliquer la pièce devant nous tout en la jouant par morceaux. Nous voilà plongé à nouveau dans l'expérimentation, avec ce procédé du commentaire décalé qui doit être trés tendance-  on nous a déja fait le coup avec Europe et Médée.

    Pourquoi pas, mais à la longue, c'est un petit peu inquiétant: est-on devenu si inculte et obtus, que l'on se sente obligé de nous faire l'explication de texte à chaque fois? Mais la troupe affecte d'éprouver autant de difficultés que nous-même à comprendre les intentions d'Heinrich von Kleist (1777-1811), nous ne pouvons nous empêcher de nous sentir malgré nous un peu solidaires.

    medium_152500230_8f9ec30eb0.2.jpgSi l'espace est bien délimité- une table en avant scène pour le débat, et le jeu dans un décor au fond- les repères sont vite brouillés. Tout le plaisir viendra des aller retours et des ambiguïtés entre ces deux niveaux du spectacle, au sujet d'un Guiscard dont on parle beaucoup mais qu'evidemment on ne voit pas. Encore qu'à la fin... Mais allez y vous verrez bien.

    La soirée continuait avec Le Projet Babel d'Habaquq & Cie .Cycle engagé de 12 pièces pour évoquer les conflits qui déchirent l'humanité. Bon courage, c'est un vaste programme. On avait les avait vu jouer Jeanne d'Arc au TNO, puis déja 2 morceaux de Babel au même endroit.

    Mais on en avait pas parlé. Ni du premier ni du second. On n'avait pas parlé du premier extrait parce qu'on ne l'avait pas aimé. On avait pas parlé du second non plus- "Liberté pour Grosny"- parce que, pour des raisons précises, on avait été agréablement surpris. Et sans cet effet de surprise, on aurait alors beaucoup moins aimé.

    Donc on continuera à ne pas en parler.

    Et tout ça continue jusqu'à dimanche

    Guy

  • Gare au QCM

    On est retourné à Gare au Théâtre, pour le premier jour de la deuxième semaine de l'anti-Avignon.

    D'évidence placée sous le signe de l'expérimentation. C'était heureusement indolore, mais pas insignifiant pour autant. Première proposition d'Anne Montfort et du Théatre de l'Heure : "Q.C.M. Quel Cas Morceler?". Avec Muriel Bourdeau et Samantha Larriva. Pour cette fois le terme de proposition- employé le plus souvent pour éviter celui trop commun de spectacle- était tout à fait approprié. Notre main innocente fut choisie pour tirer au sort l'ordre des séquences à jouer. Puis on était invité à s'asseoir n'importe où sur le plateau, et à se déplacer à volonté. Et surtout, comme chaque spectateur, on était armé d'une feuille où figuraient 35 actions possibles, pour à tout moment faire exécuter celle de son choix et infléchir le déroulement de la performance.

    Dur de se lancer, mais après on se prend vite au jeu. Certaines consignes étaient claires:"Déplacer Valérie", d'autres très intrigantes: "Sam se rappelle ce qu'elle a vu dans la chambre froide"

    Très honnêtement, on est pas persuadé que cette expérimentation soit de nature à changer l'avenir du spectacle vivant. Ni à bouleverser durablement le rapport des artistes et du public. On était si préoccupé à se demander si et comment intervenir, ou si l'on était assez désinhibé pour se déplacer encore une fois sur le plateau devant tout le monde, on était tant sollicité par toutes les lourdes responsabilités de ce genre, qu'on a manqué beaucoup de ce que la comédienne, la danseuse, la violoniste, la metteuse en scène et l'auteur des textes en direct nous proposaient pendant tout ce temps. On s'est tout de même reconnu dans les descriptions des spectateurs à la fin.

    Mais on a encore moins réfléchi à quel sens donner à tous ces mots et toutes ces actions morcelées. et l'on a pas exploré les rapports entre cette tentative et les travaux des oulipiens. Heureusement ils ont un site internet, on va devoir y faire un tour pour réviser. Mais on a tout de même connu un moment délicieusement étrange, une expérience jamais vécue jusque là. D'un sentiment nouveau et troublant: suggérer que la danseuse tombe, et qu'elle tombe effectivement. 

    Mais ce n'était pas fini, on reparlera de la suite demain, si on a le temps. 

    Guy