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Un Soir Ou Un Autre - Page 62

  • L jr ds meutr ds l'hist. d'Hmlt

    Paradoxe. La tragédie d'Hamlet en 1h20 et 4 protagonistes: c'est objectivement très court. Et en même temps c'est bien trop long d'y faire rentrer de force bien trop de choses. Effet d'un pêché de jeunesse, cette envie de tout essayer? Qui fait ressembler la proposition à un catalogue de procédés, même bien amenés, impression qu'on subit dès la première chute de projecteur (cardiaques s'abstenir). Singulièrement, toute la gamme des lumières y passe, de l'éclairage de la salle pleins-feux à la lampe-torche dans le noir, en passant par les néons clignotants. C'est la pièce à ne pas manquer pour tous les apprentis éclairagistes. Autant de prouesses qu'on remarque trop, au détriment du sens (à moins que le sens ne soit justement de mettre en évidence les artifices du théâtre?) De même pour tous les trucs à la mode-on se promet de hurler la prochaine fois qu'on voit une bicyclette sur scène. Phèdre, vue il y peu, osait beaucoup aussi, mais plus en cohérence. Dommage pour ce soir, car il y avait dans le jeu de quoi nous tenir toujours suspendu entre intérêt et agacement, en usant d'une désinvolture étudiée.

    Voire, l'exercice que s'était permis Koltes d'après Shakespeare n'était, de son vivant, destiné ni à la publication ni à la scène. Cet inédit aurait pu le rester, sauf à se passionner inconditionnellement pour l'auteur se découvrant auteur en disséquant l'oeuvre d'un auteur illustre. Pour autant la relecture d'Hamlet n'est pas impertinente, voire ne manque pas de pertinence. La langue accroche dans son rapport sec et âpre au modèle shakespearien. Mais- 1H20!- le résultat manque tout simplement d'espace et de respiration, de substance. Reste rétréci. Aussi squelettique que le crâne du bouffon. Le monologue passe tout prés de la trappe restée ouverte. A voir Hamlet en treillis, carabine à la main, avec l'accent chantant, on en reste au drame, mais familial et rural.

    C'était Le Jour des Meutres dans l'histoire d'Hamlet ♥♥ , de Bernard-Marie Koltes, m.e.s. par Thierry de Peretti, au Théatre de la Bastille, jusqu'au 20 avril

    Guy

  • Les corps de Sofia Fitas

    Elle nous renverse. D'abord nous aveugle. De métamorphoses. Nous déshabitue. Puis dirige le regard à la loupe. Le focalise, le brouille, le morcelle. Casse tout des constructions habituelles. Joue des oppositions: belle robe, mais matière plastique. De face, le visage à disparu. Parti à la renverse. 1459501198.jpgescamoté. Ceci n'est plus une danseuse. Cou et menton forment un autre. Un être, reptile? Mutant? Primitif? Qui se cherche. D'abord en lenteur. Repères bouleversés. Après se présentent les muscles du dos. Forment d'autres figures. Des créatures, sous la peau. Il y a foule. Qui produit contrastes, contractions. Torsions. Grouillements et conflits. En nudités émiettées. Micro-organismes. En perpétuelle évolutions? Les membres font combat. Font sécessions. Comme chez Maria Donata D'Urso... Le mouvement en plus? Plus innovant. Plus exigeant. Plus ambitieux. Car elle bouge. Ouvre des possibles. Elle court, sans courir. Sur de nouvelles trajectoire. Toujours l'entier se dérobe. Ne livre une humanité éparpillée. Ou complexe? Un corps au pluriel. Dirigé par un esprit détaché? Par un système extérieur. Elle est, mais par morceaux. Elle se refuse humaine. Au depit de l'émotion? Mais l'inimaginable vu ouvre l'imaginaire. Le chemin est aride, rigoureux, escarpé. Peut en décourager plus d'un. Elle ne se montre pas, toujours. Jusqu'au bout, sans identité. Nulle apparition de visage, nul coup de théâtre, nulle révélation. C'est risqué, et beau. Enfin elle s'efface, se coule dans le noir. Nous laisse en stupéfaction.

    A la sortie: une discussion...ou un exposé? Une volonté et une vraie profondeur. Une réflexion sur le corps qui échappe au lieux communs. De l'exigence, de la générosité, du sérieux. Pour une fois, le mot recherche n'est pas utilisé en vain. On repart avec Gilles Deleuze au programme. A suivre.

    C'était Experimento 1, ♥♥♥♥♥ solo de Sofia Fitas, à Mains d'Oeuvres. Et ce soir, samedi, encore.

    Guy

  • Marie Chouinard: la vie des animaux

    C'est vite vu: ce soir le vocabulaire chorégraphique va plus chercher ses inspirations coté zoo et basse-cour que dans le catalogue académique. Ce Faune  ne s'envole pas vers le poétique, il trace son chemin à coups de sabots, de mouvements hachés, tout contrefait et tourné en dedans, sur un seul 586661700.jpgplan, de gauche à droite de la scène et retour, ni profondeur ni mouvement vers le haut, bête sans ambiguïté. Le collant est hérissé, évoque de plutôt loin les photos de Nijinski. Faute de nymphe disponible, la créature finit par faire l'amour aux cônes de lumière, sa corne repositionnée où il faut, dans un élan masturbatoire et espiègle. On ne sait au juste ce que Marie Chouinard a choisit de retenir de ceux qui l'ont précédés, pour exécuter ces deux pièces de répertoire, et ce qu'elle a choisi d'oublier de toute la tradition pour revenir à plus archaïque, mais le résultat est drôle et perturbant.

    Pour le Sacre, l'habituelle thématique sacrificielle est laissée au bord du chemin, pourquoi pas? Ce printemps s'éveille en pleine nature, évidemment. Les danseurs-animaux s'agitent tous azimuth, chacun dans sa prison lumineuse, mais sans barreaux. La lumière, en l'absence de décor- comme pour le Faune-, structure et découpe l'espace au cordeau. Moulinets, sauts et parades tout y passe, nerveux et saccadé. Jusqu'aux démonstrations d'art martiaux, façon grand maître mimant la prise du chat ou de l'oiseau. Quelques espaces lumineux finissent par se croiser, pour des rencontres assez troublantes: un mâle en rut se frotte à une femelle bardée de cones pointues. Les autres bestioles continuent solitaires à se dépenser up-tempo, les espaces-lumières s'allument et s'éteignent, on commence à se lasser, et même de Stravinsky. Les danseurs évoluent vers le collectif, mais un peu trop tard, puis le printemps se transforme franchement en saison des animaux amoureux. Le faune de tout à l'heure s'est-il glissé parmi eux incognito? C'est, en tout cas, le retour des cornes en érections. Se sent on menacé dans notre virilité? On frôle en tout cas la sur-dose de symboles phalliques. Tout cela, jusque dans la rudesse des gestes, est masculin à l'excès. Est ce l'expression du complexe de castration érigé en système chorégraphique?

    C'était Prélude à l'aprés-midi d'un faune et Le Sacre du Printemps, ♥♥♥♥♥♥ de Marie Chouinard, au Théâtre de la Ville. Jusqu'au 6 avril.

    Guy

    photo du site internet du Théatre de la Ville

  • Phèdre échauffée

    Mr Sarkosy, jusqu'à récemment, avait comme conseiller Mr BenamouNéron, il y a 20 siècles, avait Sénèque. Quand Néron signifiât sa disgrâce au philosophe, ce dernier se retira dans sa villa romaine, mais pour se donner la mort en se tranchant les veines. On ne souhaite pas un sort aussi extrème à Mr Benamou (qui semble avoir déja assez d'ennemis comme ça). Mais l'évenement illustre à quel point les temps ont 379373541.jpgchangé, et que les intellectuels ont perdu beaucoup de leur sérieux. Heureusement, avant de trépasser, le philosophe a eu le temps de nous transmettre, entre bien d'autres choses, sa version de Phèdre.

    Ce texte, échauffé par une mise en scène nerveuse et abrupte, on aime le recevoir comme un brûlot. L'auteur nous ramène jusqu'à une frontière. Artistique et idéologique. Il n'est pas indifférent que la vie de Sénèque commence à la fin de l'ère antique (vers 4 avant J.C.) et s'achève au début de l'ère chrétienne (65 après J.C.). On trouve les sources de ce Phèdre dans la mythologie, et chez Eurypide ou Sophocle. Mais Sénèque porte sur les dieux et les hommes un regard plus moderne que ses prédécesseurs, d'un point de vue moins religieux, plus critique. Reste encore dans la pièce toute la force sidérante des mythes, mais déja vis à vis d'eux la distance du moraliste stoicien. Qui met en scène et sous observation l'enchaînement fatal des passions humaines. Et le texte n'est en rien pollué par du sentimentalisme ou du psychologisme: merci pour ces quelques siècles de sursis. Uniquement de l'élévation, juste de la puissance, que de la dignité, et aucune familiarité avec le spectateur, aucune complaisance. On ne s'étonne pas que cet homme ait su se couper les veines.

    Question passions-puisque leur étude fait le sujet- il y a de la matière. Phèdre est fille de Minos et de Pasiphaé, lourde hérédité! Hérédité à laquelle- le texte est explicite- on ne saurait échapper. La Reine, délaissée par Thésée,  ne jette pas comme le fit sa maman son dévolu sur un taureau ("au moins lui il savait faire l'amour"), mais sur son beau fils, Hippolyte. C'est plus fort qu'elle...(mais soyons moins sévère que Séneque: depuis Phèdre nous ne cessons nous même de perpétuer tout ce que nous avons reproché à nos parents, ou ce qu'il nous ont chargé de faire à leur place). Cette attirance pour le jeune homme est tout autant contre-nature, selon les standards de l'époque. On aurait alors mauvaise grâce à reprocher à la mise en scène de ce soir d'être excessive. Hurlements et calvacades, Phèdre part à l'assault d'Hippolytepour lui montrer d'une manière plus qu'explicite qu'elle le veut, sexuellement parlant. Voudrait-on qu'elle lui propose plutôt une tasse de thé? Qu'elle s'offre calmement? Nous ne sommes pas chez Marivaux! Thésée, à son retour des enfers, n'est pas en reste d'agitation, lamentable surhomme, possédé par l'orgueil et la colère, alors qu'il apprend les (fausses) accusations portées contre son fils par Phèdre éconduite. L'intrigue atteint un niveau d'énervement et de déraison qui place le sur-jeu et l'emphase comme une norme logique. Seul à l'écart de ces tempêtes, complice de notre regard détaché, le joli couple du choeur joue de la guitare et du micro. La scénographie est magnifique: comme ces acteurs (et seuls quatre se succèdent sur la scène) semblent petits! Ils courrent d'un bout à l'autre du plateau, perdus dans l'imaginaire du décor esquissé, écrasés par la fatalité! L'immensité du palais froid est installé par d'amples vases au sol, remplis de matières élémentaires, colonnes que les lumières prolongent vers le haut. Bien sur, tout sera saccagé, répandu, emporté par les passions et le désordre, les vases renversés. Au mur se défigure un portrait de famille. En écho de la décadence. Doit-on s'agacer de détails: décolletés et bicyclette? C'est bien peu et rien du texte, pourtant d'une rare densité, n'en est gâché ni obscurci. Ce texte de Sénèque, somptueux, parsemé de joyaux incandescents et poétiques, riche de mille thèmes: la nostalgie d'un ordre originel, les considérations morales et politiques, jusqu'à la description- très gore- de la mort d'Hippolyte poursuivi par la malédiction paternelle. La main de Neptune n'est pas guidée par la colère des Dieux, mais par la folie de l'homme, la victime est réduite à une triste bouillie humaine. L'eau tombera en déluge, funèbre, pour tout laver et emporter: ce théâtre sait aussi s'apaiser.

    C'était Phèdre ♥♥♥♥♥, de Sénèque, traduit par Florence Dupont, m.e.s par Julie Recoing, avec Thomas Blanchard, Marie Desgranges, Alexandra Castellon, Grétel Delattre, Anthony Paliotti, au Théatre Nanterre Amandiers, jusqu'au 17 avril.

    Guy

    P.S. : (de mémoire), une dernière citation du Phèdre de Sénéque, pour la route: les peuples élèvent à leurs têtes des va nus pied, les encensent, et bientôt les rejettent...

    et des images ici ...

     

  • Herman Diephuis: 6 fois Julie Andrews

    Cher Herman Diephuis

    On a vu votre Julie, entre autres... mais avant de décider si on a aimé, une question: vous-même, aimez vous cette Julie, oui ou non? C'est à dire le modèle de départ, le personnage même? Question centrale. Car en regardant la pièce que vous avez crée à partir de matériaux tirés de La Melodie du Bonheur,on ne sait jamais pas à quel degré se situer, peut-être car on ne sait pas non plus où vous vous situez vous-même. Ily a t-il au départ de la nostalgie? Voulez vous simplement nous faire réfléchir? Vos six interprètes de Julie Andrews nous sourient d'un bout à l'autre, et machinalement nous leur sourions aussi. Sans crier à la manipulation, ce n''est qu'un sourire réflexe. Mais cela suffit il pour alimenter une véritable réfléxion sur le "marketing de l'optimisme"? Voire une critique du divertissement, à la manière du dernier sujet de controverse produit par Maguy Marin? Vous nous invitez à "grimper la montagne" avec Julie Andrews. Votre confrère Alain Buffard s'attaquait lui aussi à la comédie musicale par d'autres versants, avec (Not) a love song. Mais on avait le sentiment que son projet fonctionnait mieux, sans doute car malgré tout le détournement des codes, tout le second degré, la jubilation naïve face à ses sources d'inspiration restait évidente. On était, en sa compagnie, "dedans" et "en dehors" à la fois. Dans un déséquilibre dynamique. Dans une ambiguïté stimulante. On jubilait et refléchissait à la fois.

    Cela écrit, votre pièce est drôle, dans les gestes et dans la danse. Quoique nous faire écouter 5 versions à la suite de "My favorite things"(2 fois façon chanteuses de jazz, 2 fois façon crooner, une fois style punk) ne peut que tendre vers l'exercice de style, la gratuité. Et l'usage du play-back, ne peut qu'évoquer le style "spectacle de fin d'année", même ultra pro et reglé. Heureusement on se réveille quand Dalila Khatir donne de la voix, pour de vrai, on s'accroche au fauteuil. Puis quand les autres interprètes s'y risquent un peu. Mais on en revient à la question de départ, on ne sait pas où se situer. D'autant plus qu'en France nous sommes moins familiers avec La mélodie du Bonheur que dans les Pays-Bas de votre enfance. Personne ne vous a prevenu? Ou visez vous le marché anglo-saxon? Il faut une certaine remise à niveau pour vous suivre, et comprendre les allusions que vous faites à l'histoire, à sons de cloches et autres. Avec vous ce n'est jamais inintéressant, mais c'est toujours difficile à suivre. Pour Julie, comme on est sérieux on avait acheté, avant de voir votre chorégraphie, le DVD du film avec les bonus. Sans compter qu'on va devoir s'inscrire à la visite guidée organisée bientôt au Louvre, rien que pour comprendre les références de votre excellent "Dalila, par exemple"... (qui repasse au T.C.I.).Vous rendez vous compte à quel point vous faites travailler vos spectateurs? Pour en revenir à Julie, découvrir adulte le film La Mélodie du Bonheurc'est vivre une expérience kitsch surprenante, toutes ces histoires de bonnes soeurs et de blondinets qui courent dans les champs en chantant Edelweiss. Remarquez, le petit dernier a beaucoup aimé... Nous, est on trop vieux? Ou est ce un sujet inadaptable, au delà du niveau candide? Est il intéressant de critiquer le bonheur? En tout cas, merci pour les dernières minutes, vous avez choisit une interprétation de "My Favorite Things" par John Coltrane  vraiment déchirée. Auriez vous la référence? Savez vous- vous le savez sûrement- que Coltrane enregistra des dizaines de "Favorite Things" jusqu'à sa mort durant toutes ses années soixante, pour sans cesse transformer la mélodie gentillette en... autre chose d'absolu, et qu'il s'était absolument approprié. Est-ce le temps qui manque à votre Julie entre autres"? On en revient toujours là... Êtes vous sur d'avoir "tué" la Julie de votre enfance, avant de nous en montrer une autre?

    Bien cordialement

    Guy 

    P.S. On a un reproche à vous faire, pour une faute inexcusable. Vous ne créditez nulle part sur programme les auteurs de toutes les chansons que vous nous faites écouter: Richard Rodgers (1902-1979) et Oscar Hammerstein II (1895-1960). 

    C'était Julie, entre autres ♥♥♥ d' Herman Diephuis,avec Jerome Andrieu, Trisha Bauman, Julien Gallée-Ferré, Claire Haenni, Christophe Ives, Dalila Khatir au théâtre de Vanves, avec Artdanthé

  • Jocelyne Danchick: un monde sous contrôle

    On trouve plein de cadeaux cette année dans la Dance Box  de Bertin Poiré: une performance de Yumi Fujitani (qu'on a ratée), deux courts mais beaux soli (qu'on a vu), le premier de l'italienne Eleonora Zenero d'une puissance et d'une économie post buto, le second de Saiko Kino, toute en longueurs et en judicieuses obscurités...et hier soir une proposition à la fois corsetée et libérée de Jocelyne Danchick.

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    On avait eu plus qu'un avant-goût du concept radical et orthopédique de Breath Cycle avec un solo ici même l'an dernier. Le choc esthétique initial est donc un peu amorti. Mais sans perdre de sa force. Évidemment déja d'un point de vue érotique: la vue d'un sein jaillissant de la prison d'un corset rigide interpelle plus qu'une franche nudité. Il y a heureusement plus à voir ici qu'une offensive fétichiste. Il est troublant de montrer le corps en montrant ce qui le contraint... ou ce qui le soutient. Les mouvements cassés, asymétriques, sophistiqués ou instinctifs, cultivent tout au long cette intéressante ambiguïté. Au son lancinant du cri du cuir. Et au fil de Vivaldi, Haendel, Chostakovitch, pour une mise en perspective historique, de la poupée baroque aux corps industriels, et l'incursion d'inquiétantes araignées charnelles. Tous ces personnages tentent-ils d'être libres dans leur liens, et d'être sujets autant que d'être objets? On entend Freud aussi, pour nous en dire la difficulté. Manier tout cet attirail peut être pesant, J.Danchick introduit aux bons moments une distance ironique bienvenue.

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    Tout de même des regrets: de Breath Cycle 1 à Breath cycle 2 le passage du singulier (dans tous les sens du terme!) au pluriel se grippe par moments. Les soli ne détonnent pas mais les ensembles semblent manquer de précision, ce qui est un comble s'agissant d'une évocation du corps-machine. Question de rodage (il vrai que c'est la première), d'huile dans les rouages? Là n'est pas le plus important. Les danseuses et le danseur se libèrent de leurs carcans à la fin: on est soulagé pour eux...Voire: les corps d'aujourd'hui sont tout autant contrôlés qu'avant, mais de manière plus subtile, par des appareillages moins visibles. Ce n'est pas le moindre mérite de Breath Cycle de nous le rappeler.

    C'était la création du Monde Entre Parenthèses, ♥♥♥ second volet de Breath Cycle, de Jocelyne Danchick avec Melanie Brockmann, Onenn Danveau, Claudia Gradinger, Charles Essombe, Malena Murua. Ce soir encore, Dans le cadre du festival Dance Box, qui s'achève le 29 mars, à l'Espace Culturel Bertin Poiré

    Guy

    P.S. : photos de Danielle Voirin, avec l'aimable autorisation de Jocelyne Danchick

  • Troilus et Cressida en V.O. (Director's cut)

    Merci à Declan Donnellan: il nous permet de découvrir enfin Troilus et Cressida in-extenso. Et du même coup, on comprend comment J.L. Jeener avait pu couper 70 % du texte dans la version vue au T.N.O.  C'est que la pièce est bizarrement construite. On est habitué à ce que Shakespeare 1709927291.jpgmène plusieurs intrigues de front. Mais ici il y a incontestablement deux pièces en une, et très peu d'interactions entre les deux: d'un coté l'histoire d'amour entre les deux personnages du titre, de l'autre tout un épisode de la Guerre de Troie. Ils sont venus, ils sont tous là: Agamemmon, Achille, Priam, Hector, Paris, Menelas, Helêne, Nestor, Ulysse, Patrocle, Ajax, Cassandre, Andromaque.... Donnellan  aurait pu couper exactement ce que Jeener avait gardé, et renommer "Hector et Achille" le résultat. Mais le metteur en scène a choisi l'intégrale, en anglais dans le texte, et en deux fois une heure-vingt mais qu'on ne voit pas vraiment passer.

    Car formellement, rien à redire: très beaux et drôles les troyens en dominante beige décontracté, impressionnants les grecs en noir martial et sévère. Le tempo est parfait, le phrasé Shakespearien impeccablement articulé en V.O., la tragédie mise à distance en comédie. Le dispositif bi-frontal autorise défilés de mode comme défilés militaires. Pourtant, à force de voir tout ce savoir-faire à l'oeuvre, on se demande si l'exercice ne tourne pas un peu vain. Coté coeur l'intrigue amoureuse parodiée atteint l'absurde, d'accord: Créssida blonde très blonde, carrement gourde, Troilus absolument gland. Jusqu'à la conclusion, les anti Roméo et Juliette. Coté épé l'histoire guerrière est menée et minée avec un art joyeux de la démystification, c'est entendu aussi. Tout le ridicule de l'honneur militaire cruellement mis en évidence. Nestor est une vieille baderne, Ulysse un politique pas franc du collier, Ajax un crétin authentique. Les autres ne valent pas mieux. Tous se prenant trés au sérieux dans cette histoire d'hommes avant tout, de vrais hommes, qui jouent du menton et jouent à la guerre comme on joue au polo, en compétitions cruelles puis embrassades dans les vestiaires, un univers masculin très british. Les femmes sont remises à leur place, sous contrôle. On se garde de toucher Cassandre, de peur de la contagion. De loin, comme un star, on admire Hélène. A la limite on préfère s'en passer, les relations entre Achille et Patrocle vont visiblement bien au delà de la simple camaraderie. Tout ça est réjouissant, mais les deux pièces tardent toujours à s'articuler.1391729653.jpg

    C'est durant la dernière demi-heure que les deux histoires se réconcilient, que le tout prend un sens, au delà de la simple valeur distractive. La traîtrise d'Achille, qui la trêve de la veille embrassait Hector à la loyale, fait écho à la trahison amoureuse de Créssida vis à vis de Troilus. Les scènes de mise à mort de Patrocle, puis d'Hector, sont montrées telle l'arrivée de Cressida dans le camp grec: à la manière d'un viol collectif. Sale guerre, sexe sale. Chacun pour soi: Cressida comme Achille défendent leur peau. La morale se charge brusquement d'un incurable pessimisme. Shakespeare ne semble plus rien pardonner. Les hommes ne sont qu'enfants cruels et les femmes marchandises, qui passent de camps en camps, parfois maman ou star toujours plus ou moins putains. On croit presque voir du Sarah Kane, Guerre et luxure à tout jamais, dans le lit au combat aucune place pour l'honneur ou la loyauté.

    C'était Troilus et Cressida ♥♥♥ de William Shakespeare, m.e.s par Declan Donnellan, au Théatre Les Gémeaux, à Sceaux. En anglais surtitré. Jusqu'au 30 mars.

    Guy

     

  • Eleonore Didier de A à Z

    Sur la feuille de salle de LAISSERVENIR, Eléonore Didier  suggère un abécédaire. Hélas réduit à 16 lettres (dont 2 "D" et 3 "E"). Propositions 74264464.jpgpour un alphabet complet:

    • A comme Anorak, à même la peau, couleur de pauvreté, d'une remarquable laideur. Une manière de prendre ses distances avec la beauté dansée?
    • B comme Basculement, leitmotiv dans le vocabulaire gestuel mis à contribution, au sol ou sur/sous/dessous/dessus/autour de l'Echelle.
    • C comme Chaussettes à tête de mort. Eléonore Didier n'en porte pas (s'en tient au strict Anorak). Ce qui clos une longue contreverse interprétative avec J.D.
    • D comme Danse?. Ou autre chose? C'est une question qui rapidement passe au second plan.
    • E comme Echelle. (Ou Escabeau). Un accessoire vulgaire par excellence. Qui ancre la performance dans la banalité du quotidien. Aussi dur et froid que chaude est la peau. Mais qui est théâtralisé durant la performance en une pure forme pyramidale, un terrain de jeu, un lieu dans le lieu.
    • F comme Frustration: (voir quinze Minutes)
    • G comme patins à Glace, le seul accessoire absent de  la matrice de Paris Possible. Un outil d'instabilité?
    • H comme Humour. Qui surprend au détour. Par le détournement du quotidien. 
    • I comme Imaginaire. Stimulé. 
    • J comme Jeu avec notre regard. Dirigé. 
    • K comme Kafkaien. La performance fait qu'on s'y perd peu à peu. L'espace parait hostile. La danseuse porte son Échelle, il semble qu'elle hésite avant de trouver l'endroit pour l'installer.
    • L comme LAISSEZVENIR. Pourquoi Ce titre en un seul mot? Est ce une allusion au dualisme activité/passivité?
    • M comme quinze Minutes à comparer aux deux heures de Paris Possible. Donc tout a changé. Quinze minutes qui sont irritantes et passionnantes. C'est entendu. Mais c'est beaucoup, beaucoup trop court.
    • N comme Nue.
    • O comme Oser. A tous points de vue.
    • P comme Paris Possible. Formellement, LAISSEZVENIR est une variation à partir de Paris Possible . Pour l'essentiel une variation à partir de ses dernières minutes. Mais dans son format de quinze Minutes, LAISSERVENIR devient tout autre chose. Et, paradoxalement, c'est plutôt dans Solide, Lisboa qu'on retrouve l'esprit de Paris Possible. Et l'expérience d'instants étirés.
    • Q comme Cul Écrivons-le net et sans précautions, car c'est peu de dire que le sexe se donne à voir cru sous l'Anorak, sans distance esthétisante, tranquillement provocateur. Et de manière tout à fait anti-conventionnelle, c'est l'essentiel.
    • R comme Rythme. Volontairement cassé, détourné, étiré, trompé. Toujours au bord de s'arrêter.
    • S comme Sans-dessus dessous, jambes en l'air, tête en bas, Anorak flottant, fesses au milieu. Une recherche- dans l'inquiétude- vers de nouveaux équilibres? Vers l'envol?
    • T comme Triangle, formé par l'échelle. Image d'un phallus ou d'un triangle pubien? L'ambiguïté de l'identité sexuelle, par rapport aux rôles actifs/passifs, serait au coeur des intentions de la pièce.
    • U comme Universalité. Ce qui est permis par la sobriété et le dépouillement. Par le silence, Par l'ambiguïté. Par l'humanité?
    • V comme Variations. Vers l'épuisement des positions. Peut on trouver sa place sur une Échelle? Même symbolique?
    • W comme Variations au carré.
    • X comme X: a-t-on pensé à écrire plus haut que l'érotisme est plus que présent dans la pièce?
    • Y comme Yoga: de long moments immobilisés. Sans lasser.
    • Z comme...?

    C'était LAISSERVENIR ♥♥♥♥ de et par Eleonore Didier, à Mains d'Oeuvres. Hier, et aujourd'hui samedi encore.

    Guy 

    A lire: laisser venir revisité, juin 2009

  • Eleonore Didier, entre les gestes

    Aveu1Petit.jpgCe qui ne se produit pas ou qui n'est pas vu est aussi important que ce qui se produit en apparence. En cela, ce solo créé à Lisbonne en 2005 est le digne grand frère de Paris Possible, performance pour un spectateur unique (en principe), mûrie à Point Éphémère l'an dernier. Eléonore Didier, plus qu'elle ne danse, ce soir invente des mouvements inquiets, d'abord en arpentant raz le sol, puis en sauts bas, de la lenteur vers presque la panique, l'espace blanc jusqu'à l'épuisement de celui-ci. 

    Passée debout elle construit l'espace de son regard, crée une forte attente vers la suite. Puis les habits vides de corps, comme dessinant une présence abandonnée, sont soigneusement rangés à terre- pour ne laisser à ce corps que la sincérité du dépouillement. Corps qu'on voit, tout en surface, rien qu'en surface. Lent, mais sans intentions lisibles: qu'y voir après vraiment? Rêver? Répétés, des instants suspendus sont précieux, des arrêts sur images quasi photographiques. La danseuse parvient ici, tout autant que durant les deux heures de Paris Possible, à faire durer quelques moments d'éternité. D'une rare qualité d'immobilité. Pleins de la tentation de l'abolition de la danse? L'"image" suivante a la force et l'incongruité d'un déjeuner sur l'herbe de Manet ou d'un tableau pré-surréaliste: un jeune homme assis immobile et la femme sans vêtements, sa tête cachée, souvent, tous deux d'abord dos au public, tournés vers le mur immaculé. La danseuse passe en revue l'inconfort des positions qu'elle peut avec table et chaise, laissée déjà loin derrière elle sa sobre impudeur. Les arrêts se tiennent en déséquilibre, elle succombe à la chute. A la fin-tendresse?- le garçon sera enlacé.

    Guy

    C'était Solides, Lisboa, de et avec Eleonore Didier, vu à Mains d'Oeuvre.

    Voir les photos de Vincent Jeannot.

    Lire aussi Images de danses, et -la critique professionnelle s'inéressant enfin à Eléonore Didier- Mouvement, l'année d'aprés...Il ne s'agissait pas d'une "création" à faits d'hiver, comme Gérard Mayen l'écrit dans son article, comme peut-être chaque fois qu'il découvre une pièce :-) . 

     

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  • Cannibales: à boire et à manger

    523409649.jpgDans le désordre: une déclaration d'amour drôle et émouvante à force d'être perdue d'avance, un salon/espace social (après la salle de bain solitaire et régressive de "Fées"),un plateau blême pour le portrait d'une unième génération perdue, l'élégance des gestes circassiens, une caméra sous la couette, de lassantes énumérations, une immolation par le feu( après le quasi-suicide par noyade de "Fées"), quelques rires, pas mal d'embarras, de spectaculaires acrobaties à la perche, du no-future en boucle, des chansons trop générationnelles, un couple embarrassant à rester planté au micro comme pour un discours de mariage, de belles répétitions de gestes, un peu de danse(juste un peu), trop de mots, mais sans beaucoup expliquer, du ton faux, (comme dans "Fées") des dizaines de flacons de produits de beauté, des longueurs et des bâillements, un rap remarquable, des beaux moments, une fête à tous danser sur le lit mais à laquelle on ne se sent pas invité, un spiderman, des groupes comme des additions de solitudes, des sous-vêtements noir et blancs, une sincérité touchante, de l'angoisse et de la précarité, des clins d'oeil téléphonés, de la jonglerie, des pas brusques et des luttes à la T.R.A.S.H., l'explication de la différence entre la blennorragie et la myxomatose, des projections d'images urbaines, une longue complainte de la gauche désabusée, des cascades en transparences, de la verticalité (après l'horizontalité de Fées), de la déprime à la tonne, une fin surprenante (un espace enfin approprié?)

    Au final, une ambiance: les trentenaires parlent des trentenaires aux trentenaires. On a compris. Et pour les autres?

    C'était Cannibales, ♥♥♥ texte de Ronan Chéneau, mise en scène de David Bobée, au Théatre de la Cité Internationale, jusqu'au 5 avril.

    Guy