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Un Soir Ou Un Autre - Page 61

  • Julie Nioche, d'âme et d'eau

    Dés qu'on voit on regrette d'avoir été prevenu d'avance du concept. Que ceux qui veulent vivre pleinement l'expérience que Julie Nioche propose ne lisent pas ce qui suit....

    On regrette donc de ne plus pouvoir être surpris. Comme ce qui ne surprennait plus disait l'essentiel, et que des significations plus subtiles ne pouvaient apparaitre ensuite que plus difficilement. Mais, bizarrement, c'est par la poésie des sons qu'on se laisse d'abord quand même séduire: le bruissement des robes, la chute mate de la goutte d'eau... Car voilà: les robes sont de papier, et l'eau peu à peu les délite. Voilà au moins pour ce qui se laisse voir de plus évident. Mais si le dispositif est original, quelles idées sert-il? Il est question de l'identité de chacune des quatre danseuses. De disparition et repères perdus. De fragilité. De féminité. Et l'on sait que le vêtement de tous temps à la fois opprime et protège. Qu'il soit rigide  ou, comme ici, léger. Pour autant, poser la simple équation nudité = libération (=vie=vérité) serait par trop simpliste, aussi réducteur qu'une commémoration de mai 68 sur la plaine des lieux communs.

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    Visuellement, les impressions sont fortes. Ambiguës aussi. Nous laissant suspendus entre fascination et impatience. Les danseuses se suivent en soli. Chaque solo affirme un rythme et un style propre, comme si le respect de la personnalité de chacune des interprètes devait l'emporter sur la cohérence de l'ensemble. Au risque que cette succession nous laisse par moments perdu, par effet de dispersion. Toutes restent enfermées dans les strictes limites marquées au sol par un beau dispositif scénique, que l'eau envahi. Le blanc sage des robes suggère d'inépuisables interprétations. Sur le visage de la première danseuse, un masque fait écran, nous fruste. Bien que l'on comprenne que c'est justement dans cet obstacle que réside l'enjeu. Avant que son histoire ne culmine en un déluge libérateur, qui fait, sous le papier prêt à se rompre, la chair se gonfler de vie et d'humidité. La seconde femme rêve yeux fermés. La raideur semble se concentrer en résistance, les pieds s'engluent dans une terrible marée noire. Puis la frénésie prend des échos de désespérance. De plus en plus, l'eau est d'encre. Par tâches, trouble le blanc. Le réfléchit. La troisième femme écarte larges les bras. Cambrée, yeux au ciel, comme dans l'apprentissage de nouveaux langages. Ou en extases. La quatrième, aveugle, déambule, essuie le choc de jets de sceaux d'eau. Avec une violence qu'on ne sait comment prendre. A chaque fois: un combat, une transformation, tout au long de la dissolution du faux tissu. On ne sait si elles accompagnent ou subissent ce dévoilement. Mais à l'issue de chacune de ces trajectoires, même la peau libérée du carcan de papier, chacune de ces femmes retombe au sol, semble tout autant vaincue qu'à moitié nue. Évasions sans succès, ou trop cher payées. Une assistante revient imposer à nouveau à chaque sujet une armure fragile, en de délicats agrafages. Mais fastidueux.

    Nous laissant avec le sentiment d'avoir chaque fois tout à recommencer ? Mais si le déroulement nous déroute, en commun de toutes ces singulières propositions se laisse voir à fleur de peau beaucoup de pudeur, une grande délicatesse. Même malgré parfois la violence des gestes. Et tout au long, une belle justesse et sobriété. Et les corps s'imposent avec évidence. S'épanouissent plutôt plus généreux que selon les carcans esthétiques: d'autant plus beaux de vérité, simplement. Surtout, en conclusion, après leurs réaminations et rabilllages les quatre femmes se mettent soudain, à exister ensemble. Les regards s'animent et se croisent. Sous une pluie nouvelle, les tissus se disolvent encore mais un groupe se crée.

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    Leur rencontre crée un lien avec nous, crée un sens. Alors que les lumières tombent, il y a un trés beau et court dernier moment, où toutes ensemble avancent vers nous, pour s'évader du cadre. Tout se joue au dernier instant.

    C'était Matter, de Julie Nioche, au Nouveau Théâtre de Montreuil, avec Mia Habib, Rani Nair, Julie Nioche, Bouchra Ouizguen, dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine Saint Denis.

    Guy

    Photos avec l'aimable autorisation de Jérome Delatour-images de danse. Toutes les autres sont ici

    P.S. D'autres réactions sur Images de Danse et Tadorne

    extrait et interview, sur arte

  • Toru IWASHITA en direct

    Contrastes: on est derechef précipité en territoires improvisés, et très, très loin des paysages cérémonieux que le danseur nous faisait explorer en compagnie de Sankai Juku au Théatre de la Ville. Extrait et libre du contexte du groupe de Ushio Amagatsu, Toru Iwashita danse ce soir sa 1101355892.jpgdifférence. Au placard robes orange et maquillage blanc, oubliés les éclairages. Assis le long des murs de la Galerie Tampon, on est jamais pourtant dans une salle et presque dans la rue encore, où on voit les passants s'arrêter face à la vitre, regards happés dedans. Est-ce pour marquer la rupture avec toute esthétique de la lenteur ?- Toru attaque en un rythme physique et saccadé, par courses et bonds, exacerbé jusqu'à la chute. Il va court et vient au milieu de nous, on se colle contre le mur. Relié du regard, à distance de vibrations, il y a assis l'ami Claude Parle. Qui laisse fuser à coups d'accordéon quelques premières décharges énervées. Taquine d'une main le piano. Les notes chatouillent Toru, visiblement, s'amplifient dans ce corps qui se soulève de plus belle, s'agite et re-tombe, Toru n'est pas parti pour s'économiser. On ne peut pas ne pas remarquer jusqu'à quel point le quinquagénaire est mince et musculeux. Qui évoque un maître d'arts martiaux. Puissant à en être intimidant, jusqu'à ce qu'il rompe la théatralisation, soudain très bon enfant, de quelques traits d'humour et connivences.

    L'improvisation part sur de nombreuses pistes, et voltes-faces. En laissant rêver des moments de mélancoliques médiations, de vulnérabilité. Mini séquences, nouveaux débordements, humeurs variées, au gré de la matière sonore. Dans une attaque espiègle, Toru confisque au prix d'une brève lutte l'accordéon. Le câline comme un enfant. Ce qui oblige Claude a faire retraite pour étonner au piano. Enfin le voleur lui rend l'instrument. La performance se réinvente sans cesse, sans artifices et à portée de la main. Fait oublier derrière ce qui est déja passé. Mais il y a toujours des histoires qui surgissent, ou que chacun se raconte, en tout cas qui restent. Un voisin se fige, souffle coupé, chaque fois qu'il ne peut échapper à ce regard intense. Une voisine avoue avoir vu dans chacun des gestes depuis le début comme de déchirants efforts qui échoueraient contre la mort.

    C'était Ushio Amagatsu et Claude Parle, à la Galerie Tampon.

    Guy

    visuel: site de Claude Parle

  • sx.rx.Rx: Samuel Daiber nous a compris

    Ici la langue est une inconnue, intrigue. Contre le sens, bute. En exclamations, se musicalise. Tourne en rythmes. Sur la toile vidéo se dessine une ligne. Des signes. Un mur? Au milieu toutefois une porte ouverte. Là l’ombre, l’image, la place de Samuel Daibler. Dans un champ clos, toujours. Comme celui de la folie ?

    Bien qu’interné comme lui, Samuel Daiber n’est pas Antonin Artaud. Ce qu’on entend ici-des extraits de lettres authentiques- témoigne de l1327953100.jpga démarche introspective de cet homme, montre un langage en train de se construire, laisse une trace de sa lutte, perpétue son manifeste. Ni plus, ni moins. Ne prend pas valeur d’œuvre, à priori. Plutôt constitue un document. Mais Patricia Allio renverse joliment les postulats de l’intentionnalité poétique. Et fait jouer Didier Galas. Qui tient le rôle de Daiber, le rôle du Fou. C’est à dire qu’il marque l’hésitation, la perte des repères l’inquiétude…et la jubilation. Il joue le personnage, et non le texte. Mais le texte aurait il pu exister ici d'une autre façon?

    On l’écoute: Des phrases en cul de sac, et répétés: Sx.rx.Rx… Consonne, consonne, consonne, consonne, consonne, consonne…Peu de voyelles pour se rassurer. Fascinant, et difficile. Poésie sonore, d’accord. Mais comment l’écouter ? Poésie visuelle aussi. Sur l’écran, Daiber se considère, dans le champ clos se multiplie. Son errance se dédouble en vidéo. Nous plonge en rêve et vertige. On se dit que son langage est peut être vierge, ou amnésique. Non. Ce langage est construit. A l'extrême. Samuel Daibler aspire à un « logement officiel ». Il proteste… mais pour revendiquer la normalité. Une normalité, du moins. A l’inverse d’une position de révolte contre un ordre établi- tel qu’on le comprend ce soir et tel qu’on ne le lit pas dans les intentions de mise en scène…Samuel Daiber structure, d’une rigueur évidente, même dans l’inintelligible. « Je ne veux pas qu’on me rature. » Pour survivre, de mots et sons, il re-crée un ordre.

    Ses révélations énigmatiques nous portent au bord du fou rire, comme des équations illisibles au tableau noir, portées par une force de conviction irrésistible. Quelle distance subsiste-t-il, pourtant, entre lui et nous? Terriblement étranger, mais la situation spectaculaire nous invite à la rencontre avec cette grammaire hermétique. Qu'on aurait pu soi-même initier. Nous invite à pénétrer ce système clos et minutieusement organisé. La mise en scène crée ce désir. Rare rencontre. On comble les vides, on s’abandonne, on projette. De quoi nous libère-t-il? Il nous rend la parole en tous cas, nous provoque. Le lien se fait. Le lien ne se fait pas. Énervements. Fuites et claquement des dossiers. Ou de violentes révélations, comme celle qui emporta le Tadorne.

    A un moment: silence, danse, corps et images se tiennent en équilibre, sereins, au-delà de la raison. Samuel Daiber nous a compris.

    C'était sx.rx.Rx au lieu de garder silence j'ai voixé ♥♥♥♥♥, texte de Samuel Daibler, mise en scène de Patricia Allio. Avec Didier Galas.

    Au Théatre de la Bastille. Jusqu'au 30 mai. 

    Guy

    P.S. : On découvrira la nouvelle création de Patricia Allio, et Eléonore Weber: Un inconvénient mineur sur l'échelle des valeurs, à la Villette avec 100 dessus dessous, les 10, 11 et 12 juin. A en juger par ce qu'on en a entrevu de déja fort lors d'une ouverture de répétition au public, on s'attend à une perturbation majeure sur l'échelle de la réprésentation...

  • Avec Bertolt Brecht, le blogueur se dédouble

    Merci au Tadorne, c'est un animal d’une espèce très sociable, qui vous accueille volontiers sur ses territoires, qu’ils soient virtuels, ou bien terrestres. Comme ce soir à la Joliette, pour une fois l’air de Marseille y flotte aussi doux qu’à Lisbonne. Le long du port ont été abattus les taudis, et des tours surgissent de terre. La Minoterie résiste à la démolition pour perpétuer ici une mémoire de pierre, de bois aux couleurs chaudes et de théâtre populaire. Un lieu, forcement, pour jouer Brecht.

    Comme son titre ne l’indique pas, « La bonne âme du Se-Tchouan» est une pièce écrite en Finlande par un écrivain allemand en partance pour Hollywood. Et l e s chinois ont ce soir un accent provençal prononcé. On en conclut que la fable racontée ici a valeur universelle. Qu’en tous temps il est tout sauf évident de choisir entre le bien et le mal, lorsque l’on est d’abord contraint par la misère. Confrontée à ce problème, Shen Tsé, pauvre prostituée au bon cœur que les Dieux ont soudain gratifié d’un joli pécule, a trouvé une stratégie. Pour garder les moyens de faire un peu de bien, elle se dédouble en un cousin aussi imaginaire qu’impitoyables en affaires. Et lui cède la place, quand il s’agit d’assumer de dures positions à l’encontre de tous les miséreux qui s’abattent sur ses dollars comme une nuée de sauterelles.

    618037503.jpgCe dédoublement de personnalité, source d’inépuisables rebondissements, en évoque un autre: celui qui affecte le Maître Puntilla du même Brecht. Le meilleur des hommes quand il est ivre, le pire des patrons quand il est à jeun. Dans les deux pièces la leçon est la même: impossible de concilier morale humaine et propriété privée. Mais la comparaison entre la version qu’ Omar Porras avait donné de Puntilla en janvier dernier au théâtre de la ville, et la Belle Ame que l’on voit ce soir, embarrasse. Toute l’énergie semble ici se disperser dans les transformations successives du décor, un superbe ensemble de palissades de bois que les acteurs ré-agencent en de nouvelles combinaisons scène après scène. On est vite étourdi par cet incessant jeu de construction, sans réussir à comprendre ce qui est mis en place. Alors même que quelque chose ne semble pas décoller suffisament, dans l’interprétation. C'est que le catéchisme social du lauréat du prix Staline 1955 se fait pesant à la longue, il aurait fallu mettre en jeu beaucoup (et à la fois) de folie et de précision pour le faire passer en force. Et réussir un équilibre plutôt antinomique entre empathie et cynisme. Mais ici on décroche. Distancié pour de bon, trés loin. Et toujours le décor n’en finit pas de se transformer, en vain, fait écran. L’encombrement de l’espace visuel nous épuise les yeux, au détriment du reste. L’affaire dure quand même deux heures trente, et on sent le Tadorne –qui pourtant a couru de bien plus longs marathons- piquer du nez à nos cotés. Réveillé par des interludes dissonants façon Kurt Weil, joliment soufflés par un trio de cuivres (il faut bien un peu meubler pendant que les palissades sont démontées). On est surpris de sentir soulagé à la dernière scène, alors seulement quand le plateau est nu et l'esprit dégagé. On se lève, et –surprise ?- c’est à la pause que le meilleur théâtre fait irruption. D’un coup le Tadorne est bien reveillé. On lui rend la parôle...

    Je n’ai même pas le temps d’applaudir. La troupe démonte le décor, le plie, le case, le reconstruit. En un tour de magie (celui du théâtre !), les comédiens tombent leurs tuniques chinoises pour se vêtir de costumes de mariages. Alors que des salariés du Théâtre de la Minoterie apportent quelques friandises (savoureux sushis et autres combinaisons de fruits), nous voilà projetés dans l’opulence des bourgeois. Les artistes s’approchent pour nous parler et nous inclure dans un jeu de rôles étonnant où l’on couve le spectateur pour éviter qu’il ne se tire après les deux premières heures (décevantes) de la « Bonne ame du Se-Tchouan ». Le moment est délicieux, comme suspendu entre fiction et réalité. Après un quart d’heure, nous devons  redescendre sur la terre brechtienne pour « La noce chez les petits bourgeois ». Le théâtre n’attend pas.

    La table du banquet de mariage est immense. Seraient-ils treize que cela ne m’étonnerait pas. Les insultes volent haut et bas, tout dépend d’où l’on regarde. Les costumes en couleurs forment une mosaïque d’humeurs où je me surprends à faire des combinaisons parfois hilarantes pour ne pas perdre le sens. Cette pièce, écrite par Brecht avant l’arrivée du nazisme, transpire la déchéance à l’image de ces meubles de salon qui s’émiettent comme autant de valeurs qui finissent sous le tapis une fois fait le ménage des convenances. Je ris, mais le niveau de tension est paradoxalement assez bas et la mise en scène de Haïm Menahem met à distance le contexte de l’époque. Il n’en profite d’ailleurs pas pour actualiser le propos, préférant s’en tenir aux bruits, à la fureur, aux corps désarticulés comme langage d’un groupe social à la dérive. Certes, mais le tout me paraît distancié à l’image de cette table qui nous éloigne, comme si Haïm Menahem semblait gêné par toute cette opulence de mots et de corps et pour tout dire un peu dépassé par le chaos généré par sa mise en scène. Cette frénésie qui n’autorise aucun temps mort ouvre le champ aux comédiens pour déployer leur talent quitte à laisser le public sur le côté. Étrange paradoxe que d’assister à ce mariage en lointain spectateur.

    J’aurais bien aimé que l’on ne m’enlève pas le pain de la bouche

    C'était, de Bertolt Brecht et mis en scéne par Haïm Menahem: La Bonne Ame du Se-Tchouan (raconté par Guy) et La Noce chez les Petits Bourgeois (raconté par Pascal Bely).

    On peut tout relire, ici!

    Au Théatre de la Minoterie,  jusqu'au 17 mai.

  • Au Parc des Nations, Olga Roriz met les cultures en fusion

    La journée mondiale de la danse fait escale à Lisbonne, ici, au Teatro Camoes, cube bleu posé au bord du Tage. Dans le Parc des Nations, un quartier surgi de terre pour l'exposition de 1998. Un espace résolument moderne, pourtant d'une bienveillante élégance, où l'humanité parvient à trouver sa respiration. Où règne la même douceur que dans les vieilles rues de Lisbonne, belle endormie. D'ici on voit le pont Vasco de Gamma s'étirer entre deux rives et donner à l'estuaire de faux airs de Miami, comme pour faire rêver de futurs explorateurs vers de nouvelles ambitions. Mais pour le moment s'essaient à danser au soleil devant les portes du cube bleu des groupes d'enfants et d'adolescents, dans un balancement entre sérieux et désinvolture. Ces groupes rejoignent plus tard une autre jeunesse tout aussi souriante pour mettre le public mûr et chic en minorité, lors du voyage que propose Olga Roriz  . Un voyage dans le passe?

    Car c'est presque un récital, une revue incandescente des chansons d'amour du XX° siècle, de Marlene Dietrich à Franck Sinatra. L'entreprise est menée avec détermination et ferveur. C'est en écoutant les airs de Chavela Vargas, celui de Je ne t'aime pas de Kurt Weil,  que frappe la convergence thématique avec (Not) a love song d'Alain Buffard. La nostalgie se languit en harmonieux, douloureux, soupirs, abandonnés dans des fauteuils club à roulettes. Le travail vocal est remarquable, à un tel point qu'on serait tenté de classer le projet dans la catégorie des produits made in Broadway et dérivés s'il n'y avait toujours dans le contrepoint gestuel à ces beaux clichés musicaux une tendre insolence. De la profondeur et de la créativité.

    Agitée de tremblements, puis débordée par les manifestations de brutalité d'un amant mais qu'elle a dans la peau, souffre d'amour une nouvelle Piafen robe noire. Images crues et d'une remarquable cruauté. D'autres passages évoqueront des joies plus heureusement partagées. Pourtant l'amour s'achève ici presque toujours en déchirements. Même en parodie et dérision, le sentiment s'assume haut, dans une ambiance capiteuse et charnelle. La danse est d'une belle vitalité, drôle, exubérante et spectaculaire. Peu importent les poncifs, femmes fatales et mauvais garçons sont emportés par la même passion. D'où qu'ils viennent: les chansons se succèdent, en anglais, en espagnol, en français, en allemand, en portugais. Les couleurs d'un blues d Europe et d Amérique du sud, entre Tango et Fado, tout de même prédominent.

    Mais l'inspiration est mondiale, avant tout. Au delà du plaisir immédiat, on ne sait si l'on doit s en réjouir ou s'en inquiéter. C'est seulement dans cet autre pays que le sien que l'on touche du doigt cette réalité qui nous échappait l'an dernier à la vision de la pièce d'Alain Buffard, (entre autres): la culture se mondialise. Et la danse n'échappe pas à ce mouvement. Abreuvée aux sources des mêmes mythologies modernes. A prédominance nord américaine. Sources de richesse, ou de banalisation? Ici la vision d Olga Roriz s'impose assez forte, pour construire quelque chose de nouveau et personnel à partir de ces matériaux. Son projet touche au coeur, et intelligemment. Les artistes vont voir partout, depuis toujours. Mais comment comprendre cette appropriation au delà même des mythes européens, tout spécialement dans un pays qui semble à jamais imprégné de la nostalgie de ses anciennes conquêtes? Les références culturelles tendent elles à s'afficher partout les mêmes, aussi sûrement que les enseignes des marques dans les centres commerciaux? On est rassuré par les indices de toute la vitalité de la scène Lisboate, qui- peut être a défaut de moyens- fourmille de talents. Si les affiches annoncent la visite prochaine de Pina Baush, on regrette surtout d'avoir manqué de peu ces jours ci La festa de danca, où danse entre autres Eleonore Didier. On sera d'autant plus attentif aux voyageurs d'ici qui nous feront en France cadeau de leur visite, telle Sofia Fitas  à Mains d'Oeuvres, il y a peu.

    C'était Paraizo d'Olga Roriz  au Theatre Camoes de Lisbonne

    Guy

    Playlist : Rocio Jurado, Georges Gershwin, Nino Rota, Patsy Cline, Chavela Vargas, Dean martin, Pascale Comelade, Kurt Weil, Franck Sinatra, Edith Piaf, Ben Wester; Leonard Berstein, Boris Vian, Orquestra Universittaria de Tangos, Carmen Miranda, Marlène Dietrich, Rogers & Hart, Zca Afonso, Alejandro Dolina, Ana Carolina, Nancy Sinatra.

  • Toujours des formes en court

    Pour commencer par la fin de ces courts, Le Bruyant Cortège s'ébranle mais sans nous, laissés sur le coté du chemin. On sourit triste, une fois de plus, en le regardant défiler. La fête est désenchantée à dessein, l'agitation vaine. C'est forcé, vu le sujet: l'invocation moderne d'un Dyonisos libérateur, par des contemporains en mal de fantasmes. Mais le Dieu hermaphrodite n'apparaît en seins et postiche que pour aussitôt désintéresser ses adorateurs. Une allégorie trop parfaitement déprimante.

    Elle est plus drôle, paradoxalement, la proposition d'avant. Un chapitre des 120 journées de Sodome, sous la forme d'une lecture en costume et robe de soirée. Le phantasme est ici présenté d'une manière plus distancié: les recits de coprophilie sont articulés on ne peut plus chic. Mais le plat qui nous est proposé est quand même indigeste à force. Peut-on vite se blaser de tout, même de l'obscénité élégante? Une fois le premier effet de contraste amorti? Une fois le premier plaisir passé d'entendre le verbe "baiser" employé à l'imparfait du subjonctif? On re-decouvre que Sade écrit bien, mais on n'apprend rien de plus sur le texte, en fin de compte. C'est néanmoins grinçant et gonflé, et au moins de sentir le public ne pas trop savoir comment réagir. On aurait préféré cela plutôt que la voix d'Alain Delon en guise de bande son du dernier Piétragalla. On est en tous cas par principe rassuré de pouvoir entendre de telles choses sur une scène.

    Mais c'est avec Notre Père, que l'audace prend un vrai sens, au delà de l'exercice de style, et pour un résultat admirable. Les thèmes abordés sont des plus sombres, difficiles, dangereux: la mort et le deuil qui pourrit en plaie ouverte, les désirs tout autant lancinants, ambigus et inavoués, les liens qui se tissent entre toutes ces douleurs. Et quelque part, inommée, l'ombre de l'inceste. On pourrait être rebuté: on est pris à la gorge. Sans doute car, à l'inverse d'autres propositions de cette soirée, le choix est fait ici d'une intense sobriété, tous moyens concentrés sur l'obscurité et la lumière, sur la voix à vif et le corps exposé, épurés à l'extrème, de Celine Milliat Baumgartner, rejointe par  Marc Mérigot. Qui nous emmènent en direction du gouffre, avec le beau texte de Cédric Orain, toujours à la frontière de ce qui peut, de ce qu doit, ou non être dit, et une mise en scène d'une impitoyable précision.

    C'était Notre Père de Cédric Orain, avec  Céline Milliat-Baumgartner et  Marc Mérigot, Les 120 journées de Sodome de Sade adapté par Eram Sobhani, et Le Bruyant Cortège de Julien Kosellek, au Théatre de l'Etoile du nord.

    Jusqu'au 10 mai, avec chaque semaine deux autres nouvelles propositions, dans le cadre d'A court de forme.

    Guy

  • Des courts encore en forme

    Prévenu depuis il y a deux ans déja, on est plus pris de court par ces formes courtes, qui se bousculent, audacieuses et abruptes. Avec des résultats contrastés- c'est forcé- mais sans jamais qu'on leur en veuille d'avoir tout essayé.

    L'exagération, pour commencer, avec la Sinistre Répétion. Pas si sinistre que celà: ça gueule trés fort maquillé blanc, dans une coméda dell arte d'un mauvais goût assumé. Le principe s'affirme ici d'étriller les codes de représentation. De l'acteur en cadavre las de rester allongé, aux lamentations de la veuve de théatre au delà du suraiguë, jusqu'au faux metteur en scène qui intervient à tout bout de champs. C'est une entreprise risquée, le rythme en est cassé. Mais à force d'excès et d'énergie, de grimaces, de boyaux brassés à pleines mains, on sourit, au moins.

    Pour continuer avec les codes à vue, il y a au début de Phèdre une accumulation telle que rarement osée de signes superposés sur les épaules d'un seul acteur: le récitatif, le travestissement en femme, le masque de clown, la gestuelle dansée, le tout sur une musique d'opéra...et c'est étonnant que le tout paraisse joliment cohérent! Quoiqu'à ce stade on ne fasse que sourire-encore!-, avant d'en revenir à une variation sur un spectacle en train de se faire. Ce qui laisse craindre un temps qu'on en revienne à une sinistre répétition de l'exercice précédent. Mais Eram Sobhani reste en juste équilibre, pince sans rire. Surtout Stéphane Auvray-Nauroy est tout Phèdre- généralisé en archétype de la passion amoureuse- digne et étonnant. Et finit par porter bien haut de beaux morceaux de texte, pour réhabiliter le sentimentalisme.

    C'était La Sinistre Répétition de la Dernière Scène de Florent Dorin, et Phedre, Pauvre Folle de Syvie Reteuna et Stéphane Auvray-Nauroy sur des textes de Racine et d'Eugène Durif, à L'Etoile du Nord.

    Deux des cinq propositions de cette semaine, dans le cadre d'A Court de Forme

    Guy

  • Au Colombier, les mots dansent

    Mais comment nommer cet objet? Un objet tel que jamais vu avant, une croix sphérique à sept branches, imposante, aux fonctions manifestement spectaculaires, sur/autour de laquelle évolue Guillaume Bertrand. On cherche, mais juste pour vite toucher au coeur de la difficulté. Car ce soir au Colombier, on fait danser les mots. Ou tente-t-on de mettre la danse en paroles? En tout cas on essaie de rapprocher écrivains et chorégraphes. Riche idée: bien souvent les chorégraphes s'essaient au texte...mais rarement avec autant de force ou de légereté qu'ils en usent avec le mouvement. Naïvetés et portes ouvertes, on tombe généralement de haut. De là à penser que les chorégraphes ont besoin d'aide sur ce terrain, et que les écrivains pourraient bien trouver matière à se mesurer à la corporalité...

    1571692296.jpgCe soir, pourtant, le premier regard fait douter. Ils semblent d'abord très loin tous deux l'un de l'autre, presque en concurrence: l'écrivain Anne Luthaud, discrète, confinée devant son Mac, qui dans son micro dit "je ne suis pas là"  et l'acrobate qui utilise entier l'espace, à faire rouler de son corps la machine qu'on arrive pas à nommer. Il s'accroche aux branches, expressif et puissant, fait basculer l'engin, qui tourne encore et encore, comme la planète en pleine évolution. Tous deux toujours s'ignorent, mais on commence à comprendre qu'il y a un rapport. On entend l'écrivain dire de son coté une autre exploration, qui l'emmène vers des origines rêvées, partant de pays ensoleillés pour arriver jusqu'aux pôles. L'acrobate descend de son arbre-monde, tombe lourd, encore singe, au sol. Notre attention s'aiguise, doublement stimulée, sur chacun d'eux et sur ce qui de plus en plus les relie. Les deux recits peu à peu à peu se complètent, convergent à l'unisson vers le même sens....On a toujours pas trouvé de nom au truc à sept branches, mais il est au moins sur que l'expérience est inédite, et excitante.

    Seconde performance: Fabrice Melquiot en reste plutôt absent, tout juste enregistré. Au moins pose-t-il pour commencer une intéressante question: faut-il dormir nu, ou habillé? Surtout pour qui  faut il dormir nu ou habillé? Mais l'écrivain laisse ensuite 350912949.jpgquasi champ libre à Marion Levy, qui s'essaie à un bel et juste exercice sur le sommeil. Tout en intelligence et légéreté, dans l'allusion, évitant les pièges de l'imitation. Dans un autre contexte, on serait plus qu'heureux de sa performance. On reste ce soir un peu frustré de la voir évoluer en solitaire, sans que la rencontre ecriture/chorégraphie promise ne soit poussée plus avant. Mais on lit qu'il ne s'agit encore que d'une equisse (pour nous donner envie de voir plus du projet de Marion Levy l'an prochain à Chaillot?). D'ici là, au vu de juste deux propositions parmi sept de ce Concordan(s)e 2008, on garde le sentiment d'avoir mis le pied sur un vrai terrain de jeu et de recherche. Juste à peine encore exploré.

    C'était Comment Dire de et avec Guillaume Bertrand et Anne Luthaud, puis En Somme! de et avec Marion Levy et Fabrice Melquiot. au Colombier, avec le festival Concordan(s)e

    Guy

    P.S. du 25/2: Guillaume Bertrand nous écrit pour nous éclairer:

    "Quel est le nom du Truc à 8 branches ?" Elle s'appelle : MATHILDE (en liens avec le retour au désert de BM Koltes, monologue d'Adrien p 41-42, pour les curieux!)

    Et nous annonce que La pièce "Comment dire..." sera visible à nouveau à Bagnolet, le 24 Mai à 20h30, dans la semaine de la danse, en première partie de "Récréation Primitive" de Merlin NYAKAM, au Gymnase Maurice Baquet 12 rue Julian Grimau 93170 Bagnolet -Réservation : 01 49 93 60 81 

  • Manque: le principe d'incertitude

    Ce soir encore, Sarah Kane nous emmène jusqu'à un point de non-retour: discontinuité, renoncement à l'intrigue, à un lieu et à un temps determinés, dissolution des personnages... Juste quatre voix, quatre corps, quatre semblants de personnalités réduites à quatre intitulés: "C", "M","B","A". Quatre voix qui disent surtout ce qui fait mal. Il y a bien des pièges à éviter pour réussir à nous emmener jusque là, jusqu'à l'épure. Le danger de trop de pathos, ou trop d'abstraction.... 

    Mais ce soir on y arrive, et on y reste: sûrement question de rigueur, d'honnêteté dans la mise en scène. De musicalité aussi: cette musique est parfois aigre-douce, d'une ironie glacée. 259234562.jpgLe texte semble s'étonner lui même, violemment banal et toujours au bord de son abandon. "C", "M","B","A": les mots s'échappent, comme de situations devenues irréelles, nous frappent au coeur quelques instants et échouent à redéfinir ceux qui les prononcent. Pour nous ramener, à force de dialogues avortés, au coeur du sujet: la perte de l'identité, la perte du sens, l'incommunicabilité. Pourquoi va-t-on toujours voir du Sarah Kane? Et écouter cette obstination à toujours dire le presque insoutenable.... Mais plus les mots osent et avouent, se libèrent, moins ils construisent et signifient...  Au moins désormais savons-nous que nous ne sommes pas seulement ce que nous disons.

    Sur l'étroite estrade carrée au milieu de la scène, les personnages,-ou quoi d'autre que soient les corps que l'on voit- sont contraint à la proximité, à la redécouverte les uns des autres. En vain. Ils peinent à se toucher. Ils ne s'échappent de l'estrade qu'incomplètement, en tombent un peu au delà du bord dans quelques sobres tentatives d'extase ou de destruction. Se découvrent. Sans rien à perdre ni à cacher. Puis se dévoilent et se touchent enfin. Nous touchent peut être plus que les mots. Mais la chair est froide désormais, d'autant plus qu'exposée. Vulnérable et vraie. Que deviennent nos actes, nos paroles, quand s'évanouit ce qui les tient ensemble? La camarde, vêtue de noir, tourne autour de la scène pendant ce temps, commente de chansons. Tire les rideaux, règle son compte à cette pauvre humanité, dispense sans ciller terre, eau, sang.

    C'était CRAVE (MANQUE) ♥♥♥♥ de Sarah Kane, m.e.s. par Sophie Lagier, avec Vincent Bouyé, Corinne Cicolari, Nathalie Kousnetzoff, Magdalena Mathieu, Christophe Sauger, au Théatre du Chaudron (Cartoucherie). Jusqu'au 24 avril.

    Guy

    lire aussi : Neige à Tokyo

  • Mavis Staples est toujours en marche

    Sur la route depuis maintenant cinquante-trois ans, Mavis Staples nous chante ce soir d'abord d'où elle vient, d'en bas du Mississippi, là où elle est 1341003758.jpgnée. Là où sa grand mère un jour lui apprit qu'il ne fallait pas boire de l'eau de la fontaine devant elle, mais d'une autre fontaine plus loin, où un écriteau disait: "Pour gens de couleurs seulement". Jusqu'au jour où vint un homme du nom de Martin Luther King, pour arracher tous les écriteaux du Mississippi. Le pasteur King, chaque fois qu'il venait écouter les Staples Singers, reclamait sa chanson préférée, composée par "Pops" Staples (1915-2000), le chef de  famille. Un hommage à l'obstination des écoliers noirs qui prétendaient accéder à la même école que les blancs, une chanson demandant pourquoi ils étaient si mal traités. Depuis beaucoup a changé, et trop peu. Mavis Staples se réjouit que cette année, un métis puisse être président des U.S.A.. Elle continue sur cette route parfois dangereuse, depuis une étape historique à Washington D.C. Y faisant années aprés années beaucoup de rencontres: Bob Dylan- et le gospel noir s'est alors teinté de folk protestataire blanc au grand effroi des puristes-, Prince, Aaron Neville, les Blind Boys... 

     

    Le corps s'est chargé d'épreuves et la voix s'est éraillée en chemin, profonde et rocailleuse, mais continue à porter fort 853568177.jpgles convictions d'une révolution pacifique, ce soir jusqu'à Clichy-sous-Bois. Debout, pour raconter encore, fraternellement, aller à la rencontre, faire partager et faire reprendre son chant par noirs et blancs rassemblés. Ferme et digne, enjouée, préchant la liberté. Dieu à ses cotés sans l'ombre d'un doute, comme remède à la lassitude, alors personne ne la fera reculer. Et on se fiche que la dame aie perdu un octave depuis les années soixante, que l'orchestre des trois gars efflanqués aux faux-airs de mauvais garçons, avec les trois choristes, bucheronne un blues un peu basique. Mavis Staples est vraie, en marche, et elle est là. On a pu, et nos fils aussi, serrer la main de celle qui avait serré la main de Martin Luther King.

    C'était Mavis Staple,  à l'Espace 93-Victor Hugo de Clichy sous bois, avec le festival Banlieues Bleues

    Guy 

    ...et des extraits des textes de Down in Missippi, We Shall not be moved et d'autres, sur le dernier album de Mavis Stapples "We'll never turn back" (2007), produit par Ry Cooder

    playlist: For what it's worth, Mississippi river, I'll take you there, the weight, respect yourself, we shall not be moved, Why i'm treated so bad...