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Un Soir Ou Un Autre - Page 59

  • Aatt enen tionon à Boris Charmatz

    Représentons-nous un immeuble dont on aurait enlevé la façade, mais où à chaque étage les habitants continueraient à se livrer à leurs activités quotidiennes, comme si de rien n'était. De telle sorte qu'un spectateur au dehors pourrait observer tous ces personnages simultanément, alors même que ceux ci seraient dans l'impossibilité de se voir les uns les autres. Partant de cela, on pourrait comme Perec en écrire un roman(s), ou le danser comme Charmatz. Dans les deux cas on obéirait à un système de contraintes, qui permettrait de mieux libérer la création.

    Dans la cour de l'Ecole des Beaux Arts, cette tour n'a que trois niveaux, et le ciel au dessus. Boris Charmatz au rez-de-chaussé, Fabrice Ramalingon au 1er étage, dans le rôle central- pourtant ingrat- du benjamin. Et, 4 ou 5 mêtres au sommet: Anna Mac Rae. A la disposition de chacun, quelques mètres carrés seulement pour terrain de jeu. La proximité du vide semble reduire plus encore l'espace tout en haut. Toutes ces contraintes posées, on croit d'abord comprendre qu' Aatt enen tionon, à l'instar d' Herses, est une pièce "contre". La verticalité s'oppose à l'habituelle horizontalité de l'espace scénique. Le silence tient lieu de non accompagnement musical- les chansons de P.J. Harvey ne se font entendre que le temps des échauffements des danseurs et de l'installation des spectateurs, c'est un temps pré-spectaculaire et ambiguë. L'isolement des danseurs dans ce dispositif aveugle fait obstacle aux interactions entre eux. La demi-nudité spartiate -T shirt blanc et culs nus- consacre le renoncement au costume... 

    hd2_aatt_enen_tionon_boris_charmatz_06__cathy_peylan.jpg

    Boris Charmatz écrit qu'en proie au vertige, il dut prendre le parti d'occuper la place la plus basse. Et en quelque sorte renoncer à maîtriser ce que ce passait au dessus. Doit-on le croire? La performance n'est pas tout à fait ce qu'elle semble. Malgré les choix radicaux, le désordre n'est qu'apparent. Les danseurs ne se voient pas, mais dansent en intelligence. Le déroulement est strictement structuré, borné par deux garde-à-vous pudiques, avec des moments d'errances, de recherches d'équilibres, de fulgurantes chutes et accélérations. Et de beaux instants de stupéfactions. Trois lunes suspendues délivrent la lumière, par épisodes de sur-exposition et de semi-obscurité. Entre les trois interprètes, il y a des appels et des réponses, d'invisibles communications, de surprenant mouvements ensembles. Chacun tient un rôle, une position. Anna Mac Rae est libre, au dessus de sa tête le ciel et l'infini, tout au loin autour d'elle la nuit et la ville. Elle s'envole dès le début sur la pointe des pieds. Lance haut la jambe, joliment, naturellement aérienne. Fabrice Ramalingon touche son plafond de la main pour éprouver les limites de sa cage. Boris Charmatz, à la base semble comme écrasé, au sol souvent. Jusqu'à ce qu'on constate que, d'un étage à l'autre, les gestes se partagent et s'échangent... mais qu'en raison des positions respectives des interprètes, nous sommes peut être dans l'impossibilité de percevoir ces mouvements en ce qu'ils ont de commun. Pourtant tout est à vue, pas de trucage ni de diversion, nous nous sommes installés, assis, debout, tout autour de la tour dans cette cour, dos aux vieilles pierres, les danseurs ainsi encerclés. Chacun a trouvé sa place, nul n'ose bouger. Toute l'attention est suspendue sur les corps, eux- mêmes contraints par ce dispositif extrême dans leurs derniers retranchements. Archarnés à danser quand même. Jusqu'à l'expression d'une beauté austère et brute. La vraie dance peut exister, en toute sincéré. Abrupte mais rigoureuse. Vive et âpre, mais pourtant exempte de violence: la charge de la nudité s'évapore dans la nuit, et nous ne ressentons aucune crainte de voir l'un de ces acrobates tomber de si haut. Les vulnérabilités s'exposent, mais restent inattaquées. On se sent plus détaché que devant Herses, plus serein, moins en tension, libéré, on renonce aux explications. Ouverts aux espaces dansés où s'engouffre l'imagination.

    C'était Aatt enen tionon crée en 1996, de et avec Boris Charmatz, avec aussi Fabrice Ramalingon et Anna Mac Rae , dans le cadre de Paris Quartier d'été.

    Encore ce soir vers la Grande Bibliothèque, et samedi devant le Théatre de Vanves

    Guy

    Photo par Cathy Peylan d'une représentation passée, avec l'aimable autorisation de Paris Quartier d'Eté

    ....et de jeudi dernier il y a les photos d'Agathe Poupeney... vues du ciel ?

    P.S. : pour faire suite au commentaire sévère du Tadorne plus bas, ci aprés une autre photo, plus dynamique mais sur un plan, toujours par Cathy Peylan :

    hd_aatt_enen_tionon_boris_charmatz_09__cathy_peylan.jpg
    La verticalité doit etre délicate à capter. A regarder les photos prises par Agathe Poupeney jeudi, on suppose que celle ci devait être postée à une fenêtre assez loin: l'inverse du point de vue du spectateur, qui regardait la performance d'en bas, à un tel point qu'Anna Mac Rae sur la plateforme du haut disparaissait parfois de son point de vue.  
  • Isabelle Esposito: Nuit Sénile

    Il y a cinq corps et six lits. Manque donc un corps... ou est-il déjà mort? Pour ce que valent les six autres corps, qui bougent comme malgré eux... Dans ce mouroir ou cette maison de fou, les six lits sont ramassés au milieu de la scène. Un espace terminal. Pas moyen de s'en échapper. Les personnages sont engoncés dans des dentelles vieillottes et des chemises de nuits blanc cassé à collerettes. Blanchis et amidonnés, êtres abandonnés, gardiens d'eux mêmes. Leurs gestes sont en morceaux. Nus du superbe du pathétique. Les mouvements s'oublient, dé-cordonnés, se répètent. Plus d'intention, les pièces du jeu d'échec sont dispersées. Les paroles sont déphasées des actions, tournées vers l'intérieur. Ouvrent des Sunset Boulevard désespérés et solitaires. La poésie est triste, belle, inattendue. C'est sans concessions ni musique, le silence pèse sur les impuissances.

    Vieille nuit.jpg

    L'expérience s'étire, oppressante, audacieuse, douloureuse. Certains dans le public préfèrent rejoindre dehors le jour. C'est long. Mais la vieillesse sera plus longue encore, et pénible. Nous ne sommes pas tous fous peut-être, nous serons tous morts ou vieux. Nous touchent déja les résonances de nos propres moments blessés. Puis de soudaines agitations rassemblent ces errances eparses. Les fous prennent conscience les uns des autres, les sénilités s'agitent dans tous sens. Les fous imposent aux objets de nouvelles possibilités. Une bataille de polochons commence, la plus hagarde qui soit. La drôlerie gagne, irrésistible et grinçante, sans qu'on ose vraiment rire. Les fous sont encore vivants, malgré tout, nous aussi.

    C'était Vieille Nuit d' Isabelle Esposito, avec Anne-Sophie Aubin, Thomas Laroppe, Isabel Oed, Maxence Rey, Sylvain Wallet, à Gare au Théatre, avec "Nous n'irons pas à Avignon"

    Guy

    P.S. du 24: nouvelle photo avec l'aimable autorisation d'Isabelle Esposito (on aura reconnu Maxence Rey, vue en mai avec Kataline Patkai)

  • Embarras...

    On aurait aimé refaire connaissance avec Cécile Saint-Paulcroisée il y a longtemps, faire connaissance avec l'artiste. Ce fût un rendez vous manqué. D'ailleurs prédit en toutes lettres sur la feuille de salle: "Il y a des abîmes entre les gens. Quelques espoirs déçus. Des rencontres manquées entre les gens. Des attentes". En raison de cette infranchissable distance, déjà entre le spectateur penché en avant et les silouettes perdues dans l'obscurité du fond de cette terrible scène-hangar? Tout semble trop loin de nous et égaré dans les intentions. Ce théâtre a renoncé à la narration et au naturalisme- soit- mais sans atteindre l'évidence de la danse-même qui se frotte les yeux-, ni faire naître d'autres vraies tensions. A commencer avec les fragments d'un discours publicitaire pourtant là prés du public, mais dont les répétitions impatientent plutôt que de suciter une réaction. La tentative voisine commise à la Villette par Patricia Allio et Eléonore Weber était, à tout prendre, plus stimulante. Ensuite se succédent différentes ambiances minimales mais élaborées: recits sonores, guitare saturée, video, collage d'affiche, recitatif... Mais ces suites se dispersent hors champs, le sens se recherche à la lampe torche d'un bout à l'autre du plateau. A l'épreuve des souvenir d'une dizaine de jours plus tard ces épisodes sans liens semblent diverger de plus en plus sur l'océan des trop vastes ambitions. Dommage. A bientôt.

    C'était Embarras, de Cécile Saint Paul, à Gare Au Théatre, avec "Nous n'irons pas à Avignon".

    Guy

  • Le cabaret Durif

    "On n'arrête pas le théâtre" lit -on ce juillet sur les affiches de l'Etoile du Nord. C'est une évidence bienvenue, tant la pièce de ce soir se situe dans la continuité irrespectueuse d'un théâtre qui vient d'il y a longtemps, et depuis lors s'obstine à exister. Putains et mauvais garçons semblent sortir droit de l'Opéra de Quatre Sous; ukukulélé et accordéon rythment à l'unisson des complaintes décalées. C'est alors une bonne surprise que la gouaille distanciée ne sente ni le moisi, ni le fabriqué. Le jeu est moqueur, bien vivant, les archétypes flagrants, les phrasés exagérés. Surtout, si les poètes mentent mal, il est certain que ces poètes écrivent bien, et qu'ils renouvellent le genre, ouvrent grand les fenêtres. Car dans le texte d'Eugène Durif  il y a une vraie poésie, d'un potentiel presque populaire. On est trés rassuré, qu'il reste des poètes vivants. Dans la pièce, de quoi est il question? Plutôt d'amour et de désillusions, mais on perd vite le fil, les faits divers partent dans tous les sens et reste surtout le plaisir, avec des beaux dialogues deglingués et des épisodes déshabillés, une abondance de clins d'oeil et de références en coins, un grand bol d'air frais.

    Dommage que le format soit un poil court, on reste sur sa faim et la piece finit sur une pirouette. La mise en abime finale- derniers épisodes lus faute de temps et passage d'aspirateur sur le plateau- tourne un peu à l'exercice de style. S'agit il (une fois de plus) de se demander si la représentation est encore possible, puisque que l'on évoque la mort des utopies, politiques et amoureuses? Mais la chose est menée avec telle absence de serieux-en apparence-qu'on peut la supporter, voire bien mieux. Surtout avec assez de jeunesse, d'isolence et d'insouciance. En tout cas c'est pardonné volontiers, car tout finit par une chanson.

    C'était Les Poètes mentent mal d'Eugène Durif, m.e.s. par Sophie Loucacchevsky, au Théatre de l'Etoile du nord, avec "On arrête pas le théâtre".

    Et c'est encore ce soir, et Dimanche.

    Guy

  • Silenda entre les rives

    Nous ne sommes pas encore le 14 juillet et ce n'est pas un feu d'artifice pour commencer. Ni un âne bientôt, dans le rôle du maître de cérémonies, pas plus après des lapins ambigus. Cela ne ressemble à rien de bien défini- tant mieux- femmes de cuirs, animaux ou présences nip08pontspetite.jpgentre les deux, qui bougent comme dans un rêve, toujours éveillé, même souvent agité, avec ses surprises, ses petites angoisses et ses stridences, entendues et dansées. Des séquences d'abord tête basse et bras ballants, puis inquiètes et saccadées, ensuite qui se prolongent en duos monstrueux, courses et poursuites, en rondes endiablées, vers plus de fluidité. Dans cet exercice il y a bien des pieges, mais qui sont évités. La charpente ne se laisse pas deviner, et l'interdit n'est pas dit. L'important est qu'on ne se réveille jamais vraiment, plongé dans l'onirique. Ce n'est plus toujours de la danse et ni du théâtre, non plus. En tout cas d'un humour cru et d'une belle énergie. Pas loin du meilleur de ce qui se situe aux croisements flous d'un voyage halluciné qui dure, dure, de rencontres en rencontres. Les paysages défilent sur l'écran comme les transparences derrière les acteurs des films d'avant, avant qu'y soient proposés des échos du mouvement.

     C'était (la semaine dernière) Pont Courants de Laura Simi et Damiano Foa- Compagnie Silenda, dans le cadre du festival, "Nous n'irons pas à Avignon", à Gare au Théatre.

    Guy

    visuel: site Gare Au Théatre

  • Haïm Adri, une Danse à Entendre

    Ici la danse est méchante, décousue en apparences, c'est la musique qui fait tenir ensemble tous ses morceaux. Une musique si étonnante-aux couleurs si concrètes-, qu'on croirait pouvoir la toucher: grattements et grincements, roulements de tambour, confusion de papier-journaux froissés, glissando de contrebasse, discours inintelligibles et éructés, chants patriotiques jusqu'à l'insoutenable, claquettes et a-capella de rythm's & blues, claquement du mêtre-mesureur, rythmes folkloriques, gloussements et déglutitions qui dégénèrent en cris d'animaux.

    Cela pourrait être le sujet de la pièce: d'inévitables décadences qui détruisent individus et troupeau, jusqu'à une conclusion portée au paroxysme du pessimisme: fleurs foulées sans jamais avoir été offertes et ballons blancs que l'on fait éclater avant la fête, bouteilles vides projetées par une catapulte pour couvrir la scène de déchets: civilisation en phase finale. Il y beaucoup de talent dans cette froide entreprise de saccage. Une rare violence à l'oeuvre, impitoyable et clandestine. Auparavant l'existence du groupe aurait été de bien courte durée, du heurt des couples jusqu'à une communion de tous ensembles sur un mode folklorique grinçant, comme une codification des nevroses. Le lien reste tissé un instant, mais pour le pire peut-être, pour des hurlements patriotiques. Bien évidemment, la danse est tendue, dense et oppressante, comme des corps les expulsions de tics et pulsions opprimées, ou des exercices égocentriques jusqu'à la démence. Ici la noirceur se supporte, et plus encore, tant elle est intelligement dosée.

    C'était Fronts de Haïm Adri - compagnie Sisyphe Heureux, avec des sons de Benoit Gazzal.

    A Gare Au Théatre, encore dimanche avec le festival "Nous n'irons pas à Avignon".

    Guy

  • Faut-il brûler Pina Baush?

    Bien que sûr que non, on ne va pas la brûler, c'était juste pour faire un titre. N'empêche que depuis quelques jours des voix se font entendre,  ouvertement agacées, et c'est nouveau. En premier lieu Rosita Boisseau qui y va de son solo dans Le Monde pour dénoncer les répétitions et les complaisance d'un système. Mais si essoufflement il y a, c'est avant tout celui du Théâtre de la Ville, sclérosé dans un système auto-référentiel, présentant essentiellement les mêmes chorégraphes années après années. Discours officiel: on est bien obligé d'inviter toujours les mêmes puisque forcement ce sont les meilleurs. Et cela tombe bien, puisque que le simple fait de passer au Théâtre de la Ville finit par valoir brevet d'excellence aux yeux du petit milieu parisien. D'autant plus pour des dates réservées un an à l'avance et devant des spectateurs prêts à s'entre-tuer pour récupérer un billet, pour voir ce qu'il y a de meilleur puisque c'est complet. C.Q.F.D.. Mais c'est la 26 eme année consécutive ou à peu prés que la grande dame de Wuppertal- ou la grande prêtresse de la danse occidentale ?-ou la star de Solingen ?- se présente dans ce lieu. C'est assez long pour que s'émoussent bien des passions. Pour une époque infidèle, la déesse est restée trés longtemps sur le piedestal. Lassitudes et agacements semblent se liberer d'un coup et sans complaisance, à la mesure de l'admiration quasi groupiesque qui jusqu'alors prévalait.

    Si tout dans le jugement tient aux attentes, décues ou non, il y a en tout cas dans Bamboo Blues de quoi se laisser charmer, pour peu qu'on reçoive la pièce candide, désarmé. Voire, en ayant gardé une âme d'enfant. Ce carnet de voyage en Inde prend les couleurs chromo des anciens illustrés pour la jeunesse, ou d'une brochure de voyage un peu retro. Au commencement il y a le vent, fraiche invitation au voyage. Avant de faire place à des assaults de nonchalances et de féminités, auxquels on ne tarde pas à succomber. L'exotisme est bon enfant, dans les yeux et sourires de ce groupe de tigresses indolentes qui ne montrent pas les crocs. La déesse aux nombreux bras- est ce bien Khali? -semble pareillement inoffensive. Paix et amour: au premier rang on se voit invité à laisser filer entre ses doigts un ruban parfumé, à se laisser poser sur le front un point rouge. Danseurs et danseuses paradent en sari, un peu plus second degré mais tout autant policés que dans un défilé de mode. Les bandes musicales s'enchaînent comme entre deux escalators. Les duos, plus que les groupes, jouent ensuite les utopies de l'harmonie. Les rapprochements se concluent en jeux, en orgies de tissus colorés, glissades d'amour et démonstrations de sensualité, mais idéalisés pour une représentation tous publics. Ce qui se passe- ou devrait se passer- entre les hommes et les femmes à ce stade intéresse manifestement avant toutes choses la chorégraphe, on en oublie par longs moments le décor et le continent.

    Pourtant, quelques notes de violoncelle plus tard, on plonge dans la passion bollywood: robe rouge, courses aveugles, polyphonie de querelles. De manière toujours trop distanciée pour permettre à quoi que ce soit de violent de nous surprendre. Histoire quand même de faire actuel, les tableaux se permettent des oeillades vers la modernité: courses en roller, angoisses de la mondialisation, danse du télétravailleur.... Il semble même suggéré qu'on ne dépeint pas ici un paradis terrestre, et ce jusque dans ce qui concerne les rapports entre les sexes. Mais après un passage par des ablutions intemporelles, on en revient aux exactes répétition de séquences de la première partie....éternel recommencement de l'éternel féminin dans l'orient éternel? Les danseurs courent sans se heurter, sinon du regard, sur leur chemin nul obstacle. Même quand il y a exubérance et vivacité, les mouvements recherchent harmonies, évidences, et fluidités. Sans s'attarder dans des originalités trop ostensibles. Il plane plus de sérénité et de rêverie que de blues dans tout cela. Mais le tragique n'est pas une obligation. C'est même, trop souvent, une facilité. On aurait même tout autant aimé Bamboo Blues, et ses rêves de bonheur, si Pina Baush avait été une débutante.

    C'était Bamboo Blues, de Pina Bausch, au Théâtre de la Ville, jusqu'à mercredi encore.

    Guy

  • Marie Coquil et Philippe Combes: retour aux sources

    C'est surement exactement ce qu'il nous faut, aprés tant de soirées tendues et perplexes, toutes pleines d'enjeux mais toujours trop concentrées, presque saturées, à écouter en danses Marguerite Duras ou Miguel Bénasayag, ou à endurer de fastidieuses démonstrations d'inanité, ou à explorer d'ambigues frontières conceptuelles. Ce soir on revient aux sources. Pour deux fois trente minutes de calme intensité, pour des danses qui avant tout s'intéressent au corps avant tout (s'agissant de danse, ce n'est, en fait, pas toujours une évidence...). Pour deux performances d'une beauté très spartiate, d'une beauté aussi nue que le crane des deux interprètes.

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    En premier Nicolas Mayet, chorégraphié par Marie Coquil. Visiblement en marche vers une allégorie de la vie. Commencée suspendue, en long manteau style Matrix, pour finir dans un complet dépouillement. Le chemin est dessiné en rectangle tout autour de la scène. Ce chemin mène-t-il à la sagesse? Pourtant l'homme tourne, alternativement calme, vif, délicat athlétique, determiné. Une épée de Damoclès au dessus de la tête. C'est allusif et bien dosé, d'une simplicité bien étudiée, inspiré et inspirant, toujours retenu avant de trop suggérer.

    Delphine Lorenzo danse ensuite Dromos 2, de Philippe Combes. Même plus d'accessoires, ni de fil narratif. Et une feuille de salle on ne plus elliptique. A peine du violon. Juste, ou surtout, un solo, sur plateau nu, en collant neutre: c'est à prendre ou à laisser. On prend. La pièce joue le corps inconfort, se focalise sur de petits mouvements d'interrogations, attardés, pieds hésitants, torsions existentielles. Rien n'interpelle, tout intéresse. Ou plutôt invite à s'abandonner, à revenir au plus prés de l'essentiel. La danse est trés loin du spectaculaire, sans renvoyer à d'autres objets qu'à elle même. En recherches d'équilibre. Brisées par des accélérations inquiètes. Le tout prés du sol, sans envols. La danse vaut pour elle-même, mais là en vaut la peine.

     

    C'était A mor(T...) la mort, l'amour et l'éternel, de Marie Coquil, avec Nicolas Mayet, et Dromos 2 de Philippe Combes (Compagnie Cave Canem) dansé par Delphine Lorenzo, à L'étoile du Nord, avec le festival Avis de Turbulences.

    Guy

    photos: site de l'étoile du nord

    P.S. La compagnie de Marie Coquil s'appelle "Pour un Soir": la rencontre etait écrite!

    Re PS: Et il y avait, pour attendre à l'Etoile du nord, cette video en boucle de Muriel Bourdeau (dont on vit Box l'an dernier). Mais la video était passée à l'envers: c'était mieux.


    Fringues-toi
    envoyé par madbom
  • Matthieu Hocquemiller recolle les morceaux

    Doit-on venir aux répétitions générales. Où doit on filer des filages? D'un coté on est trés heureux d'être invité, et avec des gens qu'on a plaisir à rencontrer. De l'autre, il y a toujours un projecteur ou autre chose en panne et qui sera réparé pour la générale, les photographes au premier rang qui font du boucan, sur scène une concentration qui se laisse encore trop voir et des enchaînements qui flottent un peu, derriere  la arton390.jpgconscience de l'absence de public, de son attente et de ses frémissements, et surtout partout la présence du chorégraphe, absolument sympathique mais absolument flippé, qui s'excuse d'avance de présenter tout sauf la pièce car elle ne sera bien vraiment réglée que le lendemain, nous demandant de ne pas trop juger mais nous laissant voir quand même, nous laissant confronté à l'injonction paradoxale parfaite. C'est d'autant plus perturbant pour une pièce qui s'efforce de réussir une juxtaposition de formes vers la synthèse. Ce soir, l'énergie semble encore trop retenue. Le danseur joue de la masse, bonne idée. Mais fracasser une chaise et deux paquets de céréales, c'est trop, ou trop peu. En conclusion, on a pas vraiment vu "J'arrive plus à mourir". Mais on va en parler quand même bien sur, ou au moins on va essayer de parler de ses morceaux.

    Mon tout parle du deuil de l'avenir, les parties sont constituées par autant de debris du monde qui reste. Les paradigmes sont ébranlés et les danseurs peinent à s'y raccrocher, tombent en belles glissades le long du toit de la maison. Se laissent aller à quelques pas de danse déglinguée et mains dans les poches, nous évoquent Joe Cocker à Woodstock, comme un pied de nez aux dernières utopies et idéologies du progrès. Ils se vautrent faute de mieux dans le consumérisme, infantilisés, renversant partout le pop corn, gavés de gelée rose jusqu'à la régurgitation. Encore un peu punk ou rock ou disco, bien que plutôt anesthésiés, trompent l'ennui en positions sexuelles dignes des pieces de Kataline Patkai, se laissent théoriser et commenter par Miguel Bénasayag. Même si à écouter le philosophe on reste sur sa faim, au moins ses interventions sont-elles intelligibles, et au coeur du sujet....

    Ce sujet est perilleux. Rodrigo Garciaest déja passé par là pour nous en dégouter. Ronan Cheneau et David Bobbé, bien que plus subtils quant à la mise en forme, ont achevé de nous déprimer. Heureusement, il y a ce soir des raisons d'espèrer. Déja dans les textes, d'un tout autre niveau. Dits au bord du gouffre et les yeux fermés, il y a dans ces mots l'ébauche de sourires même tristes, d'une élégance plus tout à fait desespérée. Déja de belles étincelles. Et quand tout est dit du marasme, reste ou nait l'envie de danser. Même avec inquiétude. Tout va mal peut-être, si le temps ne va plus en avant. Le théatre nous le fait juste constater, on veut croire que la danse peut nous sauver. 

    C'était "J'arrive plus à mourir" de Matthieu Hocquemiller, avec Elise Legros, Evguénia, Cyril Viallon et des entretiens en video avec Miguel Benasayag. C'était à Mains d'Oeuvres.

    Guy

    P.S. : A voir ici, le photos du gars bruyant au premier rang

  • Allio-Weber: le Discours et la Méthode

    On ne sait vite plus où l'on est, d'où l'on regarde. Et, tout le long, quelle est la nature de ce qui est montré. Le couple d'acteurs s'enlace, en petite tenue, au milieu du public, la position est décalée par rapport à nous mais aussi l'un par rapport à l'autre. Ils se cherchent, empruntés, mais rien ne semble s'emboîter, ces deux là ne savent plus comment embrasser, voire simplement comment être. Forcement insatisfaits. Amputés de quelque chose? De quoi au juste? Mais on anticipe. Le plus déstabilisant est encore à venir, avec déja un discours de marketing humanitaire d'un saisissant réalisme. Êtes vous prêt à donner 35 €? Le rapport avec le public prend un tour on ne peut plus direct. Lui, a le ton adapté: sérieux, digne, compréhensif, un poil mouillé. Elle, vient nous chercher du regard au plus près sans s'être rhabillée- argument de vente basique. L'argumentaire est répété ad nauseam. Sur écrans vidéo les figurants apparaissent et se multiplient, pour reproduire et affadir à l'infini le discours, le vider de son contenu. Les intentions ont disparu, ne reste que la méthode. Mise en évidence, sans indulgence. Lessivé, on est prêt- mais sans plus savoir pourquoi- à mettre la main à la poche pour débourser les euros demandés. L'entreprise est en tout cas d'une provocation salutaire. Cela ne fait que commencer...

    Pourquoi se porte on candidat à l'amputation? L'actrice plantée au micro déroule son argumentaire. Un argumentaire on ne peut plus cartésien. Sans un mot plus haut que l'autre, sans effet choc, sans affect, et pourtant une implacable violence est à l'oeuvre. Il est question du corps et de son intégrité, mais le corps n'est pas utilisé pour le discours. Seuls les mots: froids, et forts. Plus efficace que les provocations visuelles d'un Rodrigo Garcia. Les figurants en video font fonction de spectateurs, de jury populaire, dédoublent en miroir nos interrogations. Puis désertent un à un l'écran pour nous rejoindre dans la réalité. Le spectaculaire est refusé. Le vrai public est interpellé: "Autoriseriez vous Mlle S. à se faire amputer?" On s'attendrait presque à pouvoir voter comme dans les vieux spectacles de Robert Hossein. On balance, à l'image des figurants sur le trampoline... On prend le plaidoyer au sérieux, ne se demandant même plus ce qui ne tourne plus rond pour en arriver à se poser de telles questions. La forme est quant même, surtout, d'une sécheresse extrême, sans concession. Au bord de la non -représentation. On est décontenancé, au bord de la frustration... Quelques incidents surgissent pour s'évader du réel: un geste, soudain une chanson. Mais on applaudit, convaincu par l'audace et l'intelligence du propos.

    On se dispute à la sortie pour maintenir que la pièce n'est pas manipulatrice. Notre interlocuteur nous soutient que tout est présenté de manière tendancieuse, pour amener à des conclusions préparées, et dans la direction du politiquement correct. De notre coté, on assure que la beauté de l'exercice est de remettre le dilemme moral à l'ordre du jour. Presque du Corneille post moderne. On loue le parti-pris de sobriété dépassionnée du plaidoyer de la volontaire pour l'amputation. La subtilité de ce beau texte. Deux jours plus tard, notre contradicteur prend un malin plaisir à nous faire partager sa découverte: la source internet  du texte qui a été repris quasi mot pour mot dans la bouche de l'actrice. Ce texte même qui avait suscité notre admiration. Malaise. Rien dans le programme ne renseignait sur les origines du discours. A-t-on été pour de bon manipulé? Ni plus ni moins que public cible du discours humanitaire incklu dans le spectacle?  Difficile à dire. On balance encore. A y repenser, le monologue n'a été présenté ni comme un témoignage, ni comme une fiction littéraire. Juste comme un matériau ambigue, laissé à notre interprétation. Mais on était plus à l'aise, avec les lettres authentiques de Samuel Daibler, présentées pour qu'elles étaient. Et libres aprés de s'intégrer dans le tout de la création. On est prévenu contre les discours. Mais quelle est la méthode?

    C'était Un inconvenient mineur sur l'échelle des valeurs de Patricia Allio et Eléonore Weber, avec Marc Bertin et Charline Grand, à la Grande Halle de la Villette, avec 100 Dessus Dessous.

    Guy

    P.S. : Réactions contrastées sur France Culture  http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/toutarrive/fiche.php?diffusion_id=63926