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Un Soir Ou Un Autre - Page 66

  • Marivaux: lettre à mon neveu qui n'a jamais mis les pieds à Nanterre Amandiers

    Mon cher B.

    Jette ta game-cube à la benne, arrache les fils du câble, revends ta carte UGC, éteins ton cellulaire 3-G, cours vite à Nanterre voir Marivaux, et tu verras tout à la fois: le théâtre est aujourd'hui comme de tous temps un art multimedia.

    fea5e111516ffeef2f9edfce3d6162df.jpgLe texte, d'abord, le texte et rien d'autre, le texte avant même que le reste ne commence à exister.... Je t'entends déjà me répondre que c'est une vue de l'esprit: que sur scène tout vient en même temps, le texte, la parole, la musique, le jeu des comédiens, etc... Tu as tout à fait raison. Je t'expose juste les choses de cette façon afin de te faire valoir que cette expérience théâtrale te permet de mettre en oeuvre différents niveaux de perception simultanés. Certes tous interdépendants mais chacun riche de sa valeur propre. Ce texte donc est signé Marivaux (1688-1763), Tu vas découvrir qu'on a encore le droit en 2007 d'employer l'imparfait du subjonctif, ou des mots comme "affliction". Qu'on peut entendre cela et y survivre. Et pour commencer être reconnaissant à Luc Bondy de nous juger assez adultes pour ne pas se sentir obligé d'adapter le texte. Le texte qui raconte une histoire. Et pire, une histoire d'amour. N'écoute pas tous ceux qui te diront que cela n'a dés lors aucun intérêt, car dépourvu de portée sociale ou politique. Dés qu'il s'agit de l'homme, il n'y a pas de petit sujet. Ces états d'âmes des deux jeunes personnages principaux-la comtesse et le chevalier-, chacun en deuil de son amour disparu, et qui n'osent s'engager à nouveau du coeur et du corps avant d'être sûr d'être récompensés en retour, touchent à quelque chose d'universel. Aujourd'hui, on parlerait de résilience. Aux billets plus ou moins doux du XVII° siècle pourraient répondre les SMS envoyés dans la cour de ton lycée. L'enchaînement des malentendus amoureux n'est qu'un prétexte pour mettre en évidence les difficultés qu'ils éprouvent à ajuster leurs sentiments- graves ou superficiels, quelle différence?- sentiments qui ressemblent plus à de l'amour propre et de l'orgueil qu'au don de soi à l'être aimé. Sur ce plan là, rien n'a changé. Et il y a chez Marivaux, sous des apparences inoffensives, une énergie presque hargneuse à remettre le sentiment au centre du jeu, aux dépens de l'intellectualisme, jusqu'à faire déchirer par le Chevalier des pages du philosophe Sénèque, faire congédier cruellement par la comtesse l'érudit Hortensius.

    En osmose avec le texte, écoute ces voix qui le portent. Sans amplification, ni équalisation numérique. En absolu direct, fidèles à 100%. Fidèles au texte, et en décalage à la fois: ces voix se permettent une juste distance par rapport à l'écrit. Nous permettent d'introduire intelligence critique tout en partagant ces émois. Comme nous ne sommes plus en 1727, les imparfaits du subjonctif sont delivrés avec un rien d'ironie. Les voix amoureuses empruntent à la fragilité adolescente, pour traduire interrogations et désarrois, avant de céder la place au bon sens gouailleux des serviteurs Lubin et Lisette. L'art du soupir est poussé jusqu'à son extrême raffinement, avec plus d'efficacité que des pleurs ou d'autres éclats pour rendre compte de la tristesse. Ambiguïté et faux semblants, le langage est un leurre, au maniement dangereux. Il s'agit le plus souvent de ne pas dire: le rival du chevalier, le vieux prétendant de la comtesse se disqualifie par l'aveu même de sa proposition de mariage, aux perspectives soudain insupportables parce qu'exprimées. Il flotte aussi quelque part autour des voix, de la musique, que tu ne remarqueras pas sans doute.

    Tu verras, cette pièce se joue en 3.D.. Dans un décor en relief, pensé comme une création d'art plastique. Au premier plan de la scène une sinueuse bande de sable, dessiné avec une élégance organique, mais cette figure est peu à peu foulée au pied par tous les déplacements impulsifs, comme troublée par le désordre des passions. Sur un plan horizontal au fond, de chaque coté une cabine noire de deuil qu'habite chacun des personnages principaux, et qu'une machinerie fait s'éloigner ou se rapprocher l'une de l'autre au gré du réchauffement ou du refroidissement de leurs inclinations. Tu découvre que le décor peut avoir pour fonction de commenter l'action. Sans te faire oublier que tu vis un artifice: un cadre définit cet espace théâtral...mais lui même est entouré de matière transparente, pour que l'ation puisse en déborder.

    Dans ce décor, la migration émotive des corps ne doit rien au hasard. Des corps réels, que tu pourrais toucher presque. Lupin, pour commencer, s'approprie l'espace sans hésitations, à vélo. Hortensius, insupportablement pédant, répand ses livres partout. Lisette est plutôt du genre à écouter aux portes. En ce qui concerne la Comtesse et le Chevalier, c'est une autre affaire. Ces deux là savent bien qu'aller l'un vers l'autre, revient à s'engager. Et pourtant les gestes sont là, avant la volonté, pour démentir ce que les mots ne veulent exprimer, ces personnages dessinent tous deux une subtile géographie de la pudeur et du désir. Je ne te donne pas cinq minutes avant de tomber amoureux de la comtesse, et de ses abandons millimétrés, la tête qui se laisse tomber sur l'épaule, mais juste un peu. Le Chevalier mélancolique a quant à lui des affalements extraordinaires. Je ne parlerai pas des autres acteurs, mais tout s'agence avec une précision quasi-chorégraphique. Tous les mouvements, tous les suspens enrichissent le récit. Tu vois qu'on peut montrer un corps qui souffre et s'interroge, sans avoir besoin de le tondre, ou de le dénuder et de le plonger dans le miel. Ne te méprend pas je te conseille d'aller voir une fois dans ta vie une pièce de Rodrigo Garcia pour en parler en société, mais il faut que tu sache qu'il existe aussi des moyens de représentation plus subtils, et dramatiquement plus efficaces.

    Revenons en à Marivaux. j'ai essayé de te faire valoir que le spectacle était total, mais cela va plus loin: le spectacle est intemporel et paradoxal. Tu es un spectateur du XXI° siècle confronté à une pièce du XVII°. A une pièce du XVII° interprétée par des artistes contemporains, qui s'inscrivent ou s'opposent à une certaine tradition, et à la fois espèrent innover. Tu ne peux donc comprendre la pièce comme la recevaient ses contemporains, c'est à dire qu'il y a une dimension qui t'échappe, forcement. Il y a aussi une dimension universelle, et d'autres aspects que tu peux percevoir avec recul: à la diférence de Marivaux tu as lu Freud, ou sinon Cyrulnik, ou au moins tu en as entendu parler. N'écoute pas les conservateurs qui ne jugent légitimes les pièces de Marivaux qu'en costumes d'époque, cela n'aurait de sens que s'ils venaient eux même les voir en perruques. Tu es confronté au seul art dont les oeuvres soient à la fois au fil du temps inaltérées et transformées.

    Mais surtout porte attention aux dernières secondes: les lumières se rallument avant la fin des dernières répliques, alors que l'amour s'est enfin avoué. Dans un soudain paradoxe, épuisées par deux heures d'hésitations amoureuses, les expressions se figent au bord du désenchantement. Sans qu'on n'ait su quand, la représentation s'est déjà effacée devant le retour du réel. La dernière surprise de l'amour, peut-être.

    J'en ai beaucoup trop dit, je te rappelle juste que c'était La Seconde Surprise de l'Amour ♥♥♥de Marivaux, mis en scène par Luc Bondy, décors et lumières de Karl Ernst Hermann, avec Pascal Bongard, Audrey Bonnet, Clotilde Hesme, Roger Jendly, Roch Leibovici, Micha Lescot, au Théatre Nanterre Amandiers avec le festival d'automne à Paris.

    Guy

    P.S.: Ecris moi quand tu l'auras vu, je suis vraiment impatient d'avoir ton avis. Et ne fais pas de soucis pour arriver jusqu'à Nanterre Amandiers: ils ont des navettes à la sortie du RER. La pièce joue jusqu'au 21 décembre.

  • Juju Alishina: une vie de chien

    Beaucoup s'épuisent et se dispersent à vouloir pluridisciplinariser à tout prix. C'est déjà en soi remarquable que Juju Alishina, en utilisant des techniques de buto, de théâtre, de danse, nous propose quelque chose qui se tient. Pour plus d'une heure durant, avec un début, un milieu, une fin. L'argument est consciencieusement expliqué sur la feuille de salle: une fable politique, mais sans morale univoque, situé dans un espace-temps utopique et indéterminé. Où l'on voit un groupe engagé politiquement se réfugier dans la clandestinité. Ce récit reste obscur, ce qui n'est pas plus mal. Les personnages réservent leur souffle pour des tirades idéologiques d'un délicieux démodé (que cet effet fascinant soit volontaire ou non, il importe peu). Les rapports qui lient les personnages s'exposent eux plutôt à force de danse et de mine, ce qui les transporte depuis la raideur de l'utopie vers les plans de la corporalité et de la sexualité, tant mieux. Sur un mode talentueusement expressif et ambigu, surtout quand le chien est concerné.

    Car Juju Alishina joue le chien. Joue plutôt le rôle d'une femme esclave éduquée par le groupe comme une chienne. Ce qui pose un problème de représentation. Quant la danseuse se retourne sur le dos les quatre pattes en l'air, fait-elle du buto? Ou imite-t-elle un chien? Ou fait elle les deux ? On ne sait pas, sauf qu'on tend à rester dans le registre de l'imitation, ce qui, dans toute la pluridisciplinarité mise en oeuvre ici, est tout de même le moins intéressant. En concours avec la musique seventies, d'un mauvais goût effrayant. Surtout il manque ici au final un peu de nervosité, d'enjeu, pour dépasser le niveau d'un brillant exercice de style. Heureusement, comme dans Dogville, tout le monde meurt à la fin.

    C'était Dog rules de Juju Alishina_compagnie Nuba,  à l'espace culturel Bertin Poirée.

    Guy

  • Bill T. Jones n'est pas une statue grecque

    Du haut de ce grand escalier du Louvre, que domine la Victoire de Samothrace, plus vingt siècles nous contemplent. 73b0f50dd8e8564276d124cdddcb79b1.jpgC'est entendu. Mais le poids de l'histoire culturelle se fait vite oublier. Une fois assis sur les marches pour regarder Bill T. Jones , nous tournons le dos à la Victoire, qui pourrait tout autant à notre insu s'envoler. Dés que refroidie la première excitation de cette intrusion nocturne, un peu clandestine, dans le Grand Musée avec un grand M, on se dit que cette performance aurait pu exister, et avec autant de force, dans tout autre lieu doté des mêmes volumes: une usine, un hall de gare, une galerie du siècle dernier...

    Certes, Bill T. Jones nous présente la musculature élancée et noueuse d'une statue antique. Et c'est une vérité première que sculpture et danse ont en commun de produire de l'art avec du corps. Et bien sûr encore, le danseur dialogue un peu avec ses homologues de pierre, s'amuse à en reproduire quelques postures. Mais il developpe ces correspondances avec moins de systématisme qu'on aurait pu le supposer à en lire le programme, ou à voir la photo reprise ici, absolument non contractuelle. Et enfin la disposition des lieux fait qu'on verra peu des statues elles-mêmes. Ceci posé, la performance a lieu ici au Musée du Louvre, c'est un fait, même si l'on ne sait pas vraiment pourquoi. Bill T. Jones, est après tout l'un des chorégraphes les plus respectés outre Atlantique, donc improbablement en quête de respectabilité. Peut -être le danseur cède-t-il simplement à une fascination très américaine pour les lieux où la culture européenne s'enracine, peut être est ce aussi une opportunité pour le Louvre de s'associer ainsi à la chose contemporaine...

    La performance a donc lieu ici, et il faut bien l'occuper, cet espace, intimidant, solennel, presque impossible: face à nous, cent mètres de galeries en enfilade. Cent mètres, c'est très long, c'est très loin. Bill T. Jones s'annonce d'abord hors champ d'une voix grave par un chant de rue, puis se présente à nous en avant scène. Tout près. Pour user d'un code miné plutôt contemporain. Surtout imposer une présence tranquille. Enfin part en promenade le long de la perspective, tout le long, tout au bout de la ligne du titre, jusqu'à oser devenir silhouette, jouer de sa quasi disparition. C'est une promenade nonchalante, souligné par les lumières, le dialogue avec les oeuvres de pierre est alors juste deviné. L'occupation de l'espace sonore, exploité dans tous ses échos et toutes ses résonances, prend à ce moment autant de valeur que l'occupation de l'espace visuel. Avec l'ample irréalité des percussions de Florent Jodelet, et la totale étrangeté ici du chant de la thibétaine Yungchen Lhamo. On peut s'en agacer, ou s'abandonner au contraire. Après s'être fait désirer et deviner, les deux musiciens se matérialisent, pour prendre leur rôle de chair et d'os dans la tranquille exploration du lieu. Aux cotés de Billy T. réapparu. Cet homme ne marche pas, il glisse. Il ne se meut pas, il ondule. Avec l'élégance d'un danseur de comédie musicale- on n'est pas surpris d'apprendre sur son site qu'il vient d'accepter un grammy award pour une chorégraphie à Broadway- tout en restant moderne et contemporain. Mais surtout avec une lente autorité, une absolue sérénité. C'est un fantôme, on l'a enfin compris, venu hanter de sourires et de souples figures ce lieu endormi, y entraîner ses complices improbables- et nous avec- dans un bel entre-deux entre présence et virtualité.

    C'était Walking the line ♥♥♥ dansé par Bill T. Jones, avec Yungchen Lhamo (voix) et Florent Jodelet (percussions) au Musée du Louvre, avec le Festival d'Automne à Paris.

    Guy

    C'est jeudi et samedi encore, mais c'est depuis longtemps complet. 

  • Emmanuel Gat: complet

    De : Reservation CND <reservation@cnd.fr>
    À : guy.degeorges@xxxxx

    Envoyé le : Mardi, 13 Novembre 2007, 16h35mn 23s
    Objet : Re: [RESERVATION]

    Bonsoir,

    Nous n’avons malheureusement plus de place pour ce spectacle,  si vous en avez la possibilité, nous vous proposons de venir le soir même, nous ferons une liste d’attente au cas où, il y aurait des désistements de dernière minute.

    Cordialement,
    L’équipe Billetterie

    Centre national de la danse
    Service Réservation/Billetterie
    1, rue Victor Hugo
    93507 Pantin Cedex
    T 01 41 83 98 98
    reservation@cnd.fr


    le 30/10/07 7:10, guy.degeorges@xxxxx  a écrit :

    RESERVATION :
     Référence(s) :
        Artiste(s) :   Emanuel Gat / Emanuel Gat Dance     
      Titre : My favorite things (coproduction) / Le Sacre du printemps
       
     Dates : Mercredi 21 au vendredi 23 novembre 2007 à 20h30, samedi 24 à 17h et 20h30
     
         Adresse : CND - Pantin
    93507 Pantin
      
     Tarifs : 14€, TR: 11€
    Abonné : 10€, TR: 8€

    Réservations
    Du lundi au vendredi, de 10h à 19h
    T 01 41 83 98 98 / reservation@cnd.fr
     
     Nom : Degeorges  
    Prénom : Guy  
    Adresse : XXXXXXXXXXXXX  
    Téléphone : XXXXXXXXXXXX
    Adresse mail :  guy.degeorges@xxxx
      
    Date : jeudi 22 novembre
    Nombre de places : 2
     
    Commentaires :  
     --

  • Juste la fin du monde: l'éternelle famille

    Vient bientôt le temps des fêtes de fin d'année, le temps des réunions de famille. Les réunions des familles qui se réunissent encore, c'est à dire celles qui n'ont pas hérité. Pour se préparer à y survivre, il est bon d'aller voir "Juste la fin du monde" de Jean Luc Lagarce (1957-1995). Pour ne pas y retrouver Lagarce, qui depuis 12 ans est mort, mais pour découvrir ou retrouver son oeuvre, une oeuvre en bonne voie, semble-t-il, de lui survivre longtemps. Quitte à échapper à son auteur autant que nécessaire. Paul, le principal protagoniste, qui va bientôt mourir et veut revoir sa famille, n'est pas/n'est plus Jean Luc Lagarce, qui avait écrit la pièce se sachant condamné par le sida. Paul est Paul, simplement, avec les traits ronds et murs d'Hervé Pierre (sans la barbe de Coltrone), qui répète avec gourmandise et sans essayer de convaincre qu'il a trente-cinq ans. La mort est toujours présente, mais passe un peu au second plan.

    Paul revient dans sa famille, pour parler, dire la vérité (sur son état, seulement, ou sur lui, plus généralement?), et ne le peut, évidemment. Pas plus que Paul n'a pu, marchant une nuit sur un pont entre ciel et terre, gueuler un cri pour de bon. C'est l'un des puissants paradoxes de ce théâtre de nous montrer des personnages parler pendant une heure et demi pour démontrer qu'ils sont dans l'impossibilité de communiquer. Avec une langue très pure, un peu blanche, comme en perpétuelle recherche d'elle même, même si quelques effets de répétition résonnent parfois comme des exercices de conjugaison. On le pardonne volontiers, car ces répétitions font sens, témoignant de la difficulté qu'ont les personnages à se définir par les mots. Ce texte est porté avec énergie et intelligence, avec conviction. Il est vrai que les acteurs- Danielle Lebrunen tête- ont de sérieux états de service. On entend ici des phrases superbement impossibles mais jouées de manière réaliste, à rebours d'un certain théâtre contemporain qui se saisit souvent de textes classiques pour leur faire subir un traitement distancié.

    Car c'est peut être avant tout d'un théâtre de situation, un théâtre psychologique, dont il s'agit ici. Un théâtre moderne et adulte, pour tout dire. Le fils aîné revient, mais le retour est impossible pour qui un jour est parti. Ceux qui sont restés entre eux- la mère, le frère, la soeur- se sont renfermés ensemble sur les souvenirs des vieilles querelles, dans un inconfort qu'il est trop douloureux pour eux de remuer. La place de chacun est assignée, la scène est barrée de tout son long par le mur imposant d'une maison, par ses ouvertures apparait la vue d'un ciel tourmenté. Image d'une subjectivité vers laquelle chacun pourtant parvient à son tour à s'échapper, quand les névroses familiales éclatent brusquement en accès de violences, avant de s'éssouffler en renoncements, au goût doux amer du pardon.

    "Qui peut dire comment les choses disparaissent?"

    C'était Juste la fin du monde ♥♥♥ de Jean Luc Largarce, mis en scéne par François Berreur, avec Hervé-Pierre-de-la-comedie-française, Danièle Lebrun, Elizabeth Mazev, Clotilde Mollet, Bruno Wolkowitch, au Théatre de la Cité Internationale en partenariat avec le Théatre de la Ville.  Jusqu'au 25 novembre

    Guy

    P.S. du 25/11: quelques images ici  et quelques échanges, sur un air de théatre

     

  • Lost

    Les rescapés explorent l'île par petits groupes, veulent en percer les mystères, se retrouvent impuissants confrontés aux volontés des étranges habitants du lieu, sont terrorisés par des phénomènes inexpliqués, par les apparitions de monstres et créatures surnaturelles.

    Ce n'est pas la dernière saison d'une serie made in Los Angeles, c'est juste La Tempête, oeuvre tardive de Willy, son quasi testament. Une pièce étrange et onirique, presque ésotérique, de quoi occuper les fabricants d'exégèses fc017e753e191a7a214000796a70ca18.jpgpendant quelques siècles. En tous cas une pièce atypique dans la production shakespearienne: ici nulle passion qui menerait un Macbeth ou un Othello jusqu'à son propre anéantissement, ni intrigue à proprement parler qui nous tiendrait en haleine. Trahisons, luttes de pouvoir: toute l'action a eu lieu avant  la pièce, dans un temps ordinaire, suspendu par la tempête. Ensuite, comme dans les séries d'aujourd'hui, les naufragés rencontreront leur vérité à travers les épreuves. Mais c'est l'île elle même- et ses incarnations primitives: Ariel et Caliban- qui est le personnage principal de la pièce. Un lieu de magie, mais comme empreint d'une lassitude apaisée, où les passions se résolvent, où les fautes sont pardonnées.

    L'île est donc un lieu hors du monde et du temps, avec plus d'évidence encore que la forêt du Songe d'une nuit d'été, ou l'Illyrie de la Nuit des rois, une puissante métaphore de l'espace théâtral lui même. Il faut donc que soit imposé à nos esprits l'étrangeté de ce lieu: c'est chose faite dés l'entrée, avec, agitant quatre grandes voiles, une effrayante tempête, ensuite souvent le son des tambours, de beaux effets de lumière, et une juste part laissée au ténèbres. Le texte est ensuite joué avec humilité, mais avec intélligence. Dans cette troupe peuplée de têtes familières pour qui fréquente le T.N.O. François Paul Dubois en Prospero dégage une irrésistible mélancolie, tout autant que de l'autorité. Frédéric Touitou  surjoue un peu Caliban. Surtout, Carlos Ouedraogo campe un Ariel résolument, étonnement, delicieusement africain.

    Tous les mystères ne seront pas éclaircis, tant mieux. Mais qui est vraiment le magicien Prospero, un homme qui, fait extraordinaire, renonce de lui même à sa magie? Peut être ce Prospero est il déjà mort, nous suggère à l'oreille une voix perspicace.... 

    C'était la Tempête de William Shakespeare, mise en scène par Bernard Mallek et Paola Rizza dans le cadre de l'intégrale Shakespeare, au T.N.O.

    Guy

  • La grande parade de Rodrigo Garcia et Mickey au Théatre du Rond Point

    Le public rit franchement, la première fois qu'un comédien apparaît nu sur scène.

    Le public rit très rarement, lors des trois longs monologues anti-consuméristes en espagnol du début. 

    Le public rit quand même, quand on voit pour la première fois le mot "baiser" en sur-titres sur le grand écran.

    Le public rit, quand les comédiens s'enduisent de miel.

    Le public ne rit pas, quand rentre la figurante, encore chevelue.

    Le public rit un peu, quand un des comédiens tond les cheveux de la figurante, il rit mais sans doute en réaction à des textes en sur-titres, relatifs aux dirigeants politiques et aux grèves.

    Le public ne rit pas du tout, quand un comédien plonge des souris dans un aquarium (Il vaut mieux être escargot avec Jesus Sevari que souris avec Rodrigo Garcia), et les repêche avant la noyade.

    Le public rit un peu, quand cette scène est interrompue, pour cause de panne vidéo.

    Le public rit aux éclats, quand un comédien et une comédienne minent nus un coit crane contre sexe.

    Le public rit beaucoup, quand apparait ensuite une famille entière de figurants pour monter en voiture.

    Le public rit tout autant, quand les comédiens plongent dans la boue.

    Le public rit, mais moins fort, quand on accroche par des fils des grenouilles à un comédien.

    Le public baille, lors du long monologue final, et la projection de films de parachute.

    Le public applaudit.

    Le public sort du théatre, sur les Champs Elysées.

    C'était la premiere parisienne d'Arrojad mis Cenizas sobre Mickey / Et balancez mes cendres sur Mickey de Rodrigo Garcia, avec Jorge Horno, Nuria Lloansi, Juan Loriente, et à la figuration le 8 novembre, Laurie-Anne Ivol, qui fait ce qu'elle veut avec ses cheveux, au Théatre du Rond Point, avec le festival d'Automne à Paris.

    Guy

    P.S du 11/11: A lire, Le Tadorne, Scenes 2.0, un air de theatre

     

  • Jesus (Sevari): la femme à la tête de choux

    Il s'en trouve toujours un, hélas, pour raconter le début, vendre la mèche. Soyons le premier, et spolions allégrement, tant pis pour les effets de surprise. Jesus Sevari nous attend allongée à l'entrée de la salle, juste vêtue de talons aiguilles et sur le visage une souche, son corps colonisé d'escargots. Tout partout, gastéropodisée des pieds à la bouche, jusque dans la bouche. C'est la seconde femme limace  qu'on rencontre cette année, mais pour le coup c'est inédit, audacieux et saisissant. On est content. Jesus bouge parcimonieusement, les escargots aussi, mais encore plus lentement, ils glissent, et cela pourrait durer longtemps encore.

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    A compter de l'instant où les spectateurs ont compris qu'il faut considérer ce tableau comme la première scène du spectacle, et qu'il n'y a pas d'inconvenance à s'arrêter là pour scruter la baveuse performance, ils font demi-tour depuis leurs sièges. Puis font attroupement debout en demi cercle. Avec une fascination plutôt amusée, avec sans doute un peu de difficulté à prendre du recul pour réfléchir au concept. Régression vers l'animalité? Ou une simple exhibition absurde, une provocation calme et démystifiée? Mais déjà les deux autres partenaires de la danseuse détachent un par un les animaux de ce terrain humain. Avec beaucoup de précautions, avec presque du respect. Ce soir on ne plaisante pas avec les escargots. Un moment d'émotion chez les témoins de la scène: alors que la danseuse se relève on voit qu'un des gastéropodes été oublié entre ses pieds, en grand danger d'écrasement. Soupir de soulagement quand l'animal est in extrémis repéré, récupéré. Passage du public dans la salle, au risque de décevoir après ce prologue. On se surprend à imaginer ce que cette performance aurait pu devenir si elle avait osé durer et devenir danse: dressages utopiques, apprentissage d'une lenteur extrême, interactions improbables, vertigineux contrastes.

    Mais il y a encore une heure de spectacle, après. Saturée par- citons le programme-: 40 escargots, 7 salades, 6 masques, 5 costumes, 3 paires de chaussures à talons aiguille, 2 musiciens, 1 comédienne, 1 danseuse, 1 litre de lait, 1 guitare électrique et 1 corde à sauter. La liste n'est pas exhaustive, on pourrait y rajouter: des ventilateurs, des ballons multicolores, un beau sourire, des ailes d'ange, un costume de Dark Vador, un ordinateur Apple, une robe glamour, pas mal d'impudeur et un peu de danse, des yeux en gros plans, des bouches, des bâches et des bûches, des discours rêveurs et des souvenirs rêvés, et le guitariste bite au vent. Diagnostic: c'est le syndrome trés répandu du bric a brac, maladie de jeunesse qui avait déjà frappé d'autres victimes dans F for Fake, pour ne prendre qu'un exemple. Autour d'un concept trop généraliste, que l'on pourrait réduire à un manifeste de l'introspection exhibée, une exploration du domaine fantasmatique. Appliqué avec une volonté explicite de pluridisciplinarisme. Mais cette ambition n'est pas toujours soutenue par des moyens suffisants. A chaque changement de genre: baisse de tension.

    La création existe, pourtant, intrigante et originale, si l'on se résout à prendre, à retenir ce qui nous intéresse. Quitte à un peu oublier le reste, essentiellement ce qui est parlé. Pour se souvenir du meilleur: de trop brèves séquences de belle danse contemporaine, bras collés au torse, ou buste penché en avant, une danse singulière à en faire oublier la belle robe, ou la nudité. Se souvenir aussi des gestes en échos entre la danseuse et son double "ordinaire", l'actrice Sylvie Deslande, cette dernière au corps moins "artistique" dans son dévoilement, d'où un dialogue d'autant plus intéressant. Se encore souvenir de ces mises en situation d'un absurde troublant et décomplexé, sans provocation ni agréssivité tant la chair semble sereine, tableaux surréalistes habités par des personnages à tête de salade. Se souvenir pour finir d'un véritable rêve éveille dans la pénombre, avec ces images organiques projetés sur la danseuse. Une belle conclusion sur un corps qui se songe apaisé.

    C'était (la première) de Como salir a buscar una estrella con las dos manos ocupadas ♥♥ de Jesus Sevari-Compagnie absolumente  avec Jesus Sevari, Sylvie Deslande, Gonzalo Alarcon, Sven Lava, à Mains d'Oeuvres.

    C'est ce soir toujours, et samedi encore...

    Guy 

    P.S. : ...et un moins aprés aussi à l'Ecole nationale d'architecture de Paris, d'où Jérome n'est pas revenu les mains vides 

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  • Soif et Pluie, à l'espace Bertin Poirée

    C'est un secret bien gardé: il y a en ce moment un festival de danse à Bertin Poirée. Proposant tout autant de la danse contemporaine que du buto. Les animateurs du lieu sont d'une gentillesse et d'une politesse toute nippone, d'une discrétion exemplaire. On parlera quand même de ce qu'on a vu, brièvement pour ne pas les gêner, peut être ont ils peur que cela se sache qu'ils organisent un festival. Cette digne politique porte ses fruits: juste une poignée de spectateurs s'installent sur chaises et tapis pour voir si  "Il va pleuvoir" avec la compagnie Noon... On va être honnête: pas de regrêts sur le moment, mais pas grand chose non plus à en dire après. Il est sûrement question du quotidien dans ce duo de bonne tenue, qui utilise des moyens variés, du hip hop au sage soulevé, jusqu'à quelques tics bien contemporains un peu vains: accomplir des actions superflues avec une chaise, essayer de faire bouger le mur, etc... On applaudit et on oublie, faute d'une narration forte à laquelle s'ancrer.

    Nettement plus de publics la semaine d'aprés- tous les secrets finissent tot ou tard par s'ébruiter- dont un admirateur de Moeno Wakamatsu: on est donc au moins deux admirateurs, c'est un début. Plus d'intensité sur scène ce soir aussi, avec "Soif", solo de Miyoko Shida.  La partie est vite gagnée: peut être parceque dans le regard de la dame on lit une vraie inquiétude. Traduit dans le mouvement, un tournoiement entraîné par Bach pour ne plus s'arrêter, en une tension sans ostentation, la danseuse perchée sur pointes et cambrée, dans le flou d'une belle robe orange. Intermède avec une chaise, cette fois intelligemment exploitée. Et survient un exploit notable: notre fleur assoiffée se plante quelques instants dans un pot. Sans pour autant être ridicule, même un seul instant.

    C'était "Il va pleuvoir"♥♥ de la Cie Noon et "Soif" ♥♥♥♥ de Miyoko Shida à l'Espace culturel Bertin Poirée.

    Guy 

  • Blind Boys of Alabama: Jesus hits like an atom bomb

    Il suffit d’écouter les enregistrements que les Blind Boys of Alabama  ont gravés dans les années (mille neuf cent) 7341a75a873819274c168ec3c3ab9af0.jpgquarante et cinquante pour qu’il n’y ait plus de place pour le doute: c’est dans le feu du gospel tel qu’alors le vivaient à haute voix ces garçons issus de l’Alabama Institute for the negro blind in Talladga, que James Brown, Ray Charles et leurs suiveurs sont venus chercher 90% de leur inspiration. Le Genius et le Godfather of Soul ont depuis peu cassé leur micro, mais les Blind Boys chantent toujours présent, et assez fort pour encore donner en 2007 des leçons d’âmes à de nouvelles générations.

    Les vieux garçons cheminent vers la scène, lunettes noires, chic désuet, costumes lavande et chemises vertes, en file indienne, le bras gauche posé sur l’épaule droite de celui de devant. L'équipage est guidé par les yeux du guitariste Caleb Butler. Avec  l'abandon que la foi permet. Depuis 2001, le temps s’est peu soucié de s’arrêter. Survivaient alors encore trois grand pères aveugles. Ils avaient attendu 60 ans de scène pour miraculeusement se faire connaître au delà des circuits spécialisés du negro spiritual, en tournant dans le monde entier avec Peter Gabriel. Qui les avait engagés sur son label world music . Ne reste ce soir d’origine garantie 1939 que Jimmy Carter (mais ce Jimmy là n’a jamais été président des U .S.A.). Exit le ténor Georges Scott, qui scandait « Jesus hits like an atom bomb » sur l’album éponyme, parti chanter avec les anges. Le leader Clarence Foutain est restéce458ceadb76bd486f751657a00f84be.jpg chez lui soigner son diabète. Tant pis. La présence du dernier des vétérans suffit pour garantir le frisson de l’authenticité. Un lien humain, palpable vers les origines, vers une foi solidement enracinée. Quand bien même: dès qu’« un soldat de l’armée du seigneur » tombe, aussitôt un autre se lève pour le remplacer: assis aux cotés de Jimmy Carter deux nouveaux mais qui n’ont rien de jeunes débutants: Bishop Billy Bowers surprenant colosse sphérique, et Ben Moore, solide et modeste dans le rôle râpeux du baryton. Tous deux sous leurs lunettes noires manifestement aussi aveugles et aussi rocailleux de la corde vocale que leurs prédécesseurs: mais où vont-ils les chercher?

    Les Blind Boys ne sont venus pas venu ce soir pour proposer un divertissement.  C’est tout le contraire. Ils sont venus ramener l’assemblée vers l’essentiel. Vers Dieu, évidemment. Avec amour et fermeté. Comme ils parleraient à des enfants. Leur arme est la musique, puisée dans le pot commun et bouillant du patrimoine afro-américain. Blues, Rythm & blues, gospel, jazz, funk, soul, c’est toujours la même énergie, portée par des voix différentes, mais avec les mêmes harmonies, que celles-ci résonnent dans un bar plutôt canaille ou à l’église baptiste.

    Premières chansons: les voix se chauffent sur un « Down The Riverside » encore raffiné, encore sans trop de surprises. Derrière les trois chanteurs solistes, trois plus jeunes musiciens et choristes, eux bien voyants mais avec juste des lunettes de soleil: les guitaristes 611e15d1c4dbd3e0449aebf9751b896f.jpgJoe Williams et Caleb Butler, et le bassiste Tracy Pierce. A la batterie Rickie Mac Kinnie, lui de la confrérie des cannes blanches. Dès les premières mesures, le dispositif musical se met en place, d’une simplicité biblique: une rythmique discrète et carrée, les voix rassemblées en harmonies viriles et tout en âpretés, l’ensemble au service des prêches énergiques des solistes. Pas de place pour des contre-chants trop policés à la Golden Gate Quartet, ou des surabondances de choeurs en robes façon église surpeuplée. Juste du robuste, du brut, de l'authentique, sur une trame blues qui s'impose avec l'évidence des vérités révélées. Premières notes tenues, aussitôt applaudies, encore avec mesure, premières mises sous tensions, premières prières intempestives, premiers déferlements d’exhortations soutenues à coups de cymbales en crescendo. Les arguments commencent à porter: au premier rang, on tape du pied. Des chorus robustes de guitare bleue électrique font jeu égal avec les couplets des solistes. Quelques pauses, Jimmy Carter économise ccfa4704d1903010ebbda49dc1d5a2f5.jpgencore sa voix de septuagénaire, laisse Rickie chanter un morceau en solo derrière sa batterie, puis les quatre instrumentistes oser un joli a capella façon barbershop quartet. Une petite fille noire somnole au premier rang. Le leader introduit les morceaux avec les plaisanteries un peu éculées, à un public respectueux mais réservé. Puis se rassoit impassible. Il semble presque chercher à gagner du temps, comme incertain, un peu fatigué.

    Le vieil homme a bien caché son jeu: au détour d’un standard, il se permet enfin la coquetterie d’un premier hurlement arraché à sa carcasse fluette. Une note détimbrée, mais maîtrisée et volontaire, qui tient, tient, et tient encore plus que de raison. A la juste limite du faux, à bonne distance du joli, tout prêt de la beauté. Il en sourit d’aise aussitôt après en tendant le micro vers le public incrédule, content de son tour. Et la salle estomaquée répond, un peu plus fort enfin. Soudain en un cri tout a été dit: l’âme est toujours bien accrochée au corps. Même si le corps est fragile, diminué, l’âme n’est rien sans le corps tant que celui ci reste vivant. C’est le corps et la voix que l’âme doit porter aux limites pour se laisser entrevoir. Le gospel ne serait rien sans ce spectaculaire quasi miraculeux qui met l'héroïsme en scène, fait presque oublier tout le métier derrière.

    Jimmy se décide à passer aux choses sérieuses: il pousse «The devil Way Down The Hole » de Tom Waits, comme un manifeste, avec autorité, seul au micro d’un bout à l’autre. Puis laisse ses compagnons enchaîner d’autres morceaux de bravoure, pour les rejoindre dans les choeurs. Billy Bowers soudain s’envole en scats cassants d’une voix flûtée, agite son quintal dans des soubresauts de midinette en transe, puis retombe d’un coup dans un état semi comateux sur sa chaise. Ben Moore proclame « I’m a soldier in the army of the lord »  ce qui en dit plus long que toutes les présentations. Dans l’assistance, nos voix profanes se risquent de plus en plus à répondre à ces injonctions, nos voix commencent tout juste à s’érailler. La grande salle de la Cité de la Musique apparaît déjà moins froide qu’on aurait pu le redouter. Le public semble être le même celui qui fréquente les salles de jazz, juste un peu noir, mais surtout blanc, averti mais bon enfant, prêt à retomber en enfance, en état d'innocence, prêt à se laisser entraîner. Dans ses rangs: Thélonius, lui encore 10 ans, synthétise comme toujours admirablement la situation: «Papa, j’avais déjà vu un concert de Gospel, 1f74a2991542081db73b19652e01eb5c.jpgmais là ce sont les vrais!», avant d’oser être le premier à s’éloigner un tout peu de son fauteuil pour danser. Laissez venir à moi les petits enfants. Même l’ado sort de sa réserve dédaigneuse, pour frapper dans ses mains: c’est le premier vrai miracle de la soirée. Les Blind Boys montent en puissance, sans ne laisser rien retomber de la ferveur ambiante. Certaines chansons viennent de très loin, voire d'avant le déluge, telle l’inusable «Amazing Grace » (plus archi-connu en France sous son dernier avatar: "Les Portes du Pénitencier…"). D’autres morceaux empruntent à l’intensité appuyée de la Soul: « People Get Ready » de Curtis Mayfield , ou ceux, tel « There will be a light »  extraits de l’album live à l’Apollo enregistré avec Ben Harper, blind boy honoraire, dont Joey Williams, reprend sans les perdre en route les parties vocales haut perchées. Autant d’incursions vers un public plus large et hors du strict gospel, mais toujours respectueuses du cahier des charges spirituelles. Et dans la voix d'hommes qui ont fait le chemin de l'Alabama des années quarante jusqu'à aujourd'hui, un tribut aux luttes pour les droits civiques portées par tant d'hommes d'église, le pasteur Martin luther King en tête.

    L’heure est déjà bien avancée, et à ce stade une fois les lumières rallumées, ne resterait que le souvenir d’un très bon concert. Mais l’essentiel reste à venir. L'orchestre met en place la phrase hypnotique de « Look where he brought me from »  en tempo acceléré, prete à se répéter à l’infini et monter jusqu'aux cieux. 3 ou 4 secondes obstinées scandées en récitatif par Jimmy et conclues par un "Yeah" des autres garçons. Le gospel train est en marche, lancé sur les rails, à pleine vitesse. Numéro bien réglé et complice, chacun des vétérans fait mine de se lever à son tour de sa chaise, emporté par le rythme et la foi, avant d'être rappelé à la raison et la station assise par la main de Joe Williams posée sur l’épaule. Avant que le guitariste ne sache plus où donner de la tête et s’avoue vaincu. Les aveugles ne voient pas encore, mais les paralytiques se sont levés. Dans la salle les spectateurs plus valides qu'eux ont aussi quitté leur siège, sautent et s’époumonent, sans que personne ne soucie de les faire rasseoir. Sur scène, le péril vient maintenant de Jimmy Carter, qui entreprend une improbable pirouette, réussit son ascension: dans les airs un demi tour presque complet, sans tomber. L'Esprit Saint a fait son oeuvre. Enfin l'aveugle s’aventure aux limites de la scène, un monumental roadie le prend dans ses bras de géant pour le descendre dans la salle. Porté ainsi par ce Saint Christophe, le vieillard semble frêle comme un enfant. Retombé sur ces pied le prophète vient micro en main à la rencontre de son peuple prêcher la bonne parole. Un message simplissime: Do you fell god? Difficile de ne pas hurler 8003f50ec3b762be0dae5c6278e296f8.jpgyeah en réponse. Il y aura demain beaucoup d'extinctions de voix. Tout le monde est sur ses pieds, voire plus haut. Sans remords, sans arrières pensées. Tout le monde chante ou à peu prés. Jimmy Carter, bras tendus vers le ciel, arpente les travées, soutenu de loin par l'orchestre, suivi de près par Caleb Butler. Il se retourne, saute sur place, ré-exhorte au micro, revient au trot sur ses pas, sourit, aux anges. Il passe non loin de nous et nous lui répondont très fort, pour qu'à défaut de nous voir il puisse nous entendre. Pendant tout ce temps l’orchestre n’a pas dévié d'une croche de la phrase musicale entétante. Jimmy Carter fait mine de s’écrouler après avoir tenu un râle prolongé, Caleb fait mine de le relever, Jimmy ressuscité lui échappe, tourne les talons et repart à l'aveuglette chanter dans la salle, marche à travers la foule comme sur les eaux, fait à chaque passage se soulever des vagues de spectateurs. Cela continue encore et encore à ne jamais s'arrêter, enfin dix ou quinze minutes ou moins. Depuis combien d'année le chanteur se prête-t-il à cet exploit unique chaque fois, mais répété chaque soir de tournée. Depuis 10 ans, 20 ans, ou 50? S'écroulera-t-il un soir ainsi pour de vrai? Pourtant rien n'est faux. Ni simulé. Toute l’essence du show est là. Une alliance de ferveur, d’entertaiment, de prosélistime, de rourerie et d'absolue sincérité.

    Jimmy a du enfin remonter sur scène. Conclusion endiablée en tempo accéléré sur le Higher Ground de Stevie Wonder, sous un deluge de guitare wah-wah et de hurlements: Preacher kep' on preaching....Ce qui est une dernière occasion sur scène et dans la salle de sauter toujours plus haut sur ses pieds. Fin? Pas tout à fait. Les lumières rallumées, les Blind Boys restent s'assoir au bord de la scène, accueillant les spectateurs qui viennent les remercier, dire adieu peut être. It may be the last time we ever sing together. C'est une cohue bon enfant, les éclairs des portables crépitent, Jimmy et les vieux garçons serrent les mains tendues avec ferveur, précieux instants de contact véritable, font la bise à quelques minettes ravies: « God Bless You » ! Avec les autres, on va serrer la poigne de Jimmy, malgré tout ému. Qu'il nous voit avec la main, qu'il sache qu'on a été là, pour de vrai. Provoquent–ils ainsi des miracles, des guérisons spontannées? Et est on reparti converti? Ce n’est pas sur. Mais en tous cas rechargé à plein d'amour et de générosité.

    C'était The Blind Boys of Alabama, à la Cité de la musique

    Guy