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Un Soir Ou Un Autre - Page 68

  • La Moukère Apprivoisée

    L'oeuvre d3bd9fd3f371b12fe80e263a7e82af40.jpgde Shakespeare est universelle. Si cette oeuvre est universelle, elle appartient donc à tout le monde. Si elle appartient à tout le monde, chacun peut bien en faire ce qu'il veut. Et détourner les flots du texte vers les préoccupations de l'époque. Chaque génération voit Willy à sa porte.

    Avec ici un Petruchio sous de nouveaux habits, aux couleurs islamistes, réduisant Kato de rebelle à recluse, dressée au son des muezzins, soumise, voilée, enfin éteinte, presque endeuillée. Ici l'on tique, et ce n'est pas coté politique. La religion, et son emprise sur les attitudes sociales, se trouve depuis des siècles dans la ligne de mire des artistes. C’est plus que normal que l’islam puisse aujourd’hui être visé. Mais le fait est qu'interprétée ainsi, la pièce de Shakespeare en ressort un peu rétrécie. Bien à l’étroit dans ce contexte. En sens unique. Sans pouvoir prétendre à l’intemporalité.  

    Mais peut-être La Mégère Apprivoiséen’est elle plus montable ni montrable aujourd’hui, si on respecte son sens originel. Dans une conception Elisabéthaine des rapports matrimoniaux, la femme finalement heureuse et soumise au mari en remerciement amoureux de sa protection, de même que le sujet est soumis au souverain. Par la voix de Katharina dans son dernier monologue, Shakespeare plaide- au moins dans cette pièce ci- pour un monde bien ordonné. Au regard des consensus moraux contemporains, cette morale est insoutenable, évidemment. Le metteur en scène d'aujourd'hui ne peut que tenir Shakespeare à distance. Et dénoncer la violence faite à Kate, ici voilée à la mode du jour.

    Cette conclusion amère a le tort, ou le mérite, de nous mettre brusquement mal à l’aise. Après une première partie jubilatoire, qui voit Petruchio- Christophe Jean- déborder à plaisir de la scène. Qui rie, hurle, éructe, boit, crache, bouscule, se fait soudain matois, rugit, déboule à poil à ses noces. Joue de tous les moyens d’une virilité conquérante et agressive. Face à cet ouragan, Katharina/Kathe/Cato- Lisa Sans- doit lutter pour exister et faire entendre sa voix, au bord de ses limites physiques. Et réussit un travail plus en nuances, qui met en relief sa défaite d’autant plus cruellement.

    Le monologue final de Kato, manifeste de sa soumission à genoux devant Petruccio, résonne comme la récitation atone d'un prisonnier politique après un lavage de cerveau. Après une mise en condition- torture morale, privation de nourriture, etc… -digne des prisons d'un régime totalitaire. Petruchio conditionne Kato à répéter après lui que le soleil brille alors qu’il fait nuit, moyen de l’habituer à perdre le sens, à se résoudre à l’absurde à et s’habituer à l’obéissance. Cela évoque plus "1984" de Georges Orwell qu’une joute amoureuse. Derrière nous, dans l’intimité de cette salle minuscule s’indigne une spectatrice. Contre le personnage ? La mise en scène ? L’auteur ? On ne sait pas vraiment, mais elle s’indigne et c’est sûrement le but recherché. 

    C'était la Mégère apprivoisée de William Shakespeare, mis en scène par Cedric Grimoin, au Théatre du Nord Ouest.

    Guy

  • Blandine livrée aux jardiniers

    Simple limace, pour une performance aussi simple en première apparence que de se laisser glisser molle et engluée le long de l'escalier face à l'entrée du L.M.P., une fois dépêtrée d'une bâche plastique. Est ce un chemin ou une chute? Pour devenir limace jusqu'au fond des yeux, d38eb6c6e82ffccb454c54aae57aeb5d.jpgdégorgée de la pensée humaine, jusqu'au bout de l'idiotie, des mots-bulles tentent de se former avant d'éclater aux lèvres. Sur le corps humide et blanc et sur le mur du fond sont projetées des diapos éducatives d'histoires naturelles. Histoire de rassurer? L'innocence d'avant le langage semble presque à portée de langue, d'avant la sexualité même, un hermaphrodisme placide s'affiche sous la forme d'un postiche naïf fixé sur les reins nus. La régression s'offre trés généreuse, effrayante et délicieuse, vers une grâce pataude en une reptation de bruits mous, slurp. La jubilation de la salissure s'exprime sans retenue, enfantine, sous une cascade de sauce tomate, le corps s'abandonne sans réserves à l'immersion intégrale dans le sel alimentaire, nourri d'oubli. Cette poésie naturelle est gluante et basique, aussi belle que posée sur une feuille de laitue.

    Mais l'utopie est par essence paradoxale, dés le début du projet, et les arrières pensées reviennent sans cesse au jour, humaines et civilisées. Le temps d'un mouvement d'une virtuosité pas si évidente, l'exigence de la danseuse se fait deviner sous le naturel placide de la limace. Les cinq ou six photographes très empressés n'ont rien de jardiniers, et posent par rafales des regards très avides et culturels sur la performance poisseuse. Un drap est dressé contre la porte de la rue, pour isoler des regards du dehors l'obscénité organique montrée sans censure aucune dedans. Une bulle de nature, remarquable, mais forcement acculturée, que la conscience perce dès son émergence. Le problème central de la performance reste le public.

    C'était "tracer sa route #3" de et avec Blandine Scelles des Koeurspurs avec le CRANE au Lavoir Moderne Parisien

    Guy

  • Shakespeare, pleine mesure

    Parvenu dans la salle du bas, on traverse comme à chaque fois la scène pour rejoindre son fauteuil. Mais on est accueilli ce soir sur cette scène par des jeunes gens qui y dansent, jouent de la guitare et des oeillades langoureuses. 5c253727713ad0541e02345447c02e02.jpgBelle troupe qui chante à l'unisson, dont trois rousses qu'un ado dévore des yeux. Belle invitation, évocation un peu canaille, mais assez sage à tout prendre, des bas-fonds de Vienne.

    On s'y amuse, dans ces bas-fonds, mais pas pour très longtemps. Car le Duc décide de quitter Vienne et laisser les pleins pouvoirs à son régent, Angelo, que celui ci remette de l'ordre dans les moeurs et la cité. Que la loi soit y appliquée dans toute sa rigueur originelle. Première mesure prise pour l'exemple: condamner à mort le jeune Claudio au motif de fornication.

    Difficile d'attaquer de manière plus extrême, on peut après ce départ en force considérer dans quelles situations la justice doit s'oublier pour accepter la tentation du pardon. Avec une intrigue qui se complique, car, comme souvent chez Shakespeare,les masques se flouent ou tombent: le pur et dur Angelo n'est pas si pur que cela, d'une humanité même odieuse à force de passions secrètes. Tandis que le Duc, allégé du poids de l'autorité, revient incognito observer les résultats de l'expérience: c'est un air connu et repris dans maints contes. Dilemme sur Dilemme, chez chacun des personnages s'affrontent en un combat aux ressonnances érotiques la rigidité des principes et la fragilité de la condition humaine. En premier lieu chez Isabella, soeur de Claudio, mise en situation de céder aux avances d'Angelo et ainsi pécher contre ses voeux de nonne. Mais pour la bonne cause: sauver par là la tête de son frère. Chacun des protagonistes se partage, confronté à la décision. C'est dialectique et joué sur le rythme d'une réthorique jamais pesante et trés moderne, on croirait par moment voir du Montherlant.

    Avant Hamlet, le Roi Lear, Othello et consorts à la rentrée, le T.N.O. prend le risque de laisser un peu de place dans cette intégrale Shakespeare à des jeunes compagnies. Sans convaincre à tous les coups- on a vu peu avant ici un Conte d'Hiver entrepris avec un peu trop de naïveté. Mais en permettant d'excellentes surprises. C'est ce soir le cas: passé la nervosité un peu palpable des premières minutes, l'enthousiasme paye. Car il est ici justement question de générosité, d'appétit de vivre et d'aimer malgré les lois et les règles. La pièce commence en drame, mais c'est le pardon et la tolérance qui ont le dernier mot, dans une très belle conclusion, sage et appaisée. D'une thématique, c'est assez inhabituel chez Shakespeare, nettement chrétienne.

    C'était Mesure pour Mesure de William Shakespeare, mis en scène par Béla Grushka, en alternance jusqu'en février 2008 au T.N.O., dans le cadre de l'intégrale Shakespeare.

    Guy

  • Shakespeare: Windsor au T.N.O.

    D'abord on aborde cette pièce coté coulisses, bien obligé car cette pièce déborde chaque début de soirée dans la salle d'attente du T.N.O.. Là où l'on attend pour par exemple aller voir une autre pièce dans l'autre salle du bas. On attend là et 367a050c1daef11448ee05ecf9705138.jpgpar la porte de la salle du haut surgissent des comédiens qu'on ne peut pas ne pas remarquer- des ours, un curé, un juge, des dames en robes d'époque, des jeunes premiers, un Falstaff qui se saisit de bois de cerfs...- ils tournent en rond seuls ou à plusieurs, mais toujours un peu absents, et bientôt repartent dedans à l'assaut. Et chaque fois que la porte de la salle du haut s'ouvre, on entend d'où l'on est quelques répliques et des éclats de voix, des applaudissements.

    Difficile donc de longtemps résister à la curiosité d'aller voir la pièce à l'endroit. On retourne bientôt au T.N.O. dans la salle du haut, là où les fauteuils entourent les comédiens. Là on peut enfin mieux les compter, ils sont jusqu'à seize à se dépenser et on aurait jamais cru que la salle du haut du T.N.O. puisse les contenir tous à la fois. On comprend bientôt pourquoi ces "Joyeuses Commères de Windsor"embarrassent souvent les commentateurs, qui expédient l'affaire en deux pages de préfaces discrètement glissées avec le texte dans les oeuvres complètes. Il s'agit bien d'une farce, à mille lieues des élégances métaphysiques d'Hamlet. Avec Falstaff, vieux galant, berné par deux commères. On lit que, selon la tradition, William aurait écrit la chose en deux semaines pour plaire à Elisabeth La Première. Cette explication ressemble à des excuses. 

    Mais ce soir personne n'a rien à excuser, bien au contraire. On comprend aussi combien il faut d'énergie, de métier, d'humilité, pour mener sur scène cette affaire à bien, joyeusement assumée, pour tout forcer- accents, quiproquo, costumes, gouaille, gestuelle et mimiques- sans jamais agacer. Ne jamais perdre le rythme, tenu par les acteurs qui courent en annonçant sur des pancartes chaque changement de lieu. A l'approche de la fin, la bouffonnerie s'envole dans le merveilleux, avec une ronde narquoise d'elfes et de fées, avant que le vaniteux Falstaff ne s'éveille dans la désillusion, tout son ridicule dévoilé. Vieilli soudain jusqu'à ses propres yeux. Après cet instant cruel, c'est pour tous les personnages le temps de l'indulgence, il ne reste plus à Falstaff qu'à aller boire avec les maris à qui il a voulu faire porter des cornes: "ce que l'on ne peut éviter, mieux vaut s'y résoudre de bonne grâce"

    On rit, on applaudit. Pas trop longtemps quand même, afin de permettre à deux des comédiens de déjà s'échapper pour aller jouer Mesure pour Mesure, celà commence dans cinq minutes dans la salle du bas.

    C'était Les Joyeuses Commères de Windsor,  de William Shakespeare, mis en scene par Idriss au Théatre du Nord Ouest.

    Guy.

    En photo, on a reconnu en Falstaff l'immortel Orson Welles, version 1965.

     

  • Gare au Theatre: Magneto et Sisyphe

    Il a le texte, il y a la danse. La danse heureusement, et même de très jolis moments. Jocelyn Danchik et Gauthier 36e38846777c48fe933fe01bab668f4a.jpgRigoulot se découvrent l'un l'autre en un duo sensuel et amoureux, Malena Murua fait une avec un rideau de tente et on ne lasse pas de suivre la fébrile Blanka glisser tragiquement sur scène, aussi belle et impavide que Morticia de la famille Adams.

    Hélas tout cela est rapiécé au fil d'une intrigue dont la puérilité nous plonge dans l'embarras. La thématique emprunte à l'univers des X-men de Marvel mais adapté pour classes maternelles. Il faut sans doute recommander la performance aux 5-10 ans, qui adoreront les dialogues ("Je suis un mutant", "Ah tu es un mouton!"), le costume de la femme sirène, et les apparitions de Maguy Ganiko habillé de côtes de maille, brandissant son épée en ombre chinoises derrière le rideau. C'est comme au guignol: attention gentils mutants, fuyez le méchant qui arrive pour vous couper en morceaux! Il faudra tout de même expliquer aux enfants que l'histoire racontée ici est pour rire: un créationniste ne peut pas, par définition même, considérer certaines espèces comme inférieures, car pour lui toutes sont censées être l'oeuvre de Dieu. C'est à l'inverse l'évolutionisme qui pourrait, mais par un développement perverti, prêter à ces dérives. Demandez donc au professeur Xavier. Pour inciter les enfants à venir jusqu'à Vitry, on pourra leur montrer des extraits du spectacle ici.

    On est heureux de revenir dans le monde adulte, avec la compagnie Sisyphe Heureux. Le nom est déjà tout un802253fad8bb58d82ae616a12b30dffe.jpg programme. Pourtant ici pas de rocher à pousser, mais sur scène un tas de gravats. Perchée au dessus, la condition humaine, à l'épreuve de sa vérité. Un danseur en costume de ville- Haïm Adri- au corps et la mémoire habités par le foisonnement des danses populaires, le coeur assailli par la surabondance des musiques et des images sonores. Les mains dans la poussière, se saisissant de la matière, cailloux après cailloux, le regard perdu et un peu fou. Pour une heure de course offerte, c'est grave et émouvant.


    C'était Mysteries of Love de la Cie FuryMoon Ultrabarroka Tanz-theater , par Maguy Ganiko avec Malena Murua, Jocelyn Danchick, Gauthier Rigoulot, Magy Ganiko et Blanka, à Gare au Theatre, jusqu'à dimanche. 

    C'était "Quelle est l'utilité d'une couverture", par la compagnie Sisyphe Heureux, dansé par Haïm Adri et mixé par Benoit Gazzal, à Gare au Theatre, jusqu'à dimanche.

    Guy 

  • Deux nuits, des rois

    Que notre boussole nous ait guidé jusque dans la salle de l'Etoile du Nord ou plus bas dans celle du Théatre du Nord Ouest, on débarque de toute manière sur les rivages d'une imaginaire Yllirie. Libre et naufragé. C'est dire que l'on entre dans le b6cab4885daf41539748acf8f5b50a1f.jpgpays de l'illusion, et de toutes les possibilités. On perd pied dans les sables mouvants de l'imaginaire amoureux, où chacun ose se rêver, sans interdit de rang ou de sexe, dans les bras de l'être aimé. Lui même reconstruit selon tous nos désirs. 

    L'intendant Malvolio se voit plus grand qu'il n'est, imagine sa noble maîtresse Olivia à ses pieds pour qu'il puisse mieux s'élever lui-même. Viola-Octavio, fille travestie en garçon, est aimée de cette même Olivia. Pour cette Olivia encore le Duc Orsino se languit, mais Viola travestie en secret n'a quant à elle d'yeux que pour le Duc. Qui en Viola ne voit que le garçon Octavio, un garçon chéri, mais un garçon quand même. De cet écheveau de désirs lancinants et frustrations ambiguës, personne ne sort indemne. Et surtout pas Viola, écartelée entre ses rôles et ses identités sexuelles, sérieusement névrosée. Il ne faudra pas moins que le retour d'outre tombe de Sébastien, son frère jumeau, pour que Viola puisse se dédoubler en deux sexes opposés, pour la satisfaction conciliée du Duc et d'Olivia. Remise au clair des genres masculin et féminin, attestée de visu par une mise à nue finale- sur la scène de l'Étoile du nord on s'en serait douté- mais si timide et triste, qu'elle ressemble à la mort de l'amour. Au moins entre temps Toby le bon vivant, oncle d'Olivia, aura copulé joyeusement avec Maria la servante, Sir Andrew naif et puceau aura courtisé Olivia mais sans désir 39196a342684be7c9c73741e781d86ce.jpgflagrant, à l'inverse d'un certain Fabien aimant Sebastien-le frère jumeau- jusqu'à se faire battre pour le défendre.

    Si on nous lu jusqe là, on conviendra qe la pièce est trop impossible et embrouillée pour qu'on puisse la jouer littéralement. Nicole Gros au T.N.O. s'y essaie pourtant, et bien évidemment n'y réussit qu'à moitié. La moitié très réussie tient aux personnages comiques-Toby, Sir Andrew et le Bouffon- qui emportent leur partie à force de verve et de chansons. Alors que les autres personnages, cantonnés au registre de la gravité, s'épuisent à se heurter sans succès au scabreux et à l'invraisemblable des situations. En premier lieu la pauvre Viola, ici travesti tétanisé. Résultat: tout cela se traîne un peu, à force de trop de sagesse.

    Julien Kosellek et Cedric Orain à l'Etoile du Nord contournent la difficulté en adoptant d'un postulat inverse: les rôles sérieux sont traités d'emblée avec une distance grotesque. L'illusion théâtrale-projecteurs manipulés par les acteurs, costumes surchargés de références et autres conventions bousculées- est mise sur le même plan d'évidence que l'illusion amoureuse. Stratégie gagnante en l'éspèce: on peut s'en amuser sans être obligé d'y croire. Le Duc se languit en emphase. Viola (Céline Milliat-Baumgartner), tremblante, exude à chaque instant de confusion. Olivia à sa vue semble être illico gorgée d'hormones. On échappe pas à des facilités, dont un medley beatles laborieux, ainsi qu'à des incursions déprimantes dans une ambiance de backroom glauque- peut-être la marque d'un nouveau conformisme. Mais tout n'est pas gadget, une gazelle de chantier se prête à des exploitations scéniques appropriées. Plus audacieux, pour suivre jusqu'au bout la logique de l'inversion, les rôles comiques se chargent d'une nouvelle gravité. Toby devient plus voyou et pervers que débonnaire, et Malvolio surtout, humilié par tous pour avoir prétendu aimer plus haut que son rang, retrouve ici un tragique émouvant dans l'exposé de sa souffrance.

    C'était La Nuit des Rois de William Shakespearemis en scene par Julien Kosellec et Cedric Orain, au Théatre de l'Etoile du Nord, jusqu'au 4 août. C'était La Nuit des Rois de William Shakespearemis en scène par Nicole Gros assistée d'Elise Rouby au Theatre du Nord Ouest, en alternance jusqu'en février 2008.

    Guy

  • Clotilde du Nord: l'un parle, l'autre pas

    Certaines y vont à fond. On savait bien qu'on avait déjà vu la dynamique Alicia Roda dans d'autres habits que ceux de Cressida: c'était dans "Parce qu'ils vont crier / porque van a gritar" de Miranda Aboal, mis en scène par Marine Biton Chrysostome au Théatre de Nesle. Pour une performance moins mémorable qu'au T.N.O, malgré des efforts plus que méritoires: hurler à 110%, déclamer en équilibre sur une échelle, se faire tartiner de fromage blanc par les spectateurs (cela évoque du Rodriguo Garcia habillé), se laisser maintenir la tête dans un aquarium par son partenaire puis s'y tremper par morceaux variés, se livrer à un pugilat conclu par un spectaculaire rétablissement les pieds au mur...Cette fille sait tout faire, et c'est un dur métier, et sûrement pas assez payé.

    D'autres montent sur scène comme ils s'allongeraient chez le psy. Carlos Tinoco se raconte en auto-fiction dans Idi Amin Dada, mis en scène par Marie-Clair Peretti à Gare au Théatre, et l'on s'endort un peu. Le garçon, bien qu'(ex?) prof. nous semble tout sympathique, et il ne débite pas que des banalités. Il nous touche et juste quand il évoque les désarrois des enfants surdoués. On lui payerait volontiers un verre. Mais nous sommes le public, et lui est sur scène, et il ne nous donne pas l'impression de vraiment maitriser ce qu'il entend y faire. 

    b815aaf4954e494b0f55115396bdd6a2.jpgCertaines se taisent, et ainsi existent d'autant plus, avec force. Avec une évidence subliminale. Telle Aurore Monicard, interprétant Clotilde du Nord, mis en scène par Sarah Doignon. Sans dire un mot. Le texte de Louis Calaferte, est porté seul par son partenaire Karim Lagati d'un bout à l'autre. Cette parole permet à l'homme, mot après mot, d'installer une domination étouffante. La victime, l'étrangère, a elle droit au silence. Mais la parole de l'homme ne vaut qu'en raison de sa présence. Emprisonnée.

    Soyons franc: le théatre social n'est pas notre tasse de thé. Mais il y a là, formellement, un tour de force, et en parfait accord avec le sujet. On l'avait vu la pièce il y a quelques mois sous la forme d'une étape de travail et présentation publique. La création c'est à Gare au Théatre jusqu'à dimanche.

     Guy

  • Qui connait Cressida?

    C'est très excitant de découvrir une pièce de Shakespeare dont jusqu'alors on ignorait jusqu'à l'existence. La découvrir à la sortie d'une cure d'amaigrissement: J.L. Jeener a recompacté en un format d'une heure et quart et six acteurs cette 8866cb970881a33d0aad981aea574caa.jpghistoire d'amour à gros budget sur fond de guerre de Troie. En pratiquant des coupes radicales, ce qui explique sans doute pourquoi la sage Cressida couche dés le premier soir. Son troyen de Troïlus préfère faire l'amour que la guerre, on le comprend. On a droit à de belles scènes à deux et de hardies répliques. Comme c'est une tragédie, ça se complique: dans le cadre d'un obscur échange d'otages les habitants d'Illium envoient la belle se faire voir chez les grecs. La faute à la raison d'état!

    Que ceux qui veulent enfin voir une pièce de William S. sans en connaître d'avance la fin passent directement au paragraphe suivant: Troïlus se lamente, mais ne s'oppose pas à la transaction. Ce garçon est agaçant à force de naïveté. Il se contente d'échanger des serments avec sa bien aimée. Mal lui en prend car, une fois passée du bon coté de la muraille de Troie, Créssida se liquéfie sur pied sous le regard mâle et dominateur de son gardien Diomède. A moins qu'elle ne simule- mais vraiment très bien alors- et en pince toujours pour Troïlus. On a des doutes, toujours la faute aux coupes?

    C'est en tous cas joué énergique, cure de minceur oblige. Les deux filles dominent le terrain et de très haut: déjà Ellyn Dargance en entremetteuse espiègle, et surtout Alicia Roda en Cressida, toujours intense, crédible le plus souvent, d'abord en vierge amoureuse et frémissante. Puis, dans la dernière scène, très joliment indécente. Même sans doute autant indécente qu'on peut l'être tout en restant habillée. Chez Shakespeare, derrière la verdeur des mots, la vérité des corps n'est jamais loin.

    C'était Troïlus et Cressida de William Shakespeare, mis en scène par Jean Luc Jeener au Théatre du Nord Ouest. En alternance jusqu'à mars 2008.

    Guy

    La grande nouvelle, c'est que l'intégrale Shakespeare a commencé au T.N.O..

    L'intégrale.

    Toutes les pièces de Shakespeare.

    Toutes.

  • Scapin sans pitié

    Le théâtre contemporain n'a peut être pas eu grand chose à inventer, question noirceur, violence et férocité. C'est ce à quoi l'on songe devant le spectacle de Scapin qui roue de coups de bâton un vieillard enfermé dans un sac. Les enfants rient, n'ayant pas pris la mesure de la barbarie de la scène. Et ont ils vraiment tout compris de l'intrigue? C'est loin d'être sûr, tant tout est mené tambour battant, par un Scapin surexcité, franchement inquiétant. Avec l'allure d'un affairiste qui aurait un peu trop tiré sur la coke. Pourtant pas d'anachronismes bon marché, tout est joué d'époque et en costumes, avec toute la belle énergie du théâtre de tréteaux. Rien n'est sacrifié de la langue de Molière(1622-1673), archaismes compris.

    Car c'est d'une actualité plus insidieuse. Rien n'a changé sous le soleil. Les vieux ont l'argent et restent assis dessus. Et voudraient en prime être respectés. Leurs fils pourraient chanter le Young Man's bluesde Moses Allison popularisé par "The Who": you know nowadays, It's the old man, He's got all the money. And a young man ain't got nothin' in the world these days, I said nothing. Scapin lui ne se plaint pas, il ne chante pas: il agit. Il pense, il intrigue. Mi voyou mi jeune-loup, avec la tchache d'un agent immobilier surdoué et sans scrupule, qui voudrait gagner assez d'argent et assez vite pour prendre sa retraite à trente ans. Quand on a rien, tous les moyens sont bons. Les intrigues amoureuses des jeunes premiers un peu ternes, contrariés par les desseins des pères qui par dessus tout entendent posséder et contrôler la vie des autres, passent au second plan. Tout est concentré en ce combat à mort, d'une virtuosité verbale sans égal, entre Scapin (Arnaud Denis) et les deux vieillards (Jean Pierre Leroux et Bernard Métraux), plus vieillards que nature. C'est méchant, virtuose et bien mené. Si drôle et hargneux, que la réconciliation finale ne peut tromper personne.

    C'étaient Les Fourberies de Scapin de Molière, mis en scène par Arnaud Denis, au Théatre 13.

    Guy

  • Moeno oiseau, corde, pilier

    L'aube du cinquième jour se lève à l'identique sur cette scène, la veille abandonnée au crépuscule. De dos une femme est assise sur la même pierre de craie. Sur la courbe du dos nu s'écoule le noir de l'encre à nouveau, goutte après goutte. Inscription d'un sens mystérieux, ou souillure, l'encre marque en tous cas le prélude muet à une nouvelle métamorphose. Un lent déploiement d'ailes invisibles, qui nous emmène très loin de l'humanité, mais prés de l'émotion à s'y brûler, qui fait basculer la forme en un constant déséquilibre. En suspension démesurée à un fil, la marche est impossible. L'image s'impose de l'albatros de Baudelaire.

    La sixième soirée commence comme endormie encore, les fenêtres grandes ouvertes laissent rentrer comme un souffle de fraîcheur les rumeurs du dehors d'après la pluie: chants d'oiseaux, cri d'enfants, conversations assourdies, échos de chansons perdues. La danseuse, à la robe ample, est ailleurs, et humaine à nouveau, différente plus que jamais. Les gestes sont inédits, surprenants, d'une violence peut-être plus exprimée: sauter contre un pilier à s'en meurtrir, s'y enrouler, s'en servir comme appui pour s'imposer d'incroyables retournements.  

    Septième départ, en robe noire et une corde est tirée. Des gages d'humanités. Le même chemin est parcouru, qui se rompts toujours au départ par une chute, mais jamais dans les mêmes pas. On est très loin ce soir des performances du début, épuisées d'elles-mêmes, disparues dans un don éphémère. Le corps s'étire moins, renonce à la rupture, regardant vers lui-même. La danse se fait moins physique, plus sobre, tendant un peu plus vers le jeu et le mime.

    C'était "Ailes d'os d'un oiseau de compassion", "Ce qui est brisé garde le silence entre ombre et lumière", "Une ombre accrochée sur un ongle ensoleillé", par Moeno Wakamatsu, 5°,6° et 7° chapitres du cycle "Obscurité de Verre".

    Le 8° et dernier chapitre: Un corps agonisant atteint à peine un chant, c'est mercredi prochain à la Fond'action Boris Vian

    Guy