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Breve - Page 7

  • Génération perdue

    L'une rêve sa future maison, telle que la dessinerait un enfant, bulle dégagée de toute contrainte de fonctionnalité, pure projection de sa psyché, utérus protecteur, substitut d'une mère terrifiante.

    L'autre s'imagine libre absolument, pour voyager sans attaches et franchir montagnes et océans portée par une infinie liberté.

    Elles figureraient à toutes deux le portrait d'une génération insatisfaite profondément, dépourvue des clés pour changer le monde ou y trouver sa place et lui imprimer sa réalité, qui investirait toute sa détermination dans d'impossibles projets. Elles rêvent en pure perte. Ici les mots et les signes remplacent les choses- c'est la situation même du théâtre- le plan pour la maison et la carte pour le territoire. Le voyage est le tracé abstrait d'une ligne droite et la maison celui d'une sphère. Mais signes ils restent, en pure perte. Meurent solitaires. C'est évidemment poignant, et même d'une grande drôlerie du contraste qui - s'agissant de toute utopie- naît entre l’extrême méticulosité du projet et la triste impossibilité de sa réalisation.

    Pour autant ce discours de la vacuité et de l’irrésolution, semble déteindre sur la pièce elle-même, trop lâche dans sa forme, peut-être dans la vaine recherche de sensations plus intangibles. Un sentiment d'inutilité me gagne. Me touchent de belles scènes qui y flottent, émouvantes et d'une délicate subtilité. Mais leur propos se dilue dans cette indécision constante. Je perds les personnages éloignés dans l'espace de ce grand plateau désolé, perdus, perdants. La chanson finale, qui semble ne jamais pouvoir commencer, m’apparaît comme une conclusion par défaut.

    Notre Foyer, mis en scène par Florian Pautasso, vu à Mains d’œuvres le 27 avril 2018

    Guy

     

  • A l'intérieur des images

    Plutôt qu'une adaptation des trois ombres, on s’immerge ici dans extension de l’œuvre par d'autres moyens artistiques, une radicale recréation dans l'espace scénique. D'abord du récit : le conte onirique en BD de Cyril Pedrosa- tragédie d'une fuite éperdue-est déplacé d'un passé indéfini vers un présent qui fait écho aux tragédies contemporaines. La menace mystérieuse des trois ombres aperçues au loin se précise avec des références aux guerres bien réelles. S'impose d'emblée un sentiment inéluctabilité, la relecture de la tragédie se fait au passé. Les personnages sont ramenés à l'essentiel autour du trio familial: le père, la mère et l'enfant condamné. Les péripéties cèdent le pas aux allégories. De tous l'unique comédienne se fait le corps fragile, la voix inquiète, soutenue par le dessinateur et les musiciens. Recréation formelle: la narration cède le pas à la puissance des sensations que permet la convergence des arts de la scène, de l'évocation d'un simple feu de bois à la tempête. Tout part pourtant de la noirceur du dessin de Pedrosa, qui envahit le plateau, ses traits et gestes en direct, agrandis, amplifiés par la musique, la vidéo. Ils produisent une intense contagion sur la scène, il faut bien dire un sentiment d'étouffement. Qui traduit toute la dureté du monde. C'est dans un igloo, une bulle, que Cyril Pedrosa, dessine, dans un fragile refuge face au deuil, à toutes les menaces, surface de projection de quelques espoirs.

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    En situation d'immersion, le spectateur s'y trouve aussi en se plongeant dans les expositions du festival Pulp de la ferme du buisson. Dans cette situation, la bande dessinée se projette hors du cadre habituel de l'album, sur tous les murs, pour entourer le visiteur. Elle cesse d'être narration pour s'affirmer art simplement, s'il en est encore besoin de le prouver. Le choc est manifeste pour la rétrospective consacrée au monumental Philippe Druillet (Lone Sloane, Salamboo...), artiste plus grand que nature, qui dessine sur des planches en  format XXL, et il semble que le format n'est jamais assez grand pour contenir la profusion, la puissance et la violence de ses images qui explosent hors des cases. Dans cette exposition, et à travers l'évolution de l'artiste depuis 50 ans, l'histoire racontée à l'origine compte de moins en moins par rapport à l'image, à jamais figée à l'instant donné. Nous restons en sidération devant la contemplation d'un big bang apocalyptique, la fin et le commencement, hallucination traversée d'angles aigus et de couleurs exaltées.

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    Et les autres expositions : Big Nose Art de Florence Cestac dont les célèbres nez sont sublimés par le relief, celle des gracieux sumos de David Prud'homme, celle de l’inénarrable collection BD cul, prouvent, chacune différemment, la capacité de la BD à se montrer où on l’accueille en mutant de forme. 

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    Trois ombres, mis en scène par Mikaël Serre d’après la BD de Cyril Pedrosa le 7 avril et les expositions de la ferme du buisson dans le cadre du Pulp Festival. Les expositions sont visibles jusqu'au 21 avril.

    Guy

    photo de les 3 ombres par Philippe Guillaume

  • La convergence des arts

    Affirmer ici que les arts dialoguent, ce serait exagéré. Bien sûr, de tous temps, la danse a inspiré la peinture, mais danser dans un musée n'a jamais fait réagir une fresque de Matisse. Même, à sens unique, je peine souvent à lire l'influence des œuvres plastiques sur le geste chorégraphique que je vois vivre devant elles. Pour autant, la situation, l'inattendu de la juxtaposition provoque de la jubilation, autorise le regard à rêver où il veut, créer des correspondances, peut-être.

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    S'agissant de la pièce en sept morceaux d'Anne Vigier & Franck Apertet, la filiation est évidente et revendiquée, avec la photographie In voluptate Mors de Philippe Halsman, où l'on voit Salvador Dali devant sept corps nus qui figurent ensemble une tête de mort. Nous pouvons ce dimanche, durant un temps sans repères, suivre les étapes de la reproduction de cette vanité en un tableau vivant dans les salles du Musée d'art moderne de la Ville de Paris. L'œuvre originale est d'abord décomposée. Les danseurs, séparément, répètent ad nauseam des poses fragmentées, sous les indications des chorégraphes. Mais est-ce une véritable répétition, où déjà une représentation tout du long ? Je perçois une dynamique sans rupture dans cet ensemble d'actions, alors que les danseurs s'isolent ou se rassemblent, se dévêtent ou se rhabillent, migrent de salles en salles. Ils s’efforcent de parfaire la continuité d'un mouvement même durant les labs d'immobilité. Cet entêtement obstiné, sec, témoigne d'une absolue indifférence aux œuvres picturales croisées alentour-on ne peut écrire "rencontrées"- autant qu'aux spectateurs. L'action se joue malgré, contre le lieu, en contraste. Juste une situation. Dans ce spectacle, donc, s'impose comme argument (inattendu dans l'espace public) une nudité calculée, jeune et souple, qui se dévoile progressivement, et jusqu'à son intégralité au moment de la résolution lorsque la figure s'assemble sous le regard vide des danseuses de Matisse, pour alors démontrer qu'il y a plus dans l'ensemble que la somme des 7 parties. Le grand intérêt de la performance est d'organiser la mobilité du visiteur/spectateur- venu ici à priori voir les œuvres du musée. Il peut suivre les danseurs de salle en salle ou les dédaigner. Sans désir préalable, tout l'éventail de ses réactions est potentiellement suscité, de son intérêt et sa curiosité jusqu'à sa fascination où son indifférence, en passant par son amusement. La performance prospère sur les oppositions et les ambiguïtés : sujet morbide et performeurs vivants, allers et retours entre les parties et le tout, espace d'exposition ou de spectacle, répétition ou représentation, plus généralement déconstruction des normes de représentation. Rien d'étonnant puisqu’il s'agit du projet d'ensemble des chorégraphes, qui les mène parfois à des extrémités exaspérantes comme j'ai pu en témoigner dans le livre consacré aux 20 ans de Faits d'hivers, mais c'est une autre histoire...

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    Dans le même lieu, la proposition d'Héla Fattoumi & Eric Lamoureux, en compagnie du compositeur et interprète suédois Peter von Poehl, est plus statistique, plus lisible, et non moins intéressante. Ces soir devant les danseuses de Matisse, avec la rencontre des deux chorégraphes et d'un trio soft-rock, Sympathetic Magic met à contribution trois arts (quatre en comptant les objets réels et vidéos de Claire Willman). Mais c'est avant tout d'un concert dont il s'agit, autour duquel les autres arts s'agencent. La musique, pop anglo-saxonne aux couleurs early seventies, chantée haut perchée, alterne détentes mélancoliques et relatives tensions qui s’exacerbent mais sans jamais sortir ds rails, avec le soutien binaire du percussionniste Antoine Boistelle et aérien du bassiste Frédéric Parcabe. Plus de douceur et de subtilité mélodique que de bruyante catharsis. La danse de Fattoumi et Lamoureux, souple et déliée, est d'une admirable modestie. Souriante, elle s'inscrit en commentaire de ce concert, avec une même délicatesse. De trouvailles en trouvailles, les interprètes jouent avec les accessoires lumineux dans une déclinaison low cost de l’incontournable light show, se prêtent avec humour au rôle de choristes. En parfaire harmonie et synchronisation avec le mood musical. On pourrait ainsi s'imaginer ado dansant gracieusement dans sa chambre, le vinyle préféré tournant sur la platine, intensément pénétré de toutes les sensations musicales et un moment indifférent à la marche du monde.

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    C'était, au Musée d'art moderne de la ville de Paris, Pièce en sept morceaux d'Annie Vigier et Frank Apertet vu le 11 février 2018, et Sympathetic Magic de Peter von Peohl, Héla Fattoumi & Eric Lamoureux, vu le 29 mars 2018.

    Guy

     PS: A la la réflexion, il y a des rencontres ou le la peinture fait corps, et le corps se fait peinture, et la musique vibrations avec le tout, ainsi ici avec Bernard Bousquet, Eleonore Didier , Jean François Pauvros au Générateur:

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  • il y a de la vie dans l'espace

    Tout est possible, ces tentatives, plus ou moins, qui s'enchainent et se déchainent. Proches performances,le générateurde la vie. Foutraques et immédiates, spontanées et sans appel. Même si elles commencent à l'économie, telles les lumières des apprentis Fratellini, ou s'enflamment ou font long performances,le générateurfeu, elles démentent le mauvais présage- anagramme-de David Noir qui habillé en rat se résigne au génocide de l'art, faute de résultats. Tant qu'il y a des performances il y a de l'espoir... De l'argent, on ne sait (à part les pièces que Thomas Laroppe se met au performances,le générateurcul), mais de l'espace surement, généreusement, celui du Générateur s'ouvre grand. Dedans ça s'envole et plane ou tombe à plat, mais rebondit plus loin, librement. Dans cette utopie on surprend des répliques et des échos, des rencontres entre personnages qui s’entêtent à rester. Mais il faut accepter de se déplacer, oser pivoter d'attentes et de perspective, désobéir aux consignes et aller voir ce performances,le générateurqui surgit, s'achève ou se prépare. Intervenir, d'un coup de crayon sur la peau corps d'une belle sur piédestal. Accepter le télescopage, digne pourtant, entre des moments loufoques et ceux graves soudains, lorsque nous sommes invités à nous pencher sur les dessins d'une jeune personne disparue.  

    C'était Show Your Frasq, performances de Bernard BOUSQUET • Sarah CASSENTI • Sonia CODHANT • Lotus EDDE-KHOURI • Deed JULIUS & Olivier CHEBAB • performances,le générateurJulien HAGUENAUER • Thomas LAROPPE • Cyril LECLERC • Christophe MACÉ • Julie MONDOR • David NOIR • Élizabeth SAINT-JALMES • Delphine SANDOZ • Biño SAUITZVY et 10 apprentis de l’Académie Fratellini* • Alessia SINISCALCHI • Adrien SOLIS • Alberto SORBELLI • Anna TEN • Nadia VADORI-GAUTHIER & Margaux AMOROS au Générateur, le 24 mars 2018.

    performances,le générateurGuy

     

  • Les mots de Mette Ingvartsen

    D'abord elle parle. De la salle. Dans un français impeccable. Mette Ingvartsen nous prend et nous installe ainsi dans sa thématique, ses récits. Le corps de la performeuse intervient en son temps, évidemment pertinent, intense objet au cœur de ce sujet de la pornographie. Mais les mots permettent- utile mise à distance- de ne rien s'interdire dans le champ choisi. En évitant les pièges de d'un sensationnalisme sans sens, ou de la trivialité. Il n'est pas vraiment besoin de définir ce qu'est la pornographie, mais la proposition de la chorégraphe permet de s'interroger sur ce que le phénomène véhicule, quels rapports de force il induit, entre merchandisation, moyen de libération sexuelle ou outil de domination sexué. Les mots de Mette Ingvartsen nous transportent des romans de Sade aux plateaux de films érotiques, ou sur le tournage d'un film de guerre. Ces mots habillent sa nudité, dessinent en instantané situations et costumes. Sans juger ou démontrer, ni militer ni limiter, mais juste par exemple nous laisser décider ce qui serait le plus obscène, entre un jet d'urine ou la description du sang versé par les armes. Aussi le corps, en maitrise et subtilité, exprime lui intense ce qu'il peut y avoir de dur et violent, de jouissif évidemment, mais d'ironique, de joyeux même dans ces déclinaisons. Il se prête crûment aux poses les plus éculées du genre, ou s'exalte en une danse pop débridée, se laisse percevoir dans toute sa vulnérabilité le temps d'un essoufflement... S'évade pour finir dans un espace fantasmatique, toujours ambigu pourtant.


     

    21 pornographies de Mette Ingvartsen , vu le 23 mars 2018 au Centre Georges Pompidou

    jusqu'au 24 mars

     Guy

     

  • Ni ancien ni moderne

    On aimerait pouvoir un jour en finir, avec l'éternelle querelle des anciens et des modernes. Ne plus lire dans le journal que c'est Shakespeare qu'on assassine, ou voir des metteurs en scène écrire leur nom en plus gros que celui de Molière. La proposition de Damien Chardonnet-Darmaillacq redonne de l'espoir. Le texte d''Andromaque de Racine est respecté, les alexandrins-implacables- avançant sur tous leurs pieds : c'est un signe de respect envers le spectateur contemporain, supposé assez curieux et intelligent pour l'entendre tel quel. Pour autant le metteur en scène relit la pièce à la l'aune de préoccupations contemporaines. Ne pas le faire serait utopique, sauf à ce que les spectateurs viennent assister au spectacle en perruque. La pièce est une séquelle, située après la guerre de Troie, les personnages n'en sont pas les héros mais leurs héritiers. Le temps est celui d'un après, chacun confronté aux écrasantes responsabilités du pouvoir, aux choix. Les logiques amoureuses cèdent le pas au politique. Dans cette guerre froide aux décors durs et métalliques, chaque personnage-Andromaque, Pyrrhus, Hermione, Oreste- est associé à une cité. Dictées par ces logiques de diplomatie sentimentale, les alliances se renversent, engagements reniés, et les corps jaloux, passionnés, se jaugent et s'attirent sans réussir à se toucher. La tension monte ainsi sans jamais se résoudre, exacerbée par les jeux de lumière, de son, de vidéo. Les erreurs ne seront pas réparées. Que pouvons-nous faire de la paix qui nous a été léguée ?

    Andromaque, de Racine, mis en scène, par Damien Chardonnet-Darmaillacq, vu au théâtre de la cité internationale, le 5 février 2018

    Guy

  • Sacre d'hiver

    Où Camille Mutel se dirige-t-elle? Je ne sais, mais d'évidence elle poursuit avec Animaux de béance un virage artistique entamé avec Go Go said the bird- pièce présentée elle aussi à faits d'hiver, il y a 2 ans. Après des années de soli, passage aux trio- et cette fois-ci la chorégraphe s'affirme comme telle en s'abstrayant de la scène. Surgissement de la voix, avec un chant spectaculaire. Renoncement de cette l'obscurité sculptée où s'installait le trouble et l'onirisme pour exposer la scène de pleines lumières en aplats. Abandon de cette exploration obstinée de la nudité qui tend vers le point absolu de l'érotisme, jusqu'à l'épure, pour oser... une autre ambition. Non sans logique dans ce parcours artistique: ici un rite. Inspiré de la danse de l'argia de Sardaigne, aux vertus curatives, nous est -il expliqué dans la feuille de salle. Mais quel sens, ici, maintenant y trouver? Le parallèle est évident entre les cérémonies traditionnelles, et le fait, aujourd'hui, de représenter un spectacle. Mais cela ne me dit pas quelle est la fonction de la proposition de ce soir. De quoi peut-elle nous guérir? Puisque mon jeu est d'écrire, je ne peux me contenter de l'énumération des images fortes, mais dispersées, que la soirée a laissée dans ma mémoire. Quel est le fil rouge, à l'instar de celui qu'on voit sur scène? Je cherche. Mais sur scène il y a profusion. D'accessoires, de signes, d'actions. Elles étonnent et s'agencent en une belle synchronisation qui m'emporte mais dans le même temps m'égarent. Les personnages se transforment entre costumes et nudité, travestissement, entre le visage et le masque. Les esthétiques se télescopent du Japon à l'Italie, en passant par un déjeuner sur l'herbe. La lente solennité du propos, jusqu'à une cérémonie du saké, est désamorcée par un humour glacé avec samouraï en tricot et mouvements de pom pom girl. Le calme de la scène, régulé par des rythmes de percussions, est déchiré par les stridences du chant. Alors, j'en reviens au point de départ, trop évident: que se jouent ici en crises des transformations d'identités, et les actions du groupe pour les accompagner. Avec le paradoxe que peut-être la lisibilité de ces entreprises ferait obstacle à leur efficacité, empêcherait le social de venir au secours de l'intime.

     

    Camille Mutel, faits d'hiver, danse

    Les animaux de béance de Camille Mutel, vu le 25 février à Micadanses dans le cadre de Faits d'hiver

    Guy

    Photo de Paolo Porto avec l'aimable autorisation de faits d'hiver

     

  • Sacre d'hiver

    Où Camille Mutel se dirige-t-elle? Je ne sais, mais d'évidence elle poursuit avec Animaux de béance un virage artistique entamé avec Go Go said the bird- pièce présentée elle aussi à faits d'hiver, il y a 2 ans. Après des années de soli, passage aux trio- et cette fois-ci la chorégraphe s'affirme comme telle en s'abstrayant de la scène. Surgissement de la voix, avec un chant spectaculaire. Renoncement de cette l'obscurité sculptée où s'installait le trouble et l'onirisme pour exposer la scène de pleines lumières en aplats. Abandon de cette exploration obstinée de la nudité qui tend vers le point absolu de l'érotisme, jusqu'à l'épure, pour oser... une autre ambition. Non sans logique dans ce parcours artistique: ici un rite. Inspiré de la danse de l'argia de Sardaigne, aux vertus curatives, nous est -il expliqué dans la feuille de salle. Mais quel sens, ici, maintenant y trouver? Le parallèle est évident entre les cérémonies traditionnelles, et le fait, aujourd'hui, de représenter un spectacle. Mais cela ne me dit pas quelle est la fonction de la proposition de ce soir. De quoi peut-elle nous guérir? Puisque mon jeu est d'écrire, je ne peux me contenter de l'énumération des images fortes, mais dispersées, que la soirée a laissée dans ma mémoire. Quel est le fil rouge, à l'instar de celui qu'on voit sur scène? Je cherche. Mais sur scène il y a profusion. D'accessoires, de signes, d'actions. Elles étonnent et s'agencent en une belle synchronisation qui m'emporte mais dans le même temps m'égarent. Les personnages se transforment entre costumes et nudité, travestissement, entre le visage et le masque. Les esthétiques se télescopent du Japon à l'Italie, en passant par un déjeuner sur l'herbe. La lente solennité du propos, jusqu'à une cérémonie du saké, est désamorcée par un humour glacé avec samouraï en tricot et mouvements de pom pom girl. Le calme de la scène, régulé par des rythmes de percussions, est déchiré par les stridences du chant. Alors, j'en reviens au point de départ, trop évident: que se jouent ici en crises des transformations d'identités, et les actions du groupe pour les accompagner. Avec le paradoxe que peut-être la lisibilité de ces entreprises ferait obstacle à leur efficacité, empêcherait le social de venir au secours de l'intime.

     

    Camille Mutel, faits d'hiver, danse

    Les animaux de béance de Camille Mutel, vu le 25 février à Micadanses dans le cadre de Faits d'hiver

    Guy

    Photo de Paolo Porto avec l'aimable autorisation de faits d'hiver

     

  • Ceci n'est pas un stand up

    Aude Lachaise excelle dans l'art du décalage, du contrepied (Vérification faite, on a déjà écrit cela il y a 2 ans, mais on est bien obligé de le répéter puisque de pièce en pièce elle persiste). Donc la chorégraphe use, l'air de rien, de stratégies obliques pour traiter des sujets qu'elle a choisi. Des sujets même potentiellement sérieux. Pour commencer, ceci n'est pas un stand-up. Même si le festival de danses d'auteurs qui le programme, non catégorisant, ne s'interdit rien. Les codes du stand-up constituent ici juste un point de départ. Est ainsi déjouée par l'excès et la charge une relation performer /spectateurs qui serait trop convenue: entrée en musique pour claquer des mains et taper du pied, accent improbable, bavardage et fausses confidences, banalités sur le "vivre ensemble", le féministe, le racisme, et autres consensus obligés... Tout mis à terre, déconstruit, on peut alors passer aux choses sérieuses. Mais légèrement, en toute hilarité, avec les interventions hors normes de Susana Cook et Paula Pi. Les discriminations liées au orientations sexuelles, aux identités... le sujet, pas évident, passe comme une lettre à la poste. La proposition secoue les genres, dans tous les sens du terme, entrainée par une jubilation du mouvement qui emprunte beaucoup au music hall. Le décalage culturel est à l’œuvre: Phil Spector, Tina Turner et les Temptations sont décortiqués avec autant de pertinence que Karl Marx et Simone de Beauvoir. Pour beaucoup, la montagne reste haute, et la rivière profonde. Après tant de spectacles appliqués et pesants, c'est une bouffée d'oxygène. La politique est une chose trop sérieuse pour ne pas la laisser à ceux et celles qui savent nous réjouir.

     

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    Outsiders, la rencontre / Aude Lachaise from manège, scène nationale-reims on Vimeo.

    Outsiders, la rencontre, par Aude Lachaise, vu au carreau du temple le 1er février dans le cadre du festival Faits d'hiver.

    Guy

    Photo d'Alain Julien avec l'aimable autorisation de faits d'hiver

     

     

  • Montrer ou pas?

    En tant que spectateur, j'ai quelques préventions contre les étapes de travail, ouvertures de résidence et autres chantiers, qui consistent à montrer au public, aux professionnels, aux critiques... des propositions de chorégraphes à un état intermédiaire. Ces démarches ont surement un intérêt dans l'économie de la danse. Mais il y a là un double danger. D'abord montrer un travail encore immature, trop "fragile" à ce stade, et laisser le spectateur, tout bienveillant qu'il soit, sur une impression défavorable. Et, ou, tuer d'avance l'effet de surprise que devrait réserver l'œuvre en son état achevé: il y a des pièces qu'on a la "fausse" impression de connaitre par cœur avant qu'elles ne soient finies.

    Mais "l'Open Space" (Jean François Munnier a un talent certain pour les titres) de ce soir échappe au moins au premier écueil. Parce que les trois chorégraphes qui présentent leurs travaux en cours nous convainquent que leur démarche est motivée, structurée. On peut spéculer - mais à ce stade on s'interdit tout jugement critique- si l’on aimera ou non les œuvres à venir, mais on reconnait ici moins trois vrais projets.

    Ceci posé, il est intéressant de vivre ce soir une expérience que la représentation d'œuvres finies ne permettrait pas. D'abord, évidemment, dialoguer avec les créateurs à un stade où tous les choix ne sont pas faits, les options ouvertes: Louis Barreau explique la méthode d'essais et d'erreurs qu'il utilise, Matthias Groos parle du travail entre danseur et acteur moins aguerri autour du même solo, Fernando Cabral évoque ce qui a chez lui crée la nécessité de travailler sur l'affect, l'effondrement. Et les dialogues en "bord de plateau" ne sont après tout pas si fréquents, même s'agissant de représentations d'œuvres plus ou moins stabilisées. Ensuite, ce qui reste habituellement hors champs devient ici, involontairement, inévitablement, spectacle: la concentration de l'interprète qui s'échauffe, les réactions visibles du chorégraphe à l'extrait montré, les improvisations de l'animateur durant les échanges pour relancer ou recadrer les chorégraphes. Enfin, les trois propositions composent -accidentellement ?- ce soir un mini festival sur le thème de l'émotion. Pour Fernando Cabral, nécessité, elle s'impose intense, dès le titre et dans les corps malmenés, et les mouvements troublés. Plus en retenue, Gaëlle Bouilly et Matthias Groos développent leur création à partir de la puissance évocatrice de l'absence. Et Louis Barreau, pourtant visiblement passionné, prétend s'en abstraire pour transposer Bach en mouvement, les danseurs "s'émancipent de leurs affects pour tentent de ne devenir que des medium de sensation et de forme". Je suis perplexe.

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    C'était Open space 6 le 19 janvier à l'Etoile du nord avec à des versions non définitives de AD BEATITUDINEM de Louis Barreau, - UN SATELLITE D’UN SEUL ÊTRE de Gaëlle Bouilly et Matthias Groos Cie 29x27,  UNE ÉMOTION - UNE PIÈCE MATÉRIALISTE de Fernando Cabral.

    Guy

    Autre programme ce vendredi 27 : Santiago Codon Gras , Nach, Etienne Rochefort

    Photo: une émotion (Alexandra Dreyfuss)