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Un Soir Ou Un Autre - Page 51

  • Black Indians à Bobigny

    Iko, Iko: syncopé une fois, deux fois, trois fois, dix fois, après on ne compte plus. Déborde alors tout ce qui bouillait épicé dans la marmite New Orleans: rock'roll, funk, gospel, blues, jazz, cajun, caraïbe... Cette musique ne tient pas en place, accouchée dans le fracas de la rue, le long des défilés sur Bourbon Street. Mais étouffe trop à l'étroit sur scène ici, et nous le cul calé dans nos froids fauteuils de salle contemporaine. Il faut plus d'un morceau pour s'oublier et s'y croire un peu, bien loin là-bas outre atlantique dans l'autre quartier français. Heureusement il y a pour ouvrir la soirée en chorale une trentaine de gamines du 9-3 gauches et appliquées, superbes, qui scandent Hey Pocky A- Way (des Meters), conduites par une chef de chœur désinhibée qui chaloupe des fesses. A leur droite un commando enthousiaste de percussionnistes locaux. Au milieu- lui louisianais pour de vrai, ou au moins vrai noir américain- assure l'altiste Donald Harrison dans le rôle du pro, mais pour autant généreux. Un musicien tout terrain qui a fait ses classes avec Art Blakley. Il souffle, chante, danse, frappe des bongos et fait le pitre. Tranche des phrases de sax coupantes, courtes et répétées, en crescendo à la manière de Maceo Parker. Appuyé par un quartet de jeunes gars qui oublient de se la jouer: batteur et pianiste discrets, jeune bassiste blanc tiré à quatre épingles, guitariste plus chevronné et aux belles envolées, nspirées franchement jazz. Deux instrumentaux soul mais un peu sages ensuite font patienter. Merci aux gamines du 9-3, qui avaient quitté la scène mais reviennent alors du fond de la salle, applaudir, crier, danser, agiter la salle, faire basculer la soirée. Merci: on se dégèle nous aussi, on se lève. Sur scène ont débarqué deux zoulous à plumes. Sapés au delà des limites. Ces deux ambassadeurs exubérants de Congo Square font chatoyer sur leurs costumes de parade plus de couleurs qu'on ne pourrait jamais décrire ici, ils déchaînent Mardi Gras en plein carême. D'évidence, la danse est message, la présence joie. Le morceau d'un titre à l'autre n'en finit plus: Iko-Iko encore, ou autre chose, on s'en fiche. Prétexte pour Harrison à se lâcher en de plus longs soli qui évoquent la générosité de Sonny Rollins, rapper et danser comme un canard qui aurait fumé un pétard. Prétexte pour tout le monde d'oublier de se rasseoir, la première partie s'achève sur les rotules.

    Avec les Wild Magniolas, la reprise est dure. Plombée en introduction par de lourdes démonstrations de rock saturé par les quatre briscards de l'orchestre. La distortion essoufle. Un peu tard aux quatre coins de la salle surgissent des apparitions saturées de vert, bleu, orange, rouge: une tribu d'indiens noirs emplumés qui rejoignent la scène. On y amène aussi Bo Dollis, Big Chief du Mardi Gras, en discontinuité depuis 1964, mais qui a renoncé ce soir à son trop lourd costume. Il ne marche qu'avec peine, ne cache pas les signe d'une santé en pointillés. S'arrache un ixième « Iko-Iko » d'une voix incroyable et étranglée. La rythmique semble empâtée, les danseurs hésitants et la fête lasse, alourdie par les regards inquiets de tous vers le leader, avant qu'on ne l'exfiltre à la fin du morceau. Dollis junior et l'autre vétéran, Big Chief Monk Boudreaux, reprennent le flambeau sur un blues hypnotique. La musique se détend, les indiens remontent peu à peu la pente, agitent tambourins et plumes sans s'économiser, nous font nous oublier la fatigue et nous relever tandis qu'Harrison revient derrière les bongos. Bo Dollis réapparaît par éclipses hors des coulisses, acclamé avec émotion, reprend le micro pour Iko Iko  encore, authentique et inimité. Ne renonce pas, survit telle la ville qui malgré les ouragans, la violence, et toutes les incuries, toujours fait la fête et ne se laisse pas emporter par les flots. Il nous emporte d'un morceau à l'autre, pourtant toujours le même ou à peu de choses prêt. Miracle du Mardi Gras, comme souvent s'agissant de musique, il s'agit moins d'accords que de générosité et d'héroïsme. On l'aime. Somebody screams...longtemps la banlieue bleue résonne des cris des black indians, quelque part les gamines du 9-3 font les fières, peut-être dans la tête l'orgueil de l'Amérique d'Obama.

    C'était Donald Harrison SAXOPHONE, PERCUSSIONS, VOIX, Gerald French VOIX, Detroit Brooks GUITARE, Conun Papas PIANO, Max Moran CONTREBASSE, Joe Dyson BATTERIE, et les ateliers dirigés par Béatrice Cheramy chant, Pierre Allio PIANO, Vincent Lassalle PERCUSSIONS. CHORISTES des Collèges Pierre Sémard et République, et PERCUSSIONNISTES de Canal 93 de Bobigny, et WILD MAGNOLIAS: Big Chief Bo Dollis, Big Chief Monk Boudreau, Second Chief Bo Dollis, Jr., Spyboy Indian Charles Johnson et Flagboy Indian Isaac Johnson VOIX, June Yamagishi GUITARE, « Geechie » Johnson PERCUSSIONS, VOIX, Joe Krown PIANO, CLAVIERS, Brian Quezergue BASSE, Jamal Batiste BATTERIE, à la MC 93 pour la cloture de banlieues bleues.

     Guy

    Et on peut ré-écouter pendant un mois les concerts sur France Musique  

  • On vote à Bertin Poirée

    Tous les ans en mars, on vote à Bertin Poirée. On dépose son bulletin dans l'urne aprés avoir pris son temps pour à regret cocher trois cases pour sept performances. Le taux de participation est de 100 %. La plupart des candidats nous sont jusqu'alors inconnus, ne nous font aucune promesse, plutôt offent déja tout, généreusement. Les applaudissements permettent de dégager des premières tendances, avec plus de fiabilité que des enquêtes d'opinion.

    Chacun a dix minutes pour convaincre. On ne tombe pas amoureux à tous les coups, mais dans l'exécution de cet exercice rigoureux personne ne démérite vraiment. Ni Marisa, nymphe rousse et lactée qui tourne aux sons d'une harpe plutôt new age, ni Sobue Yko qui pourtant n'est pas Moeno. Suprennent plus Volantin, qui juste commence à évoquer un voyage halluciné, nage en slip, se rhabille, mais surement manque de temps. Aussi Miki, qui sans temps mort laisse glisser un duo homme et balle raffraichissant de légerté.

    Tranchant, troublant, refléchi, d'actualité brûlante: le solo de Laurence Pages, qui danse les luttes. Et nous dresse l'inventaire des postures protestataires et politiques. Working class hero en T-shirt et baskett, corps tendu et éprouvé, en déchirements et tension, évoque l'imaginaire social à jusqu'à se se souvenir du Metropolis de Fritz Lang. Aussi grave et troublant, le Collectif des yeux. C'est un duo qui claque en noir, sec et méchant. Deux sombres personnages inspirés de Bekett qui progressent en symétrie vindicative, se rencontrent pour des affrontements cinglants. Belle surprise: c'est bien le discret Takashi Ueno, revenu de Fresque, qui clôt la soirée. On s'attend à des sauts de chat, de la virtuosité, et l'on voit l'inverse: scénarisée, une pièce très personnelle. Qui prend le risque du masque, le risque d'une danse panique, se tourne moins vers l'Asie que vers l'Afrique, instille l'inquiétude de l'indifférentiée...

    C'était la soirée d'ouverture de Danse Box- Version Clip, à l'espace culturel Bertin Poirée, avec Miki, Le Collectif des yeux, Volantan, Takashi Ueno, Marisa, Sobue Yoko et Laurence Pages.

    Guy

  • Le chorégraphe et l'interprête: je t'aime moi non plus!

    Interprètes ou chorégraphes: tous les invités-débatteurs se sont trouvés dans l'une ou l'autre de ces deux positions (ou s'y trouveront). Aujourd'hui pour juger de la relation qui lie ce couple, ils sont donc parties et parties. Et passent d'un point de vu à l'autre, avec agilité. Les discussions tournent un temps autour du sujet... mais vite appuient sur ce qui pose problème plutôt sur ce qui serait motif de satisfaction...

    Des composantes ou des déclinaisons de cette relation on évoque donc bientôt ce qui est violence plutôt que ce qui est amour. Ou l'on suggère que l'un n'irait pas sans l'autre! Le débat est dés lors impossible et passionnant, nourri avec un peu de gêne et un certain courage de la part des intervenants, comme on se décide à évoquer des secrets de famille ("Je peux en parler maintenant parcequ'il est mort, mais untel nous jetait des chaises à la figure"). Les non-dits pesent autant que les aveux et les réflexions. Certains, parlant en interprètes, avouent leur désir de soumission, le besoin de s'abandonner. A l'inverse, Olivia Grandville se satisfait qu'avec le temps l'on reconnaisse de plus en plus la part de création qu'apporte le danseur. Reconnaît que la liaison reste toujours dangereuse, sans objet interposé entre les deux partenaires, tel le texte pour l'acteur, la partition pour le musicien. Cette liaison ne peut s'affranchir de la séduction, jusqu'à l'explicite entre sexes opposés ou inclinaisons compatibles....Jusqu'où? Quelqu'un rappelle bien à propos une évidence: cette relation de travail si particulière porte sur le corps et sur l'esprit de l'interprête, l'exige donc entier. Olivier Dubois, Gael Depauw, racontent les exigences du travail avec Jan Fabre, l'engagement exigé, mais pour affirmer avoir consenti à tout et ne rien regretter. Assurent en avoir retiré un grand enrichissement, en étant contraint de repousser leurs limites. Sans remettre en cause leur sincérité, doit on les croire objectifs? N'idéalisent-ils pas l'expérience? Gael Depauw revendique, positivement, d'avoir été "traumatisée". Kataline Patkai, elle aussi, assume tout en tant qu'interprête. En tant que chorégraphe, fait son autocritique, regrette ne pas avoir su exiger assez de ses interpretes en certaines circonstances... ou en avoir trop demandé à d'autres occasions, mais sans en avoir eu l'intention!

    Echange aprés échange se dévoile un implicite majoritairement partagé. Qu'il ne peut y avoir de création artistique sans dépassement. Derrière cette assertion se profile une autre, plus contreversée: ce dépassement ne saurait être obtenu sans une dose de contrainte et de violence. J'en doute, mais ma propre expérience de témoin  est bien limitée. On en vient à avancer, un degré au dessus, que la création, trangressive par essence, devrait donc s'affranchir des règles du droit commun pour trouver les moyens de sa réalisation... Un autre débat à venir?

    C'était le débat Chorégraphe - interprète : une relation particulière. (Comment se module la relation entre le chorégraphe et l’interprète ? Jusqu’où le chorégraphe peut-il pousser l’interprète, physiquement et psychiquement ? Qu’en pense l’interprète? )  avec les danseurs et chorégraphes Olivier Dubois, Olivia Grandville (les Carnets Bagouet…), Thierry Malandain(CCN/Ballet de Biarritz), Kataline Patkaï, sans Loïc Touzé (excusé) et avec la performeuse Gaël Depauw, précédé par la projection de Véronique Doisneau de Jérôme Bel et Pierre Dupouey. Dans le cadre des rendez-vous du Dansoir Karine Saporta, animés par Sabrina Weldman.

    Guy

    Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (C. trav. art. L 1152-1).

  • Ouramdane/Rambert: vers l'identité.

    Solo, soli: deux propositions où fusionnent les expressions du théâtre et de la danse, entre autres. Mais d'un exercice à l'autre l'efficacité fluctue. 

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    De la vision De mes propres mains le strict texte tend à s'estomper, même peine à exister. Manque-il de force, en deçà de l'évidence des mots du Début de l'A  ? Le texte est repoussé en périphérie du jeu, de la voix, des lumières, qui pour leur part captivent ensemble d'une main ferme. Nous tiennent, du récitatif ambulant et aveugle du début, au troublant dévoilement hermaphrodite du milieu, jusqu'au chant doux amer de la ballade qui clot. Mais on peine à retenir, en narration, de quoi il était question. Si le méta projet est de prouver qu'un texte créé il y a 15 ans pour un comédien homme pouvait se prêter à une autre identité sexuelle, voire rester d'un genre indifférencié, la demonstration est vite faite, et laisse en suspend. Le sujet en tant que texte même s'en retrouve plutôt sacrifié.

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    A l'inverse, le sujet de Loin..., de Rachid Ouramdane s'impose d'emblée. Essentiel et émouvant: la quête par l'interprète de son identité. Individuelle, familiale, collective, historique... Pour remplir les vides lancinants, tous les moyens sont bons ici, et jamais faux. En vidéo, Les images de pays d'aujourd'hui laissent deviner en flou les images des origines. Quant les images ont disparus, sont recueillis les témoignages des témoins survivants, en un français hésitant, pudique. Leurs souvenirs blessés, broyés par les enjeux politiques. Toujours restent des espaces béants, dans les angles morts de l'histoire sacrifiée, en Algérie, en Indochine. Quant il le faut, masqué, démasqué, Ouramdane tente de combler ces absences d'un monologue inquiet. Quand les mots font défaut, danse et gestes prennent le relais, révoltés mais et s'apaisent peu à peu, s'ouvrent sur des dimensions plus personnelles. Quand la mémoire individuelle s'épuise, les souvenirs survivent collectifs restitués par une omniprésente musique. Avec les Stranglers, Ouramdane recherche les héros disparus. Quand le monde mute, le théâtre comble en profondeurs nos amnésies, nous permet de nous reconstruire.

    C'était De mes propres mains/solo de Pascal Rambert avec Kate Moran, et Loin... de Rachid Ouramdane. Au théatre2genevilliers. Portrait/Portrait continue jusqu'au 22 mars, avec Les morts pudiques et Un Garçon debout.

    Guy

    Photos de Cybille Walter (De mes propres mains) et de Patrick Imbert (Loin...) avec l'aimable autorisation du théatre2genevilliers

     

  • Inusable Antigone

    Sophocle parle à 2 500 années de nous. D'un monde qui n'est plus, mais dont les tourments pourtant nous troublent, encore. Donc, est-on sensé jouer et voir jouer son Antigone comme de l'ancien ou du moderne? C'est un dilemme-piège: On doit surtout jouer Antigone tout court. Pourquoi pas de la manière dont Réné Loyon la met en scène: sobre et in extenso, sans coupes, ni facilités, ni gadgets. Scénographie minimale, costumes sobres, lumières concentrées. Denudée de repères temporels. De ce traitement la pièce ressort affutée, d'une beauté un peu séche. Qui s'impose à nous peu à peu, le temps que l'écoute se fasse à ces partis-pris. Des esprits routiniers pourront s'offusquer de la traduction vigoureuse et leste de Florence Dupont. Contresens. Le pire des anachronismes consisterait à faire parler Sophocle en français du XIX°. Quitte ne pas jouer Antigone en grec ancien comme devant des spectateurs d'époque ressucités, autant utiliser des mots contemporains et directs. Qui nous interpellent aujourd'hui, mais aussi d'une certaine manière comme si nous étions des contemporains de Sophocle. C'est que les acteurs jouent en proximité, le choeur nous prend à témoin, avec familiarité, s'adresse à nous en qualité de citoyens de Thèbes. Nous appelle à prendre position. Mais ce théatre, de quelle manière peut-on d'aujourd'hui l'écouter et le comprendre?

     

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    (Pour ceux qui ne seraient pas allés au théatre depuis 500 avant JC, il faut resumer l'intrigue: Créon, nouveau Roi de Thèbe, interdit qu'une sépulture soit donné à son neveu et traitre à la cité, Polynice. Ceci pour des motifs moraux et politiques mais à l'encontre de toutes les règles et traditions sacrées. Antigone, soeur de Polynice, désobeit, et accomplit les rites funéraires pour son frère. Créon condamne Antigone à mort, contre tous les avis persiste dans sa décision. Son obstination entraîne les évenements les plus funestes...)

    On peut donc écouter la pièce comme elle n'a pas été écrite, selon notre sensibilité contemporaine: comme un éloge de la révolte et de l'insoumission. Contre un ordre politique jugé arbitraire. Le monde est désacralisé, la légimité contestée, c'est morale contre morale désormais, Antigone se sacrifie pour une cause. On peut sinon considérer la pièce en puriste: ne reconnaitre que l'hubris de Créon, qui entend placer son propre jugement dessus des lois divines, qui rompt ainsi un ordre immuable, ouvre grandes les digues de la violence et des calamités- Malgré de dérisoires précautions: laisser Antigone mourir de faim plutôt que de la tuer, afin de ne pas être contaminé par le meutre. Et puis on peut ne pas choisir, et jouir de toutes les significations imbriquées. Ce théatre fondateur introduit sur la scène le dilemme moral, et ses affrontements en arguments et émotions. Le procédé donnera matière à des siècles de théatre dramatique. Et on peut regarder les personnages vivre dans leurs excès, douter et souffrir au delà de leurs principes. Tous, du roi au garde, sont vivants, Antigone et Créon dos à dos dans la folie, les autres entrainés dans la destruction, l'intensité du jeu confère à tous de la psychologie et de la profondeur. On peut prendre et comprendre cette  Antigone comme l'on veut, ce n'est pas la moindre des qualités de cette mise en scène.

    C'était Antigone de Sophocle, traduit par Florence Dupont, mis en scène par René Loyon avec Jacques Brucher, Marie Delmarès, Yedwart Ingey, René Loyon, Adrien Popineau, Claire Puygrenier. Au théatre de l'Atalante. Jusqu'au 31 mars.

    Guy

    photos de Laurencine Lot avec l'aimable autorisation de Marie Delmares

  • Cecile Saint Paul: tout est ailleurs

    Tout survient ailleurs, décentré. Dans notre angle mort. D'abord les personnages présentés de dos à ne pas regarder un film, qui d'ailleurs n'est pas projeté- juste des inter-titres elliptiques- à écouter une bande son évocatrice. De quoi déja nous faire savourer notre frustration. 

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    Les interprètes cherchent leur place, se bousculent un peu, comme par accidents, glissent sur leur chaises, décalés. Un récit au micro s'embrouille avec une inintelligibilité travaillée. Des pas de danse se posent à l'unisson, sur des musiques désuettes, semblent echappés d'ailleurs. Les images paressent, se bloquent, se dissolvent. Des blancs surviennent, des poses, d'une jubilation sidérée. Du presque rien, ce qui fait déja beaucoup, pour sans relache nous ramener à l'ironique question de quoi regarder... Des entrées, des sorties? Vers deux écrans au murs qui montrent ce qui se passe dehors, ou nulle part peut-être, par gags et glissements, ce qui ne s'y passe ou non. Telle la feinte et spectaculaire disparition de l'artiste, on se gardera d'éventer la surprise du comment. A ce moment, on n'avait pas vu le lieu aussi intelligement utilisé, depuis le passage Eléonore Didier. Les personnages apparaissent et disparaissent en video, flottent entrainés dans une danse revée qui évoque le cinema de David Lynch, sur un mode ironique et poétique. C'est une belle leçon d'allusions, d'absurde, de non finalité.

    Un belle leçon C'était Anomalies et Perspectives, de Cecile Saint Paul, présenté en ouverture de résidence à Point Ephémère.

    Guy

    Image avec l'aimable autorisation de Point Ephémère

     

  • Voulez vous jouer avec Dora?

    Dora dérange. Idiote et sexuée. En cela libre, confiante. Confiante en les mots, en tous les mots qu'elle croit, trop crus quand elle les repête, ne sachant comment les digérer. Ces mots, Dora les renvoie tels quels aux autres autour d'elle, s'y engageant entière corps et gestes. Ébranlant les hypocrisies de tous. Nature contre culture (second round)? Dora montre ce qu'il est convenable de cacher. Sans le savoir ainsi se conduit comme quand aux spectateurs l'on montre du théatre...

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    Dora est simple. Le "monsieur délicat" en abuse. De cet abus même, Dora jouit, se construit. D'où nait la pire des violences? De cet acte, ou dans la prison de bonnes intentions qu'autour de Dora ses protecteurs construisent? Sur le chemin de la mise en scène qui mène des personnages aux spectateurs, de cette violence l'insupportable nous est atténué. En clin d'oeils et sourires entendus, par un jeu à la fois chaud et léger, remarquable de subtilité. Cette violence est abritée par un humour froid, détourné sur des mannequins, qui prennent les coups en corps muets, mais sa portée n'est éludée en rien. Sans tapage ni facilité, sans tomber dans le piège de la dramatisation, malgré tout ce qui pourrait s'y préter: viol, avortement, médicalisation... L'approche est paradoxale,mais d'une troublante efficacité, jusqu'à susciter un rire blanc. Dora en ange passe, une case en moins. Autour d'elle, les trois acteurs s'échangent les rôles et les costumes, comme si le monde entier à ses yeux était flou. Tous les hommes- père, patron,médecin,amant..- interchangeables et objets égaux de son désir incorrect. Mais tous se defient de ces élans, tous d'une gentillesse presque jamais prise en défaut, d'une implacable tolérance. Laissant à Dora le choix, mais dans les apparences. La condammant à décider ce qu'elle ne peut comprendre. Et ne font pas de Dora une simple victime, ce qui serait trop caricatural. Dans ce jeu de société les bornes sont invisibles, le contrôle mou. Qu'y vaut la liberté, la différence? Encore par éclats, avant d'être castrée, Dora baise et danse, exulte déglinguée. Mais incertaine. La douleur cachée en dedans, qui déborde par instants. Les mannequins autour d'elle évoquent alors des corps morts, et les boites des cercueils. C'est fort, posé, acide, émouvant.

     

    C'était Les Névroses sexuelles de nos Parents  de Lukas Barfuss, mis en scène par Hauke Lanz, avec Frédéric Leidgens, Pierre Maillet, Murielle Martinelli, Laure Wolf. Au Théatre Paris Villette.

    Jusqu'au 14 mars.

    Guy

    Tous les jeudis, à 21H, les internautes interagissent avec le metteur en scène et les comédiens, pour un jeu dramaturgique sur scène et en ligne, sur http://www.lesnevrosessexuellesdenosparents-etvous.fr/ 

    Photos par Fred Khin, avec l'aimable autorisation du théatre Paris Villette

  • Kataline à la ferme

    Ardanthé finit la saison en beautés, en audaces qui nous sourient. En début Sylvain Prunenec a dansé comme on pose un rébus, en un parcours drolatique et accidenté: toréador fou ou danseur de flamenco, cow-boy ou chanteur de blues... C'était court en juste un quart d'heure, mais assez pour annoncer le thême: connivences et jubilation. Et laisser Delgado et Fuchs enchaîner, irrésistibles et pinces sans rire.

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    Plus tard, Yves-Noël Genod raconte. Qu'il est tombé amoureux d'un homme mais que les femmes lui manquent. Ensuite bien d'autres choses. Est ce sa vie ou fiction? On ne sait. Et on renonce vite à se poser la question. Ainsi qu' à catégoriser la chose en danse ou théatre. De même qu'on avait admis voir Y.N.G. arpenter la salle avant le début de la pièce, poser, avec superbe et affabilité. Quant au texte, il est avéré et en version intégrale sur son blog , où il ne détonne en rien avec les autres mots jetés au même endroit depuis des mois ou des années, avec une intarissable régularité. Autant de pièces en devenir? Ce monologue là est joliment désinvolte. Le disant Y.N.G. se balade, deguinguandé et décoloré, avec ce qu'il faut d'hésitation. Offre et force l'acception, en douceur et empathie, avant même de poser le sujet. Séduit en évoquant le poète vierge(1)- Baudelaire- qui allait au bordel sans consommer. Question scénographie, le bordel est plus étudié qu'à première vue. Factice assumé et scène sur tréteaux, neige artificielle comme juste échappée d'une boule de noël, en fond d'écran images de paysages hivernaux, fagots. L'ensemble aussi kitsch qu'une créche de noël, d'un état naturel et révé. Justement, Y.N.G. cite Jean Jacques Rousseau. L'utopie s'installe doucement devant nos yeux-peut-être même tient on là le sujet. Kataline Patkai dialogue en ingénue, apporte des lapins, puis un chat, puis un chevreau. Lui donne le biberon d'une main assurée, et parvient plus ou moins à se faire respecter par ses amis à poils. C'est la douce image de l'harmonie retrouvée. Y.N.G. poursuit sa promenade d'aphorismes de Tolstoi à Pompidou. Fait du name-droping. On lui pardonne. Du début jusqu'à la fin on passe du cop à l'âne, mais en beauté. La belle entourée des petites bêtes se dévet par morceaux: habits de fermière mais sous-vêtements sophistiqués. Puis en tenue de nature: telle Eve rejointe par un Adam pour quelques exercices de paradis terrestre. On y repensera l'heure d'aprés en voyant Cecilia Bengolea et François Chagneau délivrer leur propre version de l'innocence decomplexée. Le pianiste- nu lui aussi- se perd en arpèges, les lumières caressent, Y.N.G. ponctue le tout d'interventions épicées, installe le flou, et une pudeur imprévue. Des moments de rires et d'émerveillements, pas de regrets. L'ensemble a trouvé son tendre équilibre, decousu et sans leçons à donner. Un peu de gravité tempérée par beaucoup de dérision, du dandysme. Une grâce plane, inaccessible à l'analyse. On fond, tout autant qu'Hamlet nous avait crispé. Moralité énoncée au cours d'un déjeuner sur la neige: "L'art c'est la décadence". Voire: tout celà n'aurait il pas été trop gentil (quand le nu ne compte plus)? Il faut bien un peu de vraie provocation: Kataline découpe à cru un civet et quelques spectatrices détournent les yeux. A bas les tabous!

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    C'était C'est pas pour les cochons! de Kataline Patkai et Yves Noël Genod, avec aussi Yvonnick Muller et Pierre Courcelle au piano. Ainsi que Love me, love me, love me de Sylvain Prunenec. Et à nouveau Manteau Long en laine marine... de Delago Fuchs et Paquerette de François Chaignaud et Cecilia Bengolea. Pour la soirée de cloture d'Artdanthé.

    Guy

    La saison d'Ardanthé n'est pas finie : épilogue avec Boris Charmatz et Médéric Collignon le 5 mars.

    (1) ainsi surnommé par Nadar

    photos de Jérome Delatour, les autres sur le flick'r d'Images de danse.

    lire l'article de Jérome Delatour. et celui de M.C Vernay dans Libération, repris par Y.N.G.

  • Celine Angèle

    Un besoin viscéral de transmettre et partager brûlerait l'acteur. Sur le chemin de théâtre que j'ai emprunté pendant une dizaine d'années, j'ai toujours recherché un théâtre total où le langage puiserait sa vérité dans sa nécessité organique. Le Butô  m'est apparu en 2003, et s'est révélé correspondre à cette recherche, interpellant le spectateur à écouter depuis sa peau et respirer depuis son âme chacune des cellules du corps en scène, il ouvre le chemin vers la catharsis.

    Douze années de pratique de judo m'ont enseigné un engagement intégral du corps, portant en lui sa nécessité, dont le frémissement instinctif lui transmettrait un caractère imprévisible. Je retrouve au butô cette importance d'un corps libre et démultiplié, au service de son combat. Pour toute personne qui désire tendre vers toujours plus d'authenticité et de dépouillement, le butô offre une mise à nu des plus entières: revenir à l'être-corps, l'être organique, l'être sauvage, dépecé de son conditionnement social et de ses habitudes, s'abandonner à la respiration viscérale et tenter de se faire naître. Ne rien vouloir représenter: Devenir. Ne rien chercher à justifier: Etre.

    Cette danse évolue à travers les générations et les peuples qu'elle contamine. Avant de la mettre en scène, l'exigence de construire un corps. Suivre une pratique qui amène vers toujours plus de disponibilité et d'ouverture, où chaque expérience se révèle nourriture essentielle au corps traversé par la danse. Une exploration qui puise sa force dans son origine, son vécu, son souffle primordial et ainsi toucher l'universel. Une démarche honnête et consciente qui tend à embraser les corps, réveiller les consciences, et retrouver son cri, celui qui prend sa source dans la révolte d'un corps né de la terre. Le butô est une danse de la mémoire où la peau danse les sensations qui la traversent, où l'âme se souvient et délivre l'histoire de ses ancêtres, libère leurs voix et leur donne chair.

    J'ai dansé dans la performance « Prières » du groupe de Jean Daniel Fricker, dans les environs de Hampi, en Inde. Elle dura 6 semaines et 4 nuits. Pèlerins de la danse, nous avons vécu dans la naissance de chaque jour, où nous avons reçu du ciel son souffle, de la terre son sang, du vent sa prière. Auprès de Jean Daniel, j'approfondis ma recherche depuis plus de trois années. Nous travaillons à partir d'un corps-matériau, matière, en état d'urgence: n'être plus qu'une surface sensible et chercher à déceler la nécessité de sa danse, le mouvement naît de l'intérieur. A travers un laboratoire d'expériences directes ou de mémoires sensorielles, le corps, en éternelle mutation, s'imprègne de diverses qualités et matières. Traversée, la danse devient témoignage. Notre danse est aussi une exploration, une imprégnation de notre environnement quotidien ou lointain, une intégration du lieu et de l'espace, une perception cellulaire des éléments et du temps; un corps-réceptacle médiatisant ce qui le traverse, une exposition de corps en fusion.

    Le corps se fait instrument où résonne l'être humain touché dans sa chair la plus intime, dans ses silences et dans ses cris. L'espace devient extension du corps, lieu de rituel où se révèlent les métamorphoses de l'âme.

     Céline Angèle, 29 janvier 2009

    CELINE ANGELE passionnée de théâtre, tant à travers la force de la littérature classique, que l'engagement des auteurs contemporains, elle reçoit une formation en arts dramatiques et travaille sur Paris pendant une dizaine d'années. Double championne de france de judo et consciente de l'importance du corps chez l'acteur, elle mène une recherche sur la poétique du corps et son langage organique. Elle travaille un théâtre des extrêmes explorant le sublime et le monstrueux à travers l'univers d'œuvres diverses et variées, de Racine à Hugo, de Genet à Novarina, de Artaud à Kane. Un corps à la fois dense et sensible l'amène à rencontrer le butô, qu'elle pratique ces cinq dernières années avec de nombreux danseurs et danse pour différentes compagnies. Actuellement, elle poursuit sa recherche auprès de Jean Daniel Fricker en france et à l'étranger.

    http://celineangele.blogspot.com/ Jean Daniel Fricker  www.jonglorsion.com

    P.S. : Ce texte de Celine Angèle a été commandé pour un dossier buto à paraitre dans le web-magazine "Les petites feuilles" de l'association Art Levant.

    Guy

  • Les mots au pinceau de Mark Crick

    Elle est debout. Elle regarde. Elle regarde l'évier, le robinet. Il s'avance vers elle. Elle le regarde venir. Elle regarde le robinet(...) Homme,femme,robinet. L'homme s'avance. Il ouvre le robinet. (...) Alors il lui montre le joint, devasté, le ravage du temps, l'effet du calcaire, la pression crée par le robinet toujours serré, se battant pour retenir le flot, le courant. l'accumulation brutale de la force. Alors elle comprend. Et elle se retient de pleurer.(1)

    Est-ce du Duras, ou le récit d'un robinet qui fuit ? Les deux à la fois, réunis en un irréstible détournement par Mark Crick. Rencontre bienvenue: on est heureux que la littérature pour un soir oublie un peu de se prendre au sérieux. Et d'entendre l'esprit de Ramond Queneau  souffler à nouveau, avec ces exercices de style. Qui sont contraints sous la forme d'histoires de bricolage, certaines à hurler de rirer. Voire, cette seule heure lue vaut bien des leçons de critique littéraire: on croit tout comprendre de l'existentialisme de Sartre confronté à la matière accumulée dans le siphon de l'évier, des moites émois d'Ainais Nin carressant les poils humides du pinceaux, de l'humble humanisme d'Hemingway décrivant le labeur du vieux poseur de papier peint. Et avec Beckett, plutôt que de vraiment bricoler, on attend....

    marc crick.jpg

    Le rapprochement fait sens, à la réflexion. Il y a entre écriture et bricolage plus d'un point commun: à l'oeuvre beaucoup de pragmatisme, énormement de persevérance, d'essais et d'erreurs, au service d'un peu de génie. Un travail toujours en cours, comme celui ce soir des comédiens en arrière plan, affairés à peindre, fixer et poser.... Devant, les lectures donnent voix et vies aux textes, avec mesure et drôlerie. Ce travail est tout en justesse, évite un jeu trop ostensible, pour permettre avec les auteurs pastichés des rencontres complices. Commes autant d'hommages.

    C'était la lecture d'extraits de "La Baignoire de Goethe" de Mark Crick, mis en scène par Brice Cauvin, avec Laurence Roy, Marie-Christine Barrault, Anne Malraux, Arnaud Denis, Laurent Malraux, Joaquim Latzko, et Jean Marie Wilson au saxophone. Au théatre La Pépinière.

    "La Baignoire de Goethe" de Mark Crick est paru aux éditions Baker Street.
    (1) Les extraits du texte cité ici ont été traduits de l'anglais par Eliette Abécassis.
    Dédicace et lecture: le jeudi 19 février 2009 à 18 heures, à la librairie Les Cahiers de Colette, 23/25 rue Rambuteau 75004 PARIS – 01 42 72 95 06  Métro(s) RAMBUTEAU-HOTEL DE VILLE Annonce jeudi 19 fevrier