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Un Soir Ou Un Autre - Page 54

  • Pina Bausch: light et bio

    On va présenter le flanc pour se faire lapider par les sectateurs de la grande prêtresse de Wuppertal, et Dieu sait s'ils sont nombreux.... Mais allons y quand même- et ce n'est pas pour le plaisir sacrilège de dénigrer la demi-déesse. Juste par dépit, par ennui...

    Il est tout beau et tout propre, euphorisant, le monde de Pina Baush. Suspendu en douceur dans une ère new age, avec un défilé de jeunes gens souriants et bien faits, c'est presque un défilé de mode. En horizon un mur végétal et une cascade d'eau- l'eau va beaucoup servir. Les belles robes aussi, assorties, pour bercer des nostalgies pastels. Donc les robes sur les danseuses sont bien vite mouillées, ensuite on aspergera les robes, plus tard on versera de l'eau dessus, pour suggérer de belles formes. Et oser une audace inoffensive. Toujours en douceur, et en rythme. Rien ne s'arrête jamais. Dans le flux continu de la musique, aussi ommniprésente que dans un centre commercial, non stop, equalisée dans les tons medium de l'easy listening. On a jamais le temps de s'ennuyer ni de s'interroger d'ailleurs, les interpretes rentrent et sortent en zapping, courent sans drames, voyagent valises à la main, on voyage avec eux du regard comme dans les rues d'un village Potemkine. Les corps sont harmonieux, tout sauf furieux. Chacun y va de son solo en joliesse, sourires obligatoires et imperturbés. A force, l'on sourit aussi, bercé par la musique. Tout est agréable, rien ne surprend vraiment, rien ne peut fâcher. Tout varie pour ne jamais lasser: flirts, clins d'oeil appuyés, beaux portés, déjeuner sur l'herbe, numéro de cirque avec les chaises, courses poursuites burlesques, et encore des robes mouillées...Tout s'évapore comme la fumée des cigarettes. On peut se laisser aller à passer une bonne soirée. Belles et radieuse, les femmes tournent comme des poupée, puis dansent dans les champs (de l'utopie?), comme le commente non sans auto-dérision une interprète. La pub a la vie dure, on a le sentiment de voir un interminable spot pour protections périodiques. 

    La feuille de salle entreprend de nous conforter en un modèle de tautologie satisfaite: le Théatre de la Ville invite Pina Bausch depuis des décénnies parce qu'elle est toujours venue, on a une chance comme nulle part ailleurs au monde, merci pour sa générosité, CQFD. Pina: c'est Pina. Et, toujours, tout Paris cherche des places. Mais le temps des rentiers est derrière nous. Ce spectacle date de 2000. Ou date-t-il de cette année? Ou de 90? Ou de 2015? Soyons juste: on croit souvent reconnaître des gestes mille fois samplés ensuite par des générations de chorégraphes. Pour celà, merci à elle. Mais ici, maintenant, le savoir faire ne finit par accoucher que de la joliesse et de la vacuité.

     C'était Wiesenland de Pina Bausch, avec beaucoup de danseurs et de danseuses, au Théatre de la Ville, jusqu'à bientôt.

    Guy

  • Le Corps Furieux de Rabeux: affreux, sales, émouvants

    Ils sont affreux, sales, pas méchants pour autant. Nus et beaux en prologue, juste pour un instant. Puis franchement moches après, habillés S.D.F.. De fringues dépareillées, accumulées comme pour lutter contre le gel de janvier. Ou de seuls sous-vêtements hideux. 

    Le Corps furieux- Denis Arlot.JPG

    Ainsi à l’évidence fragiles et vrais, leurs corps de jeunes, leurs corps de vieux. Et bien contourné, le piège de la nudité. Pour pauvres accessoires (à l'opposé du dispositif très élaboré vu dans une autre tentative de théâtre sans texte): poubelles, sac plastiques et caddies -que l'on préfère ici ce soir d'hiver plutôt qu'une nuit d'été. C'est bien: l'humanité est libérée du superbe, peut respirer un peu. Plus obligée de performer (au sens économique), pour mettre le spectateur face au plaisir de la performance (au sens anglo saxon du terme). Acteurs et public sont séparés par une barrière symbolique: un ruban plastique tel ceux utilisés pour délimiter le lieu d'un accident ou d'un crime, ou pour isoler un chantier. On est donc protégé de leur contagion, tout de même ici forcé de les regarder, alors que dans la rue l'on peut éviter de voir ceux qui comme eux maintenant dorment sur des cartons... La crise est passée, ils persistent. Et ronflent en prime. Puis la vie les agite, de gestes et de sons. Faire du théâtre sans texte, c'est ici s'amuser à tricher un peu, sur les bords, à force d'exclamations, d'onomatopées, de langues étrangères, d'improvisations, de chansons (1). Les individus sont loin d'être muets et la voix elle-même devient le message, pour ouvrir vers l'essentiel. Même, ce théâtre est toujours au bord de lui-même, rigolard et ému. Avec des acteurs qui semblent venir d'ailleurs, déformatés: une acrobate, un ancien caviste, un ancien prof d'art plastique... qui offrent fausse maladresse et vraie tendresse, inattendus et imparfaits. Les corps se montrent tout autant burlesques que furieux, passent du coq à l'âne, rient, pleurent, paradent, crânent, s'amusent, se disputent, accouchent, exagèrent, se cherchent, se trouvent, se tuent. Les personnages peuvent devenir féroces aussi, attablés pour un festin dont une femme est le plat. Soulagement : elle s’échappe en acrobaties et contorsions, mieux vaut être livrée en spectacle que littéralement dévorée. Morale: les corps ne sont jamais emphatiques: révoltés et ironiques jusque dans l'agonie... En conclusion une belle vengeance: les corps morts et parfaits des mannequins sont brocardés, maculés de peinture pour leur prêter un peu d'humanité, mais que la pluie emporte.

    Le Corps furieux- Denis Arlot 3.JPG

    C'était Le Corps Furieux de Jean Michel Rabeux, avec Elena Antsiferova, Corinne Cicolari, Georges Edmont, Juliette Flipo, Kate France, Marc Mérigot, Laurent Nennig, Franco Senica. A la MC 93 Bobigny, jusqu'au 27 janvier.

    Guy Degeorges 

    A lire: le spectateur turbulent et neigeàtokyo

    Photos de Denis Arlot, avec l'aimable autorisation de la compagnie Jean Michel Rabeux

    (1) C'est regrettable, mais un peu dans la tendance de l'époque, que les chansons ne soient pas citées sur la feuille de salle. Quand même, on a cru identifier: Istanbul Constantinople de Dario Moreno, Comme un petit coquelicot de Mouloudji Rock' roll suicide de Davide Bowie, un blue peut être des Rolling Stone, Raindrops Keep fallin' on my head de Burt Bacharach en v.f. et a capella... Et une déchirante compilation de chanson française 70/80: ballade des gens heureux, Le chanteur, Ou sont les femmes, j'ai encore révé d'elle, la cage des oiseaux...

     

  • Self & others: Cecilia, Alain, François, Matthieu, Hanna et les autres...

    C'est foutraque et déroutant. Chacun des quatre danseurs à son tour a son moment, et tous à la fin rassemblés pour un défilé fait de bric et de broc (qui n'est pas sans évoquer dans le détournement celui de parades & changes). Oui: la succession de ces numéros agace jusqu'à la fascination. Mais cette dispersion est sans doute consubstantielle au projet, d'autoportraits. Ceux ci d'autant plus détournés que floutés derrière le voile qui sépare salle et scène. Ces personnages sont surtout ce qu'ils font. Se définissent par ce avec quoi ils jouent: des matériaux déglingués et disparates: musicaux, gestuels, textuel, scéniques... Les résultats ne sont pas tristes. Et les portraits surprenant, irrévérencieux, provocateurs forcement, allusifs, comme pour travestir d'inavouables aveux.

    C'est donc gonflé, toujours au bord d'être gonflant. Mais l'esthétique fait le liant, une touche Buffard dans le tout et dans les petits riens. A savoir, à travers ces errances dans un décor de lendemain de fête: des postures de dandy décadent, un pessimisme drôle et pudique, jusque même dans l'exhibitionnisme. Tous semblent en sursis. Mais tenus par une cohérence souterraine, un mouvement qui nous fait aimer ici ce qu'on rejetait chez Laâbissi. François Chaignaud ouvre les festivités en faune écossais, préside une veillée aux bougies comme un Barry Lydon du pauvre, prodigue des fellations et d'autres outrages à des poupées barbie. Il fait son effet, entonnant une chanson libertine d'une voix de tête et tête en bas. Toutes bornes dépassées, on sait où on se situe. Cecilia Bengolea s'engouffre dans la brèche, et s'enfourne des petits chevaux dans le décolleté et dans des culottes gigognes, crie "vanité", entame un dialogue- qui semble furieusement extrait d'un film français des années 70- avec Hanna Hedman. Qui blanchit sa peau noire de pâte à pain en lisant Marx, tandis que Cecilia se noircit. Mathieu Doze se fait désirer en statue et rentre tard dans le jeu, hiératique. Tout ce qu’on tente de décrire ne constituant qu'un échantillon des actions vues ce contexte, dans une ambiance à la fois bordélique et empreinte de préciosité. Avec nombre de références, et des saillies surréalistes pince sans rire, on est plus prêt de Bunuel que de Dali. Ou de Copi. Les excentriques finissent par se rassembler, en un drôle d'équipage, pour un boléro de gargouillis qui mène droit au fou rire, un défilé en rideaux de douche ou cuvette de chiottes, et un hommage final à Michael Jackson. Paradoxe: ce sont dans ces efforts collectifs, assez éloignés du thème du départ, que l'on goûte au plus jubilatoire du projet.

    C'était Self & Others, d'Alain Buffard, avec Cecilia Bengolea, Mattthieu Doze, Francois Chaignaud, Hanna Hedman. Dans le cadre du festival innacoutumés, à la ménagerie de verre.

    Guy

    Lire aussi Libération, Spectateur turbulent, paris-art, Le beau vice. Et plus tard, le Tadorne.

    Pas de photos pour le moment, peut être un peu plus tard.

     

  • Latifa Laabissi à l'âge de pierre

    C'est le spectacle de trop, après deux ou trois dans le même sens, à la fin d'une année qui n'en finit jamais. On a pas vraiment envie d'en dire du mal, tellement c'est désarmant. Dans un sens, bon enfant.

    Latifa Laâbissi par Laurent Paillier.jpg

     

    Mais si vain, pourtant. Question cohérence, rien à dire non plus: des variations surtout sur le même thème: celui des origines. Donc la préhistoire, le commencement, la genèse, etc... sous divers angles fictionnels: l'obscurité originelle puis habitée par le verbe (des cris primaux plutôt), une Eve nue à la pomme, les jeux innocents d'un enfant  sur la scène, les hommes préhistoriques dans leurs oeuvres, en peaux de bête façon "Les trois Ages" de Buster Keaton (référence revendiquée)...et quelques digressions (La marseillaise, une histoire de chevalier...) dont le rapport avec le reste est moins évident. Tout est parlé, posé, mimé. Pourquoi s'ennuie-t-on? Paradoxalement, ce n'est peut-être pas durant le premier quart d'heure, qui s'installe sans complexes dans le noir le plus complet, que l'on s'ennuie vraiment. Cette situation nous suggère au moins une réponse acceptable à la question de Saint Augustin (qui était africain): que faisait Dieu avant la création du monde?  Rien. Pas de réaction officielle de la part des deux religieuses assises au dernier rang (Leur présence constituant l'évènement le plus surprenant de la soirée). On entend dans le noir de la scène des cris qui amusent un peu, intriguent surtout. La lumière se fait brusquement...sur un plateau déserté. Pied de nez! 

    Mais dans la salle l'impatience est palpable, bien que retenue. On s'en voudrait de punir les audaces trop hâtivement. N'empêche. De scénettes en scénettes, l'intérêt se transforme en indulgence, l'ennui en attente. On en arrive, soulagé, jusqu'à rire ensuite avec des histoires d'accent belge ou nord-africain, de pipi et de poils sous les bras- l'humour heureusement joue plus fin par moments. On se console avec celà, faute de mieux, et avec un peu de fantaisie bienvenue. Car la construction est hachée, faite de juxtapositions. Laisse une impression laborieuse, heurtée. Cela ne tient pas à un manque de moyens, à un temps insuffisant qui aurait été consacré au travail- bien que l'absence d'Yves-Noël Genod, qui était annoncé, laisse supposer que le projet a connu des contrariétés.... Les élements paraissent achevés: L'installation de Nadia Lauro est pensée-une forêt de bandes de papier qui tombent du plafond. Le travail vocal est abouti.

    Ce qui nous gêne tient au parti pris (et pris par beaucoup d'autres) de la chorégraphe: montrer des situations, bout à bout, et faire du tout une proposition. Pour quelle demonstration? Latifa Laâbissi n'est pas plus sociologue que ne l'est Marcela Levi. A quoi tient au fond notre insatisfaction? C'est que la danse, en tant que mouvement, fait ici défaut, cruellement. Le moment où l'enfant vient danser, maladroitement, est le plus touchant. Il vient comme un soulagement. La danse nous manque, en ce qu'elle nous permettrait de nous abandonner entier, sans précautions, à l'abstrait, pour revenir nourrir d'intensité le concret. Quelque soit le sujet abordé. On ne veut pas parler par là de joliesse de ballet classique, mais de gestes justes simplement, et inutiles absolument. Même si l'on doit avouer que c'est ainsi en donner une définition très lache. Ne reste ici, à l'inverse, qu'une proposition apte à ravir les critiques, les commentateurs. Une proposition dont les matériaux anecdotiques peuvent se prêter à tous les développements et constructions. Une proposition qui est d'autant moins faite pour les spectateurs. 

    C'était Histoire par celui qui la raconte , par Latifa Laâbissi, avec Latifa Laâbissi, Jessica Batut, Siméon, Fouassier, Robert Steijn, scénographie de Nadia Lauro, travail vocal de Dalila Khatir. Au Centre Georges Pompidou, avec le Festival d'Automne à Paris.

    Guy

    Lire aussi Le tadorne, et Libération.

    Photo par Laurent Paillier, avec son aimable autorisation.

  • Corneille: Just an Illusion...

    Galin Stoev se fait discret derrière Corneille: la modernité ce soir a près de quatre siècles. Avec L'Illusion Comique, l'essentiel est déja exposé, de la relation entre le spectateur et la pièce de théatre. Le coup de génie de Corneille (1606-1684), c'est de déplacer cette relation sur scène, de la mettre en abîme, sous observation. Avec la pièce dans la pièce. Pour mieux démonter les mécanismes essentiels du théatre...mais tout en gardant le spectateur sous l'effet de l'illusion de la comédie. Toutes les cartes ne sont pas retournées. Pour dire les choses autrement: il est vrai que quelque soit le spectacle, le spectateur est toujours dupe et complice à la fois. Mais l'originalité de L'Illusion Comique est d'amener le spectateur à réfléchir sur cette situation même. Pour autant, même demystifiée, la pièce "fonctionne". Aprés cela, manifestement, Pirandello en était réduit à faire des remakes.

    L'argument: Primadant regrette d'avoir bani son fils Clindor. Désire si fort le retrouver et connaître son sort, qu'il en croit aux mirages, à la magie d'Alcandre(A ce stade est ce vraisemblable? ...et pourtant déja on accepte ce postulat!). Pourtant quand Primadant, désormais à la fois personnage et spectateur, observe son fils dans ses aventures... voit-il les ombres mais de la réalité? Ou s'agit-il (mais en quoi consiste au fond la différence?) d'une pièce de théatre qui serait jouée devant lui?

    Partant de celà, la mise en scène joue avec les ambiguités. Tout semble flou, rien de carré. Jusqu'à crisper ainsi beaucoup de critiques, celui du Le Figaro  en particulier, qui juge que texte en est rendu incompréhensible. Pourtant c'est justement dans cette apparente intermination que se situe le principal intérêt de la proposition, un parti pris plutôt humble et qui ne viole pas le texte, loin de là. Il faut accepter d'être déconcerté. Le décor dévoile petit à petit ses pontentialités. Une lumière se fait, Lyse nettoie une vitre.... Un décor compartimenté, à tiroirs, avec des angles morts qui, selon les points de vus, jusqu'à la fin resteront mystérieux. Tant mieux. On comprend l'intrigue, qui va emprunter à beaucoup de genres, comique, tragique, épique, amoureux...On suit, puis on l'oublie. Là n'est pas l'enjeu. L'important c'est qu'on y croit alors, et de plus en plus, placés malgré nous dans l'illusion, incertains aussi. Les codes de jeu bougent à vue, dans un sens incertains. Les alexandrins ne datent pas, acrobatiques et insolents, jamais forcés. les acteurs passent d'un rôle à l'autre sans préavis. Herve Pierre est un mage à nouveau, jupitérien, entre autorité et bonhomie. Denis Polyades  joue Matamore, un mythomane impénitent, interprete permanent d'une fiction à laquelle personne ne croit, même parmi les personnages de la pièce qui elle-même est dans la pièce...Les acteurs glissent, d'acte en acte, de la distance-parlant face au public-, jusqu'à l'incarnation. Même lors du devoilement final, un poil désabusé, la pièce reste ouverte...

    C'était L'Illusion Comique de Corneille, mis en scéne par Galin Stoev, à la Comédie Française jusqu'à fin juin prochain.

    Guy

    P.S. Dans ce jeu avec la convention acceptée par le spectateur, il y avait tout de même (au moins!) un précedent : la scène du Roi Lear (1606) où nous croyons voir Kent, guidé par son fils, se jetter du haut d'une falaise. C'est du moins ce que nous croyons, par convention, lorsque l'acteur fait sur scène un saut d'une dizaine de centimètres... Avant de comprendre que le saut du personnage "dans la piece" est de la même hauteur que celui fait par l'acteur: Kent, aveugle, abusé par son fils, a été victime de la même illusion que nous!

    Lire aussi Libération et Culturofil.

     

  • Marcela Levi: Pour ou contre In-Organic

    Marcela Levi crédit Claudia Garcia.jpg

    Contre

    C’est de la danse contemporaine, c’est aussi une conférence, presque. A la place des mots: des poses, et des objets chargés de signification. Voire saturés. Marcela Levi met à contribution les signes masculins et féminins. A commencer par sa propre nudité, et des talons aiguilles, des barrettes à cheveux, un interminable collier de perles qui s’enroule en robe avant de se transformer en lasso. Et face mâle, une virile tête de taureau, bien lourde à porter, mise en mouvements par coups de reins vigoureux.

    D’une certaine manière, Macela Levi se place en dehors de sa propre performance. Abuse des effets de lenteur et de répétition pour mieux la démonter. Et dénoncer ainsi toute la violence sociale qui au Brésil est associée aux rôles sexuels, le discours aidant: «He likes it, she likes it, and that how it is ». Le discours se fait féministe et militant. Evident. Il se trouve que c’est la journée mondiale contre les violences faites aux femmes, on se sentirait coupable de ne pas acquiescer.

    Il n’empêche. Si c’est de la danse, celle-ci manque de force et de générosité. Si c’est une leçon de sociologie, celle-ci manque de subtilité. Trop appuyée et laborieuse. La lenteur souligne les actions, sans pour autant plus les éclairer. Quasi- minéralisées. Il est symptomatique que l’on puisse, ainsi que Jérôme le fait, raconter à peu prés tout ce qui est donné à voir. Mais tout est dit quand tout est montré, imaginaire bloqué. Pour surtout mettre en évidence les pièges d’une danse contemporaine où toute danse est évacuée, au profit de situations imposées, de messages univoques, symbôles trop dévoilés. Il se trouve que c’est aussi aujourd’hui le centenaire de Claude Levi Strauss, c’est d’une pensée, complexe, puissante, ouverte, dont nous avons besoin.
    .
    Pour
    In-organic. Il bien est entendu, et le trait d'union l'assure, qu'il n'est pas question d'inorganique. Car il n'y a rien de minéral là-dedans. Il s'agit de ce qui est organique au dedans, je dirais viscéral.
    Marcela Levi, ce frêle petit bout de femme nue, à peine plus haut sur ses talons presque aiguille, produit en solo des miniatures, des petits bijoux de précision. Chez elle toujours les mêmes quatre couleurs : blanc, rouge, noir, peau. On se doute que Marcela Levi n'est pas une fille facile. Elle tisse et défait dextrement les symboles. Un filet de colliers de perles raboutés d'un coup devient fil, comme un jet séminal ; s'enroule en corset puis, dévalant ses courbes d'une caresse, vient enserrer ses chevilles comme un lasso séquestre une vache. Des épingles à cheveux peuvent aussi figer une bouche. Ce qu'il y a de viscéral en Marcela Levi, c'est sans doute son énergie mâle, le désir de cette énergie, d'allier force mentale féminine et force physique masculine.
    Elle aime affronter le public qu'elle regarde (ou couvre) avec une placide assurance. Comme symbole de son désir et de sa force, une tête de taureau qu'elle porte à bouts de bras comme un trophée, ou contre ses reins aux va-et-vient vigoureux pour mieux la posséder tout en possédant les autres. Nue ou soudain rhabillée - comme domestiquée -, génisse et taureau, dominatrice et dominée, elle-même trophée quand son profil se fige, bouche ouverte, elle admet et affronte les fatalités de son espèce, violentes et ancestrales. Car elle raconte aussi des histoires. L'histoire des vachers machos du village d'à-côté, ou quelque chose comme cela ; d'une belle voix brésilienne si caressante, comme un baume sur la dureté de son pays. L'histoire aussi d'un photojournaliste qui fait carrière sur la misère du monde. "C'est ainsi, il aime ça, elle aime ça. Yeah !" Ce leitmotiv rêveur, répété avec un petit sourire entendu et satisfait, presque gourmand, alterne avec un refrain bruyant, de sabat, d'obscène obsessionnel par sa mécanique.
    L'exact objet de la démonstration nous échappe, mais on comprend tout de suite de quoi Marcela parle. Mettant à profit la sensualité de son corps pour mieux subvertir les représentations machistes, elle emploie un procédé classique de la performance féministe. Pour autant, son féminisme est d'aujourd'hui ; il n'est plus question de seulement présenter l'homme comme un bourreau et la femme comme une victime. Entre domination et séduction, acceptation et révolte, Marcela Levi sème le trouble et produit de ce fait, sans doute, la performance la plus érotique des Inaccoutumés.

    C'était In- Organic de Marcela Levi, à la Ménagerie de Verre.
    Photographie par Claudia Garcia, avec l'aimable autorisation de la Ménagerie de Verre

     Lire ausi Paris Art et les coupures de presses sur le site de Marcela Levi

  • Cirque à la Villette: le fil renoué d'Antoine Rigot

    Les lignes s'entrecroisent sur tous axes, et à plusieurs hauteurs, bientôt peuplées dans toutes les directions par les sept fildeferistes. 

    Un Fil sous la neige 2 © Jean Nussy Saint-Saens.jpg

    On ressent vite que l'affaire sera moins simple qu'on aurait d'abord pu le penser, bien plus riche en histoires, poésies et étourdissements. Dans le temps tantôt tendue, tantôt relâchée par les rythmes jazz et rock d'un trio de musiciens. Rien de résumable ici à un défilé horizontal, mais on se souvient que les artistes de corde de la Part du Loup savaient de leur coté échapper à la stricte verticalité….

    L’acrobatie dans le cirque traditionnel joue avec le feu du danger, met en scène le risque comme ressort dramatique, suggère la peur trouble de la chute…Sauf qu'ici, l'accident a déjà eu lieu, qui n’était pas spectaculaire, simplement dramatique. Antoine Rigot, raconte le jour où sa vie est tombée, évoque les années consacrées à se redresser. Il marche désormais au sol, sur l'ombre du fil, mais fait voler là haut ses complices. Le spectacle ne parle donc pas de la peur, mais de la résilience, tout simplement de la vie.

    Les acrobaties ont ici plus qu'ailleurs valeur de métaphore. Les artistes marchent sur les fils en costume et robes de ville, courent et s’aiment, comme dans la vie condamnés à avancer, empressés. Dans les rues- (parole d’enfant)- d’une ville suspendue. Chaque personnage a sa propre démarche, sa propre énergie- (parole de voisine)- son propre caractère. Tous croisent ou rassemblent leurs trajectoires, ils se chahutent, se séduisent, rivalisent, se désirent, s’enlacent, se cherchent, se fuient, se soutiennent, se trahissent. La tendresse du public, des enfants, va comme toujours au faux maladroit. A s’habituer à leur aisance et d’élégance, on en oublie presque le fil: il leur faut parfois tout suspendre, et nous montrer, pour que notre regard rende sa juste part à l’exploit. 

    C'était "Le Fil sous la Neige" d'Antoine Rigot - Les colporteurs, au Parc de la Villette, jusqu'au 28 décembre.

    Guy

    Photo de Jean Nussy Saint Seans, avec l'aimable autorisation du Parc de la Villette

  • Looking for Paco: bonus

    Regards sur la création de « Fresque, femmes regardant à gauche » par Paco Dècina et la compagnie Post-Retroguardia.

     

    Quelques bonus...

     

    Pause Forcée

     

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    Les répétitions de Fresques ont continué pendant une quinzaine au C.N.D., et sans que je parvienne me libérer, même une heure ou deux, pour y ouvrir un œil, une oreille…

    Qu’ont-ils fait, là-bas, durant ces deux semaines? Je reviens, irrésistiblement, à ce qui est invisible, hors champ. Que le regard soit attiré dans cette direction, c’est, dans ce projet, une obsession.

    Cette question en amène une autre, illico…Font-ils autrement quand je suis là que quand je n’y suis pas? Il dansent, bien sur! Mais surtout durant les moments où ils ne dansent pas? Je sais bien que ces danseurs sont habitués aux ateliers, aux ouvertures, aux répétitions publiques, aux interventions dans divers milieux, etc… Il n’y pas le noir et le blanc, d’un coté la scène et de l’autre le reste…Il n’empêche! Ma présence, celle de Jérôme, ont-elles une influence sur la manière dont ils se comportent, dont ils parlent?

    Puis je vraiment assister à la création? C’est une interrogation voisine de celle d’un ethnologue…par définition je ne le saurais sans doute jamais.

     

    La musique et le regard

     

    Au filage qui eu lieu lors de ma première venue au T.C.I. assistait aussi Michel Caserta, qui est l’éminent directeur de la biennale du Val de Marne. Ses avis furent, bien sûr, attentivement écoutés. Dont deux remarques critiques, qui firent saillie au milieu de nombreux compliments.

    En premier lieu, l’une des séquences musicales, dans laquelle étaient utilisées des voix retraitées, l’avait quelque peu gêné. En réfléchissant à cette réflexion, je me disais, moi aussi, que ce passage était en soit intéressant, mais qu’il s’agissait de la plus « visible » des musiques utilisées durant le filage, et au risque de détourner l’attention de la danse.

    Paco et Frédéric Malle, le créateur de la musique, m’apprirent un peu plus tard que ce morceau avait été le premier à être créé. Et même une source d’inspiration pour l’ensemble de la création, à ses débuts… Ce qui était un point de départ sera-t-il à l’arrivé gommé pour sauvegarder le bon équilibre de l’ensemble?

    Ensuite, Michel Caserta fit la remarque, qu’à mains égards, la danse était déja aboutie, incarnée…mais pas encore jusqu’aux expressions du visage, du regard, de la bouche, de la respiration.

    Est-ce le plus important, et cela ne peut il venir qu’en dernier ?

    Mais à entendre ces deux remarques, j’étais dés lors un peu plus rassuré: Fresque n’en était pas encore, n’en est toujours pas, à son achèvement…

     

    En Parler ou pas ?

     

    Dans la Galerie, durant les premières minutes de ma toute première visite, Marion m’avait lâché quelque chose d’assez drôle, dans le feu de la conversation: « Tu peux parler absolument de tout, sauf des histoires de cul». Ce qui tombait plutôt bien: de tous temps plutôt naïf, je n’ai jamais trop bien flairé autour de moi les intrigues amoureuses, sinon avec un train de retard.

    Cela revenait donc à dire que dans mon récit rien ne me serait interdit!

    L’exact opposé d’un reality-show télévisé.

    J’en suis aujourd’hui à peu près au premier tiers de ce travail de regard et d’écriture.

    Sans histoire de cœur, bien sur, surtout sans trop savoir où je vais. Sans savoir ce que j’écrirai la semaine suivante, avec juste le sentiment d’entreprendre quelque chose d’un peu original. Cette petite incertitude fait écho à l’incertitude, aux implications autrement plus importantes, du projet artistique que j’ai pour projet d’observer.

    Une chose est sure, comme promis, l’écriture se fait en toute liberté. Sans jamais que ces articles ne soient relus par le théâtre ou la compagnie. …

    Et il est tout aussi évident que mon regard tombe sous le charme…. Avec la hâte, la semaine prochaine, d’y retourner !

     

     

    Guy Degeorges 

     

    Photos de Jerôme Delatour, a voir en intégralité sur Images de danse.

    Merci à Paco Dècina et à la compagnie Post-Retroguardia, et au T.C.I..

     

     

    lire le prologue, l'épisode 1, l'épisode 2, l'épisode 3, l'épisode 4, l'épisode 5 ...

     

  • Regine Chopinot: cacher

    Ca nous dit quoi, cette non-danse sourde et délavée...? Rien qui nous rapproche.

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    Tout est en dedans, rien pour nous, tout s'engourdit: sons, sensations, dans un ralenti post apocalyptique. Danseurs pelles devant la gueule, engoncés en doudounes, la nudité des pieds pour seul message d'humanité. On regrette vite Paquerette. Le message quant à la perte de l'identité est aussi vite éventé que le gag de l'indifférenciation des zèbres dans Madagascar2. On agonise d'indifférence comme le cheval crevé, avec seule satisfaction de n'avoir rien de commun avec ce qui bouge sur scène. Les pantins n'en finissent pas d'explorer la lune, prennent la pose flags of our fathers, s'enculent en procession, hurlent en tribune et organisent des défilés, aussi flippant qu'une manif. de profs coincés sur un slogan. Chopinot se place hors jugement, nous dit merde, avec froideur, sophistication et plasticité. Avec une intrangisance quasi suicidaire, une indéniable violence. Les spectateurs se défendent, votent avec leurs pieds. Citation : "Notre défiguration n'est plus de l'ordre de la menace. Elle est là, quotidienne, insidieusement infiltrée en nous". Au contraire, les spectateurs ont des visages, sont vivants. On sort, il fait plus chaud dehors.

    C'était Cornucopiae de Régine Chopinot au Centre Georges Pompidou avec le Festival d'automne à Paris

    A lire: Clochettes et Spectateur turbulent, Danse à Montpellier, et Images de danse.

    photo de Jérome Delatour- Images de danse

    un reportage ici, sur la culturebox de France 3

  • Cecilia Bengolea et François Chaignaud : montrer.

    Peut on essayer d’oublier tout ce qu’avant on a lu à propos de Pâquerette, toutes attentes tues, curiosité remise à neuf?

     

    pâquerette par Alain monot.jpg

     

    Cecilia Bengolea et François Chaignaud doivent être satisfaits du buzz, et de la salle pleine à craquer. Avertis des risques aussi. Déjà présents sur la scène à notre arrivée, ils désamorcent. Familiers, chuchotent entre eux sourire aux lèvres, lancent un clin d’œil aux copines du premier rang. Parés de robes chatoyantes, elle yeux de biche, lui blond angélique, les genres sexuels convergent.
     

    Quand les deux danseurs glissent enfin dans le jeu, c’est par délicates suggestions: yeux vagues, râles étouffés, expressions de doigts de pied. Ces manifestations finissent vite par déraper, en sifflements de cocotte minute, interactions nerveuses et tremblements pâmés. Déjà on ne peut plus feindre d’ignorer ce que l’on sait: on sait qu’ils savent qu’on sait ce qui les tend. L’obscène- à la lettre- est hors de vue. La performance se concentre dans cette connivence. Avec des sensations sans sensationnalisme: le public est bon enfant, quelques rires réprimés. C’est joyeux et libérateur. Le spectacle pourrait tout autant se refermer sur cette première partie, homogène et bien maîtrisée, symptômes en pleine lumière et causes occultées.

     

    Puis les robes tombent, et les enjeux se déplacent.

    On savait: maintenant on voit. Constat immédiat : ils sont mignons, pas scandaleux. On consacre un instant à apprécier l’audace de la démarche: aucune raison que la danse s'interdise de telles explorations. L’instant suivant on admet que montrer c’est dédramatiser. Voire desérotiser. Par cette simple démonstration le projet se justifie. La suite, c’est de la danse. Sous contrainte: les deux danseurs s’efforcent de conserver inchangée leur relation avec les objets, quitte à ce que l’équilibrisme fasse passer au second plan l'expression du plaisir. C’est une danse honnête, à tous points de vues, d’une poésie fraîche. Qui n'ouvre pas sur de grandes révélations, chacun jugera selon ses attentes. Ils sont beaux et fragiles, généreux et drôles, des statues nues dans un jardin d’hiver, avec quelque chose en plus.

    Mais après Pâquerette, que peuvent ils bien faire ? Sans doute tout autre chose…

     

    C'était Pâquerette, de et avec Cecilia Bengolea et François Chaignaud, dans le cadre du festival innacoutumés à la Ménagerie de Verre.

     

    A lire: le Tadorne, et bientôt Images de danse.

    Et un point de vue moraliste, dans Le Monde.

     

    Guy

     

    photo par Alain Monot, avec l'aimable autorisation de la Ménagerie de Verre.

     

    Paquerette fleurit au Dansoir mercredi 4 fevrier, et à Ardanthé le vendredi 20 fevrier